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7,700 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 255 F-B
Pourvoi n° Z 20-22.389
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2022
La société AJRS, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret Thomas et Sonia, a formé le pourvoi n° Z 20-22.389 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2020 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Interval, société coopérative agricole, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société AJRS, ès qualités, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Interval, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 8 septembre 2020), le 26 février 2014, l'EARL Tourneret a consenti à la société coopérative agricole Interval (la société Interval) un warrant agricole et une cession de créance.
2. L'EARL Tourneret, mise en redressement judiciaire le 12 août 2014, a bénéficié d'un plan de redressement arrêté par un jugement du 8 mars 2016.
3. La société AJRS, désignée en qualité de commissaire à l'exécution de ce plan, ayant assigné la société Interval en nullité du warrant agricole et de la cession de créance, au motif qu'ils avaient été consentis après la cessation des paiements de l'EARL Tourneret, un jugement du 5 mars 2019 a fait droit à cette demande et condamné la société Interval au paiement des sommes de 82 322 et 40 000 euros.
4. En exécution de ce jugement, le commissaire à l'exécution du plan a fait signifier à la société Interval un commandement aux fins de saisie-vente le 3 juin 2019. La société Interval l'a contesté devant le juge de l'exécution en demandant la compensation entre les condamnations prononcées et sa créance connexe, admise au passif de la procédure collective pour la somme de 249 901,50 euros.
Examen des moyens
Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le commissaire à l'exécution du plan fait grief à l'arrêt de constater la connexité des créances et d'admettre leur compensation, alors « que pour être connexes, les créances doivent dériver d'un même contrat ou d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la créance de la coopérative agricole Interval provenait de la livraison de semences, intrants et engrais tandis que celle de l'EARL Tourneret résultait du jugement du 5 mars 2019 et constituait donc, ainsi que le faisait valoir l'exposante, une créance indemnitaire née d'une action en nullité de la période suspecte et non pas une créance contractuelle, nonobstant la circonstance que cette créance indemnitaire avait pour origine l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, qui ne pouvait suffire à caractériser la connexité exigée par la loi ; qu'en retenant néanmoins que la créance issue du jugement de condamnation était tout aussi indissociable de la relation d'affaire des deux parties que celle détenue par la coopérative agricole Interval pour la seule raison qu'elle résultait de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-7 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1347 du code civil, L. 622-7, L. 631-14, alinéa 1, L. 632, I et L. 626-25 du code de commerce :
7. Il résulte de la combinaison du quatrième et du cinquième de ces textes que les sommes recouvrées au titre de la restitution par le créancier des sommes qu'il a reçues au titre d'opérations annulées à la demande du commissaire à l'exécution du plan agissant dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer l'actif du débiteur, entrent dans le patrimoine de ce dernier et sont destinées à être réparties entre tous les créanciers. Toute compensation en vertu de l'existence d'un lien de connexité est donc exclue entre la dette de restitution consécutive à l'annulation d'une opération contractée après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif du débiteur.
8. Pour dire que les condamnations prononcées par le jugement du 5 mars 2019 contre la société Interval au titre de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance se compenseront avec la créance de cette coopérative au titre de ses livraisons, l'arrêt retient que la connexité entre les créances à compenser résulte de ce qu'elles procèdent, l'une comme l'autre, des liens d'affaires étroits qui unissaient les parties dans le cadre d'un ensemble contractuel prévoyant que l'EARL Tourneret écoulait sa production auprès de la seule coopérative qui, inversement lui fournissait les marchandises nécessaires à cette production, un compte-courant accueillant les flux réciproques générés par ces opérations.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence du juge de l'exécution et la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et du principe de concentration des moyens soulevées par la société AJRS, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret, l'arrêt rendu le 8 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE les demandes de compensation et de mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente signifié le 3 juin 2019 formées par la société coopérative agricole Interval ;
Condamne la société coopérative agricole Interval aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le juge de l'exécution et la cour d'appel de Besançon ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société coopérative agricole Interval et la condamne à payer à la société AJRS, ès qualités, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société AJRS, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du juge de l'exécution soulevée par le commissaire à l'exécution du plan (la Selarl AJRS, l'exposante) d'un débiteur en redressement judiciaire (l'Earl Tourneret) ;
ALORS QU'une modification substantielle dans les objectifs ou les moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal saisi de la procédure collective, à la demande du débiteur et sur le rapport du commissaire à l'exécution du plan ; qu'en retenant que la compensation opposée par la coopérative saisie à la partie saisissante n'entraînerait qu'une modification de la mise en oeuvre du plan d'apurement et non du plan lui-même, quand elle constatait que la compensation réduirait le montant de la créance de la coopérative saisie, ce qui avait pour conséquence de modifier substantiellement les objectifs ou les modalités du plan, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations en violation des articles L 621-2, L 626-26 et R 662-3 du code de commerce, ensemble l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir soulevée par le commissaire à l'exécution du plan (la Selarl AJRS, l'exposante) d'un débiteur en redressement judiciaire (l'Earl Tourneret) au titre de l'autorité de la chose jugée et de la concentration des moyens ;
ALORS QU'il incombe au défendeur à l'action de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens de nature à faire échec à la demande ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir (v. ses concl., pp. 4 et 5) que, lors de l'instance ayant donné lieu au jugement ayant condamné la coopérative saisie à payer les sommes de 82 322 euros et de 40 000 euros, cette dernière n'avait pas fait valoir la compensation entre cette dette et la créance qu'elle détenait en retour, de telle sorte que l'autorité de la chose jugée faisait obstacle à ce qu'elle invoque la compensation dans une seconde instance relative à l'exécution, une telle demande revenant à modifier les effets et la portée du jugement de condamnation ; qu'en retenant que l'autorité de la chose jugée attachée à ce jugement ne faisait pas obstacle à l'exception de compensation soulevée pour la première fois devant le juge de l'exécution et que l'irrecevabilité n'était pas davantage encourue au titre du principe de concentration des moyens, au prétexte qu'en l'absence d'une décision ayant déjà statué sur la compensation judiciaire le juge de l'exécution était compétent pour se prononcer sur l'exception de compensation, quand elle constatait que la coopérative saisie n'avait pas opposé le moyen tiré de la compensation dans le cadre de l'instance initiale, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il avait constaté la connexité des créances en cause et d'avoir autorisé l'application du principe de compensation entre la dette de la partie saisie (la coopérative agricole Interval) pour un montant de 128 843,29 euros et la créance connexe déclarée au passif de la procédure de redressement judiciaire de la partie saisissante (l'Earl Tourneret, représentée par la Selarl AJRS, l'exposante, commissaire à l'exécution de son plan) pour un montant admis de 249 901,50 euros ;
ALORS QUE, pour être connexes, les créances doivent dériver d'un même contrat ou d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la créance de la coopérative agricole Interval provenait de la livraison de semences, intrants et engrais tandis que celle de l'Earl Tourneret résultait du jugement du 5 mars 2019 et constituait donc, ainsi que le faisait valoir l'exposante, une créance indemnitaire née d'une action en nullité de la période suspecte et non pas une créance contractuelle, nonobstant la circonstance que cette créance indemnitaire avait pour origine l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, qui ne pouvait suffire à caractériser la connexité exigée par la loi ; qu'en retenant néanmoins que la créance issue du jugement de condamnation était tout aussi indissociable de la relation d'affaire des deux parties que celle détenue par la coopérative agricole Interval pour la seule raison qu'elle résultait de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 622-7 du code de commerce. | Il résulte de la combinaison des articles L. 632, I, et L. 626-25 du code de commerce que les sommes recouvrées au titre de la restitution par le créancier des sommes qu'il a reçues au titre d'opérations annulées à la demande du commissaire à l'exécution du plan agissant dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer l'actif du débiteur, entrent dans le patrimoine de ce dernier et sont destinées à être réparties entre tous les créanciers. Toute compensation en vertu de l'existence d'un lien de connexité est donc exclue entre la dette de restitution consécutive à l'annulation d'une opération contractée après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif du débiteur.
Doit donc être censurée la cour d'appel qui ordonne la compensation entre, d'un côté, les condamnations prononcées par un jugement contre une société au titre de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance consenties par le débiteur pendant la période suspecte, et, de l'autre, la créance de la même société déclarée au titre de livraisons effectuées au profit de ce débiteur et admise au passif, en retenant que ces créances sont connexes |
7,701 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 262 F-B
Pourvoi n° B 20-20.137
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2022
M. [F] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 20-20.137 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-2), dans le litige l'opposant à M. [R] [E], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société CDV, défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [P], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [E], ès qualités, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 juillet 2020), la société CDV, ayant pour objet le commerce de viande et dont M. [P] était le dirigeant, a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 28 février 2011. Elle a été mise en liquidation judiciaire le 4 juillet 2011 à la suite de la rupture brutale de ses relations commerciales avec son client unique, M. [E] étant désigné liquidateur. Celui-ci a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif du dirigeant.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
2. M. [P] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [E], ès qualités, la somme de 300 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, alors :
« 1°/ que la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée en cas de simple négligence dans la gestion de la société ; que le manquement de vigilance - à le supposer avéré - ne pouvait tout au plus constituer qu'une négligence insusceptible de caractériser une faute de gestion du dirigeant ; qu'en conséquence, en retenant une faute de gestion à l'encontre de M. [P] pour avoir "manqué de vigilance en engageant la société CDV dans une activité reposant sur un seul client sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales", la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
3°/ qu'un cocontractant est libre de mettre fin aux relations commerciales entretenues avec un partenaire commercial dès lors qu'il respecte un préavis ; que ce dernier n'a donc aucun moyen d'influencer sur la décision de rompre prise par son cocontractant ; que dès lors, en retenant que M. [P] n'a trouvé aucun "moyen de garantir la pérennité des relations commerciales", la cour d'appel a, en toute hypothèse, statué par un motif inopérant et a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :
3. Il résulte de ce texte qu'en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l'insuffisance d'actif est écartée.
4. Pour condamner M. [P] au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt , après avoir constaté que le cocontractant unique de la société CDV avait imposé à cette dernière des investissements destinés à adapter sa capacité de production à ses demandes dans un secteur d'activité et à une période où M. [P] pouvait légitimement croire à l'expansion de sa société, constate que ce cocontractant a brutalement rompu, à sa seule initiative, leurs relations commerciales, et relève que M. [P] a manqué de vigilance en engageant la société qu'il dirigeait dans une activité reposant sur un client unique sans trouver le moyen de garantir la pérennité des relations commerciales.
5. En statuant par de tels motifs tirés seulement d'un manque de vigilance de M. [P], impropres à établir que celui-ci aurait commis une faute de gestion non susceptible d'être analysée en une simple négligence, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la clôture de la procédure en date du 15 juin 2020, l'arrêt rendu le 9 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne M. [E], en qualité de liquidateur de la société CDV, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. [P].
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'AVOIR condamné à payer à Me [E], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société CDV, la somme de 300.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de cette société ;
1°) ALORS QUE la responsabilité du dirigeant de droit ou de fait au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée en cas de simple négligence dans la gestion de la société ; que le manquement de vigilance - à le supposer avéré - ne pouvait tout au plus constituer qu'une négligence insusceptible de caractériser une faute de gestion du dirigeant ; qu'en conséquence, en retenant une faute de gestion à l'encontre de M. [P] pour avoir « manqué de vigilance en engageant la société CDV dans une activité reposant sur un seul client sans trouver de moyen de garantir la pérennité des relations commerciales », la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait tout à la fois exclure que M. [P] n'aurait pas assuré un service de qualité et qu'il aurait été ainsi à l'origine de la rupture des relations commerciales et, par ailleurs, lui reprocher de n'avoir pas trouvé de « moyen de garantir la pérennité des relations commerciales » ; qu'en statuant de la sorte, elle s'est contredite violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'ENFIN, un cocontractant est libre de mettre fin aux relations commerciales entretenues avec un partenaire commercial dès lors qu'il respecte un préavis ; que ce dernier n'a donc aucun moyen d'influencer sur la décision de rompre prise par son cocontractant ; que dès lors, en retenant que M. [P] n'a trouvé aucun « moyen de garantir la pérennité des relations commerciales », la cour d'appel a, en toute hypothèse, statué par un motif inopérant et a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile. | Prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de commerce, la cour d'appel qui, pour condamner un dirigeant sur ce fondement, relève que celui-ci a manqué de vigilance en engageant la société qu'il dirigeait dans une activité reposant sur un client unique, lequel lui a imposé des investissements lorsque le dirigeant pouvait légitimement croire à une expansion de sa société, avant de rompre brutalement les relations commerciales à sa seule initiative, de tels motifs étant impropres à établir une faute de gestion du dirigeant excédant sa simple négligence |
7,702 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 266 FS-B
Pourvoi n° G 21-12.994
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2022
M. [C] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-12.994 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, service financier et commercial, [Adresse 3],
2°/ à la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [K] [G], prise en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Staff+,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mme Barbot, conseiller référendaire, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2021), la société Staff+, dont M. [F] était le dirigeant, a été mise en liquidation judiciaire le 19 novembre 2014, la date de cessation des paiements étant fixée au 19 mai 2013 et la société BTSG² désignée liquidateur. Celle-ci a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [F] et l'a assigné en sanction personnelle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. M. [F] fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de 8 ans, alors « que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant d'une personne morale qui a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ; que, pour prononcer à l'encontre de M. [F] une mesure de faillite personnelle, la cour d'appel lui a reproché d'avoir poursuivi, en 2014, une activité déficitaire, dans un intérêt personnel, tout en constatant que la date de cessation des paiements avait été fixée au 19 mai 2013, de sorte que la continuation de l'activité en 2014 ne pouvait pas conduire à la cessation des paiements, celle-ci étant déjà intervenue ; qu'en fondant la mesure critiquée sur une faute dont les conditions légales n'étaient toutes pas réunies, la cour d'appel a violé l'article L. 653-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'article L. 653-4, 4°, du code de commerce sanctionne par la faillite personnelle le fait pour un dirigeant de poursuivre abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne peut conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale. Un tel comportement peut être caractérisé même lorsque la cessation des paiements est déjà survenue.
5. Après avoir constaté que l'exploitation de la société Staff+ était gravement déficitaire au 31 décembre 2013 et que le principal client de la société, représentant 91 % du chiffre d'affaires, avait dans le même temps été perdu, l'arrêt constate que M. [F] a néanmoins poursuivi l'activité de la société, abusivement pour s'être abstenu de s'acquitter des charges sociales et fiscales, en 2014, et dans un intérêt personnel, la poursuite de l'activité dans ces conditions lui ayant permis de faire profiter une société tierce, dont il était l'associé unique et le gérant, de la clientèle de la société Staff+.
6. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que M. [F] avait, courant 2014, commis le fait prévu par l'article L. 653-4, 4°, du code de commerce, justifiant le prononcé de sa faillite personnelle, peu important que la date de cessation des paiements ait été fixée au 19 mai 2013.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [F] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [F].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à la somme de 250 000 euros au profit de la SCP BTSG ès qualité au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif ;
ALORS QUE lorsque plusieurs fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif sont retenues, il importe que chacune d'entre elles soit légalement justifiée ; que la faute de gestion résultant de l'omission de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai légal entraîne, de facto, la poursuite d'une exploitation déficitaire ; qu'en retenant à charge contre le dirigeant de la société débitrice, comme constituant deux fautes distinctes, la poursuite d'une activité déficitaire et le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal, alors que la première n'est que la conséquence de la seconde, et qu'ainsi, c'est une même et unique faute qui était reprochée à M. [F], la cour d'appel, qui a retenu deux fautes distinctes et a statué au vu de leur nombre, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L651-2 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle pour une durée de 8 ans ;
ALORS QUE le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant d'une personne morale qui a poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ; que, pour prononcer à l'encontre de M. [F] une mesure de faillite personnelle, la cour d'appel lui a reproché d'avoir poursuivi, en 2014, une activité déficitaire, dans un intérêt personnel, tout en constatant que la date de cessation des paiements avait été fixée au 19 mai 2013, de sorte que la continuation de l'activité en 2014 ne pouvait pas conduire à la cessation des paiements, celle-ci étant déjà intervenue ; qu'en fondant la mesure critiquée sur une faute dont les conditions légales n'étaient toutes pas réunies, la cour d'appel a violé l'article L653-4 du code de commerce. | Le comportement prévu par l'article L. 653-4, 4°, du code de commerce, qui sanctionne par la faillite personnelle le fait pour un dirigeant de poursuivre abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne peut conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, peut être caractérisé même lorsque la cessation des paiements est déjà survenue |
7,703 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 549 FS-B
Pourvoi n° B 20-14.870
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2022
La société [Y] Yang-Ting, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [Y], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Voxtur, a formé le pourvoi n° B 20-14.870 contre l'arrêt rendu le 29 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à M. [H] [T], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [Y] Yang-Ting, de la SCP Spinosi, avocat de M. [T], et l'avis de Mme Wurst, avocat général celle-ci ayant présenté des observations orales lors de l'audience publique du 8 février 2022, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2020), M. [T] a signé le 31 juillet 2015 avec la société Voxtur un contrat de location longue durée d'un véhicule, ainsi qu'un contrat d'adhésion au système informatisé développé par cette société sous le nom de « Le Cab ».
2. La société a rompu les relations contractuelles le 7 mars 2016.
3. M. [T] a saisi la juridiction prud'homale.
4. La société Voxtur a été placée en liquidation judiciaire le 9 juin 2020, et la société [Y] Yang-Ting désignée en qualité de liquidatrice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième et huitième branches
Enoncé du moyen
5. La société [Y] Yang-Ting, ès-qualités, fait grief à l'arrêt de requalifier la relation contractuelle en contrat de travail, et de condamner la société Voxtur à verser à M. [T] des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour procédure irrégulière, d'indemnité compensatrice de congés payés, d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour travail dissimulé et au titre des frais d'essence, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 8221-6 du code du travail que la présomption de non-salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation au répertoire des métiers n'est écartée que lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé ne peut constituer un indice du lien de subordination que lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; que l'existence d'un service organisé ne saurait dès lors constituer un indice d'un lien de subordination juridique entre une plateforme de mise en relation avec une clientèle et un chauffeur VTC lorsque, d'une part, le chauffeur n'a aucune obligation d'utiliser l'application et reste libre de choisir ses jours et heures d'activité, que, d'autre part, le chauffeur peut se déconnecter quand il le souhaite, que, de troisième part, le chauffeur est libre d'effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale, que, de quatrième part, l'organisation des courses attribuées par la plateforme relève du libre choix du chauffeur sauf à requérir une indication de la part du client et, enfin, que chauffeur peut sous-traiter les courses à d'autres personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en se bornant à énoncer, pour requalifier le contrat entre la société Voxtur et le chauffeur en contrat de travail, que le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d'un service organisé, sans établir la détermination unilatérale par des conditions d'exécution du travail par la société Voxtur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
2°/ que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le seul fait pour une plateforme de mise en relation entre une clientèle et un chauffeur VTC de définir, dans le contrat le liant au chauffeur, le type de véhicule et de déterminer unilatéralement le prix des prestations de transport réalisées par son intermédiaire, ne saurait caractériser un lien de subordination juridique dès lors que le chauffeur reste libre d'utiliser ou non les services de la plateforme et de choisir ses jours et heures d'activité, qu'il peut se déconnecter quand il le souhaite et peut effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale, qu'il est totalement libre d'organiser comme il l'entend les courses qu'il effectue par l'intermédiaire de la plateforme et que chauffeur peut sous-traiter des courses à d'autres personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'au cas présent, le contrat d'adhésion au système informatisé stipulait que ''le prestataire adhérent est libre de décider de ses jours et heures d'activité et de ses jours de repos'', que ''les courses sont attribuées, automatiquement au(x) prestataire(s) adhérent(s) connecté(s), qui affiche(nt) sur son(leur) matériel embarqué le statuten attente de course'' et ''la connexion peut être interrompue, par le prestataire adhérent qui se met alors en pause'' ; que le contrat précisait également que ''l'organisation de la course (itinéraire) est laissée au libre choix du prestataire adhérent, sauf pour lui à requérir, à ce sujet, une indication de la/des personne(s) transportée(s)'' ; que le contrat stipulait encore qu' ''un prestataire adhérent, entre deux connexions, peut librement réaliser des courses, pour son compte et/ou pour le compte de toute personne physique ou morale, quel que soit le statut de celui-ci (celle-ci)'' ; que le contrat précisait, enfin, que le chauffeur pourra sous-traiter les courses affectées par l'application sous réserve d'en informer la société Voxtur et que le sous-traitant utilisant le véhicule et l'application remplisse les conditions pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en jugeant néanmoins que le chauffeur réalisait des prestations dans un lien de subordination constant à l'égard de la société Voxtur, sans caractériser une quelconque obligation pour le chauffeur de se tenir à la disposition de la plateforme pour effectuer des courses, ni le moindre ordre ou la moindre directive reçus par la chauffeur relativement aux modalités de réalisation des courses effectuées par l'intermédiaire de la plateforme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
3°/ que le système de géolocalisation inhérent au fonctionnement d'une plateforme numérique de mise en relation de chauffeurs VTC avec des clients potentiels ne caractérise pas un lien de subordination juridique des chauffeurs à l'égard de la plateforme dès lors que ce système n'a pas pour objet de contrôler l'activité des chauffeur, et n'est utilisé que pour contacter le chauffeur connecté le mieux situé pour répondre à la demande du client ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de la cour d'appel que, selon les termes du contrat, l'installation mise à la disposition du chauffeur permet à la société Voxtur ''de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à un dispatche optimisé et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la(les) personne(s) à transporter et de trajet à effectuer, pour le(les) chauffeurs, pour assurer cette prise en charge'' ; qu'il résulte de ces constatations que le GPS ne permet de localiser le chauffeur que lorsqu'il est connecté à l'application et a pour objet de permettre l'attribution au chauffeur le plus proche du client ; qu'en énonçant que le GPS permet à la société Voxtur ''d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur'', la cour d'appel a méconnu les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
7°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que, si le type de véhicule utilisé était stipulé par le contrat d'adhésion au système informatique, ce contrat prévoyait expressément que la location du véhicule auprès de la société Voxtur était une simple faculté pour le chauffeur qui avait la possibilité d'être propriétaire de son véhicule ou de le louer auprès d'une autre société ; qu'en se bornant à invoquer l' ''interdépendance des contrats de location de véhicule et d'adhésion à la plateforme'', sans exposer en quoi cette interdépendance permettrait de caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
8°/ que l'exécution d'un contrat de partenariat portant sur l'utilisation par un chauffeur VTC d'une application électronique de mise en relation avec des clients implique une possibilité pour la plateforme, qui est un intermédiaire de transport soumis aux dispositions du code des transports de s'assurer de la qualité de la prestation de transport effectuée par son intermédiaire ; que ne caractérise pas un pouvoir disciplinaire, la possibilité pour une plateforme numérique de rompre unilatéralement le contrat motivée par les seules évaluations de la clientèle en l'absence de tout ordre ou directive donnés et de tout contrôle opéré par la plateforme sur l'exécution des courses ; qu'en prétendant que la société Voxtur disposait d'un pouvoir de sanction à travers le système de notations opérées par les clients, la cour d'appel, qui n'a, par ailleurs, caractérisé aucun ordre, ni aucune directive donnés par la plateforme relativement aux prestations effectuées, ni aucun contrôle opéré par cette dernière sur ces prestations, a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article L. 3120-3 du code des transports, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 8221-6 du code du travail :
6. Il résulte de ce texte que les personnes physiques, dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation aux registres que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail. L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.
7. Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
8. Pour dire que M. [T] et la société Voxtur ont été liés par un contrat de travail, l'arrêt retient que le chauffeur n'avait pas le libre choix de son véhicule, qu'il y avait interdépendance entre les contrats de location et d'adhésion à la plateforme, que le GPS permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à une répartition optimisée et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la personne à transporter et de trajet à effectuer, et d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur, que la société fixait le montant des courses qu'elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, et qu'elle modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires.
9. L'arrêt ajoute que la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du chauffeur, à travers le système de notation par les personnes transportées prévu à l'article 3 de son contrat d'adhésion.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la société Voxtur, sans constater que celle-ci avait adressé à M. [T] des directives sur les modalités d'exécution du travail, qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [Y] Yang-Ting
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir requalifié le contrat entre M. [T] et la société Voxtur en contrat de travail, et d'avoir condamné la société Voxtur à verser à M. [T] les sommes de 3.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 100 € de dommages-intérêts pour procédure irrégulière, 2.659,18 € d'indemnité compensatrice de congés payés, 3.717,14 € d'indemnité compensatrice de préavis, 371,71 € au titre des congés payés afférents, 22.302,84 € de dommages-intérêts pour travail dissimulé et 900 € au titre des frais d'essence ;
AUX MOTIFS QUE Sur la demande de reconnaissance d'un contrat de travail L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Elément essentiel du contrat de travail le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. Il appartient à M. [T], qui revendique l'existence d'un contrat de travail alors qu'il 'a la qualité d'auto-entrepreneur, de renverser la présomption de non-salariat édictée par l'article L. 8221-6 du code du travail en démontrant qu'il fournissait directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui le plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. Il résulte des pièces produites que : - le chauffeur n'avait pas le libre choix de son véhicule automobile. En effet, selon le préambule de son contrat de location, "Les appels entrants enregistrés par la plate-forme VOXTUR, émanant de personnes qui souhaitent une prestation haut de gamme, la société VOXTUR a décidé de ne contracter qu'avec des chauffeurs de voitures de transport, disposant d'un véhicule répondant à cette qualification. Au-delà et plus encore, dans un souci de cohérence, la société VOXTUR a considéré que l'usage, par tous les chauffeurs avec lesquels elle contracterait, d'un seul et unique modèle de véhicule, assurerait une visibilité à la marque LeCab, qui sera profitable à tous les intervenants. La société VOXTUR, à la date des présentes, a sélectionné le véhicule de la marque PEUGEOT, modèle 508, comportant les spécifications suivantes : - vitres filmées, - sièges en cuir, - couleur gris Haria. Le locataire ne disposant pas d'un véhicule de la marque et du modèle susvisés, nécessaire à exécuter les prestations à fournir, dans le cadre du contrat cité ci-dessus, la société VOXTUR lui a proposé de lui louer celui-ci" ; La société mettait à sa disposition un smartphone de type Samsung Galaxy S3 ou d'un modèle équivalent, auquel sont intégrés un GPS et un logiciel, et "un iPad 4G, destiné, uniquement, à l'usage dei personnes transportées, qui sera installé à l'arrière du véhicule et qui leur permettra d'accéder à des contenus d'informations, de piloter l'ambiance musicale à l'intérieur du véhicule et de noter la qualité de la prestation qui leur est fournie (...) Le matériel embarqué sera utilisé par le prestataire adhérent, pour ce qui concerne : - le matériel radio, dans sa fonction téléphone, que pour contacter les clients et les régulateurs. Si le téléphone devait être utilisé à des fins personnelles, les communications (y compris les SMS et les MMS) seront refacturées au prestataire adhérent, l'iPad 4G, pendant tout le temps de connexion, sachant qu'il devra être débranché et retiré de son emplacement habituel, pour être conservé dans un endroit sécurisé en dehors des périodes de connexion et surtout si le prestataire adhérent utilise le véhicule pour effectuer des courses, pour son propre compte." (Article 4 des conditions particulières au contrat d'adhésion au système informatisé Voxtur) ; - le GPS permettait à la société de "localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à un dispatche optimisé et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la (les) personne(s) à transporter et de trajet à effectuer, pour le (les) chauffeur(s), pour assurer cette prise en charge" (article 4 précité) et d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur ; la société déterminait le montant des courses qu'elle facturait au nom et pour le compte du chauffeur, les modalités de prélèvement de sa commission étant déterminées à l'article 6 du contrat d'adhésion. Elle adressait en outre, chaque fin de semaine, au chauffeur une facture correspondant à : "- 30 % du total des sommes qui auront été facturées aux personnes transportées, par le chauffeur, au cours de la semaine écoulée, pour les chauffeurs ayant adhéré à "l'offre de radio seule". Le pourcentage de cette commission pourra être amené à diminuer selon le nombre de points de courses obtenus, au cours de la semaine, par ledit adhérent, les diminutions susvisées étant définies en Annexe 4 du présent contrat, - 20 % du total des sommes qui auront été facturées aux personnes transportées, par le chauffeur, au cours de la semaine écoulée, pour les chauffeurs ayant adhéré à "I' offre fixe" sur un an, ou à "l'offre Flexi CA Max", quelle que soit la durée de souscription pour cette dernière (cf Annexe 1), - 30 % du total des sommes qui auront été facturées aux personnes transportées, par le chauffeur, au cours de la semaine écoulée, pour les chauffeurs ayant adhéré à "l'offre Flexi Dégressive", quelle que soit la durée de souscription pour cette dernière (cf Annexe 1). Pour ce qui concerne, spécifiquement, les courses dont les prix auront été majorés, par rapport au prix public, en application d'accords particuliers pris par la société VOXTUR avec des personnes physiques ou morales, celle-ci facturera au partenaire adhérent (...) 30 % du prix public et l'intégralité de la majoration, dans le cas de l'adhésion à "l'offre Flexi Dégressive" quelle que soit la durée de souscription pour cette dernière (cf Annexe 1). (article 6) ; la société modifiait unilatéralement le prix des courses, à la hausse ou à la baisse en fonction des horaires. Ainsi elle a envoyé un courriel à l'ensemble des chauffeurs à effet au 1" septembre 2015 indiquant : "25 % de chiffre d'affaires supplémentaires aux heures de pointe ! Dès le 1" septembre, LeCab met en place une amélioration significative du calcul du tarif des courses pour ses chauffeurs partenaires. Un coefficient de 1,25 sera désormais appliqué aux clients pour toute course réservée du lundi au vendredi de 7h30 à 9h30 et de 18h à 20h (...) La nuit, du dimanche au jeudi inclus, entre minuit et 5h, le coefficient appliqué est de 0,75 afin de booster la demande auprès d'une clientèle plus jeune et sur un créneau à fort potentiel où nous ne sommes pas compétitifs en raison du trafic très fluide" ; - l'interdépendance des contrats de location de véhicule et d'adhésion à la plate-forme, avec notamment la possibilité pour la société Voxtur de résilier le contrat d'adhésion au système informatisé "sans préavis et, à quelqu'époque que ce soit, dans l'un et/ou l'autre des cas stipulés aux articles 10 et 11 infra et aussi, dans l'hypothèse où la société VOXTUR constaterait la commission de tout acte et/ou action constituant une fraude à la loi, à un règlement, à une disposition contractuelle et/ou au fonctionnement normal et régulier du Système informatisé VOXTUR. En tout état de cause, et à quelque moment que cette résiliation intervienne, celle-ci entraînera, automatiquement, et à la même échéance, la résiliation du contrat de location du véhicule, celui-ci ne pouvant pas perdurer indépendamment du contrat de location du matériel" (article 9). - enfin, la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du chauffeur, à travers le système de notation prévu à l'article 3 de son contrat d'adhésion selon lequel une notation insuffisante selon les critères définis en annexe 3 pourra entraîner, à l'initiative de la société, la résiliation du contrat dès lors que la qualité des prestations du chauffeur ne sera pas conforme aux prescriptions figurant à cette annexe. Selon cette annexe, "La société VOXTUR au travers de sa marque LeCab jouit d'une image de qualité auprès de sa clientèle. Le reflet de cette qualité est donné par les personnes transportées, qui souhaitent le faire, de façon totalement indépendante de la fin de la prestation, par l'intermédiaire d'un système de notation allant de 1 à 5. Cette note est donnée sur l'iPad présent à bord du véhicule. A cet effet, et en vue de conserver le niveau de qualité des prestations de services réalisées par nos partenaires adhérents, la société VOXTUR considère que la moyenne qualitative de 4,5 représente la nonne minimale. La note moyenne constatée, au cours des douze derniers mois, sur l'ensemble des prestataires adhérents, étant supérieure à 4,5. Par ailleurs et au-delà de la moyenne constatée sur une période hebdomadaire, la société VOXTUR considérera que, durant la semaine d'activité précédant la transmission au prestataire adhérent des notes de sa prestation, attribuées par les personnes transportées, les cas suivants ne seront pas conformes aux critères qualitatifs de la société VOXTUR : - 2 notes ou plus inférieures ou égales à 3 par semaine et sur deux semaines consécutives - 3 notes inférieures ou égales à 4 par semaine sur deux semaines consécutives; Comme stipulé dans l'article 3, ces insuffisances quantitatives, selon les notes attribuées par les personnes transportées, pourront constituer une cause de résiliation du présent contrat par la société VOXTUR" ; L'ensemble de ces éléments établit que le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d'un service organisé et dans un lien de subordination constant à l'égard de la société Voxtur. Pour échapper à la requalification du contrat, cette dernière fait valoir l'absence de clause d'exclusivité, le chauffeur étant libre d'effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte d'une autre société ou personne physique, et la liberté de choisir ses horaires de travail, voire de choisir de ne pas travailler. Cependant, ces éléments ne sont pas, à eux seuls, exclusifs de la qualification d'un lien de subordination, étant au demeurant relevé que la liberté de choix des horaires est plus théorique que réelle, le chauffeur étant incité, pour réaliser des courses rapportant plus de points et réduire ainsi le montant de son loyer, à choisir certaines plages horaires (annexes aux deux contrats). La cour ordonne, par infirmation du jugement, la requalification du contrat de prestation de M. [T] en contrat de travail. [
] Sur la demande d'indemnité de congés payés Le salarié a réalisé un chiffre d'affaires global de 37 988,35 euros pendant toute la durée de la relation contractuelle, ce qui correspond à une rémunération mensuelle brute de 3 717,14 euros en retenant ses charges à hauteur de 30 % et les seules semaines travaillées. Conformément à sa demande, il peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés correspondant à 10 % de la rémunération perçue, soit 2 659,18 euros. Sur la rupture du contrat de travail. La société Voxtur a résilié le contrat d'adhésion du chauffeur sans mettre en oeuvre de procédure de licenciement et sans motif valable. Cette rupture doit être analysée en un licenciement, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Compte tenu de son ancienneté, le salarié peut prétendre à une indemnité réparant le préjudice subi du fait de la rupture. En l'absence de justificatif de sa situation personnelle, son préjudice sera suffisamment réparé par l'octroi de la somme de 3 000 euros. Le préjudice résultant de l'inobservation de la procédure de licenciement sera réparé par l'octroi de 100 euros. Le salarié est également fondé à solliciter une indemnité compensatrice de préavis à hauteur d'un mois de salaire, soit la somme de 3 717,14 euros, outre celle de 371,71 euros au titre des congés payés afférents. Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé Conformément à l'article L. 8221-6 du code du travail, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5. L'organisation mise en oeuvre par la société Voxtur a pour finalité de créer artificiellement une apparence de collaboration entre une entreprise prestataire de service et un travailleur déclaré auto-entrepreneur mais qui travaille en réalité dans un lien de subordination. L'intention de la société d'échapper délibérément à ses obligations légales d'employeur est manifeste et justifie sa condamnation au paiement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en vertu de l'article L. 8223-1 du code du travail, soit la somme de 22 302,84 euros. Faute pour le salarié de justifier d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'indemnité forfaitaire, cette demande sera rejetée. [
] Sur le remboursement des frais d'essence. Compte tenu de la durée de la relation contractuelle, du prix du carburant et du modèle de véhicule, la cour lui alloue la somme de 900 euros à ce titre. Sur les autres demandes La société Voxtur devra remettre à M. [T] ses bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt » ;
1. ALORS QU'il résulte de l'article L. 8221-6 du code du travail que la présomption de non-salariat pour l'exécution d'une activité donnant lieu à une immatriculation au répertoire des métiers n'est écartée que lorsqu'il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé ne peut constituer un indice du lien de subordination que lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; que l'existence d'un service organisé ne saurait dès lors constituer un indice d'un lien de subordination juridique entre une plateforme de mise en relation avec une clientèle et un chauffeur VTC lorsque, d'une part, le chauffeur n'a aucune obligation d'utiliser l'application et reste libre de choisir ses jours et heures d'activité, que, d'autre part, le chauffeur peut se déconnecter quand il le souhaite, que, de troisième part, le chauffeur est libre d'effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre autre personne physique ou morale, que, de quatrième part, l'organisation des courses attribuées par la plateforme relève du libre choix du chauffeur sauf à requérir une indication de la part du client et, enfin, que chauffeur peut sous-traiter les courses à d'autres personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en se bornant à énoncer, pour requalifier le contrat entre la société Voxtur et le chauffeur en contrat de travail, que « le chauffeur réalisait des prestations dans le cadre d'un service organisé », sans établir la détermination unilatérale par des conditions d'exécution du travail par la société Voxtur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
2. ALORS QUE l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le seul fait pour une plateforme de mise en relation entre une clientèle et un chauffeur VTC de définir, dans le contrat le liant au chauffeur, le type de véhicule et de déterminer unilatéralement le prix des prestations de transport réalisées par son intermédiaire, ne saurait caractériser un lien de subordination juridique dès lors que le chauffeur reste libre d'utiliser ou non les services de la plateforme et de choisir ses jours et heures d'activité, qu'il peut se déconnecter quand il le souhaite et peut effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale, qu'il est totalement libre d'organiser comme il l'entend les courses qu'il effectue par l'intermédiaire de la plateforme et que chauffeur peut sous-traiter des courses à d'autres personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'au cas présent, le contrat d'adhésion au système informatisé stipulait que « le prestataire adhérent est libre de décider de ses jours et heures d'activité et de ses jours de repos », que « les courses sont attribuées, automatiquement au(x) prestataire(s) adhérent(s) connecté(s), qui affiche(nt) sur son(leur) matériel embarqué le statut « en attente de course » et « la connexion peut être interrompue, par le prestataire adhérent qui se met alors en « pause » » ; que le contrat précisait également que « l'organisation de la course (itinéraire) est laissée au libre choix du prestataire adhérent, sauf pour lui à requérir, à ce sujet, une indication de la/des personne(s) transportée(s) » ; que le contrat stipulait encore qu'« un prestataire adhérent, entre deux connexions, peut librement réaliser des courses, pour son compte et/ou pour le compte de toute personne physique ou morale, quel que soit le statut de celui-ci (celle-ci) » ; que le contrat précisait, enfin, que le chauffeur pourra sous-traiter les courses affectées par l'application sous réserve d'en informer la société Voxtur et que le sous-traitant utilisant le véhicule et l'application remplisse les conditions pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en jugeant néanmoins que le chauffeur réalisait des prestations « dans un lien de subordination constant à l'égard de la société Voxtur » sans caractériser une quelconque obligation pour le chauffeur de se tenir à la disposition de la plateforme pour effectuer des courses, ni le moindre ordre ou la moindre directive reçus par la chauffeur relativement aux modalités de réalisation des courses effectuées par l'intermédiaire de la plateforme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
3. ALORS QUE le système de géolocalisation inhérent au fonctionnement d'une plateforme numérique de mise en relation de chauffeurs VTC avec des clients potentiels ne caractérise pas un lien de subordination juridique des chauffeurs à l'égard de la plateforme dès lors que ce système n'a pas pour objet de contrôler l'activité des chauffeur, et n'est utilisé que pour contacter le chauffeur connecté le mieux situé pour répondre à la demande du client ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de la cour d'appel que, selon les termes du contrat, l'installation mise à la disposition du chauffeur permet à la société Voxtur « de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à un dispatche optimisé et efficace des courses, en termes de temps de prise en charge de la(les) personne(s) à transporter et de trajet à effectuer, pour le(les) chauffeurs, pour assurer cette prise en charge » ; qu'il résulte de ces constatations que le GPS ne permet de localiser le chauffeur que lorsqu'il est connecté à l'application et a pour objet de permettre l'attribution au chauffeur le plus proche du client ; qu'en énonçant que le GPS permet à la société Voxtur « d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur », la cour d'appel a méconnu les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
4. ALORS QUE le juge tenu de motiver sa décision ne peut statuer par voie d'affirmation et doit indiquer les éléments de preuve sur lesquels il fonde ses constatations factuelles ; qu'en affirmant que le GPS permet à la société Voxtur « d'assurer ainsi un contrôle permanent de l'activité du chauffeur », sans indiquer le moindre élément de nature à établir que ce système aurait été utilisé à d'autres fins que la localisation des chauffeurs connectés pour permettre une attribution optimale des courses, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. ALORS QUE n'est pas incompatible avec la qualification de travailleur indépendant, le fait pour un prestataire de services de conclure un contrat d'adhésion déterminant à l'avance certaines modalités des prestations à accomplir ; que la détermination par une plateforme de mise en relation par voie électronique du prix des prestations de services fournies par son intermédiaire ne saurait caractériser un indice de l'existence d'un contrat de travail ; qu'en se fondant sur la détermination par le contrat du modèle de véhicule utilisé, sur la détermination par la plateforme du montant des courses qu'elle facturait pour le compte du chauffeur et sur la modification unilatérale du prix des courses par la plateforme en fonction des horaires, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres à caractériser un lien de subordination et a violé les articles L. 1221-1 et L. 7341-1 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1135 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6. ALORS QUE l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle ; qu'au cas présent, la société Voxtur faisait valoir, d'une part, que les tarifs qu'elle pratiquait étaient supérieurs en moyenne de 25 % à ceux pratiqués par la concurrence et n'avaient jamais donné lieu à une quelconque contestation de la part des chauffeurs adhérents et, d'autre part, que ceux-ci disposaient d'une liberté totale d'effectuer des courses pour leur propre compte ou pour le compte de tout autre personne ; qu'en affirmant que la liberté de choix horaire aurait été plus théorique que réelle dès lors que les prix des courses auraient été de nature à inciter à choisir certaines plages horaires, sans prendre en compte ces éléments déterminants et sans relever le moindre élément relatif à l'exécution de la relation contractuelle de nature à démontrer que M. [T] aurait été contraint d'utiliser l'application et/ou de se tenir à la disposition de la société Voxtur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 7341-1 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1135 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7. ALORS QU'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que, si le type de véhicule utilisé était stipulé par le contrat d'adhésion au système informatique, ce contrat prévoyait expressément que la location du véhicule auprès de la société Voxtur était une simple faculté pour le chauffeur qui avait la possibilité d'être propriétaire de son véhicule ou de le louer auprès d'une autre société ; qu'en se bornant à invoquer l' « interdépendance des contrats de location de véhicule et d'adhésion à la plateforme », sans exposer en quoi cette interdépendance permettrait de caractériser l'existence d'un lien de subordination juridique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
8. ALORS QUE l'exécution d'un contrat de partenariat portant sur l'utilisation par un chauffeur VTC d'une application électronique de mise en relation avec des clients implique une possibilité pour la plateforme, qui est un intermédiaire de transport soumis aux dispositions du code des transports de s'assurer de la qualité de la prestation de transport effectuée par son intermédiaire ; que ne caractérise pas un pouvoir disciplinaire, la possibilité pour une plateforme numérique de rompre unilatéralement le contrat motivée par les seules évaluations de la clientèle en l'absence de tout ordre ou directive donnés et de tout contrôle opéré par la plateforme sur l'exécution des courses ; qu'en prétendant que la société Voxtur disposait d'un pouvoir de sanction à travers le système de notations opérées par les clients, la cour d'appel, qui n'a, par ailleurs, caractérisé aucun ordre, ni aucune directive donnés par la plateforme relativement aux prestations effectuées, ni aucun contrôle opéré par cette dernière sur ces prestations, a violé les articles L. 1221-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l'article L. 3120-3 du code des transports, dans sa rédaction applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION SUBSIDIAIRE
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Voxtur à verser à M. [T] la somme de 22.302,84 € de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QUE « Conformément à l'article L. 8221-6 du code du travail, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5. L'organisation mise en oeuvre par la société Voxtur a pour finalité de créer artificiellement une apparence de collaboration entre une entreprise prestataire de service et un travailleur déclaré auto-entrepreneur mais qui travaille en réalité dans un lien de subordination. L'intention de la société d'échapper délibérément à ses obligations légales d'employeur est manifeste et justifie sa condamnation au paiement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en vertu de l'article L. 8223-1 du code du travail, soit la somme de 22 302,84 euros. Faute pour le salarié de justifier d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'indemnité forfaitaire, cette demande sera rejetée » ;
1. ALORS QU'en vertu de l'article L. 8221-6 du Code du travail, le travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisé que lorsque l'employeur s'est soustrait à l'accomplissement des formalités prévus aux articles L. 8221-5 du code du travail de manière intentionnelle ; que le fait de recourir de manière erronée à une qualification autre que celle de contrat de travail ne saurait dès lors caractériser, à lui seul, l'existence d'un travail dissimulé ; qu'il incombe donc aux juges du fond de motiver leur décision par des éléments de fait susceptibles de caractériser une intention frauduleuse de l'employeur ; qu'au cas présent, le contrat d'adhésion au système informatisé stipulait que « le prestataire adhérent est libre de décider de ses jours et heures d'activité et de ses jours de repos », que « les courses sont attribuées, automatiquement au(x) prestataire(s) adhérent(s) connecté(s), qui affiche(nt) sur son(leur) matériel embarqué le statut « en attente de course » et « la connexion peut être interrompue, par le prestataire adhérent qui se met alors en « pause » » ; que le contrat précisait également que « l'organisation de la course (itinéraire) est laissée au libre choix du prestataire adhérent, sauf pour lui à requérir, à ce sujet, une indication de la/des personne(s) transportée(s) » ; que le contrat stipulait encore qu' « un prestataire adhérent, entre deux connexions, peut librement réaliser des courses, pour son compte et/ou pour le compte de toute personne physique ou morale, quel que soit le statut de celui-ci (celle-ci) » ; que le contrat précisait, enfin, que le chauffeur pourra sous-traiter les courses affectées par l'application sous réserve d'en informer la société Voxtur et que le chauffeur utilisant le véhicule et l'application remplisse les conditions pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en se bornant à procéder par voie de pure affirmation, pour énoncer que « l'organisation mise en oeuvre par la société Voxtur a pour finalité de créer artificiellement une apparence de collaboration entre une entreprise prestataire de service et un travailleur déclaré auto-entrepreneur mais qui travaille en réalité dans un lien de subordination » et que « l'intention de la société d'échapper délibérément à ses obligations légales d'employeur est manifeste », sans relever le moindre élément de nature à écarter l'effectivité des stipulations contractuelles relatives à la liberté du chauffeur de choisir ses horaires et jours de travail, la liberté de se déconnecter quand il le souhaite, la liberté d'effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne, la liberté d'organiser librement les courses qui lui sont attribuées et la possibilité de sous-traiter les courses, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ;
2. ALORS QUE la Cour de justice de l'Union européenne juge que : « La directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à ce qu'une personne engagée par son employeur présumé sur le fondement d'un accord de services précisant qu'elle est entrepreneure indépendante soit qualifiée de « travailleur » au sens de cette directive, lorsqu'elle dispose des facultés :
- de recourir à des sous-traitants ou à des remplaçants pour effectuer le service qu'elle s'est engagée à fournir ;
- d'accepter ou de ne pas accepter les différentes tâches offertes par son employeur présumé, ou d'en fixer unilatéralement un nombre maximal ;
- de fournir ses services à tout tiers, y compris à des concurrents directs de l'employeur présumé, et
- de fixer ses propres heures de « travail » dans le cadre de certains paramètres, ainsi que d'organiser son temps pour s'adapter à sa convenance personnelle plutôt qu'aux seuls intérêts de l'employeur présumé, dès lors que, d'une part, l'indépendance de cette personne n'apparaît pas fictive et, d'autre part, il n'est pas permis d'établir l'existence d'un lien de subordination entre ladite personne et son employeur présumé » (CJUE, ord. 22 avril 2020, aff. C-692/19) ; ; qu'il en résulte que ne constitue pas une dissimulation d'emploi salarié, le fait pour une plateforme numérique de n'avoir pas qualifié de contrat de travail le contrat la liant à un chauffeur, lorsque que ce dernier reste libre d'utiliser ou non les services de la plateforme et de choisir ses jours et heures d'activité, qu'il peut se déconnecter quand il le souhaite et peut effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale, qu'il est totalement libre d'organiser comme il l'entend les courses qu'il effectue par l'intermédiaire de la plateforme et que chauffeur peut sous-traiter des courses à d'autres personnes sous réserve de justifier que ces dernières remplissent les conditions exigées par la réglementation pour exercer la profession de chauffeur VTC ; qu'en se bornant à affirmer que « l'organisation mise en oeuvre par la société Voxtur a pour finalité de créer artificiellement une apparence de collaboration entre une entreprise prestataire de service et un travailleur déclaré auto-entrepreneur mais qui travaille en réalité dans un lien de subordination » et que « l'intention de la société d'échapper délibérément à ses obligations légales d'employeur est manifeste », sans relever le moindre élément de nature à écarter la liberté du chauffeur de choisir ses horaires et jours de travail, la liberté de se déconnecter quand il le souhaite, la liberté d'effectuer des courses pour son propre compte ou pour le compte de toute autre personne, la liberté d'organiser librement les courses qui lui sont attribuées et la possibilité de sous-traiter les courses, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 8221-6 du code du travail ;
3. ALORS QUE la recours à un contrat inapproprié est d'autant moins susceptible de caractériser une dissimulation d'emploi intentionnelle lorsqu'il existe, à l'époque des faits litigieux un important débat juridique quant à la qualification à donner à un certain type de contrat, que cette qualification donnait lieu à des jurisprudences divergentes de la part des juridictions de fond et que la Cour de cassation n'avait rendu aucune décision sur la question ; qu'en se bornant à procéder par voie de pure affirmation, pour énoncer que « l'organisation mise en oeuvre par la société Voxtur a pour finalité de créer artificiellement une apparence de collaboration entre une entreprise prestataire de service et un travailleur déclaré auto-entrepreneur mais qui travaille en réalité dans un lien de subordination » et que « l'intention de la société d'échapper délibérément à ses obligations légales d'employeur est manifeste », sans exposer en quoi la qualification de travailleur indépendant aurait été artificielle au regard de la législation applicable et de la jurisprudence de la Cour de cassation à la date des faits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 8221-6 du code du travail. | Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.
Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui retient l'existence d'un contrat de travail entre un chauffeur et une plateforme en se déterminant par des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la plateforme, sans constater que celle-ci a adressé au chauffeur des directives sur les modalités d'exécution du travail, et qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation |
7,704 | N° A 19-84.831 F - B
N° 00372
GM
13 AVRIL 2022
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 AVRIL 2022
M. [B] [T] et la société [1], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, chambre correctionnelle, en date du 4 juin 2019, qui, pour abus de biens sociaux, banqueroute, recel, infractions à la législation sur les sociétés, a condamné le premier à douze mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction de gérer, ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocats de M. [B] [T], les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocats de la société [1], partie civile, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, Mme Planchon, M. d'Huy, M. Wyon, M. Pauthe, M. de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Pichon, Mme Fouquet, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une enquête ouverte le 8 octobre 2012 sur la gestion de la société [8] ([8]), placée en liquidation judiciaire par jugement du 5 octobre 2012, M. [T], gérant de cette société, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel qui, par jugement du 10 mars 2016, l'a relaxé du chef d'abus de confiance et condamné pour abus de biens sociaux, banqueroute, infractions à la législation sur les sociétés, recel d'abus de biens sociaux, recel de banqueroute, à douze mois d'emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Il a relevé appel de cette décision.
4. Le ministère public et la société [1], partie civile, ont formé appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, sixième, pris en ses quatrième et cinquième branches, et septième moyens proposés pour M. [T]
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen proposé pour M. [T]
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement entrepris, condamné pénalement et civilement M. [B] [T] pour recel d'abus de biens sociaux et de banqueroute au préjudice de la société [8] ;
alors « que nul ne peut être condamné pour recel du produit des infractions qu'il a commises ; qu'en condamnant M. [T] pour recel des délits d'abus de biens sociaux et de banqueroute qu'il avait commis, la cour d'appel a violé les articles 321-1 du code pénal, L. 241-3 et L. 654-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 321-1 du code pénal, L. 241-3 et L. 654-2 du code de commerce :
7. Selon une jurisprudence constante et ancienne de la Cour de cassation, l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard de celui qui a commis l'infraction originaire dont provient la chose recélée (Crim., 29 juin 1848, B., n° 192 ; 2 décembre 1971, pourvoi n° 71-90.215, Bull. n° 337).
8. La Cour de cassation, infléchissant son interprétation antérieure, a jugé qu'un ou des faits identiques ne peuvent donner lieu à plusieurs déclarations de culpabilité concomitantes contre une même personne, outre le cas où la caractérisation des éléments constitutifs d'une infraction exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs d'une autre, lorsque l'on se trouve dans l'une des deux hypothèses suivantes : dans la première, l'une des qualifications, telle qu'elle résulte des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue ; dans la seconde, l'une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction, dite générale (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, publié au Bulletin).
9. Dès lors, la question de savoir si ledit infléchissement de jurisprudence est de nature à modifier celle décrite au paragraphe 7 se pose.
10. Il convient de relever que la jurisprudence portant sur l'infraction de recel et l'infraction d'origine interdit non seulement de cumuler les qualifications mais également de retenir le recel, délit continu, à l'égard de l'auteur de l'infraction originaire lorsque cette dernière est prescrite (Crim., 12 novembre 2015, pourvoi n° 14-83.073, Bull. crim. 2015, n° 253).
11. La Cour de cassation considère ainsi ces infractions comme exclusives l'une de l'autre, de sorte qu'elles se rattachent à la catégorie des infractions incompatibles.
12. Cette exclusion étant étrangère au principe ne bis in idem, l'infléchissement de la jurisprudence relative à ce principe est sans incidence sur elle.
13. Par conséquent, les délits de recel d'abus de biens sociaux et de recel de banqueroute ne peuvent être retenus à l'encontre de la personne qui a commis les infractions principales.
14. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux et de banqueroute par détournement d'actif au préjudice de la société [8], l'arrêt attaqué retient que M. [T] a volontairement financé les autres sociétés qu'il contrôlait, au nombre desquelles figurent les société civiles immobilières (SCI) [2], [3], [4], [5] et [6] sans respecter les procédures sociales et comptables exigées en tel cas et ce, en connaissance de cause, et que ces dépenses, poursuivies après la date de cessation des paiements, caractérisent des détournements d'actif constitutifs de banqueroute.
15. Les juges ajoutent, pour confirmer le jugement ayant également condamné M. [T] des chefs de recel d'abus de biens sociaux et de recel de banqueroute, que les faits de recel sont établis à l'encontre de ce dernier et de ces SCI dont il était le gérant.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a déclaré le prévenu receleur du produit des infractions principales dont il était l'auteur, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le moyen proposé pour la société [1]
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, après relaxe de M. [T] du chef d'abus de confiance résultant du marché signé le 28 avril 2010, débouté la société [1], partie civile, de ses demandes, alors :
« 1°/ que la faute civile peut être retenue à l'encontre de celui qui détourne un bien qui lui a été remis à titre précaire ; qu'il y a détention à titre précaire d'un bien lorsqu'il a été convenu de la remise d'un bien à un mandataire à charge pour lui de le restituer à autrui ; qu'en l'espèce, avaient été versés aux débats : les deux conventions du 19 mai 2010, le procès-verbal d'audition de M. [K] en date du 13 mai 2014, la convention conclue le 1er août 2011 entre les sociétés [1] et [9], l'attestation du 29 février 2016 établie par le président de la CANBT, le récapitulatif des mandats émis par la CANBT en date du 30 septembre 2013, les factures adressées par la société [1] à la société [9], la lettre de mise en demeure envoyée par M. [K] le 15 février 2012 en règlement des factures F 2008300, F 2008301 et F 2011532, la déclaration de créance du 25 février 2012, faite par M [K], et ainsi que le soutenait la société [1] dans ses écritures, l'existence d'un contrat conclu entre les société [8] et [1] - tout d'abord verbal, puis écrit - en vertu duquel la société [9], mandataire du groupement solidaire d'entreprises [8]/[1], s'engageait à reverser à la société [1] la moitié des rémunérations perçues pour la réalisation des deux chantiers CANBT ; qu'en énonçant, sans examiner ces divers documents et sans en tout état de cause s'en expliquer, qu'il n'était pas démontré que la société [9] avait perçu les fonds remis par la CANBT à charge de les rendre à la société [1], la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1240, ancien 1382, du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 427, 497 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la faute civile peut être retenue à l'encontre de celui qui détourne un bien qui lui a été remis à titre précaire ; qu'il y a détention à titre précaire d'un bien lorsqu'il a été convenu de la remise d'un bien à un mandataire à charge pour lui de le restituer à autrui ; qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée, plus particulièrement, si l'attestation fournie par le président de la CANBT en date du 29 février 2016 ne démontrait pas le caractère précaire de la remise faite à la société [9], et donc l'existence d'un détournement de cette somme constitutive d'une faute civile, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1240, ancien 1382, du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 427, 497 et 593 du code de procédure pénale;
3°/ que la remise précaire d'un bien peut être établie au moyen d'un contrat dont la validité est contestable ; que si la convention du 1er août 2011, signée entre les sociétés [9] et [1], aux fins de voir le maître de l'ouvrage verser directement à la société [1] la rémunération de son travail, ne pouvait pas être mise en oeuvre en ce qu'elle était contraire aux règles applicables aux groupements solidaires d'entreprises, elle n'en demeurait pas moins une preuve de ce que la société [8] accomplissait la moitié des travaux prévus par les contrats signés avec la CANBT et donc de ce que le mandataire du groupement aurait dû lui reverser la moitié de la somme qu'il avait perçue du maître de l'ouvrage et de ce que, à défaut de restituer à la société [1] cette somme qu'il avait reçue à titre précaire, le mandataire avait commis un détournement constitutif d'une faute civile ; qu'en jugeant cependant sans s'en expliquer davantage que cette convention devait être écartée et qu'elle ne pouvait établir la remise précaire des fonds à la société [9] et donc le détournement qu'elle en avait fait, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1240, ancien 1382, du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 497 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'insuffisance de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que par ses conclusions d'appel, la société [1] faisait valoir que la faute de M. [T] résultait de ce que le 5 janvier 2012, la SARL [8] avait été placée en redressement judiciaire avec une simple mission d'assistance de la Selas [7], administrateur judiciaire, pour tous les actes de gestion et de disposition et que M. [B] [T], qui avait ainsi conservé l'administration de la société [8], devait conformément à l'article L.622-17 du code de commerce régler à l'échéance les contrats qui étaient poursuivis, ce qu'il n'avait pas fait ; qu'en effet la société [1] avait effectué, suite au jugement de redressement judiciaire, pas moins de 12 prestations entre mars 2012 et novembre 2012 et que le récapitulatif des mandats indiquait que la CANBT avait payé la somme totale de 1.233.391,56 € à la Société [8] pendant la période d'observation, ce qui correspondait à un paiement mensuel régulier ; que cependant la société [1] n'avait reçu que trois règlements d'un montant respectif de 51.248,88 € en paiement des factures mensuelles F2011597 (51.248,88 €), F2011598 (51.248,88€) et F2011599 (51.248,88€) alors qu'elle aurait dû recevoir la somme totale de 437.508,57€ ; qu'il en résultait que M. [T] qui avait manqué à son obligation de payer en priorité le contrat poursuivi et à l'échéance par application de l'article L.622-17 du code de commerce avait commis une faute civile dont il devait réparation à la société [1] ; qu'en omettant de procéder à cette recherche pourtant nécessaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1240, ancien 1382, du code civil, 314-1 du code pénal, 2, 497 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article L.622-17 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 314-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
19. Le délit d'abus de confiance, prévu au premier de ces textes, ne suppose pas nécessairement que la somme détournée ait été remise en vertu d'un contrat.
20. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
21. Pour relaxer M. [T] du chef d'abus de confiance au préjudice de la société [1], l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas démontré que la société [8], dont ce dernier était le gérant, a perçu des fonds qui lui ont été remis par la Communauté d'agglomération du nord Basse-Terre (CANBT) à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.
22. Les juges ajoutent qu'en l'absence de convention écrite entre la société [8] et la société [1], il n'est pas possible de caractériser un usage contraire au mandat, et que la convention signée entre les deux sociétés le 1er août 2011 prévoyant une répartition à hauteur de 50 % pour chacune d'entre elles ne peut pas fonder un abus de confiance, les parties reconnaissant que cette convention n'a jamais pu être mise en uvre.
23. Il concluent qu'il s'agit d'un litige civil portant sur le bien-fondé des factures émises entre les deux sociétés.
24. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société [1] faisant valoir que la société [8], mandataire du groupement solidaire d'entreprises formé avec la société [1], s'était engagée à reverser à cette dernière la moitié des rémunérations perçues pour la réalisation des deux chantiers confiés par la CANBT, ni rechercher si la signature de la convention du 1er août 2011 pouvait établir l'existence d'un tel engagement, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
25. La cassation est à nouveau encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
26. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité des chefs de recel d'abus de biens sociaux et de recel de banqueroute ainsi qu'aux peines prononcées à l'égard de M. [T], et, en l'absence de pourvoi du ministère public, aux intérêts civils concernant la société [1], dès lors que les autres dispositions n'encourent pas la censure. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens proposés.
27. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de statuer, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, sur l'existence d'une éventuelle faute civile de nature à justifier la réparation des préjudices invoqués par la société [1].
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 4 juin 2019, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. [T] coupable de recel et aux peines prononcées à son encontre, et ayant statué sur les intérêts civils concernant la société [1], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Basse-Terre, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize avril deux mille vingt-deux. | Selon une jurisprudence constante et ancienne de la Cour de cassation, l'infraction de recel ne peut être retenue à l'égard de celui qui a commis l'infraction originaire dont provient la chose recélée (Crim., 29 juin 1848, Bull. crim. 1848, n° 192 ; Crim., 2 décembre 1971, pourvoi n° 71-90.215, Bull. crim. 1971, n° 337).
Ces infractions sont exclusives l'une de l'autre, et leur incompatibilité étant étrangère au principe ne bis in idem, l'infléchissement de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à ce principe (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-81.864, Bull.) est sans incidence sur elle.
Encourt par conséquent la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui déclare le prévenu receleur du produit des infractions principales dont il est l'auteur |
7,705 | N° A 21-80.653 FS- B
N° 00373
GM
13 AVRIL 2022
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 AVRIL 2022
M. [T] [D], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 21 janvier 2021, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée du chef de recel, a confirmé l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction.
Un mémoire ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [T] [D], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 23 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, Mme Planchon, M. d'Huy, M. Wyon, M. Pauthe, M. Turcey, M. de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Pichon, Mme Chafaï, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 6 novembre 2014, M. [D] a déposé plainte avec constitution de partie civile du chef de recel d'abus de biens sociaux qui aurait notamment été commis par la société [1] à l'occasion d'une opération de promotion immobilière s'étant déroulée à compter de 1991.
3. Le 30 novembre 2005, la société [2], alors actionnaire unique de la société [1], avait décidé de la dissolution par anticipation de cette dernière et la transmission universelle de son patrimoine à son propre bénéfice.
4. Le 27 mai 2020, le juge d'instruction a ordonné un non-lieu.
5. M. [D] a formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant l'ordonnance entreprise, dit n'y avoir lieu à poursuivre alors « que la société absorbante peut être déclarée coupable et condamnée à une peine d'amende ou de confiscation pour des faits commis par la société absorbée ; que si le principe de prévisibilité juridique s'oppose à ce que cette règle soit appliquée aux fusions antérieures au 25 novembre 2020, réserve est cependant faite des cas de fraude ; qu'en décidant que la responsabilité pénale de la société [2], absorbante, ne pouvait être recherchée pour des faits de recel d'abus de biens sociaux commis par la société [1], absorbée, y compris lorsque la fusion-absorption procédait d'une fraude, les juges du fond ont violé l'article 121-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
8. Selon le second de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Selon le premier, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
10. La Cour de cassation juge (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 18-86.955) qu'en cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération dans deux hypothèses :
- lorsque l'opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, entre dans le champ de l'application de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017. Dans ce cas seule une peine d'amende ou de confiscation peut être prononcée à l'encontre de la société absorbante ;
- lorsque l'opération, quelle que soit sa date et quelle que soit la nature des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu'elle constitue ainsi une fraude à la loi. Dans ce cas, toute peine encourue peut être prononcée.
11. Il s'en déduit que les juridictions d'instruction ne sauraient prononcer une décision de non-lieu fondée sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d'avoir commis les faits dont elles sont saisies, sans vérifier, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si les conditions pour exercer des poursuites à l'encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d'être remplies.
12. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, l'arrêt attaqué relève que la société [1], qui se serait rendue coupable du recel d'abus de bien social dénoncé à compter de 1991, a fait l'objet d'une fusion ayant consisté en une dissolution sans liquidation et un transfert universel de ses actifs et passifs à la société [2] à la date du 5 décembre 2005.
13. Il énonce que l'article 121-1 du code pénal pose le principe selon lequel nul n'est responsable pénalement que de son propre fait et que selon la jurisprudence alors constante de la Cour de cassation, ce principe s'opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à une opération de fusion absorption, cette société ayant perdu sa personnalité juridique par l'effet de la fusion, de sorte que l'action publique était éteinte à son encontre.
14. Il précise que cette jurisprudence a été maintenue par la Cour de cassation après un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 mars 2015 ayant dit pour droit qu'une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion.
15. Les juges ajoutent que le Conseil constitutionnel a néanmoins rappelé qu'en dehors de la matière pénale, le principe de la responsabilité personnelle pouvait faire l'objet d'adaptations, justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit, et que la responsabilité de la personne morale a par ailleurs évolué, même en matière pénale.
16. Ils relèvent que l'appelant demande à la cour de retenir une nouvelle interprétation de la responsabilité pénale des personnes morales au regard des réalités économiques de la fusion-absorption et du fait qu'elle peut constituer un moyen pour une société d'échapper aux conséquences des infractions qu'elle aurait commises.
17. La cour d'appel considère qu'une telle interprétation ne saurait cependant, sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique garanti par l'article 7 de la convention européenne des droits de l'homme, s'appliquer à une opération conduite en 1991, suivie d'une fusion-absorption à une date où seule l'interprétation classique de la responsabilité pénale des personnes morales pouvait être envisagée par les acteurs et bénéficiaires de cette opération économique.
18. Elle en déduit que la responsabilité pénale de la société [2] ne peut dès lors être recherchée du fait de recels d'abus de biens sociaux commis par la société [1].
19. En statuant ainsi, sans se prononcer sur l'existence d'une éventuelle fraude à la loi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
20. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 21 janvier 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize avril deux mille vingt-deux. | En cas de fusion-absorption d'une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d'une infraction commise par la société absorbée avant l'opération dans deux hypothèses :
- lorsque l'opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, entre dans le champ de l'application de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017. Dans ce cas seule une peine d'amende ou de confiscation peut être prononcée à l'encontre de la société absorbante ;
- lorsque l'opération, quelle que soit sa date et quelle que soit la nature des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu'elle constitue ainsi une fraude à la loi. Dans ce cas, toute peine encourue peut être prononcée.
Les juridictions d'instruction ne sauraient en conséquence prononcer une décision de non-lieu fondée sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d'avoir commis les faits dont elles sont saisies, sans vérifier, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si les conditions pour exercer des poursuites à l'encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d'être remplies.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction, retient que la société mise en cause a fait l'objet d'une fusion à une date où, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l'article 121-1 du code pénal s'opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à l'opération de fusion absorption, sans se prononcer sur l'existence d'une éventuelle fraude à la loi |
7,706 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 404 FS-B
Pourvoi n° Y 21-16.435
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 4], [Localité 2], a formé le pourvoi n° Y 21-16.435 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant à la Mutuelle assurances corps médical français (MACSF), dont le siège est [Adresse 3], [Localité 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SCP Richard, avocat de la société Mutuelle assurances corps médical français, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mars 2021), [L] [I] est décédé le 10 novembre 2014 d'un carcinome hépatocellulaire métastasé survenu sur hépatopathie chronique virale C.
2. La Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux Rhône Alpes a émis, le 12 mai 2015, un avis en faveur d'une responsabilité conjointe de plusieurs médecins, dont celle de M. [H], estimée à 20 %, ce dernier étant assuré en responsabilité civile professionnelle auprès de la Mutuelle assurances corps médical français (MACSF).
3. La MACSF ayant refusé de faire une offre aux ayants droit de [L] [I], l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)) s'est substitué à |'assureur en versant aux ayants droit du défunt plusieurs sommes.
4. L'ONIAM a ensuite exercé le recours subrogatoire prévu à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et émis à cette fin deux titres exécutoires à l'encontre de la MACSF pour 10 400 euros et 640 euros.
5. Par acte d'huissier de justice du 22 novembre 2019, la MACSF a assigné l'ONIAM devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'annuler les titres exécutoires et d'être déchargée du paiement de la somme de 11 040 euros.
6. Saisi d'une exception d'incompétence territoriale formée par l'ONIAM, le juge de la mise en état, par ordonnance du 6 octobre 2020, a déclaré le tribunal judiciaire de Lyon incompétent au profit du tribunal judiciaire de Bobigny.
7. La MACSF a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. L'ONIAM fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance déférée, de rejeter l'exception d'incompétence et de renvoyer les parties à poursuivre la procédure devant le tribunal judiciaire de Lyon, alors « qu'il résulte de l'article 42 du code de procédure civile que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ; que si l'article 46 dudit code prévoit qu'en matière délictuelle le demandeur peut saisir, à son choix, outre cette juridiction, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, cette disposition n'est pas applicable à une action exercée par un assureur prenant la forme et produisant les effets d'une opposition à titre exécutoire lorsque cette opposition est dirigée contre un titre émis par l'ONIAM, une telle opposition à titre exécutoire, qui pour objet l'annulation de ce titre et, le cas échéant, la décharge des sommes concernées, ne constituant pas une action en matière délictuelle quand bien même se rapporterait-elle, pour ce qui concerne le bien-fondé de la créance, aux conditions d'engagement de la responsabilité d'un établissement ou d'un professionnel de santé sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; qu'en retenant que l'assureur demandeur à l'action avait pu exercer l'option offerte par l'article 46 du code de procédure civile au motif inopérant que la contestation des titres exécutoires imposait un débat sur la responsabilité du médecin et que la validité en la forme de ces titres n'était pas contestée, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 42 du code de procédure civile et, par fausse application, l'article 46 dudit code. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
10. Il résulte de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, que lorsque l'ONIAM transige avec la victime ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis.
11. Il découle de l'article R. 1142-53 du code de la santé publique, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat (Avis, 9 mai 2019, n° 426321 et 426365), que l'ONIAM peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi délictuelles du débiteur. Les débiteurs peuvent introduire un recours contre un titre exécutoire devant la juridiction compétente.
12. Lorsque le professionnel de santé, l'établissement, le service, l'organisme de santé ou le producteur de produits, considéré comme responsable du dommage, ou l'assureur garantissant sa responsabilité civile, fait opposition au titre exécutoire émis par l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime sur le fondement de l'article L. 1142-15 de code de la santé publique pour recouvrer les sommes versées, ce recours tend à contester devant le juge le principe de sa responsabilité ou le montant de la réparation.
13. Par suite, ce recours relève, dans tous les cas, de la matière délictuelle au sens de l'article 46, alinéa 3, du code de procédure civile et peut être porté devant la juridiction du lieu du fait dommageable.
14. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et le condamne à payer à la Mutuelle assurances corps médical français (MACSF) la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)
L'ONIAM reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance déférée, rejeté l'exception d'incompétence et renvoyé les parties à poursuivre la procédure devant le tribunal judiciaire de Lyon ;
Alors qu'il résulte de l'article 42 du code de procédure civile que la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ; que si l'article 46 dudit code prévoit qu'en matière délictuelle le demandeur peut saisir, à son choix, outre cette juridiction, celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, cette disposition n'est pas applicable à une action exercée par un assureur prenant la forme et produisant les effets d'une opposition à titre exécutoire lorsque cette opposition est dirigée contre un titre émis par l'ONIAM, une telle opposition à titre exécutoire, qui pour objet l'annulation de ce titre et, le cas échéant, la décharge des sommes concernées, ne constituant pas une action en matière délictuelle quand bien même se rapporterait-elle, pour ce qui concerne le bien-fondé de la créance, aux conditions d'engagement de la responsabilité d'un établissement ou d'un professionnel de santé sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; qu'en retenant que l'assureur demandeur à l'action avait pu exercer l'option offerte par l'article 46 du code de procédure civile au motif inopérant que la contestation des titres exécutoires imposait un débat sur la responsabilité du médecin et que la validité en la forme de ces titres n'était pas contestée, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 42 du code de procédure civile et, par fausse application, l'article 46 dudit code. | Selon l'article 46 du code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
Il résulte de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, que lorsque l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) transige avec la victime ou ses ayants droit, en application de ce texte, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages, sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis.
Par ailleurs, il découle de l'article R. 1142-53 du code de la santé publique tel qu'interprété par le Conseil d'Etat ( CE, 9 mai 2019, n° 426321, publié au Recueil Lebon et CE, 9 mai 2019, n° 426365, mentionné aux tables du Recueil Lebon) que l' ONIAM peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi délictuelles du débiteur. Les débiteurs peuvent introduire un recours contre un titre exécutoire devant la juridiction compétente.
Lorsque le professionnel de santé, l' établissement, le service, l'organisme de santé ou le producteur de produits, considéré comme responsable du dommage, ou l'assureur garantissant sa responsabilité civile, fait opposition au titre exécutoire émis par l' ONIAM, subrogé dans les droits de la victime sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, pour recouvrer les sommes versées, ce recours tend à contester devant le juge le principe de sa responsabilité ou le montant de la réparation.
Par suite, ce recours relève, dans tous les cas, de la matière délictuelle au sens de l'article 46, alinéa 3, du code de procédure civile et peut être porté devant la juridiction du lieu du fait dommageable |
7,707 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 406 FS-B
Pourvoi n° V 20-22.362
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
La société La Médicale, dont le siège est [Adresse 4], anciennement dénommée La Médicale de France, a formé le pourvoi n° V 20-22.362 contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [X], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [Y] [N], pris tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de [V] [N], décédée,
3°/ à Mme [G] [N],
4°/ à M. [I] [N],
tous deux venant aux droits de [V] [N],
tous trois domiciliés [Adresse 3],
5°/ à la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société La Médicale, anciennement dénommée La Médicale de France, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 29 septembre 2020), M. [X] a relevé appel, le 28 mars 2019, d'un jugement rendu par un tribunal de commerce en intimant les parties de première instance et en limitant son appel aux chefs du jugement lui faisant grief.
2. L'appelant ayant conclu le 27 mai 2019, la société La Médicale de France, devenue la société La Médicale (l'assureur), a conclu le 26 août 2019 en s'en rapportant à justice sur le mérite de l'appel principal et en se réservant de former un appel incident au cas où les intimés critiqueraient les chefs du jugement la concernant.
3. Le 27 août 2019, la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France (la banque), formant appel incident, a sollicité la réformation du jugement en ce qu'il a condamné l'assureur à lui payer une certaine somme, en demandant une augmentation du montant de la condamnation.
4. Par conclusions du 25 novembre 2019, l'assureur a formé un appel incident à fin de voir réformer le jugement et, statuant à nouveau, de débouter la banque de toutes ses demandes à son encontre.
5. La banque a soulevé l'irrecevabilité de l'appel incident de l'assureur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son appel incident formé par conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 novembre 2019, alors « que l'intimé à un appel incident dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'est recevable, l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé, en réponse à l'appel incident de ce dernier, tendant à aggraver sa situation, dans le délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite ; qu'en décidant néanmoins, pour dire que la société La Médicale n'était pas recevable en son appel incident, qu'elle avait uniquement la possibilité de répondre, comme elle l'a fait dans ses conclusions du 25 novembre « 2020 » [lire « 2019 »] régulièrement déposées dans les trois mois des conclusions d'appel incident de la Caisse d'épargne, à la demande de condamnation excédant celle prononcée par le tribunal, la cour d'appel a violé les articles 909 et 910 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 910 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Il résulte du premier de ces textes, interprété à la lumière du second, qu'est recevable dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé en réponse à l'appel incident de ce dernier qui modifie l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier.
8. Pour déclarer irrecevable l'appel incident de l'assureur formé par conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 novembre 2019, l'arrêt retient que l'assureur disposait, en sa qualité d'intimé à l'appel principal de M. [X], d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant, tant pour remettre ses conclusions au greffe que pour relever appel incident à l'encontre de la banque également intimée, des dispositions du jugement l'ayant condamné à payer à cette dernière la somme de 229 827,15 euros, les dispositions de l'article 910 du code de procédure civile permettant uniquement à l'assureur de répondre, dans les trois mois des conclusions de la banque, comme il l'a fait dans ses conclusions du 25 novembre 2019, à la demande de condamnation de la banque excédant celle prononcée par le tribunal, la lecture des dispositions des articles 909 et 910 du code de procédure civile se faisant au regard des dispositions de l'article 910-4 du même code qui imposent aux parties de présenter dans leurs conclusions mentionnées aux articles 905-2, 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. [X], M. [Y] [N] à titre personnel et en qualité d'ayant droit de [V] [N], Mme [G] [N] venant aux droits de [V] [N], M. [I] [N] venant aux droits de [V] [N] et la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France et condamne in solidum M. [X], M. [Y] [N] à titre personnel et en qualité d'ayant droit de [V] [N], Mme [G] [N] venant aux droits de [V] [N], M. [I] [N] venant aux droits de [V] [N] et la société Caisse d'épargne et de prévoyance d'Ile-de-France à payer à la société La Médicale la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société La Médicale, anciennement dénommée La Médicale de France
La Société LA MEDICALE FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable son appel incident formé par conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 novembre 2019 ;
1°) ALORS QUE l'intimé à un appel incident dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'est recevable, l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé, en réponse à l'appel incident de ce dernier, tendant à aggraver sa situation, dans le délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite ; qu'en décidant néanmoins, pour dire que la Société LA MEDICALE n'était pas recevable en son appel incident, qu'elle avait uniquement la possibilité de répondre, comme elle l'a fait dans ses conclusions du 25 novembre « 2020 » [lire « 2019 »] régulièrement déposées dans les trois mois des conclusions d'appel incident de la Caisse d'Epargne, à la demande de condamnation excédant celle prononcée par le tribunal, la Cour d'appel a violé les articles 909 et 910 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, sont recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions en réponse à un appel principal, de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que constitue une telle prétention, la demande tendant à obtenir l'infirmation du chef du jugement portant condamnation contre lequel la partie condamnée n'avait pas cru à propos d'interjeter appel jusqu'à ce que son adversaire en demande l'aggravation ; qu'en décidant néanmoins que la Société LA MEDICALE ne disposait que d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour contester sa condamnation, bien qu'elle ait été recevable à former un appel incident par conclusions déposées postérieurement aux premières conclusions en réponse à l'appel principal, en l'absence d'intérêt à remettre en cause ce chef du jugement attaqué par l'appel incident de la Caisse d'Epargne avant que celle-ci n'en poursuive la réformation à son propre profit, la Cour d'appel a violé les articles 909, 910 et 910-4 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. | Il résulte de l'article 910 du code de procédure civile, interprété à la lumière de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'est recevable, dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident, l'appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé, en réponse à l'appel incident de ce dernier, qui modifie l'étendue de la dévolution résultant de l'appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier.
Viole ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable l'appel incident d'un intimé, retient qu'il disposait, en qualité d'intimé à un appel principal limité, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant, tant pour remettre ses conclusions au greffe que pour former appel incident, à l'encontre de la partie co-intimée, des dispositions du jugement le condamnant au profit du co-intimé, les dispositions de l'article 910 du code de procédure civile permettant uniquement à l'intimé de répondre, dans les trois mois des conclusions du co-intimé, à la demande de celui-ci tendant à l'augmentation du quantum de la condamnation prononcée à son encontre, la lecture des articles 909 et 910 du code de procédure civile devant se faire au regard des dispositions de l'article 910-4 du même code qui imposent aux parties de présenter, dans leurs conclusions mentionnées aux articles 905-2, 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions |
7,708 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 408 F-B
Pourvoi n° Q 20-22.886
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
La société d'exploitation de l'institut européen des langues, exerçant sous l'enseigne Groupe Capitole, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 20-22.886 contre l'ordonnance rendue le 18 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Y] [J],
2°/ à Mme [W] [K],
tous deux domiciliées [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société d'exploitation de l'institut européen des langues, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mmes [J] et [K], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal judiciaire de Paris, 18 septembre 2020), se prévalant de l'inscription de Mme [K], le 26 janvier 2020, à l'une de ses formations moyennant la somme de 4 590 euros payée par un chèque établi par sa mère, Mme [J], la société d'exploitation de l'institut européen des langues (la société) a assigné Mme [J] et Mme [K] devant le juge des référés d'un tribunal judiciaire à fin de voir ordonner la mainlevée de l'opposition pratiquée sur le chèque et les voir solidairement condamnées au paiement d'une provision de 4 590 euros.
2. Mme [J] et Mme [K] ont demandé au juge des référés de constater « l'irrecevabilité de la société pour défaut de médiation préalable ».
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'ordonnance de dire que l'assignation délivrée à Mme [J] et à Mme [K] est entachée de nullité en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, de constater l'absence de contrat, l'engagement signé le 26 janvier 2020 par Mme [J] et Mme [K] n'étant pas conforme aux dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation et de la débouter de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4590 euros et de sa demande de voir Mme [J] et Mme [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590 euros, alors :
« 1° / qu'il résulte de (lire : l'ordonnance attaquée) que Mme [J] et Mme [K] ont demandé au (lire : président du tribunal judiciaire) de « constater l'irrecevabilité de la société SEIEL pour défaut de médiation préalable » ; qu'en prononçant non pas l'irrecevabilité mais la nullité de l'assignation délivrée par la société à Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, qui n'était pas demandée par les parties, (lire : le président du tribunal judiciaire) a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il résulte de (lire : l'ordonnance attaquée) que Mme [J] et Mme [K] ont demandé au (lire : président du tribunal judiciaire) de « constater l'irrecevabilité de la société pour défaut de médiation préalable » ; qu'en relevant d'office la nullité de l'assignation délivrée par la société à Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, qui n'était pas demandée par les parties, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, (lire : le président du tribunal judiciaire) a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en déclarant l'assignation irrecevable dans ses motifs et nulle dans son dispositif, (lire : l'ordonnance) s'est contredit(e) et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Mme [J] et Mme [K] contestent la recevabilité des griefs. Elles soutiennent qu'ils sont dépourvus d'intérêt dans la mesure où, étant constant qu'aucun préalable de résolution du litige n'a été entrepris, la société ne justifie pas en quoi le fait que le juge des référés se soit fondé sur une nullité de l'assignation plutôt que sur une irrecevabilité de la demande lui cause préjudice.
6. Cependant, la tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse pouvant, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3° du code de procédure civile, la société dispose d'un intérêt à contester les chefs de dispositifs ainsi attaqués.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 5, 16 et 455 du code de procédure civile :
8. Il résulte de ces textes que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé, qu'il doit respecter le principe de la contradiction, et que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs.
9. Pour dire que l'assignation est entachée de nullité en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, constater l'absence de contrat et débouter la société de ses demandes, l'ordonnance, statuant sur l'irrecevabilité de la demande de la société pour défaut de mise en oeuvre d'une médiation préalable, soulevée par Mme [J] et Mme [K], retient que l'assignation est irrecevable faute de mentionner les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
10. En statuant ainsi, alors qu'il ne résulte ni de l'ordonnance ni des productions qu'il ait été saisi du vice de forme né de l'absence de mention, dans la demande initiale, des diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige, susceptible d'affecter la validité, et non la recevabilité, de l'assignation en application de l'article 54 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, qui s'est, en outre, déterminé, par des motifs en contradiction avec le dispositif, sans inviter les parties à présenter leurs observations, a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. La société fait grief à l'ordonnance de constater l'absence de contrat, l'engagement signé le 26 janvier 2020 par Mme [J] et Mme [K] n'étant pas conforme aux dispositions de l'article L. 221-9 du code de la consommation et de la débouter de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4590 euros et de sa demande de voir Mme [J] et Mme [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590 euros, alors « que le juge qui constate la nullité de l'acte introductif d'instance excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en l'espèce, (lire : le président du tribunal judiciaire) a dit que l'assignation introductive d'instance délivrée le 16 juillet 2020 par la société à l'encontre de Mme [J] et Mme [K] était nulle puis a « constaté » l'absence de contrat signé entre les parties et débouté la société de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4.590 euros et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590 euros ; qu'en statuant ainsi, (lire : le président du tribunal judiciaire) a excédé ses pouvoirs et ainsi violé l'article 485 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. Mme [J] et Mme [K] contestent la recevabilité du grief. Elles soutiennent qu'il est dépourvu d'intérêt, dans la mesure où le président du tribunal judiciaire a statué, par une décision dépourvue d'autorité de la chose jugée, par une disposition surabondante.
13. Cependant, il ne résulte pas de l'ordonnance que le président du tribunal judiciaire a statué par une disposition surabondante.
14. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 484 du code de procédure civile :
15. Il résulte de ce texte que le juge qui constate la nullité de l'assignation excède ses pouvoirs en statuant sur le bien-fondé de la demande formée par cet acte.
16. Pour constater l'absence de contrat et débouter la société de ses demandes, l'ordonnance retient qu'à défaut de contrat, le document signé unilatéralement par la partie défenderesse le 26 janvier 2020 n'est générateur pour cette dernière d'aucune obligation à paiement.
17. En statuant ainsi, après avoir constaté la nullité de l'assignation, le président du tribunal judiciaire a méconnu ses pouvoirs et violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 18 septembre 2020, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, autrement composée ;
Condamne Mmes [J] et [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [J] et [K] et les condamne à payer à la société d'exploitation de l'institut européen des langues la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour la société d'exploitation de l'institut européen des langues
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SEIEL Groupe Capitol fait grief au jugement attaqué
D'AVOIR dit que l'assignation délivrée par la société SEIEL à Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] est entachée de nullité en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, d'Avoir constaté l'absence de contrat, l'engagement signé le 26 janvier 2020 par Mme [J] et Mme [K] n'étant pas conforme aux dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation et D'AVOIR débouté la société SEIEL de sa demande de main levée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4590€ et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590€
1°) ALORS QU'il résulte du jugement attaqué que Mme [J] et Mme [K] ont demandé au tribunal de " constater l'irrecevabilité de la société SEIEL pour défaut de médiation préalable " ; qu'en prononçant non pas l'irrecevabilité mais la nullité de l'assignation délivrée par la société SEIEL à Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, qui n'était pas demandée par les parties, le tribunal judiciaire a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'il résulte du jugement attaqué que Mme [J] et Mme [K] ont demandé au tribunal de " constater l'irrecevabilité de la société SEIEL pour défaut de médiation préalable " ; qu'en relevant d'office la nullité de l'assignation délivrée par la société SEIEL à Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, qui n'était pas demandée par les parties, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, le tribunal judiciaire a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en déclarant l'assignation irrecevable dans ses motifs et nulle dans son dispositif, le jugement s'est contredit et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE, en tout état de cause, l'assignation ne doit contenir mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige que s'il n'est pas justifié d'un motif légitime tenant à l'urgence ; qu'il en résulte que cette exigence n'est jamais applicable devant le juge des référés, juge de l'urgence, devant lequel il n'est pas nécessaire de justifier particulièrement de l'urgence ; qu'en jugeant le contraire, et en considérant qu'à défaut de justifier d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, l'assignation devant le juge des référés était nulle, le tribunal a violé les articles 750-1, 54 et 56 en leur rédaction issue du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable au litige ;
5°) ALORS QUE, subsidiairement, la nullité d'une assignation pour absence de mention des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige suppose qu'il soit justifié d'un grief ; qu'en retenant une telle nullité, sans relever l'existence d'un grief, le tribunal a violé l'article 114 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QU'en retenant, dans ses motifs, l'absence d'urgence, tout en visant l'urgence dans son dispositif, le tribunal judiciaire a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif de sa décision, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société SEIEL Groupe Capitol fait grief au jugement attaqué
D'AVOIR constaté l'absence de contrat, l'engagement signé le 26 janvier 2020 par Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] n'étant pas conforme aux dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation et D'AVOIR débouté la société SEIEL de sa demande de main levée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4.590€ et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590€
1°) ALORS QUE le juge qui constate la nullité de l'acte introductif d'instance excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire a dit que l'assignation introductive d'instance délivrée le 16 juillet 2020 par la société SEIEL à l'encontre de Mme [J] et Mme [K] était nulle puis a " constaté " l'absence de contrat signé entre les parties et débouté la société SEIEL de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4.590€ et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590€ ; qu'en statuant ainsi, le tribunal judiciaire a excédé ses pouvoirs et ainsi violé l'article 485 du code de procédure civile
2°) ALORS, subsidiairement, QUE les dispositions de l'article L. 221-9 du code de la consommation, régissant la forme du contrat remis au consommateur, ne s'appliquent qu'aux contrats conclus hors établissement, sans la présence physique simultanée de parties, entre un consommateur et un professionnel ; qu'en retenant, pour débouter l'Institut Européen de Langues de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4.590€ et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590€, l'absence de contrat valablement formé au regard des dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation, sans relever que le contrat aurait été conclu hors établissement, le tribunal judiciaire a violé l'article L.221-9 du code de la consommation ;
3°) ALORS, tout aussi subsidiairement, QU'en retenant, pour débouter l'Institut Européen de Langues de sa demande de mainlevée de l'opposition pratiquée par Mme [Y] [J] sur le chèque n° 728518 d'un montant de 4.590€ et de sa demande de voir Mme [Y] [J] et Mme [W] [K] condamnées au paiement d'une provision de 4.590€, l'absence de contrat valablement formé au regard des dispositions de l'article L.221-9 du code de la consommation, quand il ressortait de ses propres constatations que Mme [J] et Mme [K] s'étaient rendues dans les locaux de la SEIEL où elles avaient rencontré son directeur, ce qui excluait la conclusions hors établissement du contrat, le tribunal judiciaire a violé l'article L.221-9 du code de la consommation. | La tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3°, du code de procédure civile, de sorte qu'une partie peut avoir intérêt à contester une décision prononçant la nullité d'une assignation en référé en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige.
Viole les articles 5, 16 et 455 du code de procédure civile, le président d'un tribunal judiciaire statuant en référé, qui, pour dire que l'assignation est entachée de nullité en l'absence de précision relative aux diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige, constater l'absence de contrat et débouter la société de ses demandes, retient, sans inviter les parties à présenter leurs observations, et en se déterminant par des motifs en contradiction avec le dispositif de son ordonnance, que l'assignation est irrecevable faute de mentionner les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, alors qu'il était saisi d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande pour défaut de mise en oeuvre d'une médiation préalable |
7,709 | CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 413 F-B
Pourvoi n° E 20-22.578
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
M. [R] [U], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 20-22.578 contre l'arrêt rendu le 19 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Why Not Productions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Page 114, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société BTSG, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [X] [L], en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société Chic films,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [U], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Why Not Productions, de la société Page 114, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 avril 2019), se prévalant de ses droits sur son interprétation de l'hymne corse intitulée Diu vi Salvi Regina, réalisée et enregistrée lors d'une audition en vue d'obtenir un rôle dans un film, et qui aurait été reprise à son insu dans l'une des scènes de ce film, coproduit notamment par la société Why Not Productions, M. [U], comédien-chanteur, a assigné cette dernière devant un tribunal de grande instance en contrefaçon de droits voisins d'artiste-interprète.
2. Après deux ordonnances du juge de la mise en état des 19 décembre 2014 et 1er juillet 2016, la première ayant constaté la fin d'une mission de consultation ordonnée par une précédente ordonnance et dit n'y avoir lieu à une mesure d'instruction complémentaire, la seconde ayant rejeté les demandes de M. [U] tendant à de nouvelles mesures, le tribunal de grande instance a, par jugement du 30 juin 2017, débouté le demandeur.
3. M. [U] a relevé appel des deux ordonnances ainsi que du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [U] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 19 décembre 2014 ayant dit n'y avoir lieu d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire, alors :
« 1°/ que pour estimer que la mesure de consultation avait pris fin et qu'il n'y avait pas lieu d'en ordonner la poursuite, la cour d'appel a relevé que si le consultant a vainement demandé aux sociétés Why Not Productions et de préciser les circonstances de l'enregistrement des interprètes et du mixage de la bande originale du film, il ne peut être considéré que l'échec de la mesure de consultation est exclusivement imputable aux intéressées, dès lors qu'il n'est pas établi que l'appelant ait lui-même fourni au consultant l'ensemble des pièces requises ; Qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de ce que les pièces communiquées par M. [U] auraient été incomplètes, sans rechercher si l'information réclamée vainement aux intimées n'aurait pas été de nature à permettre au consultant d'accomplir sa mission ni, par conséquent, si la carence des intimées n'était pas à tout le moins de nature à justifier la poursuite de cette mesure d'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 256 du code de procédure civile ;
2°/ qu'aux termes de l'article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible, tandis qu'aux termes de l'article 144 du même code, de telles mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer ; Qu'il résulte de ces textes que si les juges du fond sont en principe souverains pour apprécier la nécessité d'ordonner une mesure d'instruction, ils ne sauraient, pour refuser d'ordonner une telle mesure, se fonder sur un motif de droit erroné, notamment en refusant d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire tout en constatant par ailleurs l'utilité de celle-ci ; Qu'en l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du 19 décembre 2004 et dire n'y avoir lieu d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire dans le cadre du présent litige, la cour d'appel a énoncé que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d'instruction constituée par cette consultation, qui ne requiert pas d'investigations complexes, et qu'aucun élément ne permet de considérer qu'une reprise de la mesure telle qu'ordonnée présenterait un intérêt pour la solution du litige, de sorte qu'eu égard aux difficultés de la mesure d'instruction, le juge de la mise en état a pu estimer que la consultation avait pris fin ; Qu'en statuant ainsi, quand la cour d'appel, constatant d'une part les limites de cette mesure d'instruction, et admettant d'autre part que celle-ci n'avait pas permis d'éclairer la juridiction, devait en déduire qu'il était nécessaire, au besoin d'office, d'ordonner la mise en uvre d'une mesure d'instruction adaptée à la complexité du litige, notamment une expertise technique, alors en outre que l'arrêt constate par ailleurs que les demandes de pièces formulées par l'exposant « n'ont pour l'essentiel de sens qu'en vue d'une nouvelle expertise », la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés »
Réponse de la Cour
5. En confirmant l'ordonnance du juge de la mise en état ayant dit n'y avoir lieu d'ordonner de mesure d'instruction complémentaire, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir discrétionnaire d'apprécier l'utilité de la mesure d'instruction ou de consultation qui peut être ordonnée en application des articles 143, 144 et 256 du code de procédure civile, de sorte que le moyen est inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. M. [U] fait grief à l'arrêt, par confirmation du jugement du 30 juin 2017, de le débouter de toutes ses demandes alors « que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ou de celles qui sont issues des mesures d'instruction qu'il a ordonnées ; Qu'en l'espèce, pour rejeter les demandes indemnitaires de l'exposant, qui soutenait que l'enregistrement de sa voix lors de l'audition du 2 avril 2008 avait été réutilisé pour la bande-son du film « Un prophète » , la cour d'appel a relevé d'une part que si M. [H], expert américain, estime que l'une des voix dans le film correspond à celle de M. [U], il indique cependant que la mesure électronique n'a pas été aussi concluante, d'autre part que si l'expert [N] a relevé des points communs troublants entre la voix de l'exposant et celle figurant sur la bande originale du film, il indique toutefois ne pouvoir affirmer avec certitude que le casting de l'exposant a été utilisé pour la bande-son, de troisième part que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d'instruction qui lui a été confiée, enfin que l'appelant ne réclame aucune autre mesure d'instruction exécutée par un technicien ni n'offre d'avancer les frais d'une mesure d'expertise ; Qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à la cour d'appel, si elle estimait que la mesure d'instruction ordonnée par le juge de la mise en état, d'une part, et les éléments de preuve produits par l'exposant, d'autre part, ne permettaient pas de trancher la difficulté dont elle était saisie, d'interroger le consultant et, le cas échéant, ordonner d'office une nouvelle mesure d'instruction, la cour d'appel a entaché sa décision d'un déni de justice et violé l'article 4 du code civil, ensemble les articles 143 et 144 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Sous couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de défaut de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine des éléments de preuve par le juge du fond qui, sans être tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni d'ordonner une mesure d'instruction, a retenu que M. [U] ne démontre pas que sa voix a été utilisée pour la bande son du film en cause et l'a débouté de ses demandes.
8. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [U] et le condamne à payer à la société Why Not Productions et la société Page 114 la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [U].
Premier moyen de cassation
M. [R] [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état du 19 décembre 2014 ayant dit n'y avoir lieu d'ordonner de mesure d'instruction complémentaire ;
1°/ Alors que pour estimer que la mesure de consultation avait pris fin et qu'il n'y avait pas lieu d'en ordonner la poursuite, la cour d'appel a relevé que si le consultant a vainement demandé aux sociétés WHY NOTE PRODUCTIONS et PAGE 114 de préciser les circonstances de l'enregistrement des interprètes et du mixage de la bande originale du film, il ne peut être considéré que l'échec de la mesure de consultation est exclusivement imputable aux intéressées, dès lors qu'il n'est pas établi que l'appelant ait lui-même fourni au consultant l'ensemble des pièces requises ;
Qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de ce que les pièces communiquées par M. [U] auraient été incomplètes, sans rechercher si l'information réclamée vainement aux intimées n'aurait pas été de nature à permettre au consultant d'accomplir sa mission ni, par conséquent, si la carence des intimées n'était pas à tout le moins de nature à justifier la poursuite de cette mesure d'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 256 du code de procédure civile ;
2°/ Alors qu'aux termes de l'article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d'office, être l'objet de toute mesure d'instruction légalement admissible, tandis qu'aux termes de l'article 144 du même code, de telles mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer ;
Qu'il résulte de ces textes que si les juges du fond sont en principe souverains pour apprécier la nécessité d'ordonner une mesure d'instruction, ils ne sauraient, pour refuser d'ordonner une telle mesure, se fonder sur un motif de droit erroné, notamment en refusant d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire tout en constatant par ailleurs l'utilité de celle-ci ;
Qu'en l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du 19 décembre 2004 et dire n'y avoir lieu d'ordonner une mesure d'instruction complémentaire dans le cadre du présent litige, la cour d'appel a énoncé que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d'instruction constituée par cette consultation, qui ne requiert pas d'investigations complexes, et qu'aucun élément ne permet de considérer qu'une reprise de la mesure telle qu'ordonnée présenterait un intérêt pour la solution du litige, de sorte qu'eu égard aux difficultés de la mesure d'instruction, le juge de la mise en état a pu estimer que la consultation avait pris fin ;
Qu'en statuant ainsi, quand la cour d'appel, constatant d'une part les limites de cette mesure d'instruction, et admettant d'autre part que celle-ci n'avait pas permis d'éclairer la juridiction, devait en déduire qu'il était nécessaire, au besoin d'office, d'ordonner la mise en uvre d'une mesure d'instruction adaptée à la complexité du litige, notamment une expertise technique, alors en outre que l'arrêt constate par ailleurs que les demandes de pièces formulées par l'exposant « n'ont pour l'essentiel de sens qu'en vue d'une nouvelle expertise » , la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés.
Second moyen de cassation
M. [R] [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par confirmation du jugement du 30 juin 2017, débouté l'exposant de toutes ses demandes ;
Alors que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ou de celles qui sont issues des mesures d'instruction qu'il a ordonnées ;
Qu'en l'espèce, pour rejeter les demandes indemnitaires de l'exposant, qui soutenait que l'enregistrement de sa voix lors de l'audition du 2 avril 2008 avait été réutilisé pour la bande-son du film « Un prophète », la cour d'appel a relevé d'une part que si M. [H], expert américain, estime que l'une des voix dans le film correspond à celle de M. [U], il indique cependant que la mesure électronique n'a pas été aussi concluante, d'autre part que si l'expert [N] a relevé des points communs troublants entre la voix de l'exposant et celle figurant sur la bande originale du film, il indique toutefois ne pouvoir affirmer avec certitude que le casting de l'exposant a été utilisé pour la bande-son, de troisième part que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d'instruction qui lui a été confiée, enfin que l'appelant ne réclame aucune autre mesure d'instruction exécutée par un technicien ni n'offre d'avancer les frais d'une mesure d'expertise ;
Qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à la cour d'appel, si elle estimait que la mesure d'instruction ordonnée par le juge de la mise en état, d'une part, et les éléments de preuve produits par l'exposant, d'autre part, ne permettaient pas de trancher la difficulté dont elle était saisie, d'interroger le consultant et, le cas échéant, ordonner d'office une nouvelle mesure d'instruction, la cour d'appel a entaché sa décision d'un déni de justice et violé l'article 4 du code civil, ensemble les articles 143 et 144 du code de procédure civile. | L'appréciation de l'utilité d'une mesure d'instruction ou de consultation sollicitée en application des articles 143, 144 et 256 du code de procédure civile relève du pouvoir discrétionnaire des juges du fond |
7,710 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 422 F-B
Pourvoi n° R 20-21.461
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
Mme [S] [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-21.461 contre l'arrêt rendu le 18 août 2020 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant à la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [G], de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 18 août 2020), la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (la caisse) a fait pratiquer des saisies-attributions de créances à exécution successive entre les mains de la société d'exercice libéral par actions simplifiée Cedibio-Unilabs au préjudice de Mme [G] qui a saisi un juge de l'exécution d'une contestation.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [G] fait grief à l'arrêt de la débouter de ses contestations à l'encontre des saisies-attributions pratiquées à son encontre par la caisse et de la condamner à verser à cette dernière une somme de 4 000 euros à titre d'indemnité pour procédure abusive, alors « que ne constituent pas des créances à exécution successive les sommes dues par un laboratoire d'analyses de biologie médicale à un biologiste associé ; qu'en affirmant que « les rémunérations servies à Madame [G] par le laboratoire, tiers saisi, dues en vertu d'un contrat unique, constituent une créance à exécution successive permettant la mise en place d'une saisie-attribution à exécution successive jusqu'à parfait recouvrement des sommes dues », la cour d'appel a violé les articles 69 à 72 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution, les saisies peuvent porter sur des créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive. Selon l'article R. 211-14 du même code, les articles R. 211-1 à R. 211-13 s'appliquent à la saisie des créances à exécution successive, sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 211-15 à R. 211-17.
5. Ayant retenu que les sommes versées à Mme [G] étaient dues en vertu d'un contrat unique, la cour d'appel en a exactement déduit que celles-ci constituaient une créance à exécution successive permettant la mise en uvre d'une saisie-attribution à exécution successive jusqu'à parfait recouvrement des sommes dues.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [G] et la condamne à payer à la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour Mme [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déboutée de ses contestations à l'encontre des saisies-attributions pratiquées à son encontre par la CAVP et de l'AVOIR condamnée à verser à la CAVP une indemnité de 4.000 € d'indemnités pour procédure abusive ;
1°) ALORS QU'une saisie-attribution ne peut porter sur une créance future, celle-ci n'étant ni certaine, ni liquide, de sorte que l'acte de saisie ne peut faire état de créances futures, à l'exception des certains intérêts à échoir ; qu'en l'espèce, en considérant qu'il ne pouvait pas être reproché au créancier poursuivant d'avoir inclus au décompte des saisies des frais futurs, aux motifs inopérants que les frais futurs mentionnés étaient incontestables et prévisibles, la cour d'appel a violé les articles L. 211-1 et R. 211-1 du Code des procédures civiles d'exécution ;
2°) ALORS QU'il appartient au juge de l'exécution de s'assurer que les conditions de mise en oeuvre de la mesure d'exécution choisie par le créancier sont réunies ; qu'en l'espèce, en refusant de vérifier que les sommes saisies constituaient bien des créances susceptibles de saisies-attribution et ne constituaient pas des rémunérations uniquement susceptibles d'une saisie des rémunérations, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et a violé l'article L. 121-2 du Code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déboutée de ses contestations à l'encontre des saisies-attributions pratiquées à son encontre par la CAVP et de l'AVOIR condamnée à verser à la CAVP une indemnité de 4.000 € d'indemnités pour procédure abusive ;
ALORS QUE ne constituent pas des créances à exécution successive les sommes dues par un laboratoire d'analyses de biologie médicale à un biologiste associé ; qu'en affirmant que « les rémunérations servies à Madame [G] par le laboratoire, tiers saisi, dues en vertu d'un contrat unique, constituent une créance à exécution successive permettant la mise en place d'une saisie-attribution à exécution successive jusqu'à parfait recouvrement des sommes dues », la Cour d'appel a violé les articles 69 à 72 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déboutée de ses contestations à l'encontre des saisies-attributions pratiquées à son encontre par la CAVP et de l'AVOIR condamnée à verser à la CAVP une indemnité de 4.000 € d'indemnités pour procédure abusive ;
ALORS QU'il appartenait au juge de l'exécution, chargé de statuer sur la validité de saisies effectuées sur les sommes versées par un laboratoire à son directeur général, de déterminer si ces sommes avaient la nature de rémunérations et si elles pouvaient, en conséquence, n'être saisies qu'au titre du régime des saisies des rémunérations ; qu'en affirmant, pour refuser d'examiner la nature des sommes saisies, que cette question avait été « tranchée par le TASS dans le cadre des procédures de contestation des contraintes », quand la décision prise dans ce cadre n'était pas revêtue de l'autorité de chose jugée s'agissant du contentieux distinct de la validité des mesures d'exécution, la Cour d'appel a violé les articles 1351 du Code civil et L. 211-1 du Code des procédures civiles d'exécution.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à verser à la CAVP une indemnité de 4.000 € pour procédure abusive ;
ALORS QUE le fait de succomber en justice ou sur recours ne suffit pas à caractériser un abus du droit d'agir en justice ou d'user d'une voie de recours ; qu'en l'espèce, pour condamner l'exposante à verser 4.000 € d'indemnités la cour a fait état, par motifs adoptés, de ce que ses arguments étaient dénués de pertinence et, par motifs propres, de « sa persistance devant la cour » ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'abus qu'aurait commis l'exposante et en se contentant en réalité de constater qu'elle avait succombé en première instance et en appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 32-1 du Code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du Code civil. | Selon l'article L. 112-1 du code des procédures civiles d'exécution, les saisies peuvent porter sur des créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive. Selon l'article R. 211-14 du même code, les articles R. 211-1 à R. 211-13 s'appliquent à la saisie des créances à exécution successive, sous réserve des dispositions prévues aux articles R. 211-15 à R. 211-17.
Ayant retenu que les sommes versées au débiteur étaient dues en vertu d'un contrat unique, une cour d'appel en a exactement déduit que celles-ci constituaient une créance à exécution successive permettant la mise en oeuvre d'une saisie-attribution à exécution successive jusqu'à parfait recouvrement des sommes dues |
7,711 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 avril 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 428 F-B
Pourvoi n° F 20-22.303
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [X].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 novembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022
Mme [S] [X], domiciliée [Adresse 8], [Localité 2], a formé le pourvoi n° F 20-22.303 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société EOS France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 7],
2°/ à la société Crédit Lyonnais, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4], représentée par son mandataire, la société Crédit logement, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 6],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dumas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de Mme [X], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit Lyonnais, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dumas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 janvier 2020), le 3 juillet 2013, la société Crédit Lyonnais (la banque) a fait délivrer à Mme [X] un commandement valant saisie immobilière sur un bien lui appartenant.
2. Par jugement d'orientation du 1er octobre 2014, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à une certaine somme, arrêtée au 26 octobre 2012, ordonné la vente forcée, et donné acte à la banque du montant de sa créance, arrêtée au 20 novembre 2013 à une somme inférieure.
3. Sur appel interjeté par Mme [X], une cour d'appel, par arrêt du 12 septembre 2017, a infirmé ce jugement en ce qu'il avait fixé la créance de la banque, dit que l'action en recouvrement contre Mme [X] est prescrite pour les mensualités de remboursement du prêt échues antérieurement au 3 juillet 2011 et confirmé le jugement pour le surplus.
4. Par jugement du 21 janvier 2015, le juge de l'exécution a reporté la date de la vente forcée au 3 juin 2015, en raison de la procédure pendante devant la cour d'appel.
5. Par deux jugements du 1er juillet 2015, le juge de l'exécution a, d'une part, prorogé pour deux ans les effets du commandement, d'autre part, ordonné un nouveau report de la vente forcée sine die.
6. Par conclusions du 27 novembre 2018, la banque a repris les poursuites devant le juge de l'exécution, lequel, par jugement du 3 juillet 2019, a notamment fixé le montant de la créance de la banque arrêtée au 10 avril 2019, fixé la date de l'adjudication et ordonné la prorogation des effets du commandement pour deux ans.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
7. Le jugement ayant fixé le montant de la créance du poursuivant, et ainsi tranché une partie du principal, le pourvoi est recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. Mme [X] fait grief à l'arrêt d'ordonner la prorogation pour une durée de deux ans des effets du commandement valant saisie immobilière du ministère de la SCP Tanguy et Labat, huissiers de justice à Quimper en date du 3 juillet 2013, publié au service de la publicité foncière de Quimper 1, volume 2013 S numéro 37, et de fixer la date d'audience d'adjudication au mercredi 16 octobre 2019 à 11 h, alors « que la prorogation des effets du commandement produit ses effets dès la publication du jugement qui l'ordonne et expire deux après cette publication, peu important que le délai de péremption soit, par ailleurs suspendu ; qu'en conséquence, si sont publiés, le même jour, un jugement ordonnant la prorogation pour deux ans du commandement, et un jugement emportant suspension des effets du commandement, la survenance de l'événement mettant un terme à la suspension n'a pas pour effet de proroger, à compter de la date de cet événement, le commandement pour un délai de deux ans ; qu'en se fondant sur deux jugements du 1er juillet 2015, publiés le 6 juillet suivant, ordonnant respectivement la prorogation du commandement et le report de la vente, la cour d'appel a pourtant retenu que « le délai a été suspendu jusqu'au 12 septembre 2017, date de l'arrêt statuant sur l'appel formé à l'encontre du jugement d'orientation, et a ensuite couru pour une durée de deux ans expirant le 12 septembre 2019 » (arrêt p. 4, alinéa 2) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 321-20, dans sa rédaction applicable en la cause issue du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, et R. 321-22 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte des articles R. 321-20 et R. 321-22 du code des procédures civiles d'exécution que le délai de péremption du commandement valant saisie immobilière est suspendu par la mention en marge de sa copie publiée d'une décision de justice emportant la suspension des procédures d'exécution, tant que cette décision produit ses effets, ainsi que d'une décision ordonnant le report, en vertu d'une disposition particulière, de l'adjudication ou la réitération des enchères, dans l'attente de l'adjudication à intervenir ; qu'en dehors de ces cas, le délai est prorogé par la publication d'un jugement ordonnant la prorogation des effets du commandement.
11. C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel a retenu que le délai de deux ans courant à compter de la publication, le 6 juillet 2015, du jugement de prorogation du commandement rendu le 1er juillet 2015 avait été immédiatement suspendu le même jour.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. Mme [X] fait grief à l'arrêt de dire que la créance du Crédit Lyonnais s'établit à 80 261,62 euros en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019, et de fixer la date d'audience d'adjudication au mercredi 16 octobre 2019 à 11 h, alors « que la vente forcée de l'immeuble saisi ne peut être ordonnée que si le juge de l'exécution, par jugement, a mentionné distinctement le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en se bornant pourtant à considérer que la créance du Crédit Lyonnais s'établit à 80 261,62 euros en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019, sans aucunement mentionner le montant des sommes dues en principal, et celles dues en intérêts, frais et accessoires, la cour d'appel a violé l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article R. 321-3 de ce code. »
Réponse de la Cour
14. En application de l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires.
15. Si cette disposition impose qu'un débat contradictoire ait lieu devant le juge de l'exécution, portant sur tous ces éléments de la créance, et que le juge ait vérifié chacun d'eux, elle n'implique pas que le dispositif du jugement d'orientation ventile les sommes dues en principal, intérêts, frais et autres accessoires.
16. Le moyen, qui manque en droit, n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la prorogation pour une durée de deux ans des effets du commandement valant saisie immobilière du ministère de la SCP Tanguy et Labat, huissiers de justice à Quimper en date du 3 juillet 2013, publié au service de la publicité foncière de Quimper 1, volume 2013 S numéro 37, et d'avoir fixé la date d'audience d'adjudication au mercredi 16 octobre 2019 à 11 h ;
1/ ALORS QUE la publication du jugement ordonnant le report de la vente emporte prorogation, pour une durée de deux ans, du délai de péremption du commandement de payer ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a au contraire retenu que le jugement du 1er juillet 2015 ordonnant le report de la vente, publié le 6 juillet 2015, aurait emporté suspension des effets du commandement jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 12 septembre 2017, statuant sur l'appel du jugement d'orientation ; qu'elle en a déduit qu'à cette date un nouveau délai de deux ans aurait commencé à courir, en sorte qu'à la date de publication le 12 juillet 2019 du jugement du 3 juillet 2019 ayant de nouveau ordonné la prorogation du délai, la péremption n'était pas encourue ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 321-20, dans sa rédaction applicable en la cause issue du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, et R. 321-22 du code des procédures civiles d'exécution ;
2/ ALORS ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE la prorogation des effets du commandement produit ses effets dès la publication du jugement qui l'ordonne et expire deux après cette publication, peu important que le délai de péremption soit, par ailleurs suspendu ; qu'en conséquence, si sont publiés, le même jour, un jugement ordonnant la prorogation pour deux ans du commandement, et un jugement emportant suspension des effets du commandement, la survenance de l'événement mettant un terme à la suspension n'a pas pour effet de proroger, à compter de la date de cet événement, le commandement pour un délai de deux ans ; qu'en se fondant sur deux jugements du 1er juillet 2015, publiés le 6 juillet suivant, ordonnant respectivement la prorogation du commandement et le report de la vente, la cour d'appel a pourtant retenu que « le délai a été suspendu jusqu'au 12 septembre 2017, date de l'arrêt statuant sur l'appel formé à l'encontre du jugement d'orientation, et a ensuite couru pour une durée de deux ans expirant le 12 septembre 2019 » (arrêt p. 4, alinéa 2) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 321-20, dans sa rédaction applicable en la cause issue du décret n° 2012-783 du 30 mai 2012, et R. 321-22 du code des procédures civiles d'exécution.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Mme [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la créance du Crédit Lyonnais s'établit à 80 261,62 euros en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019, et d'avoir fixé la date d'audience d'adjudication au mercredi 16 octobre 2019 à 11 h ;
1/ ALORS QUE la vente forcée de l'immeuble saisi ne peut être ordonnée que si le juge de l'exécution, par jugement, a mentionné distinctement le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en se bornant pourtant à considérer que la créance du Crédit Lyonnais s'établit à 80 261,62 euros en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019, sans aucunement mentionner le montant des sommes dues en principal, et celles dues en intérêts, frais et accessoires, la cour d'appel a violé l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article R. 321-3 de ce code ;
2/ ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE lorsque le montant de la créance du poursuivant demeure à fixer, en principal, frais, intérêts et accessoires, le juge est tenu de déterminer ce montant et, à cette fin, de faire, s'il y a lieu, les comptes entre les parties, sans pouvoir s'y refuser en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies ; qu'en l'espèce, pour considérer que la créance du Crédit Lyonnais s'établit à 80 261,62 euros en principal, frais et accessoires arrêtés au 10 avril 2019, sans aucunement mentionner le montant des sommes dues en principal, la cour d'appel a retenu qu' « aucune des parties n'a cru devoir produire devant la cour, le décompte communiqué par la banque devant le juge de l'exécution de sorte que leurs allégations ne sont pas vérifiables » (arrêt, p. 4, alinéa 4) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 4 du code civil. | Si l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, qui dispose que le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires, impose qu'un débat contradictoire ait lieu devant le juge de l'exécution, portant sur tous ces éléments de la créance et que le juge ait vérifié chacun d'eux, il n'implique pas que le dispositif du jugement d'orientation ventile les sommes dues en principal, intérêts, frais et autres accessoires |
7,712 | N° Y 22-80.632 FS-B
N° 00592
MAS2
12 AVRIL 2022
REJET
DÉCHÉANCE
Mme INGALL-MONTAGNIER conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 AVRIL 2022
M. [L] [M] et Mme [P] [N] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 6 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs, notamment, d'association de malfaiteurs, fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme, importation d'un moyen de cryptologie sans déclaration préalable, blanchiment, blanchiment en bande organisée, a prononcé sur une demande formée en application de l'article 221-3 du code de procédure pénale.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit pour M. [M].
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [M], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Ingall-Montagnier, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Joly, conseiller rapporteur, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet et Coirre, conseillers de la chambre, MM. Leblanc et Rouvière, conseillers référendaires, M. Aldebert, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. En 2016, une enquête a été ouverte aux Pays-Bas et en Belgique concernant la société [4]. Cette société fournissait notamment des solutions de chiffrement pour les téléphones portables via une application et une infrastructure dédiées.
3. Une demande d'entraide européenne a été adressée aux autorités judiciaires françaises concernant l'identification des serveurs de la société [4] hébergés par une société française implantée à [Localité 3].
4. Une information a été ouverte des chefs d'association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes ou de délits punis de dix ans d'emprisonnement, fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme, fourniture d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable, importation d'un moyen de cryptologie n'assurant pas exclusivement des fonctions d'authentification ou de contrôle d'intégrité sans déclaration préalable, blanchiment d'importation de produits stupéfiants, blanchiment du délit de trafic de produits stupéfiants, et blanchiment de crimes ou délits en bande organisée.
5. Un mandat d'arrêt a été émis à l'encontre de M. [L] [M] et de Mme [P] [N], sa compagne. Ils ont été interpellés à [Localité 1] et mis en examen notamment des chefs susvisés.
6. M. [M] a déposé une requête en examen de l'ensemble de la procédure en application de l'article 221-3 du code de procédure pénale.
7. Le président de la chambre de l'instruction a, par ordonnance du 12 octobre 2021, saisi la chambre de l'instruction sur le fondement de ces dispositions.
8. Un mémoire a été déposé à la chambre de l'instruction le 11 décembre 2021 par le conseil de M. [M].
Déchéance du pourvoi formé par Mme [N]
9. En tout état de cause, Mme [N] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième moyens
10. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué le 6 janvier 2022 sur saisine directe déposée le 4 octobre 2021, sur le fondement de l'article 221-3 du code de procédure pénale par M. [M], suivie d'une ordonnance de saisine en date du 12 octobre 2021 du président de la chambre de l'instruction, a dit mal fondée la requête et dit n'y avoir lieu à évoquer, et à procéder aux actes demandés, dit qu'il sera statué par arrêt séparé sur les demandes d'actes et les requêtes en nullité, puis a rejeté la demande de mise en liberté de M. [M], alors :
« 1°/ que la chambre de l'instruction saisie par voie de saisine directe sur le fondement de l'article 221-3 du code de procédure pénale, doit examiner l'ensemble de la procédure d'instruction et répondre à toutes les demandes d'actes et d'annulation soulevées devant elle à cette occasion dans le délai impératif de trois mois à compter de sa saisine par le président de la chambre de l'instruction, à défaut de quoi la personne placée en détention doit être remise en liberté ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction ayant été saisie aux fins de contrôle de l'ensemble de la procédure d'information par la requête, puis par l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction en date du 12 octobre 2021, devait statuer sur cette requête dans le délai de trois mois, soit au plus tard le 12 janvier 2021, à défaut de quoi M. [M] devait être mis en liberté ; qu'en s'abstenant de statuer, dans son arrêt du 6 janvier 2022, sur l'ensemble de la procédure, et notamment sur les demandes d'actes et sur les demandes en nullité et en renvoyant pour ce faire à une date ultérieure qu'elle n'a pas fixée, en prétextant la nécessité de permettre au ministère public d'y répondre, alors même que le ministère public avait nécessairement eu connaissance de l'intégralité de la requête, la chambre de l'instruction qui n'a pas vidé sa saisine, a méconnu les exigences de l'article 221-3 du code de procédure pénale, ensemble l'article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, cette méconnaissance devant entrainer la remise en liberté immédiate de M. [M] ;
2°/ qu'une juridiction pénale ne peut pas interrompre le cours de la justice ; en renvoyant l'examen de requête en nullité à une audience ultérieure, sans donner aucune date, la chambre de l'instruction a violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
12. Selon le I - de l'article 221-3 du code de procédure pénale, lorsqu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis le placement en détention provisoire de la personne mise en examen, que cette détention est toujours en cours et que l'avis de fin d'information prévu par l'article 175 du code de procédure pénale n'a pas été délivré, le président de la chambre de l'instruction peut, d'office ou à la demande du ministère public ou de la personne mise en examen, décider de saisir cette juridiction afin qu'elle examine l'ensemble de la procédure.
13. Deux jours ouvrables au moins avant la date prévue pour l'audience, les parties peuvent déposer des mémoires consistant soit en des demandes de mise en liberté, soit en des demandes d'actes, y compris s'il s'agit d'une demande ayant été précédemment rejetée en application de l'article 186-1, soit en des requêtes en annulation, sous réserve des articles 173-1 et 174, soit en des demandes tendant à constater la prescription de l'action publique.
14. Selon le II - du même article, la chambre de l'instruction, après avoir le cas échéant statué sur ces demandes, peut, notamment, ordonner la mise en liberté, assortie ou non du contrôle judiciaire, d'une ou plusieurs des personnes mises en examen, même en l'absence de demande en ce sens, prononcer la nullité d'un ou plusieurs actes dans les conditions prévues par l'article 206 du code de procédure pénale, évoquer et procéder dans les conditions prévues par les articles 201, 202, 204 et 205 du même code ou procéder à une évocation partielle du dossier en ne procédant qu'à certains actes avant de renvoyer le dossier au juge d'instruction.
15. Il se déduit de ces dispositions, d'une part, que la demande d'examen de l'ensemble de la procédure formée par la personne mise en examen a pour seul objet de justifier auprès du président de la chambre de l'instruction
du bien fondé d'un tel examen et ne saisit pas par elle-même la chambre de l'instruction, d'autre part, que les demandes dont cette personne entend saisir la chambre de l'instruction doivent être présentées par un mémoire déposé dans les conditions rappelées au paragraphe 13.
16. En cet état, le moyen est inopérant en ce qu'il invoque des demandes figurant dans la requête par laquelle M. [M] a saisi le président de la chambre de l'instruction.
17. En effet, cette juridiction, d'une part, n'était pas saisie par cette requête, mais par l'ordonnance de son président ayant décidé un examen de l'ensemble de la procédure, d'autre part, n'a fait que rappeler que, déjà saisie par ailleurs de demandes pendantes, elle y répondrait dans ce cadre distinct.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit mal fondée la saisine directe, et dit que la loi française est applicable et les juridictions françaises compétentes, alors :
« 1°/ que toute mise en examen doit reposer sur l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne concernée ait pu participer comme auteur ou comme complice à la commission d'infractions sur le sol français ou en lien d'indivisibilité avec une infraction commise en France ; qu'il faut donc pour que la loi pénale française soit applicable à ces faits, que l'un des faits constitutifs ait eu lieu sur le territoire de la République ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction saisie de l'incompétence territoriale des juridictions d'instruction françaises, considère que la présence de serveurs Sky ECC à [Localité 3] en France, de revendeurs de la marque en France et la transformation de liquidités en bitcoins sur le sol français, constituent des éléments de rattachement avec les faits commis à l'étranger permettant de retenir la compétence des juridictions françaises ; que rien n'indique cependant que ces faits soit répréhensibles et qu'ils soient en tout état de cause imputables à M. [M], personnellement, sa présence en France n'étant pas établie et la chambre de l'instruction ne relevant aucun indice grave ou concordant qu'il ait pu participer comme auteur ou comme complice à un quelconque des faits constitutifs des infractions poursuivies sur le territoire français ; qu'ainsi, la chambre de l'instruction a violé l'article 113-2 du code pénal, ensemble les articles 80-1 du code de procédure pénale, 689, 593 du même code ;
2°/ que la loi française n'est pas applicable aux crimes et délits commis à l'étranger par un étranger, et les juridictions d'instruction ne peuvent se saisir de tels faits ; qu'en l'espèce, il résulte des éléments de la procédure que les faits poursuivis auraient été commis au Canada et à l'étranger par une société de droit canadien, M. [M] étant lui-même de nationalité canadienne et ayant été interpellé en Espagne sans avoir transité par la France ; qu'ainsi, se bornant à constater que « les faits commis à l'étranger sont indivisibles de ceux commis en France, et qu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprenait pas sans l'existence des autres puisqu'ils sont tous reliés par l'usage du téléphone Sky ECC répertorié sur les serveurs à [Localité 3] », sans préciser en quoi l'utilisation de serveurs localisés en France constituerait un quelconque élément constitutif des infractions reprochées, la société roubaisienne [2] n'ayant d'ailleurs pas été appelée en la cause, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
19. Pour dire la loi française applicable et les juridictions françaises compétentes, l'arrêt attaqué énonce que la loi pénale française est applicable à une infraction commise par une personne de nationalité étrangère lorsque cette infraction ou l'un de ses faits constitutifs sont commis sur le territoire de la République.
20. Les juges ajoutent qu'il en est de même lorsque l'infraction est commise à l'étranger, dans le seul cas où il existe un lien d'indivisibilité entre cette infraction et une autre commise sur le territoire de la République, les faits étant indivisibles lorsqu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres.
21. Ils relèvent que la société [4] a fourni des solutions de chiffrement pour les téléphones portables grâce à une application et une infrastructure dédiées, l'analyse technique du logiciel ayant montré qu'il constituait un système de sécurité particulièrement sophistiqué, comportant quatre couches dotées de clefs de chiffrement et de cryptage.
22. Ils retiennent que, selon les autorités belges, l'utilisation de la solution Sky ECC ne servait que pour des activités criminelles et que les investigations néerlandaises ont démontré que les téléphones configurés avec le logiciel Sky ECC ne pouvaient pas être achetés directement sur le site de la société, mais qu'après un premier contact par courriel, la société renvoyait le client vers un revendeur local, qu'aucune facture n'était fournie, que le paiement se faisait en espèces et que seules les coordonnées du revendeur et du service après-vente étaient communiquées.
23. Les juges indiquent que, selon ces investigations, un identifiant est délivré par la société lors de l'achat, les utilisateurs étant anonymes, aucune pièce d'identité ou justificatif de domicile n'étant demandé.
24. Ils rappellent que l'un des revendeurs français de téléphones équipés du logiciel Sky ECC a déclaré avoir pu revendre ces appareils sans structure officielle, qu'un autre a affirmé ne connaître aucun de ses clients personnellement, avoir l'interdiction de leur demander pour quelle raison ils achetaient un téléphone crypté et avoir envoyé, à la demande d'un des collaborateurs de la société [4], un message à ses contacts leur recommandant de ne pas montrer leurs mains en photo.
25. Ils relèvent que ces téléphones, équipés du logiciel de cryptage, ont été commercialisés en France par six revendeurs et que l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information a indiqué qu'aucune demande ou déclaration concernant ce logiciel, pourtant exigées par la réglementation pour utiliser sur le territoire national ces moyens de cryptologie, n'ont été déposées auprès d'elle.
26. Ils retiennent que les deux serveurs de la société [4], le serveur principal et le serveur de sauvegarde, sont hébergés auprès de la société française [2] à [Localité 3] et que les interceptions ont révélé l'existence de 2 500 utilisateurs du logiciel Sky ECC en France avec des revendeurs identifiés, interpellés et dont plusieurs ont été mis en examen.
27. Ils ajoutent que les échanges interceptés sur la messagerie cryptée font aussi état de collectes d'argent organisées via l'utilisation, la plupart du temps, de la photographie du numéro de série d'un billet de banque servant de validation à la récupération de l'argent lors de la collecte.
28. Ils relèvent qu'il résulte des investigations que le téléphone [4] est vendu et payé avec des liquidités et que l'argent provenant des ventes est transformé en bitcoins.
29. Ils rappellent que M. [M] a occupé un poste stratégique pour le compte de la société [4] en sa qualité de « distributeur international », c'est-à-dire de distributeur de haut niveau dans la hiérarchie des ventes de la société, ayant des contacts avec la structure dirigeante et ayant le pouvoir de bloquer les accès au système pour les revendeurs placés sous ses ordres en cas de non-paiement des dettes.
30. Ils relèvent également qu'il est identifié comme le distributeur des appareils de la société [4] à travers le monde, qu'il a vendu au moins directement cent trente et un téléphones cryptés et qu'il a recruté directement des revendeurs de téléphones pour le compte de cette dernière.
31. Ils ajoutent que M. [M] est aussi identifié comme le collecteur de liquidités auprès de clients, sommes ensuite converties en cryptomonnaies, avec prise d'un pourcentage au titre de commissions, et qu'il a été capable d'organiser avec des complices ou des intermédiaires des remises d'argent pour le paiement de leurs dettes, démontrant ainsi l'existence d'une structure installée, cohérente et pérenne.
32. Ils retiennent de plus qu'il s'occupait des circuits financiers de la société [4] et du blanchiment des fonds pour le compte de cette dernière, grâce à ses connaissances en cryptomonnaie.
33. Ils relèvent encore que, le 18 décembre 2020, Mme [N], compagne de M. [M], a rencontré une personne dans un hôtel parisien pour échanger la somme de 160 000 euros en bitcoins pour le compte de celui-ci.
34. Ils retiennent que la présence de deux serveurs en France a permis le transit sur le territoire national de toutes les conversations entre les protagonistes des différents réseaux criminels, que des revendeurs de téléphones [4] ont été identifiés en France, que des utilisateurs de ces téléphones ont été repérés en train de se livrer à des trafics de stupéfiants et que des transformations de liquidités en bitcoins sont intervenues sur le sol français.
35. Ils en déduisent que les faits commis à l'étranger sont indivisibles de ceux commis en France en ce qu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres, dès lors qu'ils sont tous reliés par l'usage des téléphones [4] répertoriés sur les serveurs à [Localité 3], que les flux de données illicites utilisées à des fins criminelles ont été enregistrés sur ces serveurs et que des revendeurs des produits de la société [4] ont distribué ces téléphones en France, où ils ont servis à des fins criminelles.
36. Ils en concluent, d'une part, qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de M. [M], de nationalité canadienne, aux faits qui lui sont reprochés, d'autre part, que les faits constitutifs des infractions, objets de l'information, se sont déroulés en France et sont indivisibles des infractions identiques commises en divers pays étrangers.
37. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
38. Dès lors, le moyen doit être écarté.
39. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par Mme [N] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par M. [M] :
LE REJETTE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille vingt-deux. | Il se déduit de l'article 221-3 du code de procédure pénale, d'une part, que la demande d'examen de l'ensemble de la procédure formée par la personne mise en examen a pour seul objet de justifier auprès du président de la chambre de l'instruction du bien fondé d'un tel examen et ne saisit pas par elle-même la chambre de l'instruction, d'autre part, que les demandes dont cette personne entend saisir la chambre de l'instruction doivent être présentées par un mémoire, dans les conditions définies par ce texte.
Est dès lors inopérant le moyen qui soutient qu'il n'aurait pas été répondu à des demandes figurant dans la requête par laquelle la personne mise en examen a saisi le président de la chambre de l'instruction |
7,713 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 mars 2022
Mme MOUILLARD, président
Avis n° 9014 FS-B
Pourvoi n° N 19-20.143
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
AVIS DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 MARS 2022
La deuxième chambre civile, saisie du pourvoi n° N 19-20.143 formé par la société Rafy, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation, a sollicité, le 25 mars 2021, l'avis de la chambre commerciale, financière et économique, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Rafy, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas, l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fevre, Ducloz, conseillers, M. Guerlot, Mmes de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, Mme Fornarelli, greffier de chambre, et Mme Dumas, conseiller référendaire à la deuxième chambre civile qui a assisté au délibéré, avis en ayant été donné aux parties.
la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation, composée en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a émis l'avis suivant.
Enoncé de la demande d'avis
1. Par un arrêt du 25 mars 2021, la deuxième chambre civile a transmis à la chambre commerciale, financière et économique, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile, une demande d'avis portant sur la question suivante :
« L'intermédiaire habilité à gérer le compte du titulaire de valeurs nominatives, mentionné à l'article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, manque-t-il à ses obligations tenant à sa qualité d'intermédiaire, en s'abstenant d'informer la société émettrice, en particulier lorsqu'il s'agit d'une SCPI, d'une saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières portant sur ces valeurs ? »
Examen de la demande d'avis
2. S'il résulte des dispositions des articles L. 211-14, L. 211-15, L. 211-17 et R. 211-1 du code monétaire et financier que les titres financiers sont négociables, qu'ils se transmettent par virement de compte à compte, que le transfert de leur propriété résulte de leur inscription au compte-titres de l'acquéreur et qu'ils ne sont matérialisés que par cette inscription, il ressort en revanche de l'article L. 211-14 du code monétaire et financier que les parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ne sont pas négociables, et de l'article L. 214-93 du même code que le transfert de leur propriété résulte d'une inscription, non au compte-titres de l'acquéreur, mais sur le registre des associés, cette inscription étant réputée constituer l'acte de cession écrit prévu par l'article 1865 du code civil.
3. Il s'en déduit que les parts de la SCPI ne sont pas des valeurs mobilières, de sorte que les dispositions de l'article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, qui s'appliquent aux seules valeurs mobilières nominatives, ne leur sont pas applicables.
4. Dans l'hypothèse où l'acte de saisie de parts d'une SCPI a néanmoins été signifié à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel ces parts sont inscrites, au lieu de l'être à la société émettrice de ces parts conformément à l'article R. 232-1 du code des procédures civiles d'exécution, aucune obligation légale ou réglementaire n'impose à cet intermédiaire, en cette qualité, d'aviser la société émettrice de cette saisie.
PAR CES MOTIFS, la chambre commerciale, financière et économique :
EMET l'avis suivant :
« Les dispositions de l'article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas applicables aux parts de sociétés civiles de placement immobilier.
Dans l'hypothèse où l'acte de saisie de parts d'une société civile de placement immobilier a néanmoins été signifié à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel de telles parts ont été inscrites, cet intermédiaire n'est pas tenu, en cette qualité, d'aviser la société émettrice de cette saisie. » ;
ORDONNE la transmission du dossier et de l'avis à la deuxième chambre civile ;
Ainsi fait et émis par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-deux. | Les dispositions de l'article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas applicables aux parts de sociétés civiles de placement immobilier.
Dans l'hypothèse où l'acte de saisie de parts d'une société civile de placement immobilier a néanmoins été signifié à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel de telles parts ont été inscrites, cet intermédiaire n'est pas tenu, en cette qualité, d'aviser la société émettrice de cette saisie |
7,714 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 334 FS-B
Pourvoi n° J 20-23.617
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
1°/ M. [D] [I], domicilié [Adresse 2],
2°/ la société SRG [K], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° J 20-23.617 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant à la société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I] et de la société SRG [K], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit logement, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 octobre 2020), suivant offre acceptée le 14 août 2000, la Société générale (la banque) a consenti à M. [I] un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société Crédit logement.
2. Suivant offres acceptées le 8 juin 2007, la banque a consenti à la société civile immobilière SRG [K] (la SCI) trois prêts garantis par le cautionnement de la société Crédit logement, de M. [I] et de Mme [W].
3. A la suite d'échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme des prêts, avant d'être désintéressée par la société Crédit logement, qui a assigné les emprunteurs et ses cofidéjusseurs en paiement.
Examen des moyens
Sur les deux premiers moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
5. M. [I] fait grief à l'arrêt d'ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 22 avril 2016 au titre du prêt immobilier qu'il a contracté, alors « que la règle selon laquelle aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 311-29 à L. 311-31 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause, ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévue par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil ; que cette interdiction s'applique aussi bien
à l'action du prêteur contre l'emprunteur, qu'à celle de la caution qui exerce un recours contre l'emprunteur ; qu'en jugeant au contraire, pour ordonner la capitalisation des intérêts au titre du prêt personnel de M. [I] à compter du 22 avril 2016, qu'il ne s'agit pas d'intérêts de retard dus par l'emprunteur au prêteur mais d'intérêts moratoires dus au cofidéjusseur qui a payé, la cour d'appel a violé l'article L. 311-32 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, ensemble l'article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 312-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, et l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. La règle édictée par le premier de ces textes, selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du code de la consommation ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation d'un prêt immobilier ou de défaillance prévus par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par le second texte susvisé.
7. Cette interdiction concerne tant l'action du prêteur contre l'emprunteur que les recours personnel et subrogatoire exercés contre celui-ci par la caution.
8. L'arrêt ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 22 avril 2016 au titre du prêt immobilier.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la capitalisation des intérêts au titre du prêt immobilier souscrit le 14 août 2000 par M. [I], l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de capitalisation des intérêts formée par la société Crédit logement au titre du prêt immobilier souscrit le 14 août 2000 par M. [I] ;
Condamne la société Crédit logement aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit logement et la condamne à payer à M. [I] et à la société SRG [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [I] et la société SRG [K]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen comporte une branche. Il est tiré d'un inversement de la charge de la preuve d'une créance.
M. [D] [I] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamné à payer au Crédit Logement la somme de 28 604,93 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016 ;
ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en condamnant M. [I] à payer au Crédit Logement la somme de 28 604,93 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016, au motif que M. [I] n'expose pas pourquoi sa condamnation devrait être limitée à la somme qu'il indique, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve de la créance de la société Crédit Logement et de son montant, a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen comporte une branche. Il est tiré d'un inversement de la charge de la preuve d'une créance.
M. [D] [I] et la SCI SRG [K] font grief à l'arrêt attaqué de les AVOIR condamnés solidairement, à hauteur seulement d'un tiers pour le premier, à payer au Crédit Logement les sommes de 89 095,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2006, 153 939,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2016, et 97 3132,89 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2015 ;
ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en condamnant M. [I] et la SCI SRG [K] à payer au Crédit Logement les sommes de 89 095,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2006, 153 939,29 euros avec intérêts au taux légal à compter du 17 avril 2016, et 97 3132,89 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2015 au motif que M. [I] n'expose pas pourquoi la condamnation devrait être limitée à la somme qu'il indique, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve de la créance de la société Crédit Logement et de son montant, a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen comporte une branche. Il pose une question inédite à la Cour de cassation au sujet de l'application de l'article L. 311-32 ancien du code de la consommation à l'hypothèse de l'action de la caution qui a payé contre l'emprunteur.
M. [D] [I] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts au titre du prêt personnel de M. [D] [I] à compter du 22 avril 2016 ;
ALORS QUE la règle selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 311-29 à L. 311-31 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause, ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévue par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil ; que cette interdiction s'applique aussi bien à l'action du prêteur contre l'emprunteur, qu'à celle de la caution qui exerce un recours contre l'emprunteur ; qu'en jugeant au contraire, pour ordonner la capitalisation des intérêts au titre du prêt personnel de M. [D] [O] à compter du 22 avril 2016, qu'il ne s'agit pas d'intérêts de retard dus par l'emprunteur au prêteur mais d'intérêts moratoires dus au cofidéjusseur qui a payé, la cour d'appel a violé l'article L. 311-32 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, ensemble l'article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 du code civil. | L'article L. 312-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Une telle interdiction concerne tant l'action du prêteur contre l'emprunteur que les recours personnel et subrogatoire exercés contre celui-ci par la caution |
7,715 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 335 FS+B
Pourvoi n° A 19-11.599
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
1°/ M. [G] [S],
2°/ Mme [N] [B], épouse [S],
domiciliés tous deux [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° A 19-11.599 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [K] [Y], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société BNP paribas personal finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. et Mme [S], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP paribas personal finance, et l'avis de MM. Chaumont et Lavigne, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen M. Hascher, M. Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 15 mai 2018), le 21 juillet 2009, M. et Mme [S] (les emprunteurs) ont accepté une offre de prêt de la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) libellé en francs suisses et remboursable en euros, dénommé « Helvet immo ». Le prêt leur a été proposé par M. [Y], en vertu d'un mandat d'intermédiaire en opérations de banque conclu, le 5 avril 2009, avec la banque.
2. Invoquant la violation des règles relatives au démarchage bancaire, le dol et le manquement de la banque à son obligation d'information, les emprunteurs ont assigné celle-ci en nullité du contrat de prêt et en indemnisation. En appel, ils ont allégué le caractère abusif de la clause de monnaie de compte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir prononcer la nullité du prêt en raison du dol, ainsi que leur demande d'indemnisation, alors :
« 1°/ que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, la cassation sur le deuxième moyen, la cour d'appel s'étant expressément fondée, pour écarter le dol, sur ce qu'elle a jugé relativement au démarchage, et ce en application de l'article 625 du code de procédure civile ;
2°/ qu'après avoir relevé que les emprunteurs avait été informés de ce que le taux de change euro / franc suisse était « très stable dans le temps », que selon les mois ils rembourseraient « un peu » plus ou « un peu » moins de francs suisses, que l'impact des variations du taux de change était « quasi nul » et que la somme de toutes les variations lisse l'impact des variations du taux de change jusqu'à « pratiquement annihiler » les effets de ces variations, ce dont il résultait que les emprunteurs étaient appelés à croire à la quasi absence d'incidence sur le prêt des variations du taux de change, la cour d'appel qui a néanmoins retenu, pour écarter le dol, que la banque avait bien informé les emprunteurs des « conséquences des variations inévitables » du taux de change sur le remboursement du crédit, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que l'offre de prêt stipulait que « si au terme de la durée initiale de votre crédit le solde de votre compte n'était pas apuré, la durée de votre crédit sera allongée dans la limite de 5 ans. Le taux d'intérêt de votre crédit sera alors révisé (
) et vos échéances en francs suisses et vos règlements en euros correspondants, déterminés sur la base du taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant la fin de la durée initiale de votre crédit, seront recalculés pour permettre le remboursement en totalité de votre crédit au plus tard à la fin de la période complémentaire de 5 ans », de sorte que pendant la période complémentaire de cinq ans le montant des mensualités étaient susceptibles d'augmenter ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le dol, qu'il était exact que les variations du taux de change n'impactaient pas le montant des mensualités, mais seulement l'amortissement du prêt, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
4°/ qu'en se fondant encore, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance inopérante que les emprunteurs ne pourraient en l'état prouver que l'impact des variations du cours de l'euro par rapport au franc suisse n'est pas lissé sur la durée du prêt puisque celui-ci n'est pas encore arrivé à son terme, ce qui était sans incidence sur l'existence de manoeuvres destinées à surprendre le consentement des emprunteurs, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
6. Il résulte de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le dol doit être apprécié, au moment de la formation du contrat. Il implique l'intention, chez son auteur, de tromper autrui en vue de le contraindre à s'engager. Ainsi, le manquement à une obligation pré-contractuelle d'information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s'y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement.
7. Après avoir relevé, par motifs propres, que les emprunteurs reprochaient à la banque de leur avoir remis une documentation mensongère en ce qu'elle présentait une opération intéressante sans risque excessif et de leur avoir fourni une plaquette d'information présentant le taux de change euros / francs suisses comme stable afin de créer l'illusion d'un risque minimal, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, qu'il n'était pas démontré que les documents intitulés « Helvet Immo, script taux de change » et les plaquettes d'information exclusivement destinés aux professionnels partenaires de la banque pour les besoins de la commercialisation du produit, qui ne leur étaient pas destinés, leur avaient été remis lors de l'émission de l'offre et avaient influencé leur décision de contracter.
8. Elle a ensuite retenu, par motifs propres, que le document intitulé « grille de lecture de l'offre Helvet Immo » et l'offre de prêt elle-même démontraient que les emprunteurs avaient été informés, avant la conclusion du contrat, des conséquences de la variation du taux de change, notamment en ce qu'il y était précisé que l'amortissement du capital évoluerait en fonction des variations de ce taux appliqué à leurs règlements mensuels, et que le prêt pouvait être allongé pour une durée limitée à cinq ans.
9. De ces constatations et appréciations souveraines, elle a pu déduire, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, que le dol n'était pas établi.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
11. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de ne pas examiner d'office le caractère abusif de la clause d'option de conversion en euros, alors « que le juge est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu'en s'abstenant de rechercher s'il ne résultait pas des éléments de fait et de droit débattus devant elle, notamment l'absence d'obligation d'information des emprunteurs, les modalités d'exercice de l'option ainsi que le délai anormalement long au terme duquel il était possible d'exercer l'option qui résultaient de la clause intitulée « option pour un changement de monnaie de compte », que la clause d'option stipulée par le contrat litigieux créait un déséquilibre significatif en défaveur du consommateur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
12. Il ne résulte pas des éléments de droit et de fait débattus devant elle que les emprunteurs auraient formulé des prétentions ou des moyens relatifs à la clause d'option de conversion en euros, de sorte que la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la recherche dont l'omission est alléguée.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande au titre du manquement de la banque et de son mandataire au devoir d'information et de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral, alors « que le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la responsabilité de la banque et de son mandataire, que les « caractéristiques » du prêt avaient été clairement et précisément expliquées aux emprunteurs, sans constater que ces derniers avaient également été informés des conséquences économiques de ce prêt et des risques encourus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
15. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.
16. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt énonce que l'offre de prêt indique que le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises, que, dès réception de l'acceptation de l'offre, le prêteur ouvrira un compte interne en euros et un compte interne en francs suisses au nom de l'emprunteur pour gérer le crédit dont le fonctionnement est expliqué, que l'offre de prêt précise qu'il s'agit d'un prêt en francs suisses qui ne peut être remboursé qu'en euros, de sorte qu'il est expressément convenu et accepté que les frais de change occasionnés par les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses, nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, font partie intégrante des règlements en euros et des opérations de changement de monnaie de compte. Il constate que l'offre indique que le montant du prêt est fixé selon le taux de change de 1 euro contre 1,5057 francs suisses, taux invariable jusqu'au déblocage complet du crédit, que le tableau d'amortissement a été établi sur la base de ce taux de change et qu'au cours de la vie du crédit, les opérations de conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes, de conversion en euros du solde débiteur du compte interne en francs suisses, en cas d'option de changement de monnaie, et de conversion en francs suisses du remboursement en euros en cas de remboursement anticipé, seront réalisées par le prêteur. Il relève que l'offre explique qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, le franc suisse pourra à tout moment et unilatéralement être changé par le prêteur et remplacé par l'euro, ces opérations de change étant effectuées au taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant l'opération, taux de change de référence publié sur le site internet de la Banque centrale européenne. Il retient que le contrat explique les modalités de remboursement du crédit et décrit le système d'amortissement du capital, en stipulant que l'amortissement du capital du prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué aux règlements mensuels de l'emprunteur, que, s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance du crédit sera inscrite au solde débiteur du compte interne en francs suisses, tandis que, s'il résulte de l'opération de change une somme supérieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera plus rapide, ainsi que le remboursement, et qu'en tout état de cause, les opérations de crédit sur le compte en francs suisses seront affectées prioritairement au paiement des intérêts de l'échéance et à l'amortissement du prêt. Il ajoute qu'est également expliqué l'effet des variations du taux d'intérêt, tous les trois ans, sur le montant des mensualités de remboursement, qui reste inchangé, ainsi que sur la durée du crédit, étant précisé que le prêt peut être allongé pour une durée limite de cinq ans, et qu'il est encore expliqué comment l'emprunteur peut, tous les trois ans, lors de la révision du taux, choisir d'opter pour une monnaie de compte en euros, soit avec un taux fixe en euro, soit avec un taux variable en euro.
17. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen relevé d'office
18. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
19. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
20. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
21. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la CJUE a dit pour droit que :
- l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
- l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du-dit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
22. Pour dire que la clause de monnaie de compte ne présente pas un caractère abusif, l'arrêt retient que cette clause, libellée en devise étrangère, n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs dès lors, d'une part, que les variations du taux de change ont pour conséquence soit d'allonger soit de réduire la durée du crédit, de sorte que cette clause n'est pas stipulée à leur seul détriment, les variations étant subies réciproquement par les deux parties, d'autre part, que, si les emprunteurs ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change, ils peuvent demander, tous les trois ans, la conversion de leur prêt en euros.
23. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. et Mme [S] au titre du manquement de la banque et de son mandataire au devoir d'information ainsi que leur demande d'indemnisation au titre du préjudice moral et en ce qu'il dit que la clause de monnaie de compte ne présente pas le caractère d'une clause abusive, l'arrêt rendu le 15 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance et M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les emprunteurs de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du prêt à raison de la violation des dispositions du code monétaire et financier applicables au démarchage à domicile et de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE :
M. et Mme [S] n'apportent pas la preuve qu'ils ont fait l'objet d'un démarchage.
Cela ne ressort absolument pas des pièces qu'ils produisent.
Ils se prévalent du contrat de mandat d'intermédiaire en opérations de banque conclu entre la SA BNP Paribas Personal Finance et M. [Y] le 5 avril 2009, alors qu'il résulte seulement de cette convention que l'apporteur (M. [Y]) met en rapport des personnes à la recherche d'un crédit et un établissement de crédit susceptible de répondre à sa demande. Par ailleurs, cette convention stipule qu'elle n'engage aucune des parties à une quelconque exclusivité vis-à-vis de l'autre, ni ne confère de droit à l'obtention d'un quelconque volume d'affaires. Enfin, il est expressément stipulé que le mandant (la SA BNP Paribas Personal Finance) interdit à l'apporteur de recourir à des activités de démarchage bancaire et financier pour le compte du mandant en vue de promouvoir les produits de ce dernier, sauf mandat de démarchage bancaire et financier délivré à l'apporteur par le mandant, dont l'existence en l'espèce n'est pas démontrée.
En outre, il résulte de la convention d'ingénierie, de gestion de patrimoine et de commercialisation signée le 10 juin 2009 entre les époux [S] et M. [Y] que le mandant (M. et Mme [S]) est à la recherche d'une opportunité d'investissement financier dans l'immobilier lui permettant de se placer sous le régime fiscal du loueur meublé non professionnel, qu'il confie au mandataire (M. [Y]) une mission d'étude, d'assistance et de recherche d'investissement immobilier qui sera réalisée au siège social et administratif de l'entreprise, que le mandataire étudiera la faisabilité de l'investissement envisagé, recherchera et proposera un ou plusieurs programmes immobiliers adaptés au projet financier... Il a en outre été convenu d'une rémunération de 3.000 euros TTC.
Ainsi, rien n'établit l'existence d'une prise de contact non sollicitée ni d'une visite de M. [Y] au domicile des époux [S].
C'est donc à juste titre que le tribunal a jugé que M. et Mme [S] n'apportaient pas la preuve du démarchage bancaire qu'ils invoquent, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner le respect ou non des dispositions légales relatives au démarchage.
ALORS QUE les emprunteurs faisaient valoir que M. [Y], par l'entremise duquel le prêt litigieux avait été souscrit, ne contestait pas l'existence d'un démarchage, ce que ses écritures permettaient de vérifier ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, de nature à établir la reconnaissance implicite par M. [Y] de ce qu'il avait procédé à un démarchage auprès des emprunteurs, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les emprunteurs de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du prêt à raison du dol commis tant par la banque que par son mandataire et de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE :
Les époux [S] invoquent les violations multiples et intentionnelles des obligations législatives relatives au démarchage et des manquements aux obligations précontractuelles.
Compte tenu de ce qui précède, aucun manquement aux règles relatives au démarchage ne peut être retenu. Il convient seulement de rechercher si la banque a manqué à son obligation pré-contractuelle d'information, et ce de façon intentionnelle, dans le but de déterminer le consentement M. et Mme [S].
Il convient de préciser que le dol doit émaner du cocontractant ou de son représentant, et qu'en l'espèce, M. [Y], qui a proposé le prêt Helvet Immo aux époux [S], agissait dans le cadre d'un mandat donné par la SA BNP Paribas Personal Finance, et doit donc être considéré comme représentant la banque.
Les appelants soutiennent que la documentation remise était mensongère en ce qu'elle présentait une opération intéressante sans risque excessif. Ils reprochent à la banque de lui avoir fourni une plaquette d'information présentant le taux de change euros / francs suisses comme stable afin de créer l'illusion d'un risque minimal.
Cependant, les époux [S] produisent une « grille de lecture de l'offre Helvet Immo » qui montre qu'ils ont bien été informés, avant la conclusion du contrat, des conséquences de la variation du taux de change. Il est précisé que l'amortissement du capital évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué à leurs règlements mensuels, que s'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide, et que s'il résulte de l'opération de change une somme supérieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera plus rapide et le crédit sera remboursé plus rapidement.
Ils produisent en outre des plaquettes d'information qui sont des documents établis par la banque à destination des professionnels partenaires, ce qui donne une idée des informations qu'a pu leur fournir M. [Y], même s'il n'est pas établi que c'est bien lui qui leur a remis ces documents. La fiche « Helvet Immo Script taux de change » explique que chaque mois, la mensualité prélevée sera convertie en francs suisses en fonction du taux de change du jour. Il est précisé que le taux de change euros / francs suisses est très stable dans le temps, mais il varie chaque jour à la hausse comme à la baisse. Il est donc expliqué que selon les mois, le client remboursera peut-être un peu plus ou un peu moins de francs suisses que prévu, et ce pendant toute la durée du prêt ;
et que l'impact des variations du taux de change est donc quasi nul, puisque lissé sur la durée du prêt. Il est ensuite fait état de l'évolution du taux de change depuis les vingt dernières années, ce qui correspond d'ailleurs est-il précisé à la durée du prêt, et mentionné que le taux de change était de 1,62 tant au 2 janvier 1987 qu'au 2 janvier 2007, pour conclure que la somme de toutes ces variations lisse l'impact du taux de change sur le prêt jusqu'à pratiquement annihiler les effets de ces variations.
Certes cette présentation est simpliste, mais la SA BNP Paribas Personal Finance justifie de l'évolution du cours mensuel de l'euro par rapport au franc suisse de 1999 à 2009 par la production d'un tableau édité par l'Insee qui montre une certaine stabilité (autour de 1,5, avec un minimum de 1,462 et un maximum de 1,659). Le même tableau avec les données de 2013 montre une chute du cours de l'euro à environ 1,23.
Toutefois, il ne peut être reproché à la banque d'avoir vanté la stabilité du taux de change euros / francs suisses, celle-ci étant réelle au moment de la souscription du prêt, dès lors qu'elle a bien informé son cocontractant des conséquences des variations inévitables du taux de change sur le remboursement du crédit.
Les époux [S] n'apportent pas la preuve que les informations données étaient mensongères, étant précisé qu'il est exact également que les variations du taux de change n'impactent pas le montant des mensualités, mais seulement l'amortissement du prêt comme cela a été indiqué. Il convient d'observer qu'ils ne peuvent en l'état prouver que l'impact des variations du cours de l'euro par rapport au franc suisse n'est pas lissé sur la durée du prêt puisque le contrat n'est pas encore arrivé à son terme et qu'il est impossible de prévoir les variations futures. Ainsi, le fait que le montant du capital restant dû a momentanément augmenté, en raison de la chute du cours de l'euro qui a augmenté les frais de change et a donc ralenti l'amortissement, ne dit rien de la durée réelle de cet amortissement.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté le dol de la banque et de M. [Y] comme cause de nullité du contrat de prêt.
1°) ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation entrainera, par voie de conséquence la cassation sur le deuxième moyen, la cour d'appel s'étant expressément fondée, pour écarter le dol, sur ce qu'elle a jugé relativement au démarchage, et ce en application de l'article 625 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'après avoir relevé que les emprunteurs avait été informés de ce que le taux de change euro / franc suisse était « très stable dans le temps », que selon les mois ils rembourseraient « un peu » plus ou « un peu » moins de francs suisses, que l'impact des variations du taux de change était « quasi nul » et que la somme de toutes les variations lisse l'impact des variations du taux de change jusqu'à « pratiquement annihiler » les effets de ces variations, ce dont il résultait que les emprunteurs étaient appelés à croire à la quasi absence d'incidence sur le prêt des variations du taux de change, la cour d'appel qui a néanmoins retenu, pour écarter le dol, que la banque avait bien informé les emprunteurs des « conséquences des variations inévitables » du taux de change sur le remboursement du crédit, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE l'offre de prêt stipulait que « si au terme de la durée initiale de votre crédit le solde de votre compte n'était pas apuré, la durée de votre crédit sera allongée dans la limite de 5 ans. Le taux d'intérêt de votre crédit sera alors révisé (
) et vos échéances en francs suisses et vos règlements en euros correspondants, déterminés sur la base du taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant la fin de la durée initiale de votre crédit, seront recalculés pour permettre le remboursement en totalité de votre crédit au plus tard à la fin de la période complémentaire de 5 ans » (offre, p. 6 § 4), de sorte que pendant la période complémentaire de cinq ans le montant des mensualités étaient susceptibles d'augmenter ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le dol, qu'il était exact que les variations du taux de change n'impactaient pas le montant des mensualités, mais seulement l'amortissement du prêt, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
4°) ALORS QU'en se fondant encore, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance inopérante que les emprunteurs ne pourraient en l'état prouver que l'impact des variations du cours de l'euro par rapport au franc suisse n'est pas lissé sur la durée du prêt puisque celui-ci n'est pas encore arrivé à son terme, ce qui était sans incidence sur l'existence de manoeuvres destinées à surprendre le consentement des emprunteurs, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les emprunteurs de leur demande indemnitaire au titre du manquement de la banque et de son mandataire au devoir d'information et de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE :
l'offre de prêt indique que le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises ; qu'il sera géré en francs suisses (monnaie de compte) pour connaître l'état de remboursement du crédit, et en euros (monnaie de paiement) pour permettre le paiement des échéances ; que dès réception de l'acceptation de l'offre, le prêteur ouvrira un compte interne en euros et un compte interne en francs suisses au nom de l'emprunteur pour gérer le crédit. Il est ensuite expliqué le fonctionnement des comptes en euros et en francs suisses. L'offre de prêt indique ensuite qu'il s'agit d'un prêt en francs suisses qui ne peut être remboursé qu'en euros; qu'en conséquence, il est expressément convenu et accepté que les frais de change occasionnés par les opérations de change de francs suisses en euros et d'euros en francs suisses, nécessaires au fonctionnement et au remboursement du crédit, font partie intégrante des règlements en euros et des opérations de changement de monnaie de compte ; que le montant du prêt est fixé selon le taux de change de 1 euro contre 1,5057 francs suisses, taux invariable jusqu'au déblocage complet du crédit, et le tableau d'amortissement a été établi sur la base de ce taux de change: que les opérations de change suivantes seront réalisées par le prêteur au cours de la vie du crédit :
- la conversion en francs suisses du solde des règlements mensuels en euros après paiement des charges annexes,
- la conversion en euros du solde débiteur du compte interne en francs suisses, en cas d'option de changement de monnaie,
- la conversion en francs suisses du remboursement en euros en cas de remboursement anticipé,
- en cas de défaillance de l'emprunteur, le franc suisse pourra à tout moment et unilatéralement être changé par le prêteur et remplacé par l'euro, ces opérations de change étant effectuées au taux de change euros contre francs suisses applicable deux jours ouvrés avant l'opération, taux de change de référence publié sur le site Internet de la Banque centrale européenne.
Puis, le contrat explique les modalités de remboursement du crédit et décrit le système d'amortissement du capital. Il est ainsi précisé : « L'amortissement du capital de votre prêt évoluera en fonction des variations du taux de change appliqué à vos règlements mensuels [
]. S'il résulte de l'opération de change une somme inférieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera moins rapide et l'éventuelle part de capital non amorti au titre d'une échéance de votre crédit sera inscrite au solde débiteur de votre compte interne en francs suisses. S'il résulte de l'opération de change une somme supérieure à l'échéance en francs suisses exigible, l'amortissement du capital sera plus rapide et vous rembourserez plus rapidement votre crédit. En tout état de cause, les opérations de crédit sur le compte en francs suisses seront affectées prioritairement au paiement des intérêts de l'échéance et à l'amortissement du prêt. » Il est également expliqué l'impact des variations du taux d'intérêt (tous les trois ans) sur le montant des mensualités de remboursement (qui reste inchangé) et sur la durée du crédit, étant précisé que le prêt peut être allongé pour une durée limite de cinq ans.
Il est en outre mentionné que l'emprunteur peut, tous les trois ans lors de la révision du taux, choisir d'opter pour une monnaie de compte en euros, soit avec un taux fixe en euro, soit avec un taux variable en euro. Il est alors expliqué les modalités et les conséquences pour chaque option.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les caractéristiques très particulières de ce prêt Helvet Immo ont clairement et précisément été expliquées aux emprunteurs de façon complète, de sorte qu'aucun manquement à l'obligation d'information ne peut être reproché à la SA BNP Paribas Personal Finance.
ALORS QUE le banquier dispensateur d'un crédit en devise étrangère remboursable en euros doit, au titre de son devoir d'information, exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère, de sorte que l'emprunteur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques et les risques qui en découlent pour lui, notamment en lui fournissant des informations suffisantes pour lui permettre de prendre ses décisions avec prudence et en toute connaissance de cause, ces informations devant au moins traiter de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger, en informant les emprunteurs qu'en souscrivant un contrat de prêt libellé dans une devise étrangère, il s'expose à un risque de change qu'il lui sera, éventuellement, économiquement difficile d'assumer en cas de dépréciation de la monnaie dans laquelle il perçoit ses revenus par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été accordé, mais également en exposant à l'emprunteur les possibles variations des taux de change et les risques inhérents à la souscription d'un prêt en devises étrangères tels que le risque d'impossibilité d'exercer le mécanisme d'option en euros, le risque d'impossibilité de procéder au rachat du prêt ou à la revente du bien ; qu'en se bornant à relever, pour écarter la responsabilité de la banque et de son mandataire, que les « caractéristiques » du prêt avaient été clairement et précisément expliquées aux emprunteurs, sans constater que ces derniers avaient également été informés des conséquences économiques de ce prêt et des risques encourus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas le caractère d'une clause abusive, et ainsi écarté le caractère non-écrit de cette clause, et d'avoir débouté les emprunteurs de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE :
la clause de monnaie de compte libellée en devise étrangère n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de M. et Mme [S] puisque d'une part les variations du taux de change ont pour conséquence soit d'allonger soit de réduire la durée du crédit, de sorte que cette clause n'est pas stipulée à leur seul détriment puisque les variations sont subies réciproquement par les deux parties, et d'autre part si les emprunteurs ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change, ils peuvent demander, tous les trois ans, la conversion de leur prêt en euros.
La clause de monnaie ne présente donc pas un caractère abusif.
1°) ALORS QU'il résulte des stipulations du prêt qu'en cas d'évolution défavorable du taux de change pour l'emprunteur ses mensualités en euros sont susceptibles d'augmenter sans plafond pendant les cinq dernières années du prêt tandis qu'en cas d'évolution défavorable à la banque cette dernière, qui se voit dans tous les cas rembourser de la totalité de la somme prêtée en francs suisses, ne s'expose qu'à percevoir une somme moindre au titre des intérêts, de sorte que la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur ; qu'en retenant cependant, pour écarter le caractère abusif des clauses du prêt, que les variations du taux de change étaient subies réciproquement par les deux parties, la cour d'appel a méconnu la portée du contrat et ainsi violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
2°) ALORS QUE, en tout état de cause, en se bornant à relever que les variations du taux de change étaient subies réciproquement par les deux parties puisqu'elles avaient pour conséquence soit d'allonger soit de réduire la durée d'amortissement, sans rechercher, ainsi que cela résultait du contrat litigieux, si les mensualités n'étaient pas susceptibles d'augmenter sans plafond lors des cinq dernières années du prêt et s'il ne résultait par ailleurs pas des stipulations du contrat que « le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises », de sorte que le risque de change pesait exclusivement sur les emprunteurs et que la clause litigieuse avait pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif à leur détriment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
3°) ALORS QU'en se fondant encore sur la circonstance inopérante que les emprunteurs qui ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change ont la possibilité de demander la conversion du prêt en euros, ce qui est sans incidence sur l'existence d'un déséquilibre intrinsèque à la clause implicite d'indexation, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
4°) ALORS QUE, subsidiairement, en retenant, pour écarter le caractère abusif des clauses du prêt, que les emprunteurs qui ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change ont la possibilité de demander la conversion du prêt en euros, sans toutefois rechercher si l'option de conversion ne pouvait pas être rendue concrètement impossible en raison de l'augmentation consécutive des mensualités prévue par le mécanisme du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué de ne pas avoir examiné d'office le caractère abusif de la clause d'option de conversion en euros ;
ALORS QUE le juge est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de fait et de droit pour le faire ; qu'en s'abstenant de rechercher s'il ne résultait pas des éléments de fait et de droit débattus devant elle, notamment l'absence d'obligation d'information des emprunteurs, les modalités d'exercice de l'option ainsi que le délai anormalement long au terme duquel il était possible d'exercer l'option qui résultaient de la clause intitulée « option pour un changement de monnaie de compte », que la clause d'option stipulée par le contrat litigieux créait un déséquilibre significatif en défaveur du consommateur, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation. | Une banque, qui consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.
Viole l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une cour d'appel qui, pour dire qu'une clause de monnaie de compte ne présente pas un caractère abusif, retient que cette clause, libellée en devise étrangère, n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des emprunteurs dès lors, d'une part, que les variations du taux de change ont pour conséquence soit d'allonger soit de réduire la durée du crédit, de sorte que cette clause n'est pas stipulée à leur seul détriment, les variations étant subies réciproquement par les deux parties, d'autre part, que, si les emprunteurs ne veulent plus être soumis aux variations du taux de change, ils peuvent demander, tous les trois ans, la conversion de leur prêt en euros |
7,716 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 337 FS+B
Pourvoi n° Y 20-16.316
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
M. [H] [T], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 20-16.316 contre l'arrêt rendu le 20 février 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant à la société Jyske Bank, dont le siège est [Adresse 2] (Danemark), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [T], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Jyske Bank, et l'avis de MM. Chaumont et Lavigne, avocats généraux, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, et Bruyère, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 février 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 avril 2019, pourvoi n° 17-20.722), suivant offre acceptée le 7 janvier 2008, la société Jyske Bank A/S (la banque) a consenti à M. [T] (l'emprunteur) un prêt multi-devises de 1 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt a été tiré pour un montant de 2 389 500 francs suisses. Le 9 août 2011, la banque a procédé à la conversion du prêt en euros.
2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'obligation de remboursement du prêt litigieux a été souscrite en francs suisses et dit que les échéances doivent être calculées et remboursées en francs suisses conformément aux stipulations de l'offre et du contrat de prêt, le condamner à payer à la banque la somme de 220 223,94 francs suisses, ou sa contre-valeur en euros, au titre des intérêts impayés arrêtés au 10 janvier 2020 et rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts, alors « que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; qu'en affirmant que le fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque, quand il lui appartenait de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d'indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l'emprunteur, la cour d'appel, qui a statué par une considération inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-1 du code la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
5. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.
6. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19) la CJUE a dit pour droit que :
- l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;
- l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
7. Pour dire que la clause de monnaie étrangère ne crée aucun déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur, l'arrêt retient que le fait que celui-ci supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque, ne crée pas un déséquilibre entre leurs droits et obligations respectifs et que l'emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle le prêt était tiré, ce dont il résulte que la banque n'a nullement imposé à l'emprunteur une devise à son détriment.
8. En statuant ainsi, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, autorisant le tirage du prêt dans une autre devise, sur ses obligations financières, en l'absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n'avait pas satisfait à l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de M. [T] afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, l'arrêt rendu le 20 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Jyske Bank A/S aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour M. [T]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de M. [T] afin que soit réputée non écrite la clause de monnaie étrangère, confirmé le jugement en ce qu'il a dit que l'obligation de remboursement du prêt litigieux a été souscrite en francs suisses et dit que les échéances doivent être calculées et remboursées en francs suisses conformément aux stipulations de l'offre et du contrat de prêt, condamné M. [T] à payer à la société Jyske bank la somme de 220.223,94 francs suisses, ou sa contre-valeur en euros, au titre des intérêts impayés arrêtés au 10 janvier 2020 et rejeté la demande de l'appelant en payement de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il résulte de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation, que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que les clauses abusives sont réputées non écrites et le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses ; que l'offre de prêt acceptée par M. [T], et à laquelle l'acte de prêt renvoie expressément, prévoyait, notamment, les stipulations suivantes :
- article 2 : Prêt d'un montant de EUR 1 500 000 ou l'équivalent, à la date du tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais.
- article 4 Caractéristiques du prêt [...]
Montant du prêt : 1 500 000 euros Devise : Multi devise, initialement en euros Durée du prêt : 35 ans Type de prêt : ordinaire Périodicité de remboursement : Trimestriel Nombre d'échéances : 140 (40 en remboursement d'intérêts seulement et 100 en remboursement d'intérêts et du capital)
Montant des échéances : en principal, Euros 15 000 (ou son équivalent dans une autre devise)
+ montant des intérêts [...]
Coût total du prêt : 3 737 431 euros - article 11 : Pour le cas où, en fonction de la variation des taux de change, l'endettement en cours viendrait à dépasser le montant de 1 180 000 livres sterling (ci-après « la limite de facilité sterling »), la banque serait autorisée, à son entière discrétion, à prendre tout ou partie des mesures suivantes :
11.1 : convertir l'endettement en cours en Sterling, au taux de change de la banque en vigueur au jour de la conversion 11.2 : réaliser ou appeler, immédiatement et comme bon semble à la banque, tout ou partie de la sûreté placée auprès de la banque, et utiliser les montants ainsi obtenus pour compenser en partie l'endettement en cours afin qu'il ne dépasse pas la limite de la facilité sterling 11.3 : demander le remboursement immédiat d'une partie de l'endettement en cours d'un montant suffisant pour réduire cet endettement, après sa conversion en Sterling au taux de change de la banque, à un montant qui ne soit pas supérieur à la limite de la facilité sterling.
Les droits et pouvoirs mentionnés ci-dessus peuvent être exercés par la banque, sans notification préalable et sans que vous ayez à donner votre consentement, et sont exercés sans préjudice des autres droits de la banque mentionnés dans cette offre de prêt, des documents relatifs à la sûreté ou de la loi, y compris notamment le droit de demander, à tout moment, le remboursement immédiat et intégral de l'endettement en cours.
Le taux de change applicable à toute transaction aux termes des présentes sera celui du fixing de la banque à la date de ladite transaction ;
Que l'on rappellera que la clause d'un contrat de prêt prévoyant une monnaie de compte étrangère s'analyse en une clause d'indexation déguisée (arrêt, p. 4, dernier alinéa et p. 5) ; qu'il convient en conséquence de retenir que la clause litigieuse, quand bien même elle définirait l'objet principal du contrat, n'était pas rédigée de façon claire et compréhensible ; que M. [T] soutient que la clause de monnaie étrangère créait, à son détriment, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en ce qu'il supportait le risque d'une très grave aggravation de sa dette en raison de l'appréciation du franc suisse par rapport à l'euro, tandis que la banque ne supportait aucun risque équivalent et en ce que le contrat contenait une clause de conversion au bénéfice exclusif de la banque ; que cette dernière rappelle à juste titre que le déséquilibre visé à l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version applicable à l'espèce, n'est pas d'ordre économique mais juridique ; que par ailleurs, comme le rappelle l'avocat général, M. [C] [P], dans l'affaire [J] [V] [W] e.a., « si doivent être censurées sous l'angle de la directive 93/13 des clauses contractuelles qui instaurent un déséquilibre au profit du professionnel, ce dernier ne saurait, en revanche, être tenu pour responsable d'évolutions postérieures à la conclusion du contrat qui sont indépendantes de sa volonté. S'il devait en être autrement, non seulement seraient mises à la charge du professionnel des obligations disproportionnées, mais serait également compromis le principe de sécurité juridique. A cet égard, il faut bien distinguer le cas dans lequel une clause contractuelle est porteuse d'un déséquilibre entre les parties qui ne se manifeste qu'en cours d'exécution du contrat de celui où, bien qu'il n'existe pas de clause abusive, les obligations pesant sur le consommateur sont, en raison d'une modification des circonstances postérieurement à la conclusion d'un contrat et qui est indépendante de la volonté des parties, perçues par ce dernier comme étant plus lourdes » (conclusions présentées le 27 avril 2017, § 81 et 82) ; qu'ainsi, le fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque, ne crée pas un déséquilibre entre leurs droits et obligations respectifs ; qu'au demeurant, il sera rappelé que le montant du prêt était fixé en euros et que l'emprunteur était maître du choix de la devise dans laquelle il était tiré, ce dont il résulte que la banque n'a nullement imposé à M. [T] une devise à son détriment ; qu'il résulte de ce qui précède que la clause de monnaie étrangère figurant dans le contrat ne constitue pas une clause abusive au sens de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'obligation de remboursement du prêt litigieux a été souscrite en francs suisses et dit que les échéances doivent être calculées et remboursées en francs suisses conformément aux stipulations de l'offre et du contrat de prêt ; que la dette de M. [T] sera actualisée et fixée à la somme de 220 223,94 francs suisses, ou sa contre-valeur en euros, arrêtée au 10 janvier 2020, selon le dernier décompte produit par la banque ; qu'en l'absence de clause abusive dans le contrat de prêt, M. [T] sera débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts à raison de l'insertion d'une telle clause dans la convention (arrêt, p. 9) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE [H] [T] a signé le 9 octobre 2007 un document intitulé « le keyplan mortgage application » dans lequel il décrit sa situation, et « une déclaration de compréhension » dans laquelle il atteste avoir examiné les conditions de l'emprunt avec la société JYSKE BANK A/S ; qu'il est précisé dans ce deuxième document qu'il préfère souscrire l'emprunt en CHF et ensuite qu'il soit converti et versé en EUR, que la société JYSKE BANK AIS lui a fait part du risque de change lié au choix d'emprunter dans une autre devise que la devise de base, qu'il comprend que tout renforcement de la devise d'emprunt par rapport à la devise de base peut résulter en une augmentation du coût de remboursement de l'emprunt et que le fait d'emprunter dans une devise étrangère peut être considéré comme étant à « haut risque », qu'il est informé que le taux d'intérêt est variable et qu'il peut augmenter ou baisser, que toute augmentation du taux d'intérêt aura comme résultat une augmentation des charges de remboursement ; que l'offre du décembre 2007 précise qu'il s'agit d'un prêt de EUR 1 500 000 (un million cinq cent mille euros) ou l'équivalent à la date de tirage du prêt dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais aux caractéristiques suivantes : taux variable: égal au Jysque Bank Funding Rate + 1,50 % points (soit pour indication à la date de l'offre un total de 6,51 %), qu'elle précise également notamment: Devise: multidevises, initialement en euros, Périodicité de remboursement: trimestriel, Nombre d'échéances : 140 (40 en remboursement d'intérêts seulement et 100 en remboursement d'intérêts et de capital), Montant des échéances: en principal Euros 15 000 (ou son équivalent dans une autre devise) + montant des intérêts ; que l'offre de prêt, qui a été acceptée par [H] [T], mentionne en 11 Variation des taux de change « pour le cas où en fonction des variations des taux de change l'endettement en cours viendrait à dépasser le montant de 1.180.000 Livres Sterling (la limite de facilité Sterling), la banque serait autorisée à son entière discrétion à prendre tout ou partie des mesures suivantes : convertir l'endettement en cours en Sterling, au taux de change de la banque en vigueur au jour de là conversion;..) » : qu'il a été remis à [H] [T] le même jour une simulation de remboursement hypothécaire pour un prêt de 1.500.000 € réalisée à titre purement indicatif ;
que l'acte de prêt notarié, reprenant exactement les caractéristiques de l'offre, a été passé le 9 avril 2008 ; que concomitamment, à la demande de M. [T], le prêt a été tiré en francs suisses et a été inscrit sur son compte pour un montant de 2 389 500 CHF correspondant à la contre-valeur en francs suisses, à la date du tirage du prêt, de 1 500 000 €, que les fonds lui ont ensuite été remis en euros conformément à sa demande comme cela résulte de sa lettre d'instruction du 8 avril 2008 ; que 900 000 € ont été investis pour son compte par la société Jyske Bank en valeurs mobilières dans une de ses filiales ; que sur le choix de la monnaie et le tirage du prêt en francs suisses qu'il convient de distinguer les notions de monnaie de paiement et de monnaie de compte ; qu'en France la monnaie de paiement est l'euro en application des articles L. 112-5 et suivants du Code monétaire et financier ; que la monnaie de compte est un instrument de mesure ; que d'une manière générale la dette est fixée en unités de monnaie de compte, mais peut être réglée dans un autre monnaie qui sera la monnaie de paiement ; que cette distinction s'applique en matière de prêt ; qu'en l'espèce l'offre de prêt, reprise par le contrat de prêt, précise que le prêt est d'un montant en euros, ou l'équivalent à la date de tirage du prêt dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais, qu'il s'agit d'un prêt multidevises, initialement en euros et que l'emprunteur a la faculté de choisir d'effectuer un tirage en monnaie étrangère, ce que M. [T] a fait ; qu'il est dès lors acquis que ce dernier a utilisé le franc suisse comme monnaie de compte, qu'en effet le montant du prêt a été tiré en francs suisses, les intérêts étaient calculés en francs suisses et le capital restant dû était exprimé en francs suisses, et ce très certainement parce qu'à ce moment-là il était plus intéressant de rembourser les intérêts en francs suisses à un taux avantageux ; qu'il est sans incidence sur la qualification de la monnaie de compte que M. [T] ait reçu en définitive, après conversion, des euros ; que la question se pose de savoir s'il était permis à la société Jyske Bank de proposer à [T] et de recourir pour le prêt en cause, comme pour de nombreux autres prêts, à une monnaie de compte étrangère, savoir le franc suisse ; que lorsque le contrat est interne, ce qui est le cas en l'espèce, la référence à une monnaie étrangère est assimilée à une clause d'indexation, clause qui est licite lorsque l'indice choisi est en relation directe avec l'objet de la convention ou avec l'activité de l'une des parties ; qu'il est de jurisprudence confirmée que lorsque le prêteur est une banque, la référence à une monnaie de compte étrangère est considérée comme une clause d'indexation licite ; qu'il en résulte que le prêt consenti par la société Jyske bank, que ce soit un contrat international ou interne, pouvait licitement utiliser le franc suisse comme monnaie de compte, étant observé que le franc suisse, s'il n'est pas une devise de l'Union européenne, n'en reste pas moins une devise importante en Europe comme en atteste le nombre important de transactions qui l'utilisent ; qu'il faut tirer comme conséquence du choix du tirage en francs suisses opéré par M. [T] que le prêt n'a pas été souscrit en euros, mais en francs suisses, et ce d'autant plus que tant l'offre que le contrat de prêt précisent que le prêt est accordé pour un montant en euros ou l'équivalent à la date de tirage du prêt dans l'une des principales devises européennes ; que M. [T] a choisi un équivalent, le franc suisse, qui s'impose en conséquence comme la monnaie de compte, donc comme la devise de souscription du prêt ; qu'en synthèse il sera donc jugé que le prêt souscrit le 9 avril 2008, suite à l'offre du 13 décembre 2007 que [H] [T] a régulièrement acceptée, l'a été en francs suisses ; que par voie de conséquence, il n'y aura pas lieu de condamner la Jyske Bank à rembourser les échéances d'intérêts que M. [T] a versées, en exécution du contrat, au taux convenu, régulièrement calculés en francs suisses ;
1°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que le « fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change, qui ne dépend pas de la volonté des parties, et en particulier de celle de la banque, ne crée par un déséquilibre entre leurs droits et obligations respectives » (arrêt, p. 9, al. 6), la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; qu'en affirmant que le fait que l'emprunteur supporte le risque de variation du taux de change ne crée pas un déséquilibre entre les droits et obligations respectifs des parties pour la raison que la variation du taux de change ne dépend pas de leurs volontés et en particulier de celle de la banque, quand il lui appartenait de rechercher si la clause de monnaie de compte, analysée comme une clause d'indexation, ne faisait pas peser le risque de change exclusivement sur l'emprunteur, la cour d'appel, qui a statué par une considération inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation ;
3°) ALORS QUE dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que l'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible ; que la seule circonstance que le choix de la devise de la monnaie de compte appartienne à l'emprunteur – ce qui est accepté par le prêteur – n'est pas exclusif d'un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat dès lors que le risque de change pèse contractuellement exclusivement sur l'emprunteur, d'où il suit qu'en statuant à l'aide d'une considération manifestement inopérante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation. | Viole l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, la cour d'appel qui écarte l'existence d'un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur créé par une clause autorisant le tirage d'un prêt dans une devise étrangère, après avoir retenu que les documents remis au consommateur ne lui permettaient pas d'évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de la clause, sur ses obligations financières, en l'absence de tout exemple chiffré, de toute simulation et de toute explication sur la distinction entre la monnaie de compte et la devise initiale, ce dont il résultait que la banque n'avait pas satisfait à l'exigence de transparence à l'égard du consommateur |
7,717 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 339 FS-B
Pourvoi n° T 20-22.866
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
Le crédit Immobilier de France développement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 20-22.866 contre l'arrêt rendu le 1er octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société CNP caution, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [Y] [L],
3°/ à Mme [K] [T], épouse [L],
domiciliés tous deux[Adresse 1] (Royaume Uni)
défendeurs à la cassation.
La société SNP caution a formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur, au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt
La demanderesse, au pourvoi incident éventuel, invoque, à l'appui de son pourvoi le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat du crédit Immobilier de France développement, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société CNP caution, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [L], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel et Bruyére, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 1er octobre 2020), par acte sous seing privé du 22 novembre 2007, la société Crédit immobilier de France Centre Ouest, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme [L] (les emprunteurs) un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société CNP caution (la caution).
2. La banque a assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement formée contre la caution et d'ordonner à ses frais la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, alors « qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l'article L. 218-2 du code de la consommation ne peut être opposée au créancier par la caution ; que la prescription libératoire extinctive à l'égard du débiteur n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exercer son action contre le débiteur ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande de la banque à l'encontre de la caution, que les emprunteurs s'étant prévalus de la prescription biennale, la dette était éteinte et que cette extinction profitait à la caution, la cour d'appel a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation, ensemble l'article 2313 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. L'article L. 218-2 du code de la consommation dispose que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.
5. Selon l'article 2253 du code civil, les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.
6. Il résulte de l'article 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais ne peut lui opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur.
7. Il a été jugé qu'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution (1re Civ. 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-16.147, publié).
8. Une telle solution exposait le débiteur principal au recours personnel de la caution, le privant ainsi du bénéfice de la prescription biennale attachée à sa qualité de consommateur contractant avec un professionnel fournisseur de biens ou de services, outre qu'elle conduirait à traiter plus sévèrement les cautions ayant souscrit leur engagement avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée, laquelle permet en principe à la caution d'opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur.
9. Il y a donc lieu de modifier la jurisprudence et de décider désormais que, si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux dispositions précitées du code civil.
10. La cour d'appel, qui a constaté l'acquisition du délai biennal de prescription de l'action en paiement formée par la banque contre les emprunteurs, a relevé que la caution s'en prévalait pour s'opposer à la demande en paiement formée contre elle.
11. Il en résulte que la demande en paiement formée par la banque contre la caution ne pouvait qu'être rejetée.
12. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Crédit immobilier de France développement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour le crédit Immobilier de France développement
Le Crédit immobilier de France développement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté sa demande de paiement à l'encontre de la société CNP caution, et d'AVOIR ordonné à ses frais la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire autorisée par ordonnance du 24 août 2015 ;
ALORS QU'en ce qu'elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur, la prescription biennale prévue à l'article L. 218-2 du code de la consommation ne peut être opposée au créancier par la caution ; que la prescription libératoire extinctive à l'égard du débiteur n'éteint pas le droit du créancier, mais lui interdit seulement d'exercer son action contre le débiteur ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande du CIFD à l'encontre de la CNP Caution, que M. et Mme [L] s'étant prévalus de la prescription biennale, la dette était éteinte et que cette extinction profitait à la caution, la cour d'appel a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation, ensemble l'article 2313 du code civil. Moyen produit, au pourvoi incident éventuel, par la SARL Matuchansky, poupot et Valdeliévre, avocat au conseiil, pour la société CNP Caution
La société CNP Caution fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que ses demandes à l'encontre de M. et Mme [L] étaient sans objet ;
Alors que la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal ; que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'une éventuelle cassation sur le pourvoi principal de la banque, en ce que l'arrêt attaqué a rejeté sa demande en paiement dirigée contre la caution, s'étendrait, par voie de dépendance nécessaire, au chef par lequel la cour d'appel a inféré du rejet de cette demande présentée par la banque que le recours de la caution contre les emprunteurs était sans objet. | Si la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu'il s'agit d'une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir, conformément aux articles 2253 et 2313 du code civil, ce dernier texte pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 |
7,718 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 343 F-B
Pourvoi n° N 20-23.160
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
La société [P] [J] et [A] [F], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], a formé le pourvoi n° N 20-23.160 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre civile), dans le litige l'opposant au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Localité 5] [Adresse 6] à [Adresse 6], représenté par son syndic, la société Foncia info immobilier, dont le siège est résidence [4], [Adresse 7],[Localité 1]e, défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [P] [J] et [A] [F], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Localité 5] [Adresse 6], après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 29 octobre 2020), à la suite du décès, le 11 septembre 2013, de [K] [T], propriétaire, avec son épouse, de deux lots au sein d'un immeuble en copropriété, le syndicat des copropriétaires a sollicité de la société civile professionnelle [N] [J] et [V] [F] (la SCP notariale), en charge du règlement de la succession, l'identité des héritiers, ainsi qu'un acte de notoriété aux fins de poursuivre le paiement de charges de copropriété restées impayées.
2. La SCP notariale ayant opposé le secret professionnel, le syndicat des copropriétaires l'a assigné, en référé, afin d'en obtenir la levée.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La SCP notariale fait grief à l'arrêt de l'autoriser, et à défaut, de lui ordonner de communiquer au syndicat des copropriétaires l'identité complète avec adresse de la veuve et des héritiers réservataires de [K] [T], alors « que le secret professionnel du notaire étant intangible, le pouvoir que le juge tient de l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI d'ordonner la communication d'un acte établi par l'officier ministériel ne peut être étendu à des informations qu'aucun acte ne mentionne ; qu'en ordonnant à la SCP [J]-[F] de communiquer au syndicat des copropriétaires l'identité et l'adresse de la veuve et des héritiers réservataires du défunt de la succession duquel la SCP notariale était chargée, bien qu'elle ait relevé qu'en l'absence de prise de position de certains héritiers sur l'acceptation de la succession et en l'état d'une contestation sur leur qualité, le notaire n'avait pu encore dresser l'acte de notoriété et que « cette circonstance conduit à ne pas ordonner la délivrance d'un acte qui n'a pas encore été dressé », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'elle ne pouvait ordonner la communication d'informations devant figurer dans un acte que le notaire n'était pas en mesure d'établir, violant ainsi l'article 23 de loi du 25 ventôse an XI par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, modifié par l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 :
4. Selon ce texte, les notaires ne peuvent, sans une ordonnance du président du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts et d'une amende.
5. Pour autoriser et à défaut ordonner à la SCP notariale de communiquer au syndicat des copropriétaires l'identité et l'adresse de la veuve et des héritiers réservataires de [K] [T], l'arrêt retient que la SCP notariale ne peut maintenir son refus devant les juridictions saisies au prétexte du caractère absolu du secret auxquelles elle serait tenue, dès lors qu'une autorisation judiciaire peut valablement l'en affranchir au regard des intérêts légitimes en cause et que la protection des intérêts privés de ses clients ne peut en aucun cas permettre à ceux-ci, tenus des dettes et des charges de la succession, de s'affranchir durablement de leurs obligations légales, alors qu'en l'occurrence les charges de copropriété s'aggravent au préjudice de la trésorerie de la copropriété depuis plus de sept ans.
6. En statuant ainsi, alors que le secret professionnel s'impose au notaire qui ne peut en être délié par l'autorité judiciaire, que pour la délivrance des expéditions et la connaissance des actes qu'il a établis, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
9. Il résulte des constatations de l'arrêt que la SCP notariale n'a pas dressé d'acte de notoriété. Celle-ci ne peut donc être contrainte ni de communiquer un acte qu'elle n'a pas établi ni des informations détenues par elle et soumises au secret professionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE les demandes de communication portant sur l'identité de Mme [T] et des héritiers de [K] [T] et de délivrance de l'acte de notoriété de la succession de celui-ci ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Localité 5] [Adresse 6] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Localité 5] [Adresse 6], et le condamne à payer à la SCP [J] et [F], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société [P] [J] et [A] [F].
La SCP Gauthier-Bonne FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR autorisée, et à défaut, de lui avoir ordonné de communiquer au syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 6], représenté par son syndic en exercice, l'identité complète avec adresse de la veuve et des héritiers réservataires de [K] [T] décédé le 11 septembre 2013 ;
ALORS QUE le secret professionnel du notaire étant intangible, le pouvoir que le juge tient de l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI d'ordonner la communication d'un acte établi par l'officier ministériel ne peut être étendu à des informations qu'aucun acte ne mentionne ; qu'en ordonnant à la SCP [J]-[F] de communiquer au syndicat des copropriétaires l'identité et l'adresse de la veuve et des héritiers réservataires du défunt de la succession duquel la SCP notariale était chargée, bien qu'elle ait relevé qu'en l'absence de prise de position de certains héritiers sur l'acceptation de la succession et en l'état d'une contestation sur leur qualité, le notaire n'avait pu encore dresser l'acte de notoriété et que « cette circonstance conduit à ne pas ordonner la délivrance d'un acte qui n'a pas encore été dressé », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'elle ne pouvait ordonner la communication d'informations devant figurer dans un acte que le notaire n'était pas en mesure d'établir, violant ainsi l'article 23 de loi du 25 ventôse an XI par fausse application. | Selon l'article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, modifié par l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, les notaires ne peuvent, sans une ordonnance du président du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), délivrer expédition ni donner connaissance des actes à d'autres qu'aux personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants droit, à peine de dommages-intérêts et d'une amende |
7,719 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 344 F-B
Pourvoi n° T 19-25.162
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 19-25.162 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Y] [T], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société [F], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [O] [F], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de M. [Y] [T],
3°/ à la société Montravers [W], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], représentée par M. [S] [W], pris en qualité de mandataire judiciaire au plan de redressement de M. [Y] [T],
défendeurs à la cassation.
M. [T] et les sociétés [F] et Montravers [W], ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor,Périer, avocat de la Caisse régionale de Crédit agricolemutuel d'Aquitaine, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [T], des sociétés [F] et Montravers [W], ès qualités et après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 octobre 2019) et les productions, suivant acte notarié du 18 octobre 2006, revêtu de la formule exécutoire, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la banque) a consenti à M. [T] (l'emprunteur) un prêt immobilier d'un montant de 340 643 euros.
2. Ce prêt a été scindé en deux prêts distincts, le premier d'un montant de 270 113 euros, le second d'un montant de 70 350 euros.
3. Après avoir prononcé la déchéance du terme de ces prêts, la banque a demandé judiciairement l'autorisation de procéder à la saisie des rémunérations de l'emprunteur.
4. Postérieurement au jugement qui a accueilli cette demande, l'emprunteur a été placé en redressement judiciaire, la SCP [F] étant désignée administrateur judiciaire et la SELARL Montravers [W] mandataire judiciaire.
Examen des moyens
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de la banque au titre du second contrat de prêt distinct, alors « que ce n'est qu'en cas de renégociation d'un contrat de prêt, donnant lieu à une modification de ses caractéristiques par voie d'avenant, que le nouveau contrat doit comporter, en application de l'article L. 312-14-1 du code la consommation, applicable en l'espèce, « d'une part, un échéancier des amortissements détaillant pour chaque échéance le capital restant dû en cas de remboursement anticipé et, d'autre part, le taux effectif global ainsi que le coût du crédit, calculés sur la base des seuls échéances et frais à venir » ; qu'en l'espèce, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a constaté que l'acte de prêt du 18 octobre 2006 mentionnait, s'agissant du crédit immobilier de 340 643 euros, un taux effectif global de 4,7808 %, a retenu que ce prêt avait été scindé « en deux prêts immobiliers distincts », l'un de 270 113 euros débloqué le 22 septembre 2006, l'autre de 70 350 euros débloqué en juillet 2010 ; qu'elle a ensuite relevé, d'une part, que le premier prêt n'avait pas fait l'objet d'une modification expresse de son montant, constatée seulement par le biais d'un nouveau tableau d'amortissement, ce qui invaliderait les mentions initiales du taux effectif global calculé sur un emprunt de 340 643 euros et d'autre part, que le taux effectif global n'était pas mentionné dans l'offre de prêt afférente au « second prêt » ; qu'en statuant de la sorte, sans constater, ce que contestait l'exposante qui faisait valoir que les deux « prêts » de 270 113 euros et 70 350 euros correspondaient en réalité au déblocage en deux lignes de financement des fonds objet du prêt du 18 octobre 2006, sans que les caractéristiques de ce crédit, notamment s'agissant du taux d'intérêts conventionnels ou du taux effectif global, n'aient été modifiées, que les deux prêts issus de la scission du prêt du 18 octobre 2006 comportaient des caractéristiques différentes du prêt initial, la cour d'appel a violé l'article 1134 (devenu 1104) du code civil, ensemble les articles L. 312-8, L. 312-14-1, L. 313-1, et R. 313-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir relevé que le prêt initial avait été scindé en deux prêts distincts, la cour d'appel a retenu que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels était encourue au titre du second contrat de prêt distinct qui ne mentionne aucun taux effectif global.
7. Il s'ensuit que la cour d'appel, qui a considéré que le taux effectif global devait figurer dans le second contrat de prêt distinct, non pas en tant qu'avenant au premier contrat de prêt, mais en tant que contrat de prêt distinct, n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations et énonciations rendaient inopérantes.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
9. L'emprunteur fait grief à l'arrêt d'accueillir la requête en saisie des rémunérations de la banque au titre du second contrat de prêt distinct, alors « que, dans ses conclusions, il soutenait qu'aucun avenant signé de la main de l'emprunteur n'était versé aux débats, établissant son accord au nouveau prêt conclu en 2010 ; qu'aucune pièce visée dans les conclusions de la banque ou mentionnée dans le bordereau de communication de pièces annexé auxdites conclusions ne faisait mention d'un avenant signé de la main de l'emprunteur ; qu'en retenant pourtant que « la banque a communiqué en cours de procédure l'exemplaire en sa possession de l'avenant signé au prêt notarié correspondant à la somme de 70 350 euros débloquée en juillet 2010 », quand il résultait des écritures des parties qu'à supposer même que ladite pièce ait été communiquée aux juges, elle l'avait nécessairement été en contravention au principe de contradiction, l'exposant n'en ayant pas eu connaissance, et n'ayant pas été en mesure de la discuter, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte des productions qu'un bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions d'appel de la banque fait mention d'une pièce n° 19 intitulée « Avenant à l'offre de prêt signé par M. [T] le 21 juillet 2010 ».
11. Le moyen, qui soutient l'absence d'une telle mention, manque donc en fait.
Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
12. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels de la banque au titre du second contrat de prêt distinct, alors « qu'en application des articles L. 312-8, 3°, du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en l'espèce, de l'article L. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, de l'article L. 312-33 de ce code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, et de son article R. 313-1, dans sa rédaction issue du décret n°2002-927 du 10 juin 2002, l'offre de prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l'emprunteur ; que toutefois, le défaut de communication du taux ou de la durée de la période ou la communication d'un taux de période erroné ne sont sanctionnés par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels que lorsque l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est supérieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du code de la consommation ; qu'en se bornant à retenir, pour prononcer la déchéance totale du droit de la banque aux intérêts conventionnels, que l'acte authentique de prêt du 18 octobre 2006 « ne mentionnait pas ce taux de période » et que « le second prêt litigieux » mentionnait un taux de période erroné de 0,3333 %, sans constater que le taux effectif global mentionné dans l'acte authentique du 18 octobre 2006 (soit 4,7808 %) était erroné, de surcroît de plus d'une décimale, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. L'emprunteur conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.
14. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 312-8, 3°, du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996, l'article L. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, l'article L. 312-33 de ce code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, et son article R. 313-1, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 :
15. En application de ces textes, l'offre de prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l'emprunteur. Le défaut de communication du taux et de la durée de la période est sanctionné par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts.
16. Une telle sanction ne saurait cependant être appliquée lorsque l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313 -1 susvisé.
17. Pour prononcer la déchéance du droit aux intérêts conventionnels au titre du premier contrat de prêt distinct, l'arrêt retient que celui-ci mentionne un taux effectif global erroné.
18. En statuant ainsi, sans constater que l'écart entre le taux effectif global mentionné dans le contrat précité et le taux réel était supérieur à une décimale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
19. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il autorise la saisie de ses rémunérations, alors « que le jugement d'ouverture d'une procédure de résolution judiciaire arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'après avoir interjeté appel, le 30 janvier 2018, du jugement ayant autorisé la saisie de ses rémunérations, l'emprunteur avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Paris le 17 avril 2018 ; qu'il en résultait nécessairement l'arrêt de la procédure de saisie des rémunérations diligentées par la banque, créancier antérieur, avant le jugement d'ouverture ; qu'en confirmant pourtant le chef du jugement ayant autorisé la saisie des rémunérations de l'emprunteur, la cour d'appel a violé l'article L. 622-21 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-21, II, du code de commerce :
20. Selon ce texte, le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17, tant sur les meubles que sur les immeubles, ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
21. Après avoir relevé qu'un jugement du 17 avril 2018 avait prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'emprunteur, l'arrêt confirme le jugement du 2 décembre 2017 en ce qu'il autorise la saisie des rémunérations de l'emprunteur.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui aurait dû constater l'arrêt de la procédure de saisie des rémunérations à compter du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
23. L'emprunteur fait grief à l'arrêt d'autoriser la saisie des rémunérations de l'emprunteur au titre du second contrat de prêt distinct, alors « qu'en tout état de cause, seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, après vaine tentative de conciliation, procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur ; que constituent des actes exécutoires les actes notariés revêtus de la formule exécutoire, mais non les simples actes sous seing privés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que, par avenant prétendument signé de l'emprunteur, les parties avait scindé « en deux prêts distincts » le prêt initial constaté par acte authentique du 18 octobre 2006 ; qu'il en résultait nécessairement que le prêt constaté par avenant de 2010 procédait d'un contrat différent de celui ayant fait l'objet de l'acte authentique de 2006 ; qu'en conséquence « l'avenant signé au prêt notarié correspondant à la somme de 70 350 euros débloquée en juillet 2010 » mentionné par l'arrêt, simple acte sous seing privé constatant un contrat distinct de celui relaté par acte authentique, n'était pas un titre exécutoire ; qu'en retenant pourtant que « M. [T] ne saurait donc prétendre à inexistence du titre exécutoire, correspondant à la seconde tranche du prêt authentique à l'euro près », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article R. 3252-1 du code du travail, ensemble l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution et R. 3252-1 du code du travail :
24. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'un acte sous seing privé, qui ne constitue pas un titre exécutoire, ne peut servir de fondement à la saisie des rémunérations.
25. Pour autoriser la saisie des rémunérations de l'emprunteur au titre du second prêt distinct, après avoir relevé que l'acte notarié du prêt initial avait été scindé en deux contrats distincts, dont le second avait pris la forme d'un avenant à l'acte notarié et correspond au second prêt distinct, l'arrêt retient que l'emprunteur ne peut opposer l'inexistence d'un titre exécutoire s'agissant de ce dernier prêt.
26. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que seul le premier prêt distinct avait été reçu par acte notarié et revêtu de la formule exécutoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il autorise la saisie des rémunérations de M. [T] auprès de son employeur la société KDI Export, prononce la déchéance du droit aux intérêts conventionnels au titre du contrat de prêt n° 36443501002, dit que seront substitués aux intérêts conventionnels de ce contrat ceux au taux légal, ordonne la restitution des intérêts indûment perçus au titre du contrat de prêt n° 36443501002 et fixe au passif du redressement judiciaire de M. [T] la somme due au titre de ce contrat, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d'Aquitaine, demanderesse au pourvoi principal.
Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le capital restant dû au titre des deux prêts n°36443501002 et n° 00072822445 était respectivement de 195.801,09 € et de 50.590,06 €, dont devraient être déduits les deux acomptes récemment payés par Monsieur [Y] [T] et auxquels s'ajouterait le montant des frais de procédure tels que visés par le jugement, d'AVOIR prononcé pour chacun des prêts n°36443501002 et n°00072822445, la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêteur et dit que seraient substitués aux intérêts échus et à venir, les intérêts au taux légal, d'AVOIR ordonné la restitution par la SA CRCAM D'AQUITAINE des intérêts indûment perçus après compensation avec les intérêts légaux échus sur le capital restant dû des deux prêts, à charge pour la SA CRCAM D'AQUITAINE de produire un nouveau décompte de sa créance prenant en considération la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et l'imputation de l'excédent de ces intérêts par rapport aux intérêts légaux sur le capital restant dû, sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l'arrêt, d'AVOIR débouté la CRCAM D'AQUITAINE du surplus de ses demandes, et d'AVOIR fixé la condamnation prononcée à l'encontre de Monsieur [Y] [T] au passif du redressement judiciaire de ce dernier, intérêts au taux légal inclus ;
AUX MOTIFS QUE « Sur les irrégularités affectant le taux effectif global et le calcul du coût total du crédit : L'indication du caractère mensuel des échéances du prêt suffit à tenir lieu d'indication de la durée de la période, qui ne peut dans ce cas être que d'un mois. S'agissant du taux de la période, dont la mention est exigée par l'article R. 313-1 du code de la consommation sur le taux effectif global applicable à la date de leur conclusion au premier prêt authentique le18 octobre 2006 et à ses avenants le scindant en deux prêts immobiliers distincts, la cour retient, après examen des contrats, que le prêt initial de 2006 ne mentionnait pas ce taux de période, tandis que le second prêt litigieux apparaît porter ce taux, élément du taux effectif global calculé selon la méthode proportionnelle applicable aux prêts immobiliers, à 0,3333%, soit au douzième du taux conventionnel indiqué. Or le taux effectif global réel ne peut être assimilé au taux d'intérêts conventionnel, puisqu'il englobe, conformément à l'article L. 314-1 du code de la consommation, tous les frais supportés par l'emprunteur au sens de ce texte ainsi rédigé : « pour la détermination du taux effectif global du prêt, (
), sont ajoutés aux intérêts les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l'emprunteur et connus du prêteur à la date d'émission de l'offre de crédit ou de l'avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit
». Quant au TEG lui-même, alors qu'il était stipulé dans le prêt initial de 340.643 € à 4,7808 % comprenant outre le montant des intérêts du prêt (165.700,15 €), le coût de l'assurance décès-invalidité obligatoire (28.612,80 €), l'évaluation des frais d'actes notarié (5.447,14 €) ce qui menait à un coût total du crédit de 199.760,09 €, il n'était pas rappelé dans la seconde offre de prêt datée et signée par M. [T] le 21 juillet 2010. Le TEG doit être réputé absent de ce contrat de prêt. Il y a lieu d'ajouter que le montant du premier prêt n° 36443501002, n'apparaît pas avoir fait l'objet d'une modification expresse de son montant, constatée seulement par le biais d'un nouveau tableau d'amortissement du premier prêt, ce qui invalide les mentions initiales du taux effectif global calculé sur un emprunt de 340.643 € l'emprunteur n'étant pas informé du taux effectif global du premier prêt après réduction de son montant ; Les deux TEG des prêts litigieux apparaissent donc l'un erroné, l'autre absent. Sans qu'il y ait lieu de se pencher sur la prise en considération ou non dans le TEG des frais de garantie, la cour dispose en conséquence des éléments suffisants pour prononcer la déchéance totale des intérêts conventionnels aux deux offres de prêt concernées Il n'apparaît pas à l'examen des relevés de ses règlements depuis le début des prêts que M. [T] ait, ainsi qu'il l'affirme, réglé une somme plus importante que celle due au titre du capital des prêts : il est ainsi démontré que l'emprunteur a réglé depuis le début du prêt n° 3644351002 une somme de 80.117,36 € en principal sur un montant dû à ce jour en capital de 195.801,09 € au 11 octobre 2014, et a payé au titre du prêt n° 00072822445 une somme de 19.759,94 € en principal, le montant restant dû en capital étant de 50.590,06 €. Sur les prétentions de la banque aux intérêts de retard supplémentaires et à une indemnité de recouvrement : Les frais de procédure ont été exposés par la banque d'abord au titre des capitaux restant dus sur les deux prêts : la condamnation prononcée par le jugement entrepris à hauteur d'une somme de 1.185,22 € est confirmée. Compte tenu de la déchéance des intérêts prononcée, et de l'irrégularité des offres de prêt, les demandes relatives aux intérêts de retard contractuels et à I' indemnité de recouvrement ne peuvent qu'être rejetées » ;
1°) ALORS QUE'en application des articles L. 312-8, 3°, du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en l'espèce, de l'article L. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, de l'article L. 312-33 de ce code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000, et de son article R. 313-1, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002, l'offre de prêt immobilier doit mentionner le taux effectif global, qui est un taux annuel, proportionnel au taux de période, lequel, ainsi que la durée de la période, doivent être expressément communiqués à l'emprunteur ; que toutefois, le défaut de communication du taux ou de la durée de la période ou la communication d'un taux de période erroné ne sont sanctionnés par la déchéance, totale ou partielle, du droit aux intérêts conventionnels que lorsque l'écart entre le taux effectif global mentionné et le taux réel est supérieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du code de la consommation ; qu'en se bornant à retenir, pour prononcer la déchéance totale du droit de la CRCAM D'AQUITAINE aux intérêts conventionnels, que l'acte authentique de prêt du 18 octobre 2006 « ne mentionnait pas ce taux de période » (p. 9, 1er §) et que « le second prêt litigieux » mentionnait un taux de période erroné de 0,3333% (Ibid.), sans constater que le taux effectif global mentionné dans l'acte authentique du 18 octobre 2006 (soit 4,7808 %, arrêt, p. 9, 3ème §) était erroné, de surcroît de plus d'une décimale, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QUE ce n'est qu'en cas de renégociation d'un contrat de prêt, donnant lieu à une modification de ses caractéristiques par voie d'avenant, que le nouveau contrat doit comporter, en application de l'article L. 312-14-1 du code la consommation, applicable en l'espèce, « d'une part, un échéancier des amortissements détaillant pour chaque échéance le capital restant dû en cas de remboursement anticipé et, d'autre part, le taux effectif global ainsi que le coût du crédit, calculés sur la base des seuls échéances et frais à venir » ; qu'en l'espèce, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui a constaté (arrêt, p. 9, 3ème §) que l'acte de prêt du 18 octobre 2006 mentionnait, s'agissant du crédit immobilier de 340.643 €, un taux effectif global de 4,7808%, a retenu que ce prêt avait été scindé « en deux prêts immobiliers distincts » (p. 9, 1er §), l'un de 270.113 € débloqué le 22 septembre 2006, l'autre de 70.350 € débloqué en juillet 2010 (p. 7, deux derniers §) ; qu'elle a ensuite relevé, d'une part, que le premier prêt n'avait pas fait l'objet d'une modification expresse de son montant, constatée seulement par le biais d'un nouveau tableau d'amortissement, ce qui invaliderait les mentions initiales du taux effectif global calculé sur un emprunt de 340.643 € (p. 9, 4ème §) et d'autre part, que le taux effectif global n'était pas mentionné dans l'offre de prêt afférente au « second prêt » (p. 9, 3ème §) ; qu'en statuant de la sorte, sans constater, ce que contestait l'exposante qui faisait valoir que les deux « prêts » de 270.113 € et 70.350 € correspondaient en réalité au déblocage en deux lignes de financement des fonds objet du prêt du 18 octobre 2006, sans que les caractéristiques de ce crédit, notamment s'agissant du taux d'intérêts conventionnels ou du taux effectif global, n'aient été modifiées (ses conclusions d'appel, p. 3 ; p. 8 à 11), que les deux prêts issus de la scission du prêt du 18 octobre 2006 comportaient des caractéristiques différentes du prêt initial, la cour d'appel a violé l'article 1134 (devenu 1104) du code civil, ensemble les articles L. 312-8, L. 312-14-1, L. 313-1, et R. 313-1 du code de la consommation. Moyen produit par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. [T] et les sociétés [F] et Montravers [W], ès qualités, demandeurs au pourvoi incident.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement attaqué en ce qu'il avait autorisé la saisie des rémunérations de M. [Y] [T] auprès de son employeur, la société KDI Export, au profit de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel pour les sommes correspondant au capital restant dû au titre des deux prêts n° 36443501002 et n° 00072822445, respectivement de 195 801,09 € et de 50 590,06 €, dont devront être déduits les deux acomptes récemment payés par M. [Y] [T], et auxquels s'ajoutera le montant des frais de procédure, soit 1 185,22 € ;
AUX MOTIFS QUE : « le 30 janvier 2018, M. [T] a interjeté appel de la décision ; que le 17 avril 2018, le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de M. [Y] [T] exerçant alors l'activité de loueur en meublé professionnel à la suite d'une inscription au RCS remontant au 5 juin 2017 [
] ; qu'à titre préliminaire, il est précisé que le présent arrêt sera déclaré commun et opposable, à Me [O] [F], en sa qualité d'administrateur judiciaire, et à Me [S] [W] en qualité de mandataire judiciaire de M. [T] » ;
ALORS QUE le jugement d'ouverture d'une procédure de résolution judiciaire arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part des créanciers antérieurs tant sur les meubles que sur les immeubles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'après avoir interjeté appel, le 30 janvier 2018, du jugement ayant autorisé la saisie de ses rémunérations, M. [T] avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Paris le 17 avril 2018 (arrêt, p. 2, dernier alinéa, et p. 3, alinéa 1er) ; qu'il en résultait nécessairement l'arrêt de la procédure de saisie des rémunérations diligentées par la CRCAM, créancier antérieur, avant le jugement d'ouverture ; qu'en confirmant pourtant le chef du jugement ayant autorisé la saisie des rémunérations de M. [T], la cour d'appel a violé l'article L. 622-21 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le capital restant dû au titre du prêt n° 00072822445 est de 50 590,06 €, dont devra être déduit l'acompte récemment payé par M. [Y] [T] et auquel s'ajoutera le montant des frais de procédure de 1 185,22 €, d'avoir débouté M. [T] de sa demande tendant à ce que le Crédit Agricole soit débouté de l'intégralité de ses demandes relatives à la mesure de saisie, et d'avoir fixé la condamnation prononcée à l'encontre de M. [T] au passif du redressement judiciaire de ce dernier, intérêts au taux légal compris ;
AUX MOTIFS QUE : « sur l'existence d'un titre exécutoire au titre du prêt de 70.350 : que l'offre de prêt qui a fait l'objet de l'acte notarié du 18 octobre 2016 comprenait deux prêts : un prêt relais in fine de 77.056 € (n° 4435011001) qui a été intégralement remboursé et qui est donc écarté des débats, et un prêt n° 443501002 de 340.643 € ; que M. [T] critique l'admission par le premier juge d'une scission, postérieure à l'acte authentique, du prêt de 340.643 € en deux contrats distincts, au motif que la date de déblocage d'une partie des fonds correspondant au prêt de 2006 a été repoussée à concurrence de 70.350 € au 5 juillet 2010, les fonds n'ayant été libérés sur le prêt de 2006 qu'à hauteur de 270.113 € le 22 septembre 2006, du fait d'un dépassement d'un délai de déblocage des fonds dus au retard pris par la construction la construction en VEFA de la maison de Pont de l'Arn ; que le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 29 juillet 2016 fait état au 27 juillet 2016 d'un capital restant dû de 196.823,21 € au titre du premier prêt, et 56.225,30 € au titre du second prêt ; que l'avenant au contrat de prêt authentique afférent à la tranche de prêt débloquée en 2010, et les deux tableaux d'amortissement correspondant au prêt de 340.643 et à la tranche de 70.350 € libérée en juillet 2010, ont bien été établis au nom de M. [T] lui ont été notifiés et ont été signés par lui ; que l'emprunteur ne conteste pas l'appel de mensualités réduites à proportion du premier déblocage de fonds pour le premier prêt ; que pour le second prêt, la SA CRCAM d'Aquitaine a communiqué en cours de procédure l'exemplaire en sa possession de l'avenant signé au prêt notarié correspondant à la somme de 70.350 € débloquée en juillet 2010 ; que M. [T] ne saurait donc prétendre à l'inexistence du titre exécutoire, correspondant à la seconde tranche du prêt authentique à l'euro près » ;
1/ ALORS QUE M. [T], dans ses conclusions, soutenait qu'aucun avenant signé de la main de l'emprunteur n'était versé aux débats, établissant son accord au nouveau prêt conclu en 2010 (conclusions, p. 7) ; qu'aucune pièce visée dans les conclusions de la banque ou mentionnée dans le bordereau de communication de pièces annexé auxdites conclusions ne faisait mention d'un avenant signé de la main de M. [T] ; qu'en retenant pourtant que « la SA CRCRAM d'Aquitaine a communiqué en cours de procédure l'exemplaire en sa possession de l'avenant signé au prêt notarié correspondant à la somme de 70 350 € débloquée en juillet 2010 » (arrêt, p. 7, dernier alinéa), quand il résultait des écritures des parties qu'à supposer même que ladite pièce ait été communiquée aux juges, elle l'avait nécessairement été en contravention au principe de contradiction, l'exposant n'en ayant pas eu connaissance, et n'ayant pas été en mesure de la discuter, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, après vaine tentative de conciliation, procéder à la saisie des sommes dues à titre de rémunération par un employeur à son débiteur ; que constituent des actes exécutoires les actes notariés revêtus de la formule exécutoire, mais non les simples actes sous seing privés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que, par avenant prétendument signé de M. [T], les parties avait scindé « en deux prêts distincts » le prêt initial constaté par acte authentique du 18 octobre 2006 (arrêt, p. 9, alinéa 1er) ; qu'il en résultait nécessairement que le prêt constaté par avenant de 2010 procédait d'un contrat différent de celui ayant fait l'objet de l'acte authentique de 2006 ; qu'en conséquence « l'avenant signé au prêt notarié correspondant à la somme de 70 350 € débloquée en juillet 2010 » (arrêt, p. 7, dernier alinéa) mentionné par l'arrêt, simple acte sous seing privé constatant un contrat distinct de celui relaté par acte authentique, n'était pas un titre exécutoire ; qu'en retenant pourtant que « M. [T] ne saurait donc prétendre à inexistence du titre exécutoire, correspondant à la seconde tranche du prêt authentique à l'euro près » (arrêt, p. 8, alinéa 1er), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article R. 3252-1 du code du travail, ensemble l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. | Selon l'article L. 622-21, II, du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17, tant sur les meubles que sur les immeubles, ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
Viole ce texte la cour d'appel qui autorise la saisie des rémunérations d'une partie, sans constater l'arrêt de cette procédure d'exécution, alors qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte postérieurement à son égard |
7,720 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 347 F-B
Pourvoi n° N 20-19.043
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
1°/ M. [T] [I],
2°/ Mme [B] [C] [U], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° N 20-19.043 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant à la société caisse de Crédit mutuel [Localité 1] Joffre, société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 1] [Localité 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. et Mme [I], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société caisse de Crédit mutuel [Localité 1] Joffre, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 juin 2020), suivant acte notarié du 7 mars 2007, la caisse de Crédit mutuel [Localité 1] Joffre (la banque) a consenti à M. et Mme [I] (les emprunteurs) un prêt destiné à acquérir des parts sociales.
2. La banque a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires des emprunteurs aux fins de recouvrement des sommes dues au titre du prêt.
3. Invoquant la prescription de la créance de la banque, les emprunteurs ont agi en annulation du procès-verbal de saisie-attribution.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de constater l'absence de prescription et de valider la saisie-attribution, alors « que la circonstance qu'un prêt soit destiné à financer l'acquisition de parts sociales n'exclut pas, par lui-même et dans tous les cas, que l'emprunteur soit qualifié de consommateur ; qu'en affirmant, d'une manière générale et absolue, que l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation n'était pas applicable au prêt litigieux dès lors que cette opération était destinée à financer l'acquisition de parts sociales, ce qui excluait que les emprunteurs puissent être considérés comme des consommateurs, la cour d'appel a violé ce texte. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La banque conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.
6. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation :
7. Selon ce texte, l'action des professionnels, pour les biens ou services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.
8. La personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer l'acquisition de parts sociales ne perd la qualité de consommateur que si elle agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle.
9. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale de l'action en recouvrement de la banque, l'arrêt retient que l'opération était destinée à financer l'acquisition de parts sociales, ce qui exclut que les emprunteurs puissent être considérés comme des consommateurs.
10. En statuant ainsi, alors que l'acquisition de parts sociales ne suffisait pas, à elle seule, à exclure la qualité de consommateur des emprunteurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deux dernières branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la caisse de Crédit mutuel [Localité 1] Joffre aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse de Crédit mutuel [Localité 1] Joffre et la condamne à payer à M. et Mme [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I].
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé que la créance de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 1]-Joffre à l'encontre de M. [T] [I] et Mme [B] [C] [U] ép. [I] n'était pas prescrite, d'avoir validé la saisie-attribution pratiquée le 3 janvier 2017 par la banque sur les comptes bancaires de M. et Mme [I] ouverts dans les livres du Crédit Agricole et d'avoir condamné les époux [I] à verser au Crédit Mutuel la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE la cour d'appel, qui n'est pas saisie de conclusions par les intimés, doit, pour statuer, examiner les motifs du jugement ; que c'est à tort que le premier juge a jugé prescrite l'action de la banque en recouvrement de sa créance dans le délai de 2 ans prévu à l'article L. 137-2 devenu depuis L. 218-2 du code de la consommation ; que la banque objecte en effet, à juste titre, que le texte susvisé, selon lequel l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, n'est pas applicable au prêt litigieux dès lors que cette opération était destinée à financer l'acquisition de parts sociales, ce qui exclut que les emprunteurs puissent être considérés comme des consommateurs ; que l'action en recouvrement de la créance de la banque est par conséquent soumise à la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce ramenée à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
ET AUX MOTIFS QU'il résulte de la requête en fixation de la date de l'audience de vente forcée du bien immobilier des époux [U] [C] et de l'ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse du 16 décembre 2013 fixant cette audience au 19 mars 2014 que la banque a fait signifier un commandement de payer valant saisie immobilière le 17 octobre 2012 aux cautions qu'elle a assignées par acte du 22 octobre 2012 à l'audience d'orientation, que par jugement d'orientation du 1er août 2013 confirmé par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 6 décembre 2013, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse a ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi ; que ces actes et ces décisions de justice ont interrompu le délai de prescription quinquennale en vertu des articles 2241 et 2242 du code civil de sorte qu'au jour de la saisie-attribution du 3 janvier 2017, la créance de la banque n'était pas prescrite ;
1/ ALORS QUE la circonstance qu'un prêt soit destiné à financer l'acquisition de parts sociales n'exclut pas, par lui-même et dans tous les cas, que l'emprunteur soit qualifié de consommateur ; qu'en affirmant, d'une manière générale et absolue, que l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation n'était pas applicable au prêt litigieux dès lors que cette opération était destinée à financer l'acquisition de parts sociales, ce qui excluait que les époux [I] puissent être considérés comme des consommateurs, la cour d'appel a violé ce texte ;
2/ ALORS QUE la destination professionnelle d'un crédit ne peut résulter que d'une stipulation expresse ; que la cour d'appel a constaté que la banque avait consenti aux époux [I] un prêt « personnel » (p. 3 § 1er) ; qu'à supposer qu'elle se soit fondée sur les allégations de la banque prétendant que le prêt consenti aux époux [I] était un prêt professionnel consenti pour l'acquisition de parts sociales d'une société ayant une activité de boulangerie, dont ils étaient tous deux salariés (p. 4 § 2), pour en déduire qu'ils agissaient dans le cadre de leur activité professionnelle et ne pouvaient, par suite, être considérés comme des consommateurs, elle a violé l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation ;
3/ ALORS QUE l'acte de prêt ne mentionnait pas la dénomination sociale de la société dont les parts étaient acquises par les époux [I] ; que l'acte de cession de parts sociales n'avait pas été versé aux débats ; que la banque avait produit (pièce 5) un contrat de travail de M. [I] et des bulletins de salaire des époux [I] mentionnant des employeurs différents (M. [I] : « Sarl Le Fournil de Pégomas, [Adresse 6], [Localité 2] » pour les bulletins de salaire et « SARL Lehem, Carré du Soleil, place du 11 novembre, à [Localité 4] [Localité 4] » pour le contrat de travail ; Mme [C] [U] ép. [I] : « Mr [P] [Adresse 8], [Localité 3]) ; qu'à supposer qu'elle ait tenu pour acquis que le prêt avait été souscrit pour l'acquisition de parts d'une société qui, comme le prétendait la banque sans donner le nom de cette société, employait les époux [I], la cour d'appel, en ne s'assurant pas que la société dont les parts étaient acquises par les époux [I] était bien leur employeur, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation. | La personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer l'acquisition de parts sociales ne perd la qualité de consommateur que si elle agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle |
7,721 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 337 FS-B
Pourvoi n° Z 21-14.182
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
La société Led Puck France, anciennement société Ecoline France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Z 21-14.182 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Eiffage énergie systèmes Ile-de-France (EES-IDF), venant aux droits de Eiffage énergie Ile-de-France, venant aux droits de Forclum Ile-de-France, venant aux droits de la société Bornhausher Molinarii, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la SMABTP, société d'assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Led Puck France, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Eiffage énergie systèmes Ile-de-France et de la société SMABTP, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mars 2019), la ville de Paris a confié à la société Bornhauser Molinari, aux droits de laquelle vient la société Eiffage énergie système Ile-de-France (la société Eiffage), assurée par la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), le lot « électricité », comprenant le remplacement des projecteurs et leur maintenance, d'un chantier de rénovation et de mise en conformité des installations techniques de la fontaine de la place de Catalogne.
2. Le 14 février 2000, la société Bornhauser Molinari a commandé deux cent soixante-quatre projecteurs à la société Kim lumière international, aux droits de laquelle vient la société Led Puck France.
3. La réception des travaux est intervenue le 17 novembre 2000, avec effet au 5 mai 2000.
4. Des dysfonctionnements des projecteurs étant apparus, la juridiction administrative, après expertise, a condamné la société Eiffage à indemniser la ville de Paris.
5. Cette société et son assureur ont assigné en garantie la société Led Puck France.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, qui est préalable
Enoncé du moyen
6. La société Led Puck France fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de nullité de l'expertise, alors « que le principe du contradictoire doit être respecté par l'expert, et que le respect de ce principe implique la communication par l'expert à toutes les parties des pièces qu'il a reçues, peu important que son rapport ne laisse pas apparaître s'il les a utilisées ou non ; qu'en rejetant la demande de nullité de l'expertise, fondée sur le défaut – reconnu – de communication de certaines pièces reçues d'une partie à d'autres parties, aux motifs radicalement inopérants que l'expert n'aurait tiré aucune conclusion de ces pièces et que l'appelant peut en discuter devant la cour d'appel, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et les droits de la défense. »
Réponse de la Cour
7. Ayant souverainement retenu que l'expert n'avait tiré aucune conclusion des pièces qui n'auraient pas été communiquées, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir l'absence de grief que l'atteinte alléguée au principe de la contradiction aurait causé à la société Led Puck France, en a déduit, à bon droit, que la demande de nullité du rapport d'expertise devait être rejetée.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier et le troisième moyens, réunis
Enoncé des moyens
9. Par son premier moyen, la société Led Puck France fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande en garantie, alors :
« 1°/ que constitue une vente et non un louage d'ouvrage la convention par laquelle il est passé commande à un importateur de projecteurs électriques fabriqués en Allemagne, de 265 projecteurs référencés sur le catalogue du fabricant allemand, et dont il était demandé seulement qu'ils soient revêtus d'une « protection complémentaire à base de polyamide » et que « la patte de fixation soit raccourcie au maximum » ; que ces spécifications - dont il n'est pas constaté ni qu'elles auraient empêché une production en série des projecteurs, ni qu'elles auraient entrainé une quelconque modification de l'outil de production du fabricant, ni qu'elles n'existaient pas sur le catalogue dans l'hypothèse où il y aurait plusieurs longueurs de patte de fixation - et qui devaient être remplies pour un très grand nombre d'objets, n'étaient pas de nature à modifier le caractère du contrat ; en le qualifiant de contrat de louage, la cour d'appel a violé les articles 1779, 1787, 1582, 1147 devenu 1213 du code civil, 1792-4 du même code par fausse application ;
2°/ que les seules exigences constatées de « patte de fixation raccourcie au maximum » et « protection complémentaire à base de polyamide (rilsanisation) ne constituent pas la fabrication d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance ; que l'article 1792-4 du code civil n'était pas applicable et qu'il a été violé par la cour d'appel. »
10. Par son troisième moyen, la société Led Puck France fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 1792-4, alinéa 2, du code civil que la cour d'appel a déclaré applicable à la société Led Puck France dans ses rapports avec Eiffage Energie Ile-de-France à propos du contrat conclu entre elles – selon lequel est assimilé à un fabricant pour l'application du texte celui qui a importé un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement fabriqué à l'étranger ne peut être appliqué lorsque le produit est fabriqué dans un pays de l'Union européenne ; en effet il résulte de ce texte que, selon que l'intermédiaire français achète un élément d'équipement pour le revendre au maître d'oeuvre ou de l'ouvrage à un fabricant français ou à un fabricant installé dans l'Union européenne, la qualification juridique et les responsabilités de cet intermédiaire ne sont pas les mêmes, l'exposant à des régimes juridiques différents ; cette distinction constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives entravant l'accès au marché européen ; en faisant application de l'article 1792-4 à raison de la provenance allemande des projecteurs revendus par Led Puck France, la cour d'appel a violé l'article 34 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, la cour d'appel a relevé que, si les projecteurs commandés étaient référencés au catalogue de la société de droit allemand Franz Sill GmbH, le bon de commande, qui mentionnait qu'ils devaient être revêtus d'une protection complémentaire par « rilsanisation » et équipés d'une patte de fixation, également traitée selon le même procédé et raccourcie au maximum pour réduire l'encombrement des appareils de façon à faciliter le nettoyage du caniveau, spécifiait ainsi les caractéristiques particulières qu'ils devaient revêtir afin de répondre aux besoins précis du chantier auquel ils étaient destinés.
12. Ayant ainsi caractérisé l'existence d'un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers, elle a pu déduire, de ces seuls motifs, que la société Led Puck France était liée à la société Eiffage par un contrat de louage d'ouvrage.
13. En second lieu, les personnes responsables de plein droit en application des articles 1792 et suivants du code civil, lesquelles ne sont pas subrogées après paiement dans le bénéfice de cette action réservée au maître de l'ouvrage et aux propriétaires successifs de l'ouvrage en vertu des articles précités, ne peuvent agir en garantie contre les autres responsables tenus avec elles au même titre, que sur le fondement de la responsabilité de droit commun applicable dans leurs rapports (3e Civ., 8 juin 2011, pourvoi n° 09-69.894, Bull. 2011, III, n° 93).
14. Dès lors, l'entrepreneur qui a indemnisé le maître de l'ouvrage ne peut agir en garantie contre le fabricant que sur le fondement de la responsabilité de droit commun, à l'exclusion de l'article 1792-4 du code civil.
15. Ayant soumis l'action en garantie engagée par la société Eiffage et la SMABTP contre la société Led Puck France à la prescription de l'action en responsabilité contractuelle de droit commun, puis constaté qu'il était démontré que les désordres affectant les projecteurs trouvaient leur cause dans un défaut de fabrication, la cour d'appel, qui a fait application non pas de la responsabilité spécifique prévue à l'article 1792-4 du code civil, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun du locateur d'ouvrage, en a déduit, à bon droit, abstraction faite des motifs critiqués relatifs à la qualification de fabricant d'éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire et à la conformité de l'article précité avec l'article 34 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui sont surabondants, que la société Led Puck France devait garantir la société Eiffage et la SMABTP.
16. Pour partie mal fondé, le moyen est donc, pour le surplus, inopérant.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Led Puck France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Led Puck France et la condamne à payer à la société Eiffage énergie système Ile-de-France et à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Led Puck France
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné la société Ecoline France – ex Andomia, aujourd'hui Led Puck France venant aux droits de Kim Lumière International à garantir la SMABTP pour la somme de 107.068 € et Eiffage Energie Ile-de-France pour la somme de 7.622 € avec intérêts et capitalisation des intérêts,
1° ALORS QUE constitue une vente et non un louage d'ouvrage la convention par laquelle il est passé commande à un importateur de projecteurs électriques fabriqués en Allemagne, de 265 projecteurs référencés sur le catalogue du fabricant allemand, et dont il était demandé seulement qu'ils soient revêtus d'une « protection complémentaire à base de polyamide » et que « la patte de fixation soit raccourcie au maximum » ; que ces spécifications - dont il n'est pas constaté ni qu'elles auraient empêché une production en série des projecteurs, ni qu'elles auraient entraîné une quelconque modification de l'outil de production du fabricant, ni qu'elles n'existaient pas sur le catalogue dans l'hypothèse où il y aurait plusieurs longueurs de patte de fixation - et qui devaient être remplies pour un très grand nombre d'objets, n'étaient pas de nature à modifier le caractère du contrat ; en le qualifiant de contrat de louage, la Cour d'appel a violé les articles 1779, 1787, 1582, 1147 devenu 1231 du code civil, 1792-4 du même code par fausse application ;
2° ALORS QUE les seules exigences constatées de « patte de fixation raccourcie au maximum » et « protection complémentaire à base de polyamide (rilsanisation) ne constituent pas la fabrication d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance ; que l'article 1792-4 du code civil n'était pas applicable et qu'il a été violé par la Cour d'appel.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la société Ecoline France – ex Andomia, aujourd'hui Led Puck France venant aux droits de Kim Lumière International de sa demande de nullité de l'expertise et de demande de nouvelle expertise et de l'avoir condamnée à garantir la SMABTP pour la somme de 107.068 € et Eiffage Energie Ile-de-France pour la somme de 7.622€ avec intérêts et capitalisation des intérêts,
ALORS QUE le principe du contradictoire doit être respecté par l'expert, et que le respect de ce principe implique la communication par l'expert à toutes les parties des pièces qu'il a reçues, peu important que son rapport ne laisse pas apparaître s'il les a utilisées ou non ; qu'en rejetant la demande de nullité de l'expertise, fondée sur le défaut – reconnu – de communication de certaines pièces reçues d'une partie à d'autres parties, aux motifs radicalement inopérants que l'expert n'aurait tiré aucune conclusion de ces pièces et que l'appelant peut en discuter devant la Cour, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et les droits de la défense.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Ecoline France – ex Andomia aujourd'hui Led Puck France venant aux droits de Kim Lumière International à garantir la SMABTP pour une somme de 107.068 € et Eiffage Energie ile de France pour une somme de 7.622 € avec intérêts et capitalisation des intérêts,
ALORS QUE l'article 1792-4 § 2 du code civil que la Cour d'appel a déclaré applicable à la société Led Puck France dans ses rapports avec Eiffage Energie Île-de-France à propos du contrat conclu entre elles – selon lequel est assimilé à un fabricant pour l'application du texte celui qui a importé un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un élément d'équipement fabriqué à l'étranger ne peut être appliqué lorsque le produit est fabriqué dans un pays de l'Union européenne ; en effet il résulte de ce texte que, selon que l'intermédiaire français achète un élément d'équipement pour le revendre au maître d'oeuvre ou de l'ouvrage à un fabricant français ou à un fabricant installé dans l'Union européenne, la qualification juridique et les responsabilités de cet intermédiaire ne sont pas les mêmes, l'exposant à des régimes juridiques différents ; cette distinction constitue une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives entravant l'accès au marché européen ; en faisant application de l'article 1792-4 à raison de la provenance allemande des projecteurs revendus par Led Puck France, la Cour d'appel a violé l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. | Une cour d'appel qui caractérise l'existence d'un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers, peut en déduire que les parties sont liées par un contrat de louage d'ouvrage et non un contrat de vente |
7,722 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 382 FS-B
Pourvoi n° Y 21-16.297
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 AVRIL 2022
M. [X] [P], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Y 21-16.297 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mutuelle des architectes français, dont le siège est [Adresse 1], société d'assurance mutuelle,
2°/ à M. [U] [I], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société Daci-Bat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Gan assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [P], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Gan assurances, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [I], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 10 mars 2021), M. [P] a confié à M. [I], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre des travaux de restauration d'un château endommagé par un incendie.
2. L'exécution d'une première phase de travaux a été confiée à la société Daci-bat, assurée auprès de la société Gan assurances IARD (la société Gan).
3. Les travaux ont débuté avant l'obtention du permis de construire. A la suite du rejet de la demande de permis de construire, le chantier a été arrêté.
4. M. [I] a notifié à M. [P] la résiliation du contrat de maîtrise d'oeuvre, pour perte de confiance.
5. Après expertise, M. [P] a assigné les constructeurs et leurs assureurs en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche, et sur les quatrième et sixième moyens, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation présentée au titre du passage en croix du refend et des têtes de murs, du trouble de jouissance et du surplus de loyers payés, consécutifs au retard du chantier et au titre d'un préjudice moral, alors :
« 1°/ qu'un architecte à qui est confiée une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu d'assurer notamment le suivi du chantier et de surveiller le respect, par les entreprises intervenantes, des instructions et des délais qui leur ont été indiqués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'aucun retard ne pouvait être imputé à faute à M. [I] dès lors que ce dernier n'avait pris aucun engagement en termes de délai et qu'aucun planning n'avait été mis en place avec les entreprises ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le retard puis l'arrêt du chantier résultaient notamment de l'engagement hasardeux par l'architecte de travaux avant l'obtention du permis de construire, d'un défaut de suivi du chantier qui avait notamment conduit aux désordres affectant les acrotères qu'il fallait refaire, et d'un manque de précision des travaux projetés, ce qui avait causé des blocages au printemps 2011 après le rejet de la première demande de permis de construire déposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;
3°/ que l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 euros à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'architecte avait manqué à son devoir d'informer le maître de l'ouvrage sur le réalisme de l'enveloppe budgétaire qu'il entendait consacrer au chantier, compte tenu du projet envisagé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
8. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
9. Il est jugé que l'entrepreneur est soumis à l'obligation de livrer les travaux dans un délai raisonnable, même lorsque les devis ne mentionnent aucun délai d'exécution et qu'aucun planning n'a été fixé (3e Civ., 16 mars 2011, pourvoi n° 10-14.051, Bull. 2011, III, n° 35).
10. Pour rejeter les demandes d'indemnités formées par M. [P] pour les préjudices causés par l'arrêt du chantier, l'arrêt retient qu'il appartenait au maître de l'ouvrage de contracter avec un nouveau maître d'oeuvre après la rupture du contrat par M. [I], ce qu'il n'avait pas fait, générant par cette carence l'arrêt du chantier.
11. Il retient, ensuite, que M. [I] n'était pas chargé d'une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination du chantier, qu'il n'avait pris aucun engagement en termes de délais, qu'aucun planning particulier n'avait été mis en place avec les entreprises, qu'il ne résultait d'aucune pièce ou d'aucun échange que M. [P] entendait disposer de l'immeuble reconstruit à une date particulière et que l'expertise avait mis en évidence que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix du maître de l'ouvrage de ne consacrer qu'un budget de 400 000 euros à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder, alors que le maître de l'ouvrage avait reçu une indemnité d'assurance de 555 467 euros après l'incendie.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'arrêt du chantier n'avait pas pour cause le commencement des travaux par l'architecte avant l'obtention d'un permis de construire, un manque de précision des travaux à réaliser et un manquement de l'architecte à son obligation d'informer le maître de l'ouvrage, avant le début des travaux, de l'inadéquation entre le budget alloué et le projet retenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
13. M. [P] fait grief à l'arrêt de dire que la garantie de la MAF n'était pas acquise et de rejeter les demandes présentées à son encontre, alors « que constitue une exclusion indirecte de garantie la clause par laquelle le champ de la garantie est limité aux conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de la profession d'architecte, encourues dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, ce qui exclut la prise en charge des dommages résultant d'une méconnaissance par l'architecte des règles d'urbanisme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la garantie de la MAF en retenant que M. [I] n'avait pas exercé la profession d'architecte dans des conditions normales, puisqu'il avait débuté le chantier sans avoir obtenu le permis de construire, et qu'en travaillant dans de telles conditions, il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur, le contrat garantissant M. [I] uniquement « contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations ; qu'en écartant la qualification d'exclusion indirecte de garantie s'agissant de cette clause, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
14. Il résulte de ce texte que la clause, qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d'exclusion de garantie.
15. Pour rejeter les demandes formées contre la MAF, l'arrêt relève que le contrat d'assurance contient une clause selon laquelle il a pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations.
16. Il retient qu'en commençant les travaux avant l'obtention d'un permis de construire, M. [I] s'est rendu complice d'une infraction pénale, en contravention avec l'article 12 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 devenu le code de déontologie des architectes, de sorte qu'il a exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur.
17. En statuant ainsi, alors que l'exécution des travaux en violation des règles d'urbanisme imposant l'obtention d'une autorisation de construire
constituait une circonstance particulière de la réalisation du risque, de sorte que l'assureur invoquait une exclusion de garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes d'indemnisation de M. [P] au titre du passage en croix du refend et des crêtes de murs, du trouble de jouissance, du surplus de loyers payés et du préjudice moral et en ce qu'il dit que la garantie de la Mutuelle des architectes français n'est pas acquise et rejette les demandes présentées contre elle, l'arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. [I] et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [I] et la Mutuelle des architectes français à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné in solidum la MAF avec M. [I], et la société Daci-Bât au titre des malfaçons affectant les acrotères à régler à M. [P] la somme de 43 167,74 € TTC réévaluée en fonction de la variation de l'indice BT01 entre juin 2014 et le mois du jugement, rejetant ainsi la demande de condamnation formée à l'encontre de M. [I], de son assureur la MAF et de la société Daci-Bât au titre des malfaçons affectant les acrotères ;
ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à une absence de motifs ; que la cour d'appel, dans le dispositif de son arrêt, a «infirmé le jugement en ce qu'il avait condamné in solidum la MAF avec M. [I], et la société Daci-Bât au titre des malfaçons affectant les acrotères à régler à M. [P] la somme de 43 167,74 € TTC réévaluée en fonction de la variation de l'indice BT01 entre juin 2014 et le mois du jugement» (arrêt, p. 16 § 5) ; qu'elle a ainsi rejeté la demande de M. [P] tendant à la condamnation de M. [I], de son assureur la MAF et de la société Daci-Bât au titre des malfaçons affectant les acrotères ; qu'elle a pourtant jugé, dans ses motifs, qu'il convenait de confirmer le jugement, s'agissant de ces malfaçons, concernant les condamnations prononcées contre M. [I] et la société Daci-Bât (arrêt, p. 11) ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'AVOIR rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la démolition de l'angle Sud-Est et d'AVOIR rejeté sa demande au titre d'un préjudice moral ;
1) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la démolition de l'angle Sud-Est du bâtiment appartenant à M. [P], à laquelle M. [I], architecte, avait fait procéder, avait été rendue nécessaire pour des raisons de sécurité et ne pouvait être imputée à faute à l'architecte (arrêt, p. 12 § 3) ; qu'elle a jugé en ce sens après avoir énoncé que «lors de la deuxième réunion de chantier, tenue le 17 novembre 2010, dont le compte-rendu a été établi le 19 novembre suivant, M. [I] a confirmé cette démolition «pour des raisons de sécurité» (arrêt, p. 11 § 12) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que le compte rendu établi le 19 novembre 2010 n'évoque pas la démolition de l'angle Sud-Est « pour des raisons de sécurité», la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis de cet écrit et méconnu le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;
2) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la démolition de l'angle Sud-Est n'était pas imputable à faute à M. [I] et avait été justifiée par des raisons de sécurité, en relevant que l'expert judiciaire avait admis que la démolition était en lien avec la sécurité du site (arrêt, p. 11 § 16) ; qu'elle a observé que «dans son dire très détaillé à l'expert, M. [P] n'a d'ailleurs pas contesté la dangerosité créée par l'angle Sud-Est» (arrêt, p. 12 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que, dans le dire du 10 juin 2014 auquel la cour d'appel a fait référence, M. [P] affirmait que «l'ouverture complète de l'angle Sud-Est en fonction des dimensions de la future tour en bois» ne se justifiait que «par rapport au projet final», qu'il était «faux qu'il fallut enlever l'angle pour stabiliser le château», ajoutant que l'entreprise Daci-Bât était intervenue «bien en amont du chantier litigieux, dans un autre cadre, pour prendre les mesures d'urgence», ce dont il résultait explicitement une contestation de la nécessité de la démolition de l'angle Sud-Est pour des raisons de sécurité, la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis du dire du 10 juin 2014 et méconnu le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;
3) ALORS QUE l'architecte qui, chargé d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète, expose le maître de l'ouvrage à financer des travaux inutiles, commet une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la démolition de l'angle Sud-Est du bâtiment appartenant à M. [P], à laquelle M. [I], architecte, avait fait procéder, avait été rendue nécessaire pour des raisons de sécurité et ne pouvait être imputée à faute à l'architecte (arrêt, p. 12 § 3) ; qu'elle a notamment considéré que la démolition avait été décidée le 30 septembre 2010 et ne pouvait «être en lien direct avec un projet architectural qui, à l'époque, n'existait tout au plus qu'à l'état d'esquisses, l'avant-projet définitif n'ayant été établi qu'en décembre 2010» (arrêt, p. 12 § 2) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 11 et 12, en part. p. 12 § 11), si au 2 février 2011, avant même que l'angle Sud-Est ne soit démoli et ses fondations renforcées, seule l'installation d'une tour en bois était présentée comme justifiant ces travaux, dans le cadre de la demande de permis de construire déposée le 5 janvier précédent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué, partiellement infirmatif sur ce point, d'AVOIR rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre du passage en croix du refend et des têtes de murs, du trouble de jouissance et du surplus de loyers payés, consécutifs au retard du chantier, et d'AVOIR rejeté sa demande au titre d'un préjudice moral ;
1) ALORS QU'un architecte à qui est confiée une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu d'assurer notamment le suivi du chantier et de surveiller le respect, par les entreprises intervenantes, des instructions et des délais qui leur ont été indiqués ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'aucun retard ne pouvait être imputé à faute à M. [I] dès lors que ce dernier n'avait pris aucun engagement en termes de délai et qu'aucun planning n'avait été mis en place avec les entreprises (arrêt, p. 12 in fine) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 14 et 15), si le retard puis l'arrêt du chantier résultaient notamment de l'engagement hasardeux par l'architecte de travaux avant l'obtention du permis de construire, d'un défaut de suivi du chantier qui avait notamment conduit aux désordres affectant les acrotères qu'il fallait refaire, et d'un manque de précision des travaux projetés, ce qui avait causé des blocages au printemps 2011 après le rejet de la première demande de permis de construire déposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;
2) ALORS QUE le juge ne peut soulever un moyen d'office sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'aucun retard ne pouvait être imputé à faute à M. [I], dès lors qu'il ne s'était pas vu confier la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination de chantier, dite OPC (arrêt, p. 12 § 13) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'aucune des parties n'avait soutenu un tel moyen, la cour d'appel, qui a soulevé ce moyen d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 € à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder (arrêt, p. 13 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 18 in fine), si l'architecte avait manqué à son devoir d'informer le maître de l'ouvrage sur le réalisme de l'enveloppe budgétaire qu'il entendait consacrer au chantier, compte tenu du projet envisagé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;
4) ALORS, en outre QUE l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 € à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder, en relevant que le maître de l'ouvrage avait reçu une indemnité d'assurance de 555 467 € après l'incendie (arrêt, p. 13 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à exclure la responsabilité de l'architecte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;
5) ALORS QUE l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 € à l'opération de rénovation, dont M. [I] avait fini par constater qu'il était insuffisant pour y procéder, en relevant que le maître de l'ouvrage avait reçu une indemnité d'assurance de 555 467 € après l'incendie (arrêt, p. 13 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 18 § 3 et 4) si M. [P] avait une obligation de consacrer la totalité de l'indemnité d'assurance à la reconstruction du bâtiment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code ;
6) ALORS QUE l'architecte tenu d'une mission de maîtrise d'oeuvre complète est tenu de conseiller le maître de l'ouvrage sur la pertinence de l'enveloppe budgétaire consacrée aux travaux et, le cas échéant, de le mettre en garde sur l'impossibilité de parvenir à l'achèvement de la construction avec le budget envisagé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'architecte avait été mis en difficulté par le choix de M. [P] de ne consacrer qu'un budget de 400 000 € à l'opération de rénovation (arrêt, p. 13 § 1) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 18 § 3 et 4) si le budget que M. [P] avait fixé correspondait à une reconstruction simplifiée et non à l'identique, dès lors que la surface de plancher du bâtiment rénové était moitié moindre que celle du bâtiment d'origine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du même code.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande au titre de la majoration du taux de TVA ;
ALORS QUE le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ; qu'il doit être évalué au jour où le juge statue ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé, par motifs propres comme adoptés (arrêt, p. 13 § 5 et jugement, p. 9 § 6 à 8), que M. [P] ne pouvait pas prétendre au taux de TVA applicable à compter du mois de janvier 2014, au motif que les travaux auraient pu être terminés avant cette date malgré le retard imputable à l'architecte et que l'évolution du taux de TVA ne tenait qu'à la date à laquelle M. [P] avait décidé de faire poursuivre les travaux ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant retenu la responsabilité de M. [I] et de la société Daci-Bât envers M. [P], les obligeant notamment à lui verser les sommes correspondant à des travaux de réparation des désordres observés, ce qui impliquait de prendre en compte le taux de TVA applicable au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du code civil, devenu l'article 1231-1 du code civil.
CINQUIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'AVOIR dit que la garantie de la Mutuelle des Architectes Français (MAF) n'était pas acquise, et d'AVOIR en conséquence, rejeté les demandes présentées à son encontre ;
ALORS QUE constitue une exclusion indirecte de garantie la clause par laquelle le champ de la garantie est limité aux conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de la profession d'architecte, encourues dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, ce qui exclut la prise en charge des dommages résultant d'une méconnaissance par l'architecte des règles d'urbanisme ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la garantie de la MAF en retenant que M. [I] n'avait pas exercé la profession d'architecte dans des conditions normales, puisqu'il avait débuté le chantier sans avoir obtenu le permis de construire, et qu'en travaillant dans de telles conditions, il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur, le contrat garantissant M. [I] uniquement «contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations» (arrêt, p. 13) ; qu'en écartant la qualification d'exclusion indirecte de garantie s'agissant de cette clause, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances.
SIXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamné à payer à M. [I] la somme de 10 740 € ;
ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en l'espèce, le contrat d'architecte conclu entre M. [P] et M. [I] stipulait une rémunération forfaitaire de 40.000 €, correspondant à 10% de l'enveloppe budgétaire prévisionnelle de 400 000 € prévue par ailleurs par les parties ; que ce contrat ne stipulait aucun mécanisme d'ajustement de la rémunération de l'architecte en cas de dépassement de cette enveloppe ; qu'en décidant néanmoins que M. [P] était redevable envers M. [I] d'une rémunération égale à 10 % du montant des travaux effectivement réalisés, soit 603 880,95 € TTC, au motif que la rémunération n'avait pas été définitivement fixée et ne correspondait «qu'à l'enveloppe prévisionnelle du début des travaux pouvant évoluer à la hausse comme à la baisse» (arrêt, p. 15 in fine), la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. | Il résulte de l'article L. 113-1 du code des assurances que la clause, qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d'exclusion de garantie.
Viole ce texte la cour d'appel qui, après avoir relevé que le contrat d'assurance contenait une clause selon laquelle il avait pour objet de garantir l'adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourait dans l'exercice de celle-ci, telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur à la date de l'exécution de ses prestations, retient qu'en commençant les travaux avant l'obtention d'un permis de construire, l'architecte s'est rendu complice d'une infraction pénale, en contravention avec l'article 12 du décret n° 80-217 du 20 mars 1980 devenu le code de déontologie des architectes, de sorte qu'il avait exercé son activité dans le cadre, non pas d'une exclusion de garantie, mais d'un risque non couvert par l'assureur, alors que l'exécution des travaux en violation des règles d'urbanisme imposant l'obtention d'une autorisation de construire constituait une circonstance particulière de la réalisation du risque |
7,723 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 519 FS-B
Pourvoi n° Q 20-12.444
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022
La Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-12.444 contre l'arrêt rendu le 13 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Belambra clubs, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Mariette, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Belambra clubs, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Mariette, conseiller doyen rapporteur, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Mme Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 décembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 18 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.351), la société Belambra clubs (la société) s'est vue confier, dans le cadre d'un marché public de droit privé, la gestion d'un centre de vacances propriété de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la caisse).
2. Celle-ci ayant informé la société que le marché prenait fin au mois de janvier 2014, la société a demandé à la caisse de prendre en charge des contrats de travail attachés au centre de vacances et face à son refus, a saisi un tribunal de grande instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société des dommages-intérêts et à la garantir de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés de l'ancien centre de vacances minier, alors :
« 1°/ que l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s'applique qu'en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que le transfert d'une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité peuvent être repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; que la non reconduction d'un marché par lequel une caisse de sécurité sociale spécifique avait confié la gestion d'un centre de vacances relevant du régime de sécurité sociale en question, en raison de la perte de sa compétence en la matière au profit d'un autre organisme par voie de décrets pris en application de l'ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 n'entraîne pas la reprise d'exploitation de cette activité par la caisse ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances par la caisse, motif pris que le transfert des contrats de travail s'appliquait de plein droit quelle que soit la volonté des parties, en l'espèce celle de transférer la gestion de la politique des vacances, cependant que ce transfert ne résultait nullement de la volonté de la caisse mais, comme l'a admis la cour, des décrets 2012-434 du 30 mars 2012 et 2013-260 du 28 mars 2013, ce qui s'opposait en droit à ce que la caisse pût reprendre l'exploitation du centre de vacances, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, et caractérisait l'impossibilité de poursuivre l'exploitation du centre et partant le transfert des contrats de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ qu'il incombe à celui qui invoque le bénéfice de l'article L. 1224-1 du code du travail d'établir que les conditions en sont remplies ; qu'en reprochant à la caisse de ne pas démontrer que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances par la Caisse ou que ce transfert s'opposait au caractère exploitable de cette entité autonome, cependant qu'il appartenait à la société qui invoquait le transfert de plein droit des contrats de travail des salariés affectés au centre de démontrer la possibilité de la poursuite de l'exploitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;
3°/ que le juge doit respecter l'objet du litige ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n'empêchait pas la continuation de son exploitation par la caisse, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que l'activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier ; qu'en statuant ainsi, quand la caisse contestait précisément, au contraire, que l'activité en cause, c'est-à-dire un centre de vacances organisé par les mines et au bénéfice des personnels miniers, avait été reprise, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent statuer par affirmation péremptoire ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n'empêchait pas la continuation de son exploitation par la caisse, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que l'activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier, lequel avait maintenu, selon les productions de la société, l'activité d'accueil et de logement de vacanciers dans l'établissement, ainsi que les prestations associées ; qu'en statuant ainsi, par simple affirmation péremptoire sans préciser quels éléments de preuve pouvaient fonder son appréciation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'en se fondant sur l'exploitation du Centre Latournerie par un établissement hôtelier à partir du mois d'octobre 2015 pour affirmer que la résiliation de la convention d'exploitation entre la caisse et la société n'avait pas empêché la poursuite de l'exploitation dudit centre, sans caractériser le degré de similarité et d'identité entre les deux exploitations successives, autre que la seule exploitation des locaux, de nature à démontrer la possibilité d'un transfert, cependant que l'activité initiale constituait une modalité de la gestion de la politique de vacances du régime minier, qui avait été retirée à la caisse à compter du 1er janvier 2014, ce qui constituait une identité spécifique dont il n'a pas été constaté qu'elle avait été conservée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
6°/ que le juge ne doit pas méconnaître la loi du contrat ; que l'article 4.2 du cahier des clauses particulières valant cahier des clauses administratives et techniques au sens de l'article 13 du code des marchés publics prévoyait que les obligations de gestionnaire consistaient notamment en la gestion du personnel employé sur le site « et toutes les conséquences financières qui y sont attachées : embauches, avancements, promotions, salaires, congés payés, indemnités de toutes sortes, y compris licenciements , etc. (...) » ; qu'il appartenait donc à la société de supporter les conséquences financières des licenciements du personnel employé sur le site ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 4.2 susvisé, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7°/ que dans le cadre d'une substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait de convention entre eux, le nouvel employeur n'est pas tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail sont repris, des dettes et obligations nées antérieurement à cette substitution ; que le nouvel employeur ne peut donc être condamné à garantir l'ancien employeur des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu'à supposer que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail fussent remplies, en condamnant la caisse à garantir la société de « tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés du centre de vacances », cependant qu'elle ne constatait aucune convention de transfert d'entreprise entre la caisse et la société , dont l'existence n'a d'ailleurs été invoquée par aucune partie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail ;
8°/ que ce n'est qu'à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent que le nouvel employeur est tenu en application de l'article L. 1224-2 du code du travail, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date du transfert ; que le premier employeur qui est tenu de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur dues à la date du transfert, ne peut en conséquence, sur le fondement de ce texte, solliciter la garantie du nouvel employeur au titre des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu'en condamnant la caisse à garantir la société de l'ensemble des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-2 du code du travail ;
9°/ que le nouvel employeur n'est pas garant à l'égard de l'ancien employeur des fautes commises par celui-ci avant la rupture du contrat de travail, si bien qu'en condamnant la caisse à garantir la société de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par vingt-et-un salariés du centre de vacances, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil, devenu l'article 1231-1. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La société conteste la recevabilité du moyen en ce qu'il continue de prétendre que le centre de vacances ne constituerait pas une entité économique autonome et que la décision de la caisse de procéder à sa fermeture à l'expiration du mandat ferait obstacle à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, alors que par une doctrine à laquelle la cour d'appel de renvoi s'est conformée, la Cour de cassation a décidé le contraire dans son arrêt du 18 décembre 2018 (pourvoi n° 17-18.351).
5. Cependant devant la cour d'appel de renvoi, la caisse a soutenu, pour la première fois, la thèse selon laquelle le transfert de la gestion de l'action sanitaire et sociale du régime minier à l'agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) caractériserait une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances, faisant ainsi obstacle à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail.
6. En outre, l'arrêt de cassation du 18 décembre 2018 ( n° 17-18.351) qui a prononcé une cassation pour défaut de base légale, se limite dans son conclusif, à demander à la cour d'appel de renvoi de procéder à une recherche omise.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
8. Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
9. Ce texte, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s'applique qu'en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.
10. Il résulte de ces dispositions que la résiliation, par le propriétaire d'un établissement constituant une entité économique autonome, du contrat de gestion confié à un prestataire de services emportant retour de l'entité au propriétaire, celui-ci est tenu de poursuivre les contrats de travail du personnel attaché à l'entité, dès lors que celle-ci demeure exploitable au jour de sa restitution par le gestionnaire.
11. Le premier employeur qui, en conséquence du refus du repreneur de poursuivre les contrats de travail, a procédé au licenciement des salariés attachés à l'activité transféré, dispose d'un recours en garantie contre celui-ci, lorsque ce refus est illicite.
12. La cour d'appel qui a d'abord constaté, d'une part, qu'au terme du marché public de droit privé, le 10 janvier 2014, la caisse avait reçu une entité en état d'être exploitée, et d'autre part, qu'il n'était pas démontré que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, constituait en lui-même une circonstance caractérisant une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances, en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve ni dénaturer les termes du litige et sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les contrats de travail en cours s'étaient poursuivis de plein droit avec la caisse au moment où la société avait quitté les lieux.
13. Ayant ensuite relevé que le cahier des clauses particulières du marché public ne portait que sur l'exécution du contrat de gestion et ne faisait naître aucune obligation pour la société après l'expiration du marché, la cour d'appel en a exactement déduit que le refus fautif de la caisse de reprendre le personnel attaché au centre de vacances, en méconnaissance de l'article L. 1224-1 du code du travail, ouvrait un recours en garantie à la société qui avait été contrainte de procéder au licenciement des salariés en conséquence de ce refus.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines et la condamne à payer à la société Belambra clubs la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la CANSSM à payer à la société BELAMBRA CLUBS des dommages et intérêts et à garantir cette dernière de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés de l'ancien centre de vacances ;
Aux motifs que 1. Sur le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique de vacances : pour prétendre à la réparation de son préjudice né du refus de reprendre les contrats de travail des salariés affectés au centre, l'appelante fait valoir qu'à la date de la fin du mandat de gestion du centre de vacances, celui-ci, qui constituait une entité économique autonome ainsi que la Cour de Cassation l'a définitivement énoncé, pouvait continuer à être exploité en sorte que les contrats de travail ont été transférés à la CANSSM, l'intimée soutenant en revanche que le transfert de la politique de vacances à l'ANGDM a interdit toute poursuite de l'activité par la Caisse nationale ; qu'aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, d'ordre public, « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. » ; que l'article L. 1224-1 précité prévoit un transfert des contrats de travail de plein droit lorsque les contrats sont attachés à l'entité économique autonome transférée ; qu'aux termes de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2018, le centre de vacances en cause constitue une entité économique autonome, une telle entité supposant que des moyens matériels, techniques et en personnel ont été spécifiquement affectés à la poursuite d'une finalité propre ; que l'arrivée du terme du marché conclu entre les parties à la date du 10 janvier 2014 a conduit au retour de l'entité économique entre les mains de son propriétaire la CANSSM ; qu'il n'est pas démontré par l'intimée qui conteste le bénéfice du transfert des contrats de travail, que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier comprenant le transfert des compétences relatives à la politique de vacances, selon décret du 30 mars 2012 (décret 2012-434 du 30 mars 2012) et du 28 mars 2013 (décret 2013-260 du 28 mars 2013), constitue en lui-même une circonstance caractérisant une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances par la Caisse ; qu'en effet, le transfert des contrats de travail est de plein droit et s'impose aux salariés et aux employeurs successifs, dès lors que l'article L. 1224-1 précité trouve à s'appliquer lorsque l'activité est poursuivie, et quelle que soit la volonté des parties, en l'espèce la décision de transférer la gestion de la politique de vacances et de vendre le centre [4] à [Localité 3] ; qu'en l'espèce la CANSSM a confié par mandat depuis 1974 la gestion du centre de vacances à la société BELAMBRA CLUBS anciennement dénommée VVf Vacances, en exécution d'un marché de droit privé, au terme duquel le 10 janvier 2014 la Caisse a reçu une entité en état d'être exploitée, comprenant les contrats de travail, les locaux et les moyens d'exploitation, ce que l'intimée ne conteste pas ; que la vente du centre de vacances programmée par la Caisse courant 2014, selon un compte-rendu de réunion du 25 septembre 2013 de l'Instance de Coordination Stratégique de la CANSSM produit par l'intimée, est susceptible de constituer une modalité de poursuite de l'exploitation de l'entité économique, dès lors que l'activité exercée est soit poursuivie, soit reprise sous une autre direction ; que le fait qu'à la date du 10 janvier 2014 la Caisse n'a pas de fait exploité le centre de vacances et ne l'a cédé que plusieurs mois après l'expiration du contrat n'est pas susceptible de faire légitimement obstacle à l'application des dispositions d'ordre public du code du travail, seule l'absence de caractère exploitable de l'entité économique autonome pouvant constituer un tel obstacle au transfert des contrats de travail ; qu'il n'est pas contesté que l'activité en cause a été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier en octobre 2015, lequel a maintenu, selon les productions de l'appelante, l'activité d'accueil et de logement de vacanciers dans l'établissement, ainsi que les prestations associées, ce qui confirme ainsi que l'activité pouvait continuer à être exploitée ; qu'il n'est pas démontré que la décision de transfert de la politique de vacances à l'ANGDM s'opposait au caractère exploitable de l'entité autonome, la caisse n'établissant pas n'avoir pas reçu le 10 janvier 2014 une entité autonome exploitable, ne justifiant d'aucune interpellation du demandeur à ce titre au terme du mandat, et bénéficiant ultérieurement du produit de la vente du centre ; qu'il en résulte que la cessation de la convention de gestion et la décision de transfert de la politique de vacances à l'ANGDM n'empêchaient pas la continuation de l'exploitation par la Caisse à la date du retour de l'entité dans les mains de cette dernière ; que 2. Sur la prise en charge contractuelle des conséquences des licenciements : selon l'article L. 1224-2 du code du travail, en cas de transfert d'entreprise, le nouvel employeur est tenu de toutes les obligations qui incombaient à l'ancien à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, sauf si la cession intervient dans le cadre d'une procédure collective ou si la substitution d'employeur est intervenue sans qu'il y ait eu de convention, et que le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s'il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux ; que l'intimée n'établit pas que les dispositions de l'article 4.2 du Cahier des clauses particulières relatives aux obligations du gestionnaire pendant l'exécution du contrat de gestion, trouvent à s'appliquer pour régler les conséquences de l'arrivée du terme du contrat, de sorte qu'elle soutient vainement sur le fondement contractuel qu'il incombe à l'appelante de supporter les conséquences salariales postérieurement au contrat ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments l'infirmation du jugement dont appel ; que 3. Sur la demande d'indemnisation : le refus opposé par la CANSSM à la société BELAMBRA CLUBS de prendre en charge le transfert des contrats de travail à compter du 12 janvier 2014 conformément aux dispositions du code du travail applicables, présente un caractère fautif, dont l'appelante établit par les frais divers salariaux qu'elle a exposés qu'il lui a occasionné un préjudice qu'il convient de réparer intégralement ; qu'en conséquence la CANSSM sera condamnée à payer à la société BELAMBRA CLUBS à titre de dommages et intérêts les sommes, non sérieusement contestées et réclamées par l'appelante qui en justifie par la production des bulletins de salaires des salariés concernés, de factures, s'élevant à 1.449.517,70 euros, ce montant étant assorti des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l'article 1231-7 du code civil ; qu'il est fait droit à la demande d'application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil s'agissant des intérêts échus, dus au moins pour une année entière ; que l'intimée sera en outre condamnée à garantir la société BELAMBRA de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés du centre de vacances, mesdames et messieurs [X] [V], [Y] [K], [L] [TI], [D] [R], [O] [W], [C] [S], [C] [TI], [P] [I], [U] [H], [G] [B], [J] [E], [F] [BK], [HB] [WS], [FY] [T], [NG] [M], [PM] [A], [BD] [CN], [ZN] [N], [WE] [Z], [MD] [IE] et [JH] [BA] ; [
] ;
Alors 1°) que l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s'applique qu'en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que le transfert d'une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité peuvent être repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; que la non reconduction d'un marché par lequel une Caisse de sécurité sociale spécifique avait confié la gestion d'un centre de vacances relevant du régime de sécurité sociale en question, en raison de la perte de sa compétence en la matière au profit d'un autre organisme par voie de décrets pris en application de l'ordonnance 45-2250 du 4 octobre 1945 n'entraine pas la reprise d'exploitation de cette activité par la Caisse ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances par la Caisse, motif pris que le transfert des contrats de travail s'appliquait de plein droit quelle que soit la volonté des parties, en l'espèce celle de transférer la gestion de la politique des vacances, cependant que ce transfert ne résultait nullement de la volonté de la Caisse mais, comme l'a admis la cour, des décrets 2012-434 du 30 mars 2012 et 2013-260 du 28 mars 2013, ce qui s'opposait en droit à ce que la Caisse pût reprendre l'exploitation du centre de vacances, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, et caractérisait l'impossibilité de poursuivre l'exploitation du centre et partant le transfert des contrats de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
Alors 2°) en tout état de cause qu'il incombe à celui qui invoque le bénéfice de l'article L. 1224-1 du code du travail d'établir que les conditions en sont remplies ; qu'en reprochant à la Caisse de ne pas démontrer que le transfert de la gestion à l'ANGDM de l'action sanitaire et sociale du régime minier, comprenant le transfert des compétences relatives à la politique des vacances, caractérisait une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances par la Caisse ou que ce transfert s'opposait au caractère exploitable de cette entité autonome, cependant qu'il appartenait à la société BELAMBRA CLUBS qui invoquait le transfert de plein droit des contrats de travail des salariés affectés au centre de démontrer la possibilité de la poursuite de l'exploitation, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;
Alors 3°) que le juge doit respecter l'objet du litige ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n'empêchait pas la continuation de son exploitation par la Caisse, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que l'activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier ; qu'en statuant ainsi, quand la Caisse contestait précisément, au contraire, que l'activité en cause, c'est-à-dire un centre de vacances organisé par les mines et au bénéfice des personnels miniers, avait été reprise, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors 4°) que tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent statuer par affirmation péremptoire ; que pour dire que la résiliation de la convention de gestion du centre de vacances n'empêchait pas la continuation de son exploitation par la Caisse, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas contesté que l'activité en cause avait été ultérieurement reprise par un établissement hôtelier, lequel avait maintenu, selon les productions de la société BELAMBRA CLUBS, l'activité d'accueil et de logement de vacanciers dans l'établissement, ainsi que les prestations associées ; qu'en statuant ainsi, par simple affirmation péremptoire sans préciser quels éléments de preuve pouvaient fonder son appréciation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors 5°) et en tout état de cause qu'en se fondant sur l'exploitation du Centre LATOURNERIE par un établissement hôtelier à partir du mois d'octobre 2015 pour affirmer que la résiliation de la convention d'exploitation entre la Caisse et la société BELAMBRA CLUBS n'avait pas empêché la poursuite de l'exploitation dudit centre, sans caractériser le degré de similarité et d'identité entre les deux exploitations successives, autre que la seule exploitation des locaux, de nature à démontrer la possibilité d'un transfert, cependant que l'activité initiale constituait une modalité de la gestion de la politique de vacances du régime minier, qui avait été retirée à la Caisse à compter du 1er janvier 2014, ce qui constituait une identité spécifique dont il n'a pas été constaté qu'elle avait été conservée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
Alors 6°) que le juge ne doit pas méconnaître la loi du contrat ; que l'article 4.2 du cahier des clauses particulières valant cahier des clauses administratives et techniques au sens de l'article 13 du code des marchés publics prévoyait que les obligations de gestionnaire consistaient notamment en la gestion du personnel employé sur le site « et toutes les conséquences financières qui y sont attachées : embauches, avancements, promotions, salaires, congés payés, indemnités de toutes sortes, y compris licenciements, etc. (...) » ; qu'il appartenait donc à la société BELAMBRA CLUBS de supporter les conséquences financières des licenciements du personnel employé sur le site ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 4.2 susvisé, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors 7°) que dans le cadre d'une substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait de convention entre eux, le nouvel employeur n'est pas tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail sont repris, des dettes et obligations nées antérieurement à cette substitution ; que le nouvel employeur ne peut donc être condamné à garantir l'ancien employeur des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu'à supposer que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail fussent remplies, en condamnant la Caisse à garantir la société BELAMBRA de « tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par les salariés du centre de vacances », cependant qu'elle ne constatait aucune convention de transfert d'entreprise entre la Caisse et la société BELAMBRA, dont l'existence n'a d'ailleurs été invoquée par aucune partie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail ;
Alors 8°) que ce n'est qu'à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent que le nouvel employeur est tenu en application de l'article L. 1224-2 du code du travail, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date du transfert ; que le premier employeur qui est tenu de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur dues à la date du transfert, ne peut en conséquence, sur le fondement de ce texte, solliciter la garantie du nouvel employeur au titre des condamnations indemnitaires mises à sa charge au profit des salariés ; qu'en condamnant la Caisse à garantir la société BELAMBRA de l'ensemble des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à l'encontre de cette dernière, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-2 du code du travail ;
Alors 9°) en tout état de cause que le nouvel employeur n'est pas garant à l'égard de l'ancien employeur des fautes commises par celui-ci avant la rupture du contrat de travail, si bien qu'en condamnant la Caisse à garantir la société BELAMBRA de tous les coûts et conséquences des procédures judiciaires engagées par vingt-et-un salariés du centre de vacances, la cour d'appel a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil, devenu l'article 1231-1. | Il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 que la résiliation par le propriétaire d'un établissement constituant une entité économique autonome du contrat de gestion confié à un prestataire de services, emportant retour de l'entité au propriétaire, celui-ci est tenu de poursuivre les contrats de travail du personnel attaché à l'entité, dès lors que celle-ci demeure exploitable au jour de sa restitution par le gestionnaire.
Est en conséquence approuvé l'arrêt qui, ayant constaté qu'au terme du marché public de droit privé par lequel elle avait confié à une société la gestion d'un centre de vacances dont elle était propriétaire, la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) avait reçu une entité en état d'être exploitée, et qu'il n'était pas démontré que le transfert de la gestion à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) de l'action sanitaire et sociale du régime minier, constituait en lui-même une circonstance caractérisant une impossibilité de continuer l'exploitation du centre de vacances, en a exactement déduit que les contrats de travail en cours s'étaient poursuivis de plein droit avec la caisse au moment où la société avait quitté les lieux |
7,724 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 520 FS-B
Pourvoi n° J 20-10.852
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022
M. [A] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-10.852 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Satisfy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Sony Pictures télévision production France, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Satisfy, les plaidoiries de Me Grévy et celles de Me Célice, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, M. Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2019), M. [S], humoriste connu sous le nom de scène « Tex », a été engagé en qualité d'animateur, entre septembre 2000 et décembre 2017, par de multiples contrats à durée déterminée d'usage conclus avec la société Sony Pictures télévision production France, aux droits de laquelle vient la société Satisfy, pour animer un jeu télévisé dénommé « Les Z'amours », diffusé sur la chaîne France 2.
2. Le 6 décembre 2017, le salarié a été mis à pied et convoqué à un entretien préalable en vue d'une possible sanction pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat de travail. Le 14 décembre 2017, l'employeur lui a notifié la rupture de son contrat pour faute grave.
3. Contestant cette décision et sollicitant la requalification de ses contrats de travail en un contrat à durée indéterminée, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui sont, pour le premier, irrecevable, et, pour le second, pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger motivée la rupture des relations contractuelles, de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et, subsidiairement, dire ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de son employeur à lui verser des indemnités à titre de licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés afférents, alors :
« 1°/ que sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui formule, même en public lors d'une émission de télévision, un trait d'humour provocant, a fortiori lorsqu'il le fait en sa qualité d'humoriste ; qu'en se fondant sur un tel trait d'humour, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui s'exprime, même de façon sarcastique, dans un cercle restreint ; qu'en se fondant également, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, sur des propos que le salarié avait tenu à des collègues en « off », et n'avaient donc fait l'objet d'aucune publicité, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.
7. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
8. Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.
9. Si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.
10. Pour procéder à la mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a d'abord constaté qu'aux conditions particulières du contrat de travail figurait une clause par laquelle l'animateur reconnaissait avoir pris connaissance et s'engageait à respecter l'ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévisions et notamment « le respect des droits de la personne », comme constituant « une des caractéristiques majeures de l'esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision » tandis que la clause figurant à l'article 4.2 du contrat précisait que « toute atteinte à ce principe par Tex, qu'elle se manifeste à l'antenne ou sur d'autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat ».
11. Elle a ajouté que la Charte des antennes France Télévisions prévoyait au chapitre « Respect de la personne et de la dignité », en son paragraphe 2.9, le refus de toute complaisance à l'égard des propos risquant d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe, et en son paragraphe 2.11, le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu'elle peut prendre telles que le sexisme et l'atteinte à la dignité humaine.
12. La cour d'appel a constaté que le 30 novembre 2017, participant à l'émission « C'est que de la télé ! » sur la chaîne C8, le salarié a été invité à conclure par un dernier trait d'humour et a alors tenu les propos suivants : « Comme c'est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? - Elle est terrible celle-là ! - on lui dit plus rien on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! ».
13. La cour d'appel a ensuite relevé que ces propos avaient été tenus alors, d'une part, que l'actualité médiatique était mobilisée autour de la révélation début octobre de « l'affaire [D] » et de la création de blogs d'expression de la parole de femmes tels que « #metoo » et « #balancetonporc » et d'autre part, que quelques jours auparavant, à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2017, le Président de la République avait annoncé des mesures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, rappelant que 123 femmes étaient décédées sous les coups, en France, au cours de l'année 2016.
14. Elle a encore, d'une part, souligné le contexte particulier dans lequel le salarié avait tenu ses propos, au terme d'une émission diffusée en direct et à une heure de grande écoute, dans des circonstances ne permettant pas à leur auteur de s'en distancier pour tenter d'en atténuer la portée, malgré des précautions oratoires qui traduisaient la conscience qu'il avait de dépasser alors les limites acceptables et, d'autre part, constaté que, dans les jours suivants, à l'occasion d'un tournage de l'émission dont il était l'animateur, le salarié, après s'être vanté auprès de l'un des collègues d'avoir ainsi « fait son petit buzz », avait adopté, vis-à-vis d'une autre candidate, une attitude déplacée, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, qui ne correspondait manifestement pas aux engagements qu'il avait renouvelés auprès de son employeur lorsque celui-ci l'avait alerté sur la nécessité de faire évoluer le comportement qu'il avait sur le plateau avec les femmes.
15. Elle a conclu que le comportement adopté par le salarié dans les jours qui ont suivi son intervention dans l'émission « C'est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d'une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages, et que la réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permettait pas de retenir la légitimité des transgressions que s'était autorisées le salarié en abusant de sa liberté d'expression et en s'affranchissant de la clause d'éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit, de tels propos étant, en outre de nature à ternir durablement l'image de la société qui l'employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l'animateur en application des clauses contractuelles liant les parties.
16. De l'ensemble de ces éléments, la cour d'appel qui a fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, a exactement déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré non fondée pour le surplus (c'est-à-dire pour les contrats conclus après le 20 décembre 2015), la demande d'indemnité du salarié pour non-respect des mentions impératives devant figurer aux contrats à durée déterminée.
AUX MOTIFS QUE l'absence de mention de la date de la dernière visite médicale ainsi que du salaire minimal applicable, informations certes prévues par l'article V.2.2. de la convention collective applicable, ne figurent pas au rang des mentions requises par les dispositions légales à peine de requalification du contrat ; qu'enfin, l'existence d'engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, l'interdiction d'effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurs à la conclusion du contrat, avec une rémunération future garantie ne constituent pas non plus des mentions de nature à entraîner la requalification des contrats.
1° ALORS QU'aux termes de l'article V.2.2. de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, le contrat à durée déterminée d'usage doit impérativement mentionner la date de la dernière visite médicale et le salaire minimum applicable ; que si l'omission de ces mentions ne peut entraîner la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée, elle peut donner lieu à dommages-intérêts lorsque le salarié démontre l'existence d'un préjudice causé par cette omission ; qu'en se bornant à énoncer que ces indications ne figuraient pas au rang des mentions requises par les dispositions légales à peine de requalification du contrat, sans rechercher si leur omission n'avait pas néanmoins causé un préjudice au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article V.2.2. de la convention collective nationale de la production audiovisuelle.
2° ALORS QU'en retenant que l'existence d'engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, et l'interdiction d'effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurs à la conclusion du contrat ne constituaient pas des mentions de nature à entraîner la requalification des contrats, la cour d'appel, qui n'a pas davantage recherché si le salarié avait subi un préjudice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé motivée la rupture des relations contractuelles, d'avoir débouté le salarié de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et, subsidiairement, à voir dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'avoir débouté de ses demandes tendant à voir condamner l'employeur à lui verser des indemnités à titre de licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés afférents.
AUX MOTIFS propres QUE la lettre adressée à M. [S] le 14 décembre 2017, qui fixe les termes du litige, repose sur une violation des obligations contractuelles par référence à la clause d'éthique insérée au contrat, violation résultant d'une part, des propos tenus lors de l'émission « C'est que de la télé ! », d'autre part, de la réitération de déclarations sexistes et des allusions à la polémique et à une prétendue censure lors des tournages du jeu « Les Z'amours » les 1er, 4 et 5 décembre 2017 ; que contrairement à ce que soutient M. [S], les faits invoqués sont précis et circonstanciés, la lettre n'encornant pas la critique d'une imprécision des motifs et l'employeur n'a pas l'obligation de reproduire intégralement l'ensemble des propos incriminés, même s'il lui appartient dans le cadre d'un litige, d'apporter la preuve de ces faits invoqués à l'appui d'une faute grave ; que par ailleurs, il ressort très clairement des attestations de M. [N] [H], directeur de production de l'émission « Les Z'amours » et de M. [F] [B], directeur général de la société Studios de France, prestataire technique chargé du tournage (pièces 64 et 65 société), que le dispositif technique mis en place entraîne la transmission, en permanence et pendant toute la durée du tournage, des sons et images captés sur le plateau et ce, même pendant les interruptions du jeu télévisé ; que tant M. [H] que M. [B] précisent qu'aucune interruption des flux audio-vidéo n'est envisageable pendant le tournage qui dure environ 50 minutes ; que ces déclarations ne sont nullement en contradiction avec celles faites par M. [Z] [G] (pièce 40 appelant) qui indique seulement que dans une même journée, il y a des arrêts ou coupures de tournage (coupure repas, changement de décor, ...), pendant lesquelles les conversations privées ne sont pas enregistrées ; qu'elles sont au demeurant confortées par celles de Mme [K] [C]-[R], productrice artistique de l'émission, qui indique que le passage en tournage dématérialisé, en 1993, a entraîné l'enregistrement des sons et images sous forme numérique (et non plus sur bandes) et leur envoi dans un serveur ; que Mme [C]-[R] précise qu'entre le moment où le tournage d'une émission commence et celui où il se termine, l'enregistrement des images et des sons continue, y compris pendant les pauses inter-plateaux ; qu'elle ajoute qu'en 2017, elle a commencé à poster sur Facebook, des extraits de séquences « off » de ces inter-plateaux et que « Tex lui faisait régulièrement part de ses remarques pour en améliorer le contenu » ; qu'elle précise enfin que si « Tex » voulait lui parler discrètement, il couvrait son micro de sa main afin que personne ne puisse les entendre ; que M. [S] ne peut donc valablement soutenir qu'il ignorait avoir été enregistré lors des tournages réalisés les 1er, 4 et 5 décembre 2017 et, par conséquent qu'il se serait trouvé dans l'impossibilité d'identifier les propos qui lui ont ensuite été reprochés par son employeur, étant ajouté que celui-ci justifie que les extraits régulièrement communiqués tant en première instance qu'en cause d'appel, correspondent à des « rushes » de tournage et non à des conversations privées enregistrées entre deux émissions, les micros étant coupés lors du lancement du générique de fin de l'émission, ce dont atteste M. [H] ; que M. [S] ne peut pas non plus dès lors invoquer le caractère déloyal du mode de preuve ainsi utilisé par la société Sony Pictures Télévision Production ; que s'agissant du premier motif invoqué à l'appui de la rupture, il est incontestable qu'un humoriste dispose et doit disposer d'une liberté d'expression plus grande que d'autres acteurs du monde médiatique tels que les journalistes ou les critiques ; que cependant, il n'existe pas d'impunité de principe et la liberté d'expression de l'humoriste doit demeurer dans certaines limites et, même si l'excès, l'outrance sont la loi du genre, la frontière séparant le comique et la dérision de la polémique grave ne peut pas être franchie ; qu'or, en l'espèce, d'une part, en vertu de la clause d'éthique figurant à son contrat, M. [S] s'était engagé au respect des droits de la personne, et notamment des femmes, et donc à refuser toute valorisation de la violence à leur égard par des propos tenus sur des antennes de télévision ; que d'autre part, il ne pouvait ignorer le contexte particulier dans lequel il a tenu les propos litigieux, s'inscrivant à la suite de la révélation d'abus de pouvoir commis par une personnalité commis sur des jeunes femmes et de la journée de mobilisation pour la lutte contre les violences faites aux femmes ; qu'enfin, cette « blague » a été racontée à une heure de grande écoute, en direct, à l'issue de la prestation de l'humoriste juste avant qu'il ne quitte le plateau, situation rendant impossible une mise à distance de celui-ci par rapport aux propos tenus, distanciation seule de nature à en atténuer et à en contre-balancer la portée ; que les précautions oratoires utilisées par M. [S] traduisent d'ailleurs la conscience qu'il avait lui-même de dépasser les limites acceptables de l'exercice de sa liberté d'expression, le présentateur de l'émission ayant également réalisé immédiatement le caractère particulièrement déplacé de cette « blague » puisqu'il évoque la possibilité de perdre sa place ; que par ailleurs, sous prétexte du support du mode comique, il a réitéré des propos particulièrement dégradants et indignes de sa fonction lors des tournages qui ont suivi ; après s'être vanté auprès d'un collègue le 1er décembre 2017, en réitérant la « blague » sortie dans l'émission « C'est que de la télé ! », d'avoir « fait son petit buzz » ; que le 4 décembre 2017, il parle de l'une des candidates du jeu qui attend sur le plateau, en ces termes : « Hey, tu sais quoi ? Elle est un peu grosse mais je suis sûr que ça doit être une chiennasse. Elle a un pompier dans le dos. 37 ans ! Putain, ça ça doit être ...37 ans elle a ! Je suis sûre qu'au lit ça c'est.... Tu sais où ça doit être le mieux ? Parce qu'elle a l'air d'avoir une belle paire de meules. C'est quand elle te pompe le dard et que tu as les loches qui viennent taper sur tes couilles. Là c'est le meilleur passage [...] » ; qu'à la fin de cette conversation avec un collègue en coulisses, celui-ci répond : « Du coup c'est bien je vais la voir de profil », M. [S] déclarant alors, avant de repartir sur le plateau interroger les candidats : « Ah mais moi qui l'ai vue de profil, tu ne vois que ça, elle estsurlochée [...] » ; que ces échanges, tels que reproduits dans leur intégralité dans les écritures et en pièce 18c de la société, qui correspondent à l'enregistrement vidéo communiqué, sont particulièrement contraires à l'engagement éthique pris par le salarié ainsi qu'aux fonctions qu'il exerçait et spécialement inopportuns, compte tenu de la vague de critiques qu'avaient déjà suscitée ses propos précédents sur la chaîne C8 ; qu'or, contrairement à ce que prétend M. [S], au-delà de son engagement éthique contractuel, il avait été alerté à plusieurs reprises sur la nécessité d'évoluer dans son rôle d'animateur, notamment dans l'attitude et le comportement qu'il pouvait avoir sur le plateau avec les femmes, ainsi qu'en attestent Mmes [C]-[R] et [L] (pièce 48 et 49 société), qui précisent qu'il s'était engagé, à l'issue d'une réunion en novembre, à « faire un effort pour s'intéresser plus aux femmes dans l'émission » ; que Mme [C]-[R] indique qu'elle avait appelé son attention sur le fait qu'il « faisait de l'humour au détriment des candidates plutôt qu'avec elles » et qu'elle avait tenté de faire comprendre à « Tex » que lui aussi devait évoluer ; elle ajoute qu'elle avait demandé aux membres de l'équipe post prod d'être de plus en plus vigilants lors du montage des émissions ; que l'attitude adoptée le 4 décembre 2017 vis-à-vis d'une autre candidate, telle qu'elle est décrite en pièce 18 b de la société, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, ne correspondait manifestement pas à cet engagement, l'animateur persistant dans son comportement malgré la gêne manifeste dans laquelle il plaçait cette jeune femme ; qu'ainsi que l'employeur l'a relevé dans la lettre de rupture, le comportement adopté par M. [S] dans les jours qui ont suivi son intervention dans l'émission « C'est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d'une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages ; que la réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permet pas de retenir la légitimité des transgressions que s'est autorisées le salarié en abusant de sa liberté d'expression sous le prétexte de sa qualité d'humoriste et en s'affranchissant de la clause d'éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit ; que l'ensemble de ces faits caractérisent la faute alléguée de nature à ternir durablement sa propre image mais aussi celle de la société qui l'employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l'animateur en application des clauses contractuelles liant les parties (pièce 17 société) ; qu'enfin, M. [S] ne saurait valablement se retrancher derrière le fait que le tournage a continué pendant trois jours et que les émissions alors réalisées ont néanmoins été diffusées jusqu'à la fin du mois de janvier 2018 ; qu'en effet, liée par contrat avec la chaîne de télévision, la société Sony Pictures Télévision Production ne pouvait, sans risquer mie résiliation anticipée et à ses torts de ce contrat, cesser d'honorer ses engagements ; que par ailleurs, la prétendue volonté de la société Sony Pictures Télévision Production d'évincer M. [S] de l'animation de cette émission ne saurait se déduire de contacts pris par l'employeur, à une date non précisée, mais en tout cas, largement antérieure à la rupture, auprès de deux autres humoristes (pièce 19 appelant), une telle intention étant au demeurant démentie par les attestations précitées de Mme [C]-[R] et [L] ; qu'en considération de l'ensemble de ces éléments, la décision déférée qui a considéré que le licenciement reposait sur une faute grave et débouté M. [S] de ses demandes à ce titre, sera confirmée.
AUX MOTIFS adoptés QUE les propos reprochés à Monsieur [S] ont été tenus sur une chaîne de télévision, lors d'une émission diffusée en direct et à une heure de grande écoute ; que, lors de cette interview sur C8 dont la retranscription est versée au débat, Monsieur [S] a été présenté par Monsieur [W] [E] comme l'animateur de longue date du jeu télévisé de France 2 les Z'amours, attendu qu'il s'est exprimé sur cette activité d'animateur des Z'amours bien plus longtemps que sur son dernier DVD, il ne fait aucun doute qu'il ait été perçu par les téléspectateurs lors de cet entretien comme l'animateur des Z'amours et non comme un simple humoriste ; que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, saisi par la Secrétaire d'état chargée de l'Egalité des femmes et des hommes à la suite de la diffusion de cette séquence, a estimé que la diffusion d'une telle séquence « pouvait être perçue comme contribuant à la banalisation de comportements inacceptables » ; qu'est versé au débat le courrier officiel de France Télévisions en date du 5 décembre 2017 dans lequel elle exige le remplacement de Monsieur [S] comme animateur des Z'amours ; que TF1, suite à cet incident, a décidé le 4 décembre 2017 d'annuler la participation de Monsieur [S] à l'émission : « le grand concours des humoristes » ; que Monsieur [S] conteste que soit versée au débat la retranscription des rushes des émissions tournées les 1er, 4 et 5 décembre, arguant d'un moyen de preuve déloyal et attentatoire à la vie privée du salarié ; que cependant, animateur depuis dix-sept ans, il ne pouvait ignorer que les micros restaient branchés tout au long du tournage des émissions, y compris pendant les coupures entre deux plans ; qu'enfin lors que le Conseil juge recevables ces rushes en tant que preuves du comportement de Monsieur [S] durant le tournage de ces émissions ; qu'il apparait, à la lecture de la retranscription des rushes des émissions tournées les 1er, 4 et 5 décembre 2017 que Monsieur [S] a multiplié les déclarations à propos d'une prétendue censure dont il soutient faire l'objet ; qu'il a de plus multiplié les propos sexistes et attentatoires à la dignité des femmes à l'égard de certaines candidates : « elle est un peu grosse, je suis sûr que ça doit être une chiennasse », « Chérie, je vais te faire redécouvrir la viande... ça peut être mal interprété...viens dans le lit ! » et de certaines collègues : « Ca fait sept ans que tu travailles aux Z'amours,.. et on n'a jamais niqué ? ; Qu'est-ce que j'ai changé ! Dans le temps, mais toutes. A droite, à gauche, devant, derrière » ; qu'il y apparaît également que Monsieur [S] se moque ouvertement de la cause nationale de lutte contre les violences faites aux femmes et compare le mouvement de libération de la parole des femmes à la délation sous Vichy : « C'est Vichy...non mais, les gens font de la délation maintenant putain mais dans quel pays on vit, quel pays de merde ! » ou encore « nous allons lancer un signalement ! c'est à la mode maintenant ! » ; que de plus qu'il apparaît également à la lecture de ces retranscriptions que Monsieur [S] a sciemment dépassé les limites de sa liberté d'expression puisqu'il indique sur le plateau des Z'amours : « Ca y est j'ai fait le buzz les gars, j'ai fait mon petit buzz. Je sais je sais je sais, au moment où je l'ai fait je me suis dit houhouhouhou. Puis en même temps je me suis dit bon ça va faire un peu de buzz » ; que donc Monsieur [S], loin de regretter les propos tenus sur C8, n'a cessé les jours suivants de les revendiquer et de multiplier les propos sexistes et attentatoires à la dignité des femmes, ceci en violation manifeste de ses engagements contractuels ; que sont versés au débat le mail de Madame [M], de France télévisions, alertant l'employeur dès 2013 sur les dérapages de l'animateur et les attestations de Mesdames [C] et [L] de SONY Picture Télévision Production attestant des échanges répétés avec l'animateur en 2017 sur ce sujet ; que le Conseil juge qu'en raison des éléments probants ci-dessus exposés, la rupture, du contrat de travail de Monsieur [S] par SONY P1CTURES TELEVISION PRODUCTIONS est fondée sur une faute grave ; que le Conseil juge que la revendication de ces propos et la réitération de propos sexistes et attentatoires à la dignité, de la part du salarié ne permettaient pas la poursuite du contrat ; qu'en conséquence, le Conseil juge motivée la rupture anticipée du CDDU pour faute grave ; que le juge, qui requalifie la relation contractuelle de CDD en CDI doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse ; que les CDDU ont été requalifiés en CDI ; que d'autre part Monsieur [S] a bénéficié d'un entretien préalable auquel il s'est présenté accompagné et que la lettre de rupture de la relation de travail est précise et circonstanciée dénonçant des faits constitutifs d'une faute grave ; que de plus les faits reprochés ne sont pas contestés par le demandeur, celui-ci arguant, pour sa défense, de sa liberté d'expression et de son droit à l'humour ; qu'en conséquence, le Conseil juge motivée la rupture des relations pour faute grave et déboute Monsieur [S] de toutes ses demandes au titre de la rupture de la relation de travail.
1° ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui formule, même en public lors d'une émission de télévision, un trait d'humour provocant, a fortiori lorsqu'il le fait en sa qualité d'humoriste ; qu'en se fondant sur un tel trait d'humour, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2° ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui s'exprime, même de façon sarcastique, dans un cercle restreint ; qu'en se fondant également, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, sur des propos que le salarié avait tenu à des collègues en « off », et n'avaient donc fait l'objet d'aucune publicité, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3° ALORS QUE la faute grave doit être appréciée in concreto ; qu'en omettant d'apprécier la gravité des faits, comme le salarié l'y invitait, au regard de son ancienneté de 17 ans, de son absence de sanction antérieure, de ses qualités professionnelles unanimement reconnues et des excuses qu'il a publiquement présentées, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.
4° ALORS, en outre, QUE le comportement que l'employeur a longtemps toléré ne saurait constituer une faute grave, justifiant un départ immédiat du salarié de l'entreprise ; qu'en omettant de tenir compte, pour apprécier la gravité de la faute, du comportement ambigu de l'employeur qui avait longtemps toléré et même largement encouragé les traits d'humour provocants du salarié, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. | La rupture du contrat de travail, motivée par des propos tenus par le salarié, constituant une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.
Doit être approuvé l'arrêt qui, ayant fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, en a déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié |
7,725 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 521 FS-B
sur le moyen unique pris en ses première et deuxième branches
Pourvois n°
U 20-20.567
X 20-20.570
Y 20-20.571 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022
La société Pitney Bowes, société par actions simplifiée, dont le siège est immeuble Le Triangle, [Adresse 4], a formé les pourvois n° U 20-20.567, X 20-20.570 et Y 20-20.571 contre trois arrêts rendus le 30 juillet 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [M] [K], domicilié [Adresse 3],
2°/ à M. [C] [I], domicilié [Adresse 2],
3°/ à Mme [T] [B], domiciliée [Adresse 1],
4°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de chacun de ses pourvois, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Pitney Bowes, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [K], de Mme [B] et de M. [I], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, M. Carillon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n°U 20-20.567, X 20-20.570 et Y 20-20.571 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 30 juillet 2020) et les productions, la société Pitney Bowes a établi, dans le cadre d'un projet de réorganisation, un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui a été homologué par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) le 2 juin 2015. Ce plan prévoyait notamment la suppression des 61 postes d'attachés commerciaux, regroupés au sein d'une même catégorie professionnelle et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux, devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés.
3. M. [K] et deux autres salariés, occupant les fonctions d'attaché commercial, licenciés le 15 juillet 2015, ont saisi la juridiction prud'homale afin de contester leur licenciement et obtenir le paiement de dommages-intérêts, à titre principal, pour licenciement abusif et, à titre subsidiaire, pour non-respect des critères d'ordre.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief aux arrêts de rejeter l'exception d'incompétence , de dire que le licenciement de chaque salarié est sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à la suite du licenciement dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la Direccte a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, le salarié soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes du salarié, dès lors que ce dernier contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
2°/ que si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par le salarié avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit le salarié à occuper les mêmes fonctions que celles qu'il exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la Direccte et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
6. Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.
7. La cour d'appel, qui n'était saisie d'aucune contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi au regard des emplois existants dans l'entreprise au moment de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan mais qui était saisie d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement, a décidé à bon droit, sans méconnaître l'autorité de chose décidée par la Direccte, que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de cette demande.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait le même grief aux arrêts, alors « que la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste du salarié n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail :
10. Il résulte de ces textes que l'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement d'une cause réelle et sérieuse mais donne lieu à l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de l'emploi du salarié.
11. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts à ce titre, les arrêts énoncent que les postes d'attaché commercial n'ont pas été supprimés, les missions dévolues aux nouveaux ingénieurs commerciaux étant celles occupées par chacun des salariés avant le licenciement et que ceux-ci démontrent d'ailleurs que l'employeur avait envisagé de les recruter sur l'un des postes d'ingénieur commercial nouvellement créés puisqu'ils avaient été reçus par un cabinet de recrutement le 28 mai 2015.
12. Ils soulignent également qu'en mettant en avant que, dans sa nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux MAM était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux, la société reconnaît implicitement qu'elle était confrontée à un problème de sureffectif.
13. Ils en concluent que, faute pour l'employeur de justifier de la suppression effective du poste occupé par chacun des salariés et sans qu'il soit besoin d'examiner la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou encore le respect de son obligation de reclassement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur n'avait effectivement pas supprimé tous les postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle les salariés appartenaient mais seulement un certain nombre puisque le nombre de postes créés, dont les fonctions étaient identiques à celles des postes supprimés, était inférieur au nombre initial de postes d'attachés commerciaux, ce dont il résultait que l'employeur avait méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements en s'abstenant d'appliquer les critères d'ordre fixés pour déterminer les salariés licenciables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, ordonnent à la société Pitney Bowes, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, de rembourser à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite des licenciements, dans la limite de six mois, condamnent la société Pitney Bowes à payer à chaque salarié une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel et la déboute de sa propre demande d'indemnité de procédure, les arrêts rendus le 30 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans autrement composée ;
Condamne MM. [K], [I] et Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Pitney Bowes, demanderesse au pourvoi n° U 20-20.567
La société Pitney Bowes fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur, d'AVOIR dit que le licenciement de M. [K] est sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Pitney Bowes à payer à M. [K] la somme de 125.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et de lui AVOIR ordonné de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à M. [K] à la suite de son licenciement dans la limite de six mois ;
1. ALORS QUE l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la Direccte a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, le salarié soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes du salarié, dès lors que ce dernier contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
2. ALORS QUE si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par le salarié avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit le salarié à occuper les mêmes fonctions que celles qu'il exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la Direccte et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste du salarié n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail.
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Pitney Bowes, demanderesse au pourvoi n° X 20-20.570
La société Pitney Bowes fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur, d'AVOIR dit que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Pitney Bowes à payer à M. [I] la somme de 34.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et de lui AVOIR ordonné de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à M. [I] à la suite de son licenciement dans la limite de six mois ;
1. ALORS QUE l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la Direccte a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, le salarié soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes du salarié, dès lors que ce dernier contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
2. ALORS QUE si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par le salarié avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit le salarié à occuper les mêmes fonctions que celles qu'il exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la Direccte et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste du salarié n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail.
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Pitney Bowes, demanderesse au pourvoi n° Y 20-20.571
La société Pitney Bowes fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté l'exception d'incompétence soulevée par l'employeur, d'AVOIR dit que le licenciement de Mme [B] est sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Pitney Bowes à payer Mme [B] la somme de 110.400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et de lui AVOIR ordonné de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage payées à Mme [B] à la suite de son licenciement dans la limite de six mois ;
1. ALORS QUE l'autorité administrative saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi doit contrôler la définition des catégories professionnelles qui serviront de cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et du nombre de suppressions d'emplois et des catégories professionnelles concernées ; qu'en conséquence, si le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier la réalité de la suppression du poste du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative et, en particulier, la validation par l'autorité administrative des catégories professionnelles et du nombre de suppressions d'emplois au sein de ces différentes catégories ; qu'en l'espèce, la Direccte a homologué le document unilatéral qui prévoyait le regroupement, au sein d'une catégorie professionnelle distincte, des 61 postes d'attachés commerciaux, la suppression de ces 61 postes et la création de 35 postes d'ingénieurs commerciaux devant être proposés en reclassement aux salariés occupant les postes supprimés, ce dont il résulte que les critères d'ordre des licenciements ne seraient pas appliqués aux attachés commerciaux ; que, sous couvert de contester la suppression de son emploi, la salariée soutenait que les emplois d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux comportaient des fonctions identiques, de sorte que les postes d'attachés commerciaux n'avaient pas tous été supprimés et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû trouver à s'appliquer ; qu'en affirmant cependant que le juge judiciaire était compétent pour connaître des demandes de la salariée, dès lors que cette dernière contestait la réalité de la suppression de son emploi et donc la réalité du motif économique, cependant que cette contestation remettait en cause l'appréciation portée par l'autorité administrative sur le cadre d'application des critères d'ordre des licenciements et le nombre de suppressions d'emplois, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-2 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
2. ALORS QUE si le juge judiciaire est compétent pour apprécier la réalité de la suppression de l'emploi du salarié, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, l'autorité administrative, qui est tenue de contrôler les catégories professionnelles et le nombre de suppressions d'emplois, avait validé le document unilatéral qui distinguait au sein de deux catégories distinctes les postes d'attachés commerciaux existants et les postes d'ingénieurs commerciaux devant être créés et qui prévoyait la suppression de tous les postes d'attachés commerciaux, ce qui impliquait l'inapplication des critères d'ordre des licenciements au sein de cette catégorie professionnelle ; que, cependant, pour dire qu'il n'était pas démontré que le poste d'attaché commercial occupé par la salariée avait été supprimé, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que les postes d'ingénieurs commerciaux créés dans le cadre de la réorganisation n'auraient pas conduit la salariée à occuper les mêmes fonctions que celles qu'elle exerçait au poste d'attaché commercial et que le nombre de postes d'ingénieurs commerciaux dans la nouvelle organisation était inférieur au nombre de postes d'attachés commerciaux dans l'ancienne ; qu'en se fondant sur une telle appréciation qui implique, d'une part, que les postes d'attachés commerciaux et ceux d'ingénieurs commerciaux auraient dû être rattachés à la même catégorie professionnelle et que les critères d'ordre des licenciements auraient dû être mis en oeuvre au sein de cette catégorie professionnelle dès lors que le nombre de postes supprimés était supérieur au nombre de postes créés, et d'autre part, que le nombre de suppression d'emplois au sein de cette catégorie tel qu'indiqué dans le document unilatéral était surévalué, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la décision de la Direccte et violé les articles L. 1233-57-3 et L. 1233-24-4 du code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 24 août 1790 ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE la suppression de l'emploi du salarié n'implique ni la suppression de son poste, ni la suppression de tous les postes de la catégorie professionnelle à laquelle il appartient ; qu'en cas de suppression d'une partie des postes au sein d'une même catégorie professionnelle, l'employeur doit mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en conséquence, le juge qui constate que l'employeur a effectivement supprimé des postes au sein de la catégorie professionnelle à laquelle le salarié licencié appartient ne peut en déduire que l'emploi de ce salarié n'a pas été supprimé, mais uniquement que l'employeur a méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements s'il n'a pas appliqué les critères d'ordre pour déterminer les salariés licenciables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans la nouvelle organisation, le nombre d'ingénieurs commerciaux était inférieur au nombre initial d'attachés commerciaux dans l'ancienne organisation, de sorte qu'une partie des postes d'attachés commerciaux, à supposer même qu'ils aient été de même nature que les postes d'ingénieurs commerciaux, avait bien été supprimée ; qu'en déduisant de ces constatations que la réalité de la suppression du poste de la salariée n'était pas établie et qu'en conséquence son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, quand elle pouvait uniquement en déduire une éventuelle méconnaissance des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1233-5 du code du travail. | Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.
C'est dès lors à bon droit, sans méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative, qu'une cour d'appel qui n'était pas saisie d'une contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan, retient la compétence du juge judiciaire pour connaître d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement |
7,726 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 524 FS-B
Pourvoi n° P 19-17.614
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022
M. [G] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 19-17.614 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2019 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige l'opposant à la société ITM logistique alimentaire international, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [L], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société ITM logistique alimentaire international, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Pietton, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 2019), M. [L] a été engagé le 5 juin 1989 en qualité d'agent comptable par la société Intermarché. En dernier lieu, il exerçait les fonctions d'administrateur financier de gestion, au statut cadre, au sein de la société ITM logistique alimentaire international.
2. Le 21 novembre 2011, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.
3. Le 24 juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de ce licenciement et obtenir la condamnation de l'employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son action est prescrite et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le salarié faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les dispositions de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant de 5 à 2 ans le délai de prescription de l'action en contestation de toute rupture du contrat de travail, en ce qu'elles apportent une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, sont contraires aux dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant l'action prescrite, sans répondre à ce moyen d'inconventionnalité opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès aux tribunaux n'étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, laquelle peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6 , § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, n° 28028/95, § 34).
7. Elle juge notamment que les délais légaux de péremption ou de prescription, qui figurent parmi les restrictions légitimes au droit d'accès à un tribunal, ont plusieurs finalités importantes : garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer, et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (CEDH Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, n° 22083/93 et 22095/93, § 51-52).
8. La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a substitué à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, l'article L. 1471-1 du code du travail selon lequel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
9. Cette réduction du délai de prescription applicable à toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail ne méconnaît pas les exigences de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le délai biennal a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale.
10. Il résulte de ce motif de pur droit que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [L]
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'action est prescrite et d'AVOIR débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes.
AUX MOTIFS propres QU'il est constant qu'au jour de la notification à [G] [L] de son licenciement le 21 novembre 2011, son droit d'agir en contestation du bien-fondé de ce licenciement était soumis aux dispositions de l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, ainsi rédigé : "Les actions personnelles mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer." ; que la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a créé l'article L. 1471-1 du code du travail ainsi rédigé : "Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qu'il exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit." ; que l'article 21,V de cette loi du 14 juin 2013 prévoyait une disposition transitoire ainsi rédigée : "Les dispositions du code du travail prévu aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. (...)" ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement adressée à [G] [L] le 21 novembre 2011 comportait sur plusieurs pages une explicitation des motifs de ce licenciement, en ce qui concernait tant la nécessité de sauvegarder la compétitivité de la société ITM-LAI que la procédure de licenciement économique suivie par l'employeur (élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, consultation des institutions représentatives du personnel) et que l'impossibilité où l'employeur estimait se trouver de reclasser l'intéressé ; que par ce document, l'employeur apportait à [G] [L] les éléments d'information de nature à lui permettre de se faire une opinion sur l'éventuelle absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et en particulier sur la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ITM-LAI et la nécessité de sauvegarder cette compétitivité ; que [G] [L] ayant une formation de comptable et exerçant ce métier depuis des années au sein de l'entreprise, il était particulièrement à même d'apprécier dès la réception de ce courrier de licenciement la nécessité de s'informer auprès des organismes de représentation du personnel (IRP ou organisations syndicales, par exemple) du contexte économique et comptable dans lequel ce licenciement collectif intervenait, sans avoir besoin d'attendre, pour découvrir les éventuels arguments de nature à motiver sa contestation du licenciement, le prononcé en octobre 2014 par divers conseils de prud'hommes de jugements faisant droit à la contestation par d'autres salariés de leurs propres licenciements respectifs ; qu'il s'ensuit que, comme le soutient pertinemment l'employeur, [G] [L], dès la réception de cette lettre de licenciement du 21 novembre 2011, connaissait les faits de nature lui permettent d'exercer son droit de contester son licenciement, ou aurait dû les connaître, ayant la possibilité de prendre connaissance du contexte réel de cette rupture et de s'informer en détail à ce sujet ; que le délai de prescription litigieux, initialement de 5 ans, a donc bien couru à compter de la réception par le salarié de ce courrier fin novembre 2011, il s'est ensuite trouvé réduit à 2 ans à compter du 17 juin 2013 consécutivement à l'entrée en vigueur du nouvel article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction précitée issue de la loi du 14 juin 2013, et a expiré au terme de ce délai le 17 juin 2015 ; que l'action introduite par [G] [L] devant du conseil de prud'hommes le 24 juin 2015 (et non le 17 juin 2015 comme l'écrit à tort son avocat en page 12 ses conclusions d'appel) est donc totalement irrecevable comme prescrite, et le jugement déféré ne peut ici qu'être confirmé.
AUX MOTIFS adoptés QUE Monsieur [G] [L] ne peut pas prétendre qu'il ignorait les conséquences juridiques attachées aux motivations de son licenciement dont il avait connaissance dès la notification de celui-ci et qu'il ne peut se prévaloir d'une décision rendue dans le cadre d'une instance à laquelle il n'était pas partie ; qu'enfin il est de jurisprudence constante que le point de départ du délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement court à compter de la notification de celui-ci ; (
) que le délai de prescription, alors de 5 ans, a donc commencé à courir à la date du 21 novembre 2011, date de notification du licenciement de Monsieur [G] [L] par la Société ITM Logistique Alimentaire Internationale ; que l'action n'était pas prescrite au jour de la promulgation de la loi, le 17 juin 2013, rapportant ce délai à 2 ans à compter de cette date, qu'en application des dispositions transitoires ci-dessus rappelées, le délai dont disposait Monsieur [L] pour saisir le Conseil de prud'hommes en contestation de son licenciement a expiré le 17 juin 2015 ; que Monsieur [G] [L] a introduit sa demande en justice le 24 juin 2015 ; que cette action était donc prescrite à cette date.
1° ALORS QUE le délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement ne commence à courir, conformément au principe édicté par l'article 2224 du code civil, repris à l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qu'au jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que pour fixer le point de départ de la prescription à la date de notification du licenciement et, partant, déclarer l'action du salarié prescrite, l'arrêt relève, d'une part, que la lettre de licenciement apportait à ce dernier les éléments d'information de nature à lui permettre de se faire une opinion sur l'éventuelle absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et en particulier sur la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise et la nécessité de sauvegarder cette compétitivité, d'autre part, que le salarié ayant une formation de comptable et exerçant ce métier depuis des années au sein de l'entreprise, il était à même d'apprécier dès la réception de ce courrier de licenciement la nécessité de s'informer auprès des organismes de représentation du personnel (IRP ou organisations syndicales) du contexte économique et comptable dans lequel ce licenciement collectif intervenait ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser que le salarié, dès la notification de son licenciement, connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
2° ALORS QUE la connaissance par le titulaire d'un droit des faits lui permettant de l'exercer peut résulter d'une action en justice exercée par un tiers ; qu'en retenant cependant, à supposer adopté ce motif du jugement, que le salarié « ne pouvait se prévaloir d'une décision rendue dans le cadre d'une instance à laquelle il n'était pas partie », la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
3° ALORS, en outre, QU'en se fondant sur la jurisprudence selon laquelle « le point de départ du délai de prescription de l'action en contestation d'un licenciement court à compter de la notification de celui-ci », quand cette règle n'interdit pas de rechercher un point de départ de la prescription postérieur à la notification du licenciement en cas d'ignorance du salarié, la cour d'appel, à supposer adopté ce motif du jugement, a violé derechef l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable.
4° Et ALORS QUE le salarié faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les dispositions de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant de 5 à 2 ans le délai de prescription de l'action en contestation de toute rupture du contrat de travail, en ce qu'elles apportent une restriction disproportionnée au droit d'accès à un tribunal, sont contraires aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déclarant l'action prescrite, sans répondre à ce moyen d'inconventionnalité opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | La réduction du délai de prescription par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui a substitué à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, une prescription biennale prévue à l'article L. 1471-1 du code du travail, selon lequel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge dès lors que ce délai a pour finalité de garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions du salarié dûment informé des voies et délais de recours qui lui sont ouverts devant la juridiction prud'homale |
7,727 | N° U 21-81.889 FS-B
N° 00392
RB5
20 AVRIL 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 AVRIL 2022
La société [2] SA a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 4 mars 2021, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs, notamment, de financement d'entreprise terroriste, complicité de crimes contre l'humanité et mise en danger de la vie d'autrui, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa contestation de la recevabilité des constitutions de partie civile de MM. [J] [R], [RS] [J] [H], [K] [F], [I] [M], [T] [S] [B], [Y] [E] [A], [G] [D], [C] [U] [J], [V] [U] [N], [O] [WU], [W] [RR], [J] [P], [AR] [GL] et [L] [X] du chef de financement d'entreprise terroriste.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société [2] SA, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de MM. [J] [R], [RS] [J] [H], [K] [F], [I] [M], [T] [S] [B], [Y] [E] [A], [G] [D], [C] [U] [J], [V] [U] [N], [O] [WU], [W] [RR], [J] [P], [AR] [GL] et [L] [X], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société [2] SA (la société [2]), de droit français, dont le siège social se trouvait à [Localité 5], a fait construire une cimenterie près de Jalabiya (Syrie), qui a été mise en service en 2010. Cette cimenterie était exploitée par une de ses sous-filiales, dénommée [3] (la société [3]), de droit syrien, détenue à plus de 98 % par la société mère.
3. Entre 2012 et 2015, le territoire sur lequel se trouve la cimenterie a fait l'objet de combats et d'occupations par différents groupes armés, dont l'organisation dite Etat islamique (EI).
4. Pendant cette période, les salariés syriens de la société [3] ont poursuivi leur travail, permettant le fonctionnement de l'usine, tandis que l'encadrement de nationalité étrangère a été évacué en Egypte dès 2012, d'où il continuait d'organiser l'activité de la cimenterie. Logés à [Localité 4] par leur employeur, les salariés syriens ont été exposés à différents risques, notamment d'extorsion et d'enlèvement par différents groupes armés, dont l'EI.
5. La cimenterie a été évacuée en urgence au cours du mois de septembre 2014, peu avant que l'EI ne s'en empare.
6. A la suite d'une plainte du ministre des finances du 21 septembre 2016 du chef de relations financières illicites entre la France et la Syrie, une enquête a été ordonnée qui a conclu que le groupe [2], en maintenant son activité en Syrie, avait contribué indirectement aux financements de groupes armés locaux dont certains sont considérés par la communauté internationale comme terroristes.
7. Parallèlement, le 15 novembre 2016, onze employés syriens de la société [3], ainsi que les associations [6] et [1] ([1]), ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du doyen des juges d'instruction des chefs de financement d'entreprise terroriste, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, exploitation abusive du travail d'autrui, négligence, mise en danger de la vie d'autrui.
8. Le ministère public, le 9 juin 2017, a requis le juge d'instruction d'informer sur les faits notamment de financement d'entreprise terroriste, de soumission de plusieurs personnes à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine et de mise en danger de la vie d'autrui.
9. Par courriers adressés au magistrat instructeur les 14 mars 2018, 4 avril 2018 et 9 mai 2018, MM. [J] [P], [AR] [GL] et [L] [X], également anciens employés syriens de la société [3], se sont constitués partie civile par voie d'intervention sans préciser sous quelles qualifications pénales.
10. Le 28 juin 2018, le juge d'instruction a procédé à la mise en examen de la société [2] des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité, financement d'entreprise terroriste, mise en danger de la vie d'autrui.
11. Par mémoire du 13 février 2020, la société [2] a contesté la recevabilité de la constitution de partie civile des quatorze anciens salariés du chef de financement d'entreprise terroriste en exposant qu'ils ne justifiaient pas d'un préjudice direct et personnel.
12. Par ordonnance du 8 avril 2020, le juge d'instruction a rejeté la requête de la société [2].
13. La société mise en examen a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
14. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance ayant rejeté la contestation, par la société [2], des constitutions de partie civile du chef de financement d'entreprise terroriste de MM. [R], [H], [F], [M], [B], [A], [D], [J], [N], [WU], [RR], [P], [Z] et [GK], alors :
« 3°/ qu'une constitution de partie civile qui porte sur des faits insusceptibles d'avoir causé un préjudice direct et personnel au plaignant est irrecevable les concernant, quand bien même ces faits seraient indivisibles de faits délictuels pour lesquels cette constitution de partie civile est par ailleurs recevable ; que, dès lors, en se fondant exclusivement, pour déclarer recevables les constitutions de partie civile du chef de financement d'entreprise terroriste des quatorze anciens salariés de la société [3], sur la possible existence d'un lien d'indivisibilité entre ces faits et ceux de mise en danger délibérée de la vie d'autrui pour lesquels la recevabilité de leurs constitutions de partie civile n'était pas contestée, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé les articles 2, 3, 85 et 87 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'indivisibilité entre les éléments d'une prévention suppose qu'ils soient dans un rapport mutuel de dépendance, et rattachés entre eux par un lien tellement intime, que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres ; que le délit de mise en danger délibérée de la vie d'autrui supposant, pour être constitué, que l'exposition au risque immédiat de mort ou de blessure résulte de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, seuls sont indivisibles de ce délit les faits qui ne peuvent se comprendre sans la violation de cette obligation ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence possible d'un lien d'indivisibilité entre les faits de mise en danger délibérée de la vie d'autrui et ceux de financement d'une entreprise terroriste poursuivis et en déduire la recevabilité des constitutions de partie civile contestées de ce dernier chef, la chambre de l'instruction a affirmé que « l'infraction de mise en danger délibérée de la vie d'autrui pour laquelle [2] SA est mise en examen est susceptible d'être caractérisée par le maintien de l'activité de l'usine exploitée par [3], dans un contexte de guerre civile survenue en Syrie et du contrôle de la zone géographique où se situait l'usine par des groupes terroristes », que « le maintien de cette activité n'a été possible que par le versement de rémunérations » à ces groupes et que ces versements étaient « de nature à caractériser l'infraction de financement de terrorisme » ; qu'en se déterminant ainsi, lorsque le délit de mise en danger poursuivi, qui consisterait, pour la société [2], à avoir exposé les salariés de l'usine exploitée par [3] à un risque de mort ou de blessures en violant les obligations particulières prévues par les articles R. 4121-1 et 2 et R. 4141-13 du code de travail, n'est pas susceptible d'être caractérisé par la seule poursuite de l'activité de cette usine, la chambre de l'instruction, qui n'a pas expliqué en quoi la violation supposée de ces obligations particulières de prudence et de sécurité « entre 2011 et juillet 2014 » ne pourrait être envisagée indépendamment des faits de financement de terrorisme poursuivis supposément commis « courant 2013 et 2014 » dans des lieux distincts, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 85 et 87 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal ;
5°/ que dans son mémoire régulièrement déposé, la société [2] soutenait qu'il ne pouvait exister de lien d'indivisibilité entre les faits de mise en danger délibérée de la vie d'autrui et les faits de financement de terrorisme qui lui sont reprochés dès lors que les premiers sont antérieurs aux seconds et ces deux infractions n'ont pas été commises dans les mêmes lieux, selon les termes des mises en examen prononcées à son encontre ; qu'en retenant l'existence possible d'un lien d'indivisibilité entre ces faits, sans répondre à cette articulation essentielle du mémoire dont elle était saisie, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 85 et 87 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
16. Le moyen pose la question de savoir si les parties civiles recevables à se constituer par voie d'action du chef de mise en danger d'autrui le sont également du chef de financement d'une entreprise terroriste, dans l'hypothèse où il existerait un possible lien d'indivisibilité entre ces faits.
17. La Cour de cassation énonce, de façon constante, que, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.
18. Elle juge également que, lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité, peu important que ces faits ne soient pas susceptibles de leur causer un préjudice personnel et direct, au sens de l'article 2 du code de procédure pénale (Crim., 4 avril 2012, pourvoi n° 11-81.124, Bull. crim. 2012, n° 86).
19. L'indivisibilité des faits, qui suppose un lien tellement intime entre eux que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans celle des autres (Crim., 31 mai 2016, pourvoi n° 15-85.920, Bull. crim. 2016, n° 165), commande en effet qu'ils fassent simultanément l'objet de poursuites, même en cas d'inaction du ministère public.
20. Cette règle s'impose notamment lorsque les faits indivisibles ne sont susceptibles de porter atteinte qu'à l'intérêt général lui-même. Tel est le cas du financement d'entreprise terroriste incriminé à l'article 421-2-2 du code pénal (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.367, publié au Bulletin).
21. Une interprétation différente, qui exclurait la possibilité pour la partie civile de saisir le juge d'instruction des faits indivisibles susceptibles de caractériser une infraction d'intérêt général, aurait pour conséquence de faire obstacle à la manifestation de la vérité relativement aux faits pour lesquels la partie civile est recevable à se constituer.
22. Dès lors, le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Vu les articles 1, 2 et 85 du code de procédure pénale :
23. Il ressort de ces textes que, hors l'hypothèse d'indivisibilité, une constitution de partie civile n'est recevable devant la juridiction d'instruction que lorsque les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.
24. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction rejetant la requête de la société [2] tendant à voir déclarer irrecevable la constitution de partie civile de quatorze anciens salariés de la société [3] du chef de financement d'entreprise terroriste, l'arrêt retient, d'une part, qu'il résulte de l'information judiciaire que l'infraction de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, pour laquelle la société requérante est mise en examen, est susceptible d'être caractérisée par le maintien de l'activité de l'usine exploitée par [3], dans le contexte de la guerre civile survenue en Syrie et du contrôle de la zone géographique où se situait l'usine par des groupes terroristes, dont l'EI, ce, alors que des salariés étaient enlevés et séquestrés depuis 2012 et que l'ensemble des salariés expatriés avait été évacué depuis cette date.
25. Les juges ajoutent que le maintien de cette activité n'a été possible que par le versement de rémunérations via différents intermédiaires afin, d'une part, d'assurer l'approvisionnement de la cimenterie en matières premières par l'organisation EI ou tout autre groupe terroriste, d'autre part, de garantir la circulation des employés et des marchandises de celle-ci sur le territoire occupé par lesdites organisations terroristes et, enfin, de permettre la vente du ciment fabriqué sur place au bénéfice de l'organisation terroriste EI.
26. Ils relèvent que ce sont ces versements qui sont de nature à caractériser l'infraction de financement d'une entreprise terroriste pour laquelle la société requérante est mise en examen.
27. Ils en déduisent qu'en l'état de l'information judiciaire, l'existence d'un lien d'indivisibilité entre les faits de mise en danger délibérée de la vie d'autrui et de financement d'une entreprise terroriste apparaît possible dans la mesure où ce financement avait pour objet de permettre la poursuite de l'activité de l'usine dans des circonstances telles qu'elle exposait les salariés syriens à un danger pour leur vie ou, en tous cas, leur intégrité physique.
28. Ils en concluent que les salariés en cause, qui se sont constitués partie civile pour mise en danger délibérée de la vie d'autrui, que ce soit par la mise en mouvement de l'action publique ou ultérieurement par voie d'intervention, sont recevables à se constituer partie civile pour l'ensemble des faits, notamment ceux susceptibles de caractériser l'infraction de financement d'une entreprise terroriste, dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent au délit de mise en danger délibérée de la vie d'autrui par un lien d'indivisibilité.
29. En l'état de ces motifs, desquels il résulte que le financement d'entreprise terroriste n'a pas seulement servi à permettre les déplacements des salariés et qui ne caractérisent ainsi que l'existence d'un lien de la connexité, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
30. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
31. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 4 mars 2021 ;
DÉCLARE irrecevable la constitution de partie civile de MM. [J] [R], [RS] [J] [H], [K] [F], [I] [M], [T] [S] [B], [Y] [E] [A], [G] [D], [C] [U] [J], [V] [U] [N], [O] [WU], [W] [RR], [J] [P], [AR] [GL] et [L] [X] du chef de financement d'entreprise terroriste ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt avril deux mille vingt-deux. | Lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'un crime ou d'un délit, les parties civiles régulièrement constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à cette infraction par un lien d'indivisibilité, peu important que ces faits ne soient susceptibles de porter atteinte qu'à l'intérêt général lui-même.
Hors cette hypothèse d'indivisibilité, une constitution de partie civile n'est recevable devant la juridiction d'instruction que lorsque les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour déclarer recevables à se constituer partie civile du chef de financement d'une entreprise terroriste des salariés syriens constitués du chef de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, retient que l'existence d'un lien d'indivisibilité entre ces faits apparaît possible dans la mesure où ce financement avait pour objet de permettre la poursuite de l'activité de l'usine où étaient affectés ces salariés dans des circonstances telles qu'elle les exposait à un danger pour leur vie ou, en tous cas, leur intégrité physique, alors que ce financement n'a pas seulement servi à sécuriser les déplacements des salariés, mais aussi à assurer l'approvisionnement de l'usine en matières premières ainsi qu'à permettre la vente du ciment fabriqué sur place au bénéfice d'une organisation terroriste, de sorte que n'était ainsi caractérisée que l'existence d'un lien de connexité |
7,728 | N° Y 20-87.248 FS-B
N° 00393
RB5
20 AVRIL 2022
CASSATION PARTIELLE
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 AVRIL 2022
Les sociétés [4], [4], [2] et [6], ont formé des pourvois contre l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 9 décembre 2020, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et de saisies en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et rejeté leurs recours contre le déroulement des opérations effectuées en exécution de ladite ordonnance.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés [6] et [2], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocats de la société [4], les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de l'Autorité de la concurrence, et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Lesclous, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 3 avril 2019, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, saisi par requête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence, a autorisé ce dernier, au visa de l'article L. 450-4 du code de commerce, à procéder à des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et délivré commission rogatoire aux juges territorialement compétents hors du ressort du tribunal de Paris.
3. Cette décision visait les locaux des sociétés [4] (la société [3]), [4] (la société [7]), [6] et [2].
4. Deux autres ordonnances ont en outre été prises, par les juges des libertés et de la détention des tribunaux judiciaires de Bordeaux, le 4 avril 2019, et Créteil, le 8 avril 2019.
5. Les visites domiciliaires et les opérations de saisies documentaires ont donné lieu à l'établissement de plusieurs procès-verbaux, des 9 et 10 avril 2019 en ce qui concerne les opérations initiales, puis des 14, 15 et 28 mai 2019, s'agissant de l'exploitation des scellés.
6. Des recours ont été exercés par chacune des sociétés contre les ordonnances ci-dessus et le déroulement des opérations de visite et saisie.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens proposés pour la société [3], le premier moyen proposé pour la société [7] et les premier moyen et second moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposés pour les sociétés [6] et [2]
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen proposé pour la société [3], le deuxième moyen proposé pour la société [7] et le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour les sociétés [6] et [2]
Énoncé des moyens
8. Le moyen proposé pour la société [3] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné à l'Autorité de la concurrence la seule restitution des pièces saisies numérotées 2.20, 2.23 et 2.51 et a rejeté le surplus de son recours, alors « que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client est couvert par le secret professionnel et se trouve, à ce titre, insaisissable, quelle que soit l'affaire à laquelle elles se rattachent ; qu'en l'espèce, pour rejeter les demandes de la société [3] tendant à l'annulation des saisies de documents couverts par le secret des correspondances entre avocat et client, identifiés et recensés par les soins de celle-ci dans les tableaux produits en pièces n° 13.00000 à 13.08365 (pour des dossiers ne relevant pas du droit de la concurrence), n°16.00000 à 16.00757 (pour des dossiers relevant du droit de la concurrence) et n° 23.00000 à 23.00074 (pour des correspondances « non localisées » par les agents), le délégué du premier président a estimé, d'une part, que les correspondances entre un avocat et son client n'étaient protégées par le secret professionnel, en matière d'atteinte à l'ordre public économique, qu'à la condition d'avoir été émises ou adressées par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense « en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence », d'autre part, que les courriers identifiés par la société [3] et dont elle sollicitait la restitution ne correspondaient pas à un échange entre avocat et client concernant sa défense dans l'enquête ; qu'en statuant de la sorte, donc en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, prise de la restriction du secret des correspondances aux seuls échanges en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminé d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence, le délégué du premier président de la cour d'appel a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et L. 450-4 du code de commerce, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
9. Le moyen proposé pour la société [7] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l'annulation des opérations de visite et saisie réalisées les 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2019 dans ses locaux et à la restitution de l'intégralité des pièces saisies et de leurs copies et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la saisie des documents visés aux pièces n° 13, 14, 15 et 18, et à leur restitution, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 qu'en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; qu'il se déduit de ce texte que sont insaisissables par l'Autorité de la concurrence toutes les correspondances échangées entre l'entreprise sujette à une visite domiciliaire et son avocat, sans qu'il faille limiter la portée de cette insaisissabilité aux seules correspondances en relation avec l'exercice des droits de la défense, ni à celles dont l'objet est en relation avec celui de l'enquête pour les besoins de laquelle l'Autorité de la concurrence a été autorisée à procéder à une visite et saisie domiciliaires, ni enfin aux seuls documents dont l'avocat serait l'auteur ou l'expéditeur ; qu'en jugeant néanmoins qu'en matière d'atteintes à l'ordre public économique, les conseils des avocats à leurs clients ne peuvent bénéficier de cette protection qu'à la condition qu'ils aient été émis par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infractions au droit de la concurrence, puis en jugeant que tel n'était pas le cas des correspondances énumérées par les pièces n° 13, 13.1, 13.2 et 14 dont la société [7] sollicitait l'expurgation des scellés définitifs, le premier président a violé le texte susvisé en y introduisant des restrictions incompatibles avec sa rédaction, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'à supposer même que le champ d'application de l'insaisissabilité des correspondances entre un avocat et son client doive être limité à celles qui ont un lien avec l'exercice des droits de la défense, il n'en demeurerait pas moins que le premier président ne pouvait restreindre la portée de cette insaisissabilité aux seuls documents en rapport avec l'objet même de l'enquête mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence, de sorte qu'en se prononçant comme il l'a fait, le premier président a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que la protection du secret des correspondances échangées entre un avocat et son client ainsi que celle du droit d'accès au juge ne peuvent être effectives qu'à la condition que l'autorité poursuivante s'interdise, par des moyens adéquats et contrôlables, de prendre connaissance de telles correspondances avant que l'entreprise ayant fait l'objet d'une visite domiciliaire ait été mise en mesure d'en contester la saisie et de faire trancher cette contestation par une juridiction ; qu'en l'espèce, la société [7] exposait dans ses écritures que seule une partie des documents appréhendés par les services de l'instruction de l'Autorité consécutivement à la visite domiciliaire effectuée en ses locaux avait été placée sous des scellés provisoires ; qu'elle rappelait en effet qu'après avoir émis une réquisition pour obtenir la communication de documents dont ils n'étaient parvenus à prendre une copie informatique et recueilli sur procès-verbal la déclaration du représentant de l'entreprise selon laquelle les documents réquisitionnés étaient eux aussi susceptibles de renfermer des correspondances protégées par le secret avocat-client, le rapporteur général de l'Autorité avait néanmoins, par un courrier du 18 avril 2019, expressément refusé de mettre en oeuvre une mesure de protection des documents réquisitionnés par leur placement sous un scellé provisoire, de sorte que les services de l'instruction de l'Autorité avaient ainsi eu tout loisir de consulter sans contrainte l'ensemble de ces documents ; que, pour rejeter le moyen par lequel la société [7] demandait de sanctionner l'atteinte irrémédiable ainsi portée par l'Autorité au secret des correspondances avocat-client à raison de son refus de mettre en oeuvre une mesure provisoire de protection des documents réquisitionnés, le premier président s'est borné à énoncer « qu'il résulte des termes des procès-verbaux que les agents ont régulièrement invité le représentant de la société [7] à désigner ceux des documents couverts par la confidentialité des communications entre avocats et clients » et que la société [7] ne rapportait pas la preuve de ce que les agents de l'Autorité aient été au-delà d'un examen sommaire des correspondances en cause « avant de décider de la saisie des correspondances, de leur conservation, ni du refus qu'ils auraient opposé à une demande précise de retrait de documents » ; qu'en se déterminant par de tels motifs impropres à écarter l'atteinte irrémédiable portée au secret des correspondances entre avocats et clients qui résultait du refus, lui-même dûment documenté, des services de l'instruction de placer les documents réquisitionnés sous des scellés provisoires, le premier président a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale et les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
10. Le moyen proposé pour les sociétés [6] et [2] critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours en annulation du procès-verbal établi le 9 avril 2019 à [Localité 1] et du procès-verbal établi le 10 avril 2019 à [Localité 8], sauf à ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la société [6] les seuls documents numérotés 253, 271, 305, 312, 314 et 509, alors :
« 3°/ que l'insaisissabilité des documents couverts par le secret professionnel s'étend à l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense et ne se limite pas à ceux qui relèveraient de l'exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence ; qu'en décidant au contraire que seuls étaient insaisissables les courriers émis ou adressés par un avocat « pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence » ou encore ceux « concernant la matière du droit de la concurrence ou se rapportant l'exercice des droits de la défense relatif à l'objet de l'enquête », le conseiller délégué a violé les articles 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que la violation du secret professionnel intervient dès la saisie d'un document, et la restitution des documents irrégulièrement saisis dont l'Autorité de la concurrence a pu prendre connaissance et qu'elle a pu analyser ne suffit pas à rétablir la société dans ses droits ; que la pratique des scellés provisoires est précisément destinée à garantir le secret professionnel en écartant de la saisie les documents couverts par le privilège légal avant que l'Autorité de la concurrence ait eu la possibilité de les analyser ; qu'en décidant que l'Autorité avait pu refuser à la société [6] le droit de bénéficier de la procédure de scellés provisoires s'agissant de la saisie de la messagerie de Mme [J], sans que ce refus ne lui cause de préjudice, tandis qu'elle avait souligné que cette messagerie comportait des documents couverts par le secret professionnel, dont l'Autorité ne pouvait pas librement prendre connaissance, le conseiller délégué a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 293 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour rejeter les recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie, pris des atteintes au secret de la correspondance avocat-client, l'ordonnance attaquée énonce que, si les conseils des avocats à leurs clients sont protégés par le secret professionnel et par principe insaisissables quel que soit le circuit de leur échange ou leur support, c'est cependant, en matière d'atteinte à l'ordre public économique, à la condition que soit caractérisée la preuve qu'ils sont émis ou adressés par un avocat indépendant de l'entreprise et pour l'exercice des droits de la défense en rapport avec l'objet même de l'enquête déterminée d'après les indices d'infraction au droit de la concurrence.
13. Le premier président, analysant les documents dont la saisie était contestée par la société [3], relève que les agents autorisés à rechercher les preuves des indices de pratiques anticoncurrentielles ne peuvent être restreints, a priori, par le volume des documents concernés et qu'il appartient aux entreprises de désigner avec suffisamment de précision ceux des documents dont l'objet relève du secret avocat-client qu'elles entendent opposer.
14. Il précise qu'après avoir placé l'ensemble des pièces saisies sous scellé provisoire, l'Autorité de la concurrence, qui a imparti à la société [3], pour formuler ses observations, un délai jusqu'au 29 avril 2019, limite repoussée au 6 mai, était fondée à refuser d'examiner et d'exclure de la saisie les documents qui n'étaient pas désignés précisément comme couverts par le secret susvisé.
15. Il ajoute que, connaissance prise des autres documents visés par la société [3] dans ses conclusions, aucun d'entre eux ne procède d'échanges entre avocat et client en lien avec l'enquête.
16. L'ordonnance attaquée, en ce qui concerne les saisies opérées dans les locaux de la société [7], énonce que les agents qui sont intervenus ont invité le représentant de cette société à désigner ceux des documents couverts par la confidentialité des communications entre avocats et clients et qu'il ne se déduit pas de la conduite et de la chronologie de la procédure que les agents n'ont pas adapté leurs demandes ou leurs refus à la désignation ou l'absence de désignation, par cette société, des documents dont elle contestait la saisie et n'ont pas écarté ceux d'entre eux qui intéressaient l'exercice des droits de la défense dans l'enquête en cours.
17. Le premier président relève qu'il n'est pas interdit aux agents de l'Autorité de la concurrence de procéder à un examen des documents appréhendés, alors que la société [7] n'allègue pas l'existence de circonstances dans lesquelles ces mêmes agents seraient allés au-delà de cet examen sommaire ou auraient rejeté une demande précise de retrait de documents.
18. Il ajoute que, connaissance prise par la juridiction, il ne s'évince pas des correspondances désignées par la société [7] la preuve que ces documents entrent dans la protection du secret de l'échange avocat-client en lien avec l'enquête.
19. En ce qui concerne la société [6], l'ordonnance attaquée énonce que la messagerie de Mme [J] étant hébergée sur un site basé au Luxembourg, l'obtention d'une copie d'une partie des messages électroniques n'a pas été possible immédiatement et que la société, qui a elle-même transmis plus tard à l'Autorité de la concurrence les documents concernés, ne démontre pas que l'absence de scellé provisoire lui aurait personnellement causé le moindre préjudice.
20. Le premier président, rappelant que cette société conteste les conditions dans lesquelles les agents de l'Autorité de la concurrence, procédant au tri des courriels extraits de cette même messagerie, ont retenu certains d'entre eux qui étaient pourtant protégés par la confidentialité avocat-client, relève que, connaissance prise desdits documents, la plupart d'entre eux ne concernent pas la matière du droit de la concurrence ou ne se rapportent pas à l'exercice des droits de la défense relatifs à l'objet de l'enquête, à l'exception de six d'entre eux qui, seuls, seront restitués.
21. S'agissant de la société [2], le premier président, rappelant que cette société reproche à l'Autorité de la concurrence de n'avoir retiré qu'une partie des courriers échangés entre la requérante et ses avocats et portant sur des problèmes juridiques sans rapport avec le droit de la concurrence, observe que, connaissance prise desdits documents, la plupart d'entre eux ne concernent pas la matière du droit de la concurrence ou ne se rapportent pas à l'exercice des droits de la défense relativement à l'objet de l'enquête
22. C'est à tort que le premier président retient que seuls sont insaisissables les documents qui relèvent de l'exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence, alors que c'est dans toutes les procédures où un avocat assure la défense de son client qu'est protégé le secret des correspondances échangées entre eux et qui y sont liées.
23. L'ordonnance n'encourt pour autant pas la censure, pour les motifs qui suivent.
24. D'une part, aucune des sociétés susvisées ne dénonçait une atteinte aux droits de la défense en dehors de la seule procédure concernée.
25. D'autre part, la confection des scellés provisoires est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs.
26. Enfin, la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie de tous les autres documents.
27. Ainsi, les moyens seront écartés.
Sur le troisième moyen proposé pour la société [7]
Énoncé du moyen
28. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours tendant, à titre principal, à l'annulation des opérations de visite et saisie réalisées les 9 et 10 avril et 14 et 15 mai 2019 et à la restitution de l'intégralité des pièces saisies et de leurs copies et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la saisie des documents visés aux pièces n° 13, 14, 15 et 18, et à leur restitution, alors « qu'il résulte de l'article L. 611-15 du code de commerce que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ; qu'en outre l'arrêté du garde des sceaux du 18 juillet 2018 portant approbation des règles professionnelles établies par le [5] et des mandataires judiciaires dispose que dans le cadre des missions et mandats qui leur sont confiés, l'administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du code pénal, ce secret couvrant tout ce qui est venu à leur connaissance dans l'exercice de leur activité ; qu'en l'espèce, la société [7] faisait valoir qu'elle avait fait l'objet de plusieurs procédures de conciliation et de mandat ad hoc ouvertes par le tribunal de commerce de Paris en 2018 et en 2019 dans le cadre de la prévention de ses difficultés financières et que, compte tenu du secret professionnel auquel était astreint l'administrateur judiciaire désigné successivement en qualité de conciliateur et de mandataire ad hoc, les correspondances et documents échangées entre elle et ce dernier ne pouvaient être régulièrement saisis par les services de l'instruction de l'Autorité ; qu'en énonçant, pour rejeter ce moyen, que « la procédure de l'article L. 450-4 du code de commerce dans le cadre de laquelle les documents de ces auxiliaires de justice ont été saisis n'investit pas les entreprises de la qualité pour opposer ce secret professionnel, de sorte que la société [7] n'est pas recevable à l'invoquer », alors que le secret professionnel auquel sont astreints les mandataires de justice dans le cadre des procédures de conciliation et de mandat ad hoc instituées par les articles L. 611-3 et suivants du code de commerce a précisément vocation à protéger l'entreprise concernée par ces procédures, le délégué du premier président a violé l'ensemble des textes susvisés, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
29. Contrairement à ce que soutient le moyen, l'obligation de confidentialité qui s'impose à toute personne appelée à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc, ou qui en a connaissance par ses fonctions, ou le secret professionnel applicable aux mandataires judiciaires, ne sont pas opposables aux enquêteurs de l'Autorité de la concurrence, en l'absence de disposition expresse.
30. De surcroît, les droits de l'entreprise concernée au regard d'un risque de divulgation, à des tiers, des documents saisis ou fournis par elle, sont protégés par les articles L. 463-4 et L. 463-6 du code de commerce.
31. Ainsi, le moyen sera rejeté.
Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche, proposé pour les sociétés [6] et [2]
Enoncé du moyen
32. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les recours en annulation du procès-verbal établi le 9 avril 2019 à [Localité 1] et du procès-verbal établi le 10 avril 2019 à [Localité 8], sauf à ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la société [6] les seuls documents numérotés 253, 271, 305, 312, 314 et 509, alors :
« 5°/ que la société [6] avait précisément fait valoir que de nombreux éléments de la messagerie de Mme [J] étaient étrangers au champ de l'ordonnance d'autorisation de visite et devaient donc être restitués ; qu'en rejetant le recours de ce chef, sans examiner ce moyen déterminant, le conseiller délégué qui a entaché sa décision d'un défaut de motifs, a violé les articles L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
33. Tout jugement, arrêt ou ordonnance doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
34. Pour contester la saisie de certains documents par les agents de l'Autorité de la concurrence, les sociétés [6] et [2], au soutien d'explications précises et d'un document électronique récapitulatif, ont fait valoir que certains des courriels saisis dans la messagerie de Mme [J], directrice des ressources humaines de cette dernière société, ayant trait à une activité commerciale dans le marché de la bière, étaient sans rapport avec l'objet de l'ordonnance, qui visait des comportements anticoncurrentiels affectant le marché des vins et spiritueux.
35. En rejetant le recours ainsi formulé, sans répondre aux moyens péremptoires des conclusions dont il était saisi, le premier président n'a pas justifié sa décision.
36. La cassation est de ce fait encourue.
Portée et conséquence de la cassation
37. La cassation à intervenir ne portera que sur les dispositions de l'ordonnance rejetant le recours contre les saisies effectuées sur la messagerie de Mme [J].
38. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par les sociétés [4] :
LES REJETTE ;
Sur le pourvoi formé par les sociétés [6] et [2] :
CASSE et ANNULE l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 9 décembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux saisies opérées sur la messagerie électronique de Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme que devront payer, chacune, les sociétés [4] et [4] à l'Autorité de la concurrence en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du même code à l'encontre des sociétés [6] et [2] ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du premier président de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt avril deux mille vingt-deux. | L'obligation de confidentialité qui s'impose à toute personne appelée, en application des articles L. 611-3 et suivants du code de commerce, à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc, ou qui en a connaissance par ses fonctions, ou le secret professionnel applicable aux mandataires judiciaires, ne sont pas opposables aux enquêteurs de l'Autorité de la concurrence, en l'absence de disposition expresse |
7,729 | N° Z 22-80.633 FS- B
N° 00554
GM
20 AVRIL 2022
REJET
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 AVRIL 2022
M. [J] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 28 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Lemoine, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [J] [B] a été mis en examen du chef susvisé le 14 décembre 2021.
3. Il a été placé en détention provisoire par ordonnance du 16 décembre 2021.
4. M. [B] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance de placement en détention provisoire, alors :
1°/ que l'article 81, alinéa 7, du code de procédure pénale était applicable et faisait obligation au juge d'instruction de saisir le service pénitentiaire d'insertion et de probation ;
2°/ que l'absence d'enquête sociale a violé le principe de liberté prévu notamment aux articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 137 du code de procédure pénale.
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter la demande de nullité tirée de l'absence d'enquête sociale rapide, la chambre de l'instruction indique que les articles 41, alinéa 4, et 81, alinéa 7, du code de procédure pénale ne prévoient l'obligation de diligenter une telle enquête que pour les personnes âgées de vingt-et-un ans ou moins, et que M. [B] était âgé de vingt-neuf ans.
8. Ils en déduisent que cette formalité n'était pas requise.
9. C'est à tort que les juges ont indiqué qu'il n'existait pas d'obligation de diligenter une enquête sociale rapide en raison de l'âge de M. [B], dès lors que l'article 81, alinéa 7, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, applicable à la date du défèrement, ne comporte plus de condition d'âge.
10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que l'intéressé, assisté d'un avocat, qui n'a pas soulevé l'absence d'enquête sociale rapide devant le juge des libertés et de la détention, a renoncé à s'en prévaloir.
11. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt avril deux mille vingt-deux. | L'article 81, alinéa 7, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, impose au ministère public ou, à défaut, au juge d'instruction, de diligenter une enquête sociale rapide lorsqu'est envisagé le placement en détention provisoire d'une personne mise en examen pour des faits punis d'une peine d'emprisonnement n'excédant pas cinq ans, et ce, quel que soit l'âge de cette personne.
Si c'est à tort que la chambre de l'instruction a jugé, au motif que la personne mise en examen était âgée de plus de vingt-et-un an, que ce texte n'était pas applicable, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'intéressé, assisté d'un avocat, qui n'a pas soulevé l'absence d'enquête sociale rapide devant le juge des libertés et de la détention, a renoncé à s'en prévaloir |
7,730 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 149 FS-B
Pourvoi n° T 20-17.185
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
La caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 20-17.185 contre l'arrêt rendu le 30 avril 2020 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Les laboratoires Servier industrie, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Les laboratoires Servier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat des sociétés Les laboratoires Servier industrie et Les laboratoires Servier, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 avril 2020), de 1995 à 1999, il a été prescrit du Mediator à [M] [N] qui a présenté, en 1999, une hypertension artérielle pulmonaire ayant nécessité une transplantation pulmonaire.
2. Après avoir sollicité une expertise judiciaire, [M] [N] a, avec des proches (les consorts [N]), assigné en responsabilité et indemnisation les sociétés Les laboratoires Servier et Les laboratoires Servier industrie, producteur du Mediator (les sociétés), et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine (la caisse) qui a demandé le remboursement de ses débours.
3. Après le décès d'[M] [N] survenu le 13 janvier 2015, les consorts [N] ont conclu une transaction avec les sociétés et se sont désistés de leur action. L'instance s'est poursuivie entre la caisse et les sociétés.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. La caisse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que la caisse est subrogée, de plein droit, dans les droits de la victime ; que la caisse peut exiger du tiers responsable le remboursement des prestations versées à la victime si le tiers responsable a conclu une transaction avec cette dernière sans appeler la caisse à y participer ; que la caisse dans cette hypothèse n'a pas à justifier de la responsabilité du tiers, lequel ne peut pas davantage lui opposer des exonérations de responsabilité qu'il n'a pas opposées à la victime ; qu'en considérant que la caisse pouvait se voir opposer l'exonération de responsabilité que le tiers n'avait pas opposée de la victime lors de la transaction conclu avec cette dernière en l'absence de la caisse, la Cour d'appel a violé les articles L. 376-1 à L. 376-4 du Code de la Sécurité Sociale, 1382 devenu 1240, et 1386-11 devenu 1245-19 du Code Civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du code de la sécurité sociale et l'article 2044 du code civil :
5. Selon les trois premiers de ces textes, les caisses de sécurité sociale disposent d'un recours subrogatoire contre les tiers sur les indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge ; si un règlement amiable est intervenu entre le tiers et l'assuré, il ne peut être opposé à la caisse si elle n'a pas été invitée à y participer ; la caisse doit en être informée et, en l'absence d'une telle information, la prescription ne peut lui être opposée et une pénalité lui est versée à l'occasion de son recours subrogatoire.
6. Selon le dernier de ces textes, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
7. Le tiers à un contrat peut invoquer à son profit, comme constituant un fait juridique, la situation créée par ce contrat (2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi n° 19-24.696, publié).
8. Il s'en déduit que, lorsqu'une personne conclut avec la victime d'un dommage corporel ou ses ayants droit une transaction portant sur l'indemnisation des préjudices en résultant, elle admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir.
9. Il incombe alors aux juges du fond, saisis du recours subrogatoire de la caisse qui n'a pas été invitée à participer à la transaction, d'enjoindre aux parties de la produire pour s'assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes.
10. Pour rejeter les demandes de la caisse, l'arrêt retient que celle-ci ne peut valablement soutenir que la transaction conclue entre les ayants droit et les sociétés, que la cour d'appel ne connaît pas et dont elle ignore les termes, suffirait à fonder sa demande et que l'article L. 376-4 du code de la sécurité sociale n'interdit pas aux sociétés d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11, devenu 1245-19, du code civil.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement ayant débouté les sociétés Les laboratoires Servier industrie et Les laboratoires Servier de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine de sa demande de renvoi de l'instance devant le juge de la mise en état, l'arrêt rendu le 30 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne les sociétés Les laboratoires Servier industrie et Les laboratoires Servier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Les laboratoires Servier industrie et la société Les laboratoires Servier, et les condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
P/Le conseiller rapporteur empêchéle president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladiedes Hauts de Seine.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la CPAM des Hauts-de-Seine ne rapporte pas la preuve que les conditions de la responsabilité des sociétés Les laboratoires Servier et Les laboratoires Servier Industrie sont réunies, d'AVOIR débouté en conséquence la CPAM des Hauts de Seine de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie, d'AVOIR condamné la CPAM des Hauts de Seine aux dépens d'appel et d'AVOIR dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE : « - Sur l'exonération de responsabilité : L'article 1386-11 du code civil (devenu l'article 1245-10) dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler ce défaut. La connaissance personnelle qu'ont pu avoir, ou non, les Laboratoires Servier du défaut lors de la mise en circulation du médicament administré à Mme [N] est donc indifférente. Il doit seulement être recherché si les données scientifiques disponibles entre 1995 et 1999, période d'exposition de Mme [N], permettaient aux Laboratoires Servier de déceler le défaut. Il importe de préciser que les seules pièces utiles, s'agissant de l'exonération de responsabilité, dont dispose la cour sont celles versées aux débats par les Laboratoires Servier. En effet, la CPAM des Hauts de Seine s'est contentée de verser aux débats des décisions, rendues notamment par cette cour, dans lesquelles il est effectivement fait référence à des publications scientifiques pouvant aller dans un sens autre que celles produites par les intimés. Mais il convient de rappeler que ces décisions de justice ne permettent pas de tenir pour exclue l'exonération alléguée, le juge ne pouvant statuer par voie de dispositions générales, observation étant de surcroît faite que ces décisions concernent des périodes d'exposition au Mediator postérieures à celles qui intéressent présentement la cour. La commercialisation du Médiator a débuté, en France, en août 1976. A compter de l'année 1995, il a fait l'objet d'une enquête de pharmacovigilance confiée au Centre régional de pharmacovigilance de [Localité 4], afin notamment de procéder à l'évaluation régulière du rapport bénéfice-risque. Le point d'information publié par l'AFSSAPS le 16 novembre 2010 permet de revenir sur les raisons de la mise en place de cette enquête de pharmacovigilance et de retenir les éléments d'information suivants : Le Médiator (chlorhydrate de Benfluorex) était initialement classifié en tant qu'hypolipidémiant. Son indication a été validée en 1987 en tant qu'adjuvant dans les régimes adaptés aux personnes présentant des hypertriglycéridémies. Puis en 1990, a été validée une nouvelle indication en diabétologie. En 1988, les Laboratoires Servier ont demandé à l'AFSSAPS une nouvelle indication thérapeutique dans le traitement du diabète de type 2, qui n'a pas été accordée du fait de l'insuffisance de données d'efficacité. Le Benfluorex a une structure chimique apparentée à celle des dérivés fenfluraminiques anorexigènes de type Isoméride. Le retrait en France de l'Isoméride et du Pondéral en 1997 a fait suite à la démonstration d'une augmentation du risque d'HTAP. Il est notable que lorsque les fenfluramines ont été retirées du marché, il n'y avait alors pas pour le Benfluorex de tableau d'HTAP ni de valvulopathies comparables à ceux mis en évidence avec les dérivés fenfluraminiques. Toutefois la présence d'un métabolite commun pouvait inspirer deux types d'inquiétudes : on pouvait craindre que le Médiator soit utilisé comme coupe-faim à la place des médicaments anorexigènes retirés du marché, raison pour laquelle le Benfluorex fut interdit dés 1996 dans les préparations magistrales, et on ne pouvait exclure, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d'action principale, que la présence d'un métabolite commun avec les anorexigènes retirés du marché puisse être à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles qui avait été détectées pour les anorexigènes en 1997 aux Etats-Unis. L'Agence a donc mis en place à partir de 1998 un suivi de pharmacovigilance. Les mécanismes pharmacologiques susceptibles d'induire de tels effets n'ont été pleinement élucidés que dans le courant des années 2000. La commission nationale de pharmacovigilance a considéré, en 2005, que 'compte tenu de l'incidence des HTAP idiopathiques (1 à 2 cas par million et par an) le nombre de cas d'HTAP idiopathiques apportés dans l'enquête ne constitue pas un signal significatif de toxicité du Médiator dans la classe organe cardio-vasculaire'( pièce n° 10 des intimées). La commission renouvelait le même avis le 27 mars 2007 (pièce n°11). Le 14 juin 2010, la commission européenne décidait de procéder au retrait du Médiator. Les conclusions scientifiques qui ont conduit à cette décision mentionnent que 'la décision de l'autorité compétente française était fondée sur les résultats actualisés d'une étude de pharmacovigilance, les données préliminaires de 3 études cliniques (l'étude rétrospective cas-témoin réalisée dans un hôpital de [Localité 5], l'essai Régulate et les données du fonds national d'assurance maladie française) et d'une publication récente (K. Boutet Fenfluramine-like cardiovascular side-effetcs of benfluorex, Eur Respir J 2009; 33:684-688), qui ont décelé un risque de maladies des valves cardiaques et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) chez les patients traités par le benfluorex'. Or, ces publications sont toutes bien postérieures à la période d'exposition de Mme [N]. Il doit donc être admis que les Laboratoires Servier sont fondés à invoquer, pour la période d'exposition concernée, le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11 du code civil. La CPAM des Hauts de Seine ne peut par ailleurs valablement soutenir que la transaction conclue entre les consorts [N] et les Laboratoires Servier, que la cour ne connaît pas et en ignore donc les termes, suffit à fonder sa demande. L'article L 376-4 du code de la sécurité sociale dispose que la caisse de sécurité sociale de l'assuré est informée du règlement amiable intervenu entre l'assuré et le tiers responsable ou l'assureur. L'assureur ou le tiers responsable ayant conclu un règlement amiable sans respecter cette obligation ne peuvent opposer à la caisse la prescription de leur créance. Ils versent à la caisse, outre les sommes obtenues par celle-ci au titre du recours subrogatoire prévu à l'article L. 376-1, une pénalité qui est fonction du montant de ces sommes et de la gravité du manquement à l'obligation d'information, dans la limite de 50 % du remboursement obtenu. Ce texte n'interdit pas aux Laboratoires Servier d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité. La CPAM des Hauts de Seine fonde subsidiairement sa demande sur l'article 1382 du code civil (devenu l'article 1240) qui suppose la démonstration d'une faute imputable aux Laboratoires Servier. Force est de constater que l'appelante ne consacre aucun développement particulier à ce fondement juridique. Il y a lieu en conséquence de juger que les demandes formées par la CPAM des Hauts de Seine à l'encontre des Laboratoires Servier ne sont pas fondées. »
1/ ALORS QU'il résulte de la liste des pièces annexée aux conclusions de la CPAM des Hauts de Seine que celle-ci versait notamment aux débats, sous le numéro 4, des « extraits du rapport IGAS de janvier 2011 » et sous le numéro 5 « l'annexe 2-45 du rapport IGAS de janvier 2011 », ces pièces révélant la connaissance par les Laboratoires Servier de la dangerosité du Mediator dès 1995 ; qu'elle ne communiquait par ailleurs aucune décision de justice ; qu'en affirmant cependant que les seules pièces utiles, s'agissant de l'exonération de responsabilité, sont celles versées aux débats par les laboratoires Servier, la CPAM des Hauts de Seine se contentant de « verser aux débats des décisions » de justice, la cour d'appel a dénaturé la liste des pièces annexée aux conclusions de la CPAM et ainsi violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause,
2/ ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour dire que la CPAM ne justifiait pas de la connaissance par les Laboratoires Servier de la dangerosité du Mediator dès 1995, la cour d'appel s'est fondée sur la seule production par la CPAM de décisions de justice ; qu'en statuant ainsi, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier des extraits du rapport de l'IGAS de janvier 2011 et de l'annexe 2-45 dudit rapport, dont la production n'avait pas été contestée et qui figuraient sur la liste des pièces annexées aux conclusions, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile,
3/ ALORS QUE le producteur est responsable de plein droit du dommage causé par le défaut de son produit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ; qu'il convient d'entendre par connaissances scientifiques et techniques, l'ensemble des connaissances à l'échelle mondiale, fussent-elles minoritaires ou isolées ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que les médicaments Isoméride et Pondéral - qui contenaient des dérivés fenfluraminiques, tout comme le Benfluorex, principe actif du Mediator - avaient été retirés du marché en France en 1997 à la suite de la démonstration d'une augmentation du risque d'HTAP (ie : hypertension artérielle pulmonaire), que le Benfluorex avait été interdit dès 1996 dans les préparations magistrales et que la présence d'un métabolite commun entre le Benfluorex et l'Isoméride et le Pondéral qui avaient été retirés du marché pouvait être « à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles qui avait été détectées pour les anorexigènes en 1997 aux Etats-Unis » ; qu'en jugeant néanmoins que les données scientifiques disponibles entre 1995 et 1999, période d'exposition de Mme [N], ne pouvaient pas permettre aux Laboratoires Servier d'avoir décelé le défaut du Mediator, au motif inopérant que les publications ayant donné lieu au retrait du Mediator étaient postérieures à la période d'exposition de Mme [N], la cour d'appel a violé l'article 1386-11, 4° devenu 1245-19 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la CPAM des Hauts-de-Seine ne rapporte pas la preuve que les conditions de la responsabilité des sociétés Les laboratoires Servier et Les laboratoires Servier Industrie sont réunies, d'AVOIR débouté en conséquence la CPAM des Hauts de Seine de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre des sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie, d'AVOIR condamné la CPAM des Hauts de Seine aux dépens d'appel et d'AVOIR dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE La CPAM des Hauts de Seine ne peut par ailleurs valablement soutenir que la transaction conclue entre les consorts [N] et les laboratoires Servier, que la cour ne connaît pas et en ignore donc les termes, suffit à fonder sa demande.
L'article L 376-4 du code de la sécurité sociale de l'assuré dispose que la Caisse est informée du règlement amiable intervenu entre l'assuré et le tiers responsable ou l'assureur. L'assureur ou le tiers responsable ayant conclu un règlement amiable sans respecter cette obligation ne peuvent opposer à la caisse la prescription de leur créance. Ils versent à la caisse, outre les sommes obtenues par celle-ci au titre du recours subrogatoire prévu à l'article L. 376-1, une pénalité qui est fonction du montant de ces sommes et de la gravité du manquement à l'obligation d'information, dans la limite de 50% du remboursement obtenu.
Ce texte n'interdit pas aux Laboratoires Servier d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité.
ALORS QUE la caisse est subrogée, de plein droit, dans les droits de la victime ; que la Caisse peut exiger du tiers responsable le remboursement des prestations versées à la victime si le tiers responsable a conclu une transaction avec cette dernière sans appeler la Caisse à y participer ; que la Caisse dans cette hypothèse n'a pas à justifier de la responsabilité du tiers, lequel ne peut pas davantage lui opposer des exonérations de responsabilité qu'il n'a pas opposées à la victime ; qu' en considérant que la caisse pouvait se voir opposer l'exonération de responsabilité que le tiers n'avait pas opposée de la victime lors de la transaction conclu avec cette dernière en l'absence de la Caisse, la Cour d'appel a violé les articles L 376-1 à L 376-4 du Code de la Sécurité Sociale, 1382 devenu 1240, et 1386-11 devenu 1245-19 du Code Civil.
Le greffier de chambre | Il se déduit des articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du code de la sécurité sociale et de l'article 2044 du code civil que, lorsqu'une personne conclut avec la victime d'un dommage corporel ou ses ayants droit une transaction portant sur l'indemnisation des préjudices en résultant, elle admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir.
Il incombe alors aux juges du fond, saisis du recours subrogatoire de la caisse qui n'a pas été invitée à participer à la transaction, d'enjoindre aux parties de la produire pour s'assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes |
7,731 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 363 FS-B
Pourvois n°
P 21-12.240
S 21-12.703 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
I. Le syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables, dont le siège est [Adresse 1], représenté par son syndic la société Cabinet de la Cité, domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° P 21-12.240 contre un arrêt rendu le 10 décembre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil, dont le siège est [Adresse 6], représenté par son syndic la société Citya Guisset Valanchon, domicilié [Adresse 5],
2°/ à M. [K] [B], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
II. M. [K] [B], domicilié chez Mme [M] [W], [Adresse 7], a formé le pourvoi n° S 21-12.703 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil,
2°/ au syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° P 21-12.240 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi n° S 21-12.703 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat du syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [B], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mme Gallet, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-12.703 et P 21-12.240 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 10 décembre 2020), M. [B], propriétaire d'un lot à usage professionnel au rez-de-chaussée de la résidence Port des sables, soumise au statut de la copropriété, a créé dans le mur extérieur de cette résidence plusieurs ouvertures donnant sur le fonds appartenant au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil (le syndicat de la résidence Le Soleil) et a aménagé une terrasse sur ce fonds.
3. Le syndicat de la résidence Le Soleil a assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables (le syndicat de la résidence Port des sables) en suppression desdites ouvertures et en cessation de l'empiétement. Celui-ci a appelé en intervention forcée M. [B].
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° S 21-12.703, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° P 21-12.240
Enoncé du moyen
5. Le syndicat de la résidence Port des sables fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec M. [B], à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiétement sur le fonds appartenant à la copropriété résidence Le Soleil, à restituer aux lieux leur état initial et à payer au syndicat de la résidence Le Soleil une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant qu'elle constatait que l'empiétement litigieux est dû à l'installation par M. [B] d'une terrasse empiétant sur le fonds de la résidence Le Soleil et non à l'ouverture pratiquée dans le mur de clôture de la Résidence Port des sables, ce dont il résultait qu'il n'existait aucune relation de cause à effet entre la prétendue négligence imputée au syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des sables et le préjudice invoqué
par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le soleil, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légale de ses constatations et a violé l'article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, l'article 544 du code civil, ainsi que le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
2°/ que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant que l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que le syndicat est responsable des dommages causés aux tiers « par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes » et qu'aucune de ces deux situations n'était en cause en l'espèce, la cour d'appel a violé ce texte ;
3°/ alors, enfin, que le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice, cependant qu'elle constatait que « les ouvertures en façade côté
espace vert de la Résidence Le Soleil ont été réalisés par (M. [B]) en 1976/1977 », ce dont il résultait qu'il s'était écoulé plus de trente-cinq ans avant que le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil ne songe à reprocher à la copropriété résidence Port des sables une prétendue négligence lors de l'aménagement de ces ouvertures par l'un de ses copropriétaires, une telle durée étant nécessairement exclusive de toute négligence imputable au syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 et le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a exactement retenu qu'il appartenait au syndicat de la résidence Port des sables, informé des ouvertures pratiquées par M. [B] dans un mur partie commune de la copropriété sans son autorisation, donnant sur le fonds voisin appartenant à la résidence Le Soleil et susceptible de préjudicier à cette dernière, de le mettre en demeure de rétablir les lieux dans leur état initial.
7. Ayant ainsi caractérisé la faute du syndicat de la résidence Port des sables dans la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, elle a pu retenir que cette négligence fautive avait contribué à la réalisation du préjudice invoqué par le syndicat de la résidence Le Soleil, résultant de l'atteinte à son droit de propriété et des troubles anormaux de voisinage générés par l'activité commerciale des locataires de M. [B] et en déduire qu'il devait être condamné, in solidum avec M. [B], à le réparer.
8. Le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° S 21-12.703, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. M. [B] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec le syndicat de la résidence Port des sables, à fermer les ouvertures, à supprimer tout empiétement sur le fonds appartenant au syndicat de la résidence Le Soleil, à restituer aux lieux leur état initial et à payer au syndicat de la résidence Le Soleil une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors « que les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans ; que la réalisation d'ouverture dans un mur commun sans déclaration préalable, ni autorisation de la copropriété ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier de nature à faire obstacle à la prescription acquisitive d'une servitude de vue ; qu'au cas présent, après avoir constaté qu'une porte et deux doubles fenêtres donnant directement sur le fonds de la copropriété Le Soleil avaient été réalisées par M. [B] en 1976-1977, soit il y a plus de trente ans, la cour a relevé que ces ouvertures n'avaient été précédées d'aucune déclaration conformément aux dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, ni autorisation écrite de la copropriété Port des Sables (percement d'un mur propriété commune) ni celle de la résidence Le Soleil (vues droites et directes en contradiction avec les articles 675 à 678 du code civil), de la Selcy ou de la mairie ; qu'en considérant que cette possession s'établissait sur des actes illicites ou irréguliers pour écarter la prescription et condamner M. [B] et le syndicat Port des sables à fermer ces ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial, cependant qu'une absence de déclaration préalable ou d'autorisation ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier pouvant faire échec à la prescription d'une servitude de vue, la cour d'appel a violé l'article 690 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 690 du code civil :
10. Selon ce texte, les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.
11. Une servitude de vue constitue une servitude continue et apparente qui existe du fait-même de la présence de l'ouverture donnant sur l'héritage d'autrui et dont la possession subsiste tant qu'elle n'est pas matériellement contredite.
12. Pour condamner M. [B] à fermer les ouvertures, l'arrêt énonce que nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers et retient que les vues droites et directes sur la résidence Le Soleil ont été percées dans le mur appartenant à la résidence Port des sables sans son accord et sans déclaration en application des dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, de sorte que la possession invoquée par M. [B] s'est établie sur des actes irréguliers.
13. En statuant ainsi, alors que l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition d'une servitude de vue par prescription, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
14. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
15. La cassation de la condamnation de M. [B] à fermer les ouvertures entraîne, par voie de conséquence, celle de la condamnation in solidum du syndicat de la résidence Port des sables du même chef de dispositif, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum M. [B] et le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables, sous astreinte, à fermer les ouvertures donnant sur le fonds appartenant au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil, l'arrêt rendu le 10 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil à [Localité 8] aux dépens du pourvoi n° S 21-12.703 et le syndicat des copropriétaires de la résidence Port des sables à [Localité 8] aux dépens du pourvoi n° P 21-12.240 ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le syndicat des copropriétaires de la résidence Le Soleil à [Localité 8] à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables (demandeur au pourvoi n° P 21-12.240)
Le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'il était in solidum avec [B] responsable du préjudice subi par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil du fait de l'empiétement de sa propriété et des troubles anormaux du voisinage en résultant, de l'avoir condamné en conséquence, in solidum avec M. [B] et sous astreinte, à fermer les ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial en démolissant la terrasse carrelée de 12 m² et à supprimer tout empiétement sur le fond appartenant à la copropriété Résidence Le Soleil cadastré AH [Cadastre 2] matérialisé notamment par l'entreposage de tables, chaises, l'édification de palissades et terrasses destinées à profiter au local de M. [B] et de l'avoir condamné, in solidum avec M. [B], à payer au syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 5), cependant qu'elle constatait que l'empiétement litigieux est dû à l'installation par M. [B] d'une terrasse empiétant sur le fonds de la Résidence Le Soleil et non à l'ouverture pratiquée dans le mur de clôture de la Résidence Port des Sables (arrêt attaqué, p. 9, alinéa 2), ce dont il résultait qu'il n'existait aucune relation de cause à effet entre la prétendue négligence imputée au syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables et le préjudice invoqué par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légale de ses constatations et a violé l'article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, l'article 544 du code civil, ainsi que le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 3 et 5), cependant que l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que le syndicat est responsable des dommages causés aux tiers « par le vice de construction ou le défaut d'entretien des parties communes » et qu'aucune de ces deux situations n'était en cause en l'espèce, la cour d'appel a violé ce texte ;
ALORS, ENFIN, QUE le syndicat des copropriétaires, qui a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes, est responsable des dommages causés aux tiers par le vice de construction ou par le défaut d'entretien des parties communes ; qu'en considérant que le fait, pour le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables, de ne pas avoir mis en demeure M. [B] de remettre en état le mur dans lequel celui-ci avait pratiqué une ouverture, constituait une négligence « en relation de cause à effet avec le préjudice » invoqué par le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil, à savoir un empiétement sur sa propriété, de sorte que le syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables devait être condamné in solidum avec M. [B] à réparer ledit préjudice (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 3 et 5), cependant qu'elle constatait que « les ouvertures en façade côté espace vert de la Résidence Le Soleil ont été réalisés par (M. [B]) en 1976/1977 » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 6), ce dont il résultait qu'il s'était écoulé plus de trente-cinq ans avant que le syndicat des copropriétaires de la Résidence Le Soleil ne songe à reprocher à la copropriété Résidence Port des Sables une prétendue négligence lors de l'aménagement de ces ouvertures par l'un de ses copropriétaires, une telle durée étant nécessairement exclusive de toute négligence imputable au syndicat des copropriétaires de la Résidence Port des Sables, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 et le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour M. [B] (demandeur au pourvoi n° S 21-12.703)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [B] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné avec le Syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables in solidum à fermer les ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial en démolissant la terrasse carrelée de 12 m² et à supprimer tout empiètement sur le fond appartenant à la copropriété Résidence Le Soleil cadastré AH [Cadastre 2] matérialisé notamment par l'entreposage de tables, chaises, l'édification de palissages et terrasses destinées à profiter au local de Monsieur [B], sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, l'astreinte étant fixée à 12 mois, d'avoir dit que Monsieur [B] et le Syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables étaient responsables in solidum du préjudice subi par le Syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil du fait de l'empiètement de sa propriété et des troubles anormaux du voisinage en résultant et de les avoir condamnés in solidum à payer au Syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts ;
1) ALORS, d'une part, QU' une vue directe à moins de 19 décimètres sur l'héritage du voisin constitue une servitude apparente et continue qui peut s'acquérir par la possession de trente ans ; qu'au cas présent, après avoir constaté que des ouvertures dont la vue donnait sur la résidence Le Soleil avaient été réalisées par Monsieur [B] en 1976-1977, soit il y a plus de trente ans, la cour a considéré que ces vues droites et directes sur la résidence Le Soleil avaient été percées en contravention avec les dispositions de l'article 678 du code civil, les hauteurs et distances réglementaires (19 décimètres) n'ayant pas été respectées (arrêt attaqué, p. 7) ; qu'en condamnant Monsieur [B] et le SDC Résidence Port des Sables à fermer ces ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial, cependant que les servitudes de vues étaient acquises par possession trentenaire, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 690 du code civil.
2) ALORS, d'autre part, QUE les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans ; que la réalisation d'ouverture dans un mur commun sans déclaration préalable, ni autorisation de la copropriété ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier de nature à faire obstacle à la prescription acquisitive d'une servitude de vue ; qu'au cas présent, après avoir constaté qu'une porte et deux doubles fenêtres donnant directement sur le fonds de la copropriété Résidence Le Soleil avaient été réalisées par Monsieur [B] en 1976-1977, soit il y a plus de trente ans, la cour a relevé que ces ouvertures n'avaient été précédées d'aucune déclaration conformément aux dispositions de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, ni autorisation écrite de la copropriété Résidence Port des Sables (percement d'un mur propriété commune) ni celle de la résidence Le Soleil (vues droites et directes en contradiction avec les articles 675 à 678 du code civil), de la Selcy ou de la mairie ; qu'en considérant que cette possession s'établissait sur des actes illicites ou irréguliers pour écarter la prescription et condamner Monsieur [B] et le SDC Résidence Port des Sables à fermer ces ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial, cependant qu'une absence de déclaration préalable ou d'autorisation ne constitue pas un acte illicite ou irrégulier pouvant faire échec à la prescription d'une servitude de vue, la cour d'appel a violé l'article 690 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Monsieur [B] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les conditions de la prescription par Monsieur [B] de la terrasse litigieuse n'étaient pas réunies, d'avoir condamné Monsieur [B] et le Syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables in solidum à fermer les ouvertures et à restituer aux lieux leur état initial en démolissant la terrasse carrelée de 12 m² et à supprimer tout empiètement sur le fond appartenant à la copropriété Résidence Le Soleil cadastré AH [Cadastre 2] matérialisé notamment par l'entreposage de tables, chaises, l'édification de palissages et terrasses destinées à profiter au local de Monsieur [B], sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, l'astreinte étant fixée à 12 mois, d'avoir dit que ceux-ci étaient responsables in solidum du préjudice subi par le Syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil du fait de l'empiètement de sa propriété et des troubles anormaux du voisinage en résultant, et d'avoir condamné in solidum Monsieur [B] et le Syndicat des copropriétaires Résidence Port des Sables à payer au Syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts ;
1) ALORS, d'une part, QUE l'usucapion est établie par des actes matériels et juridiques de possession trentenaire effectués par le possesseur à titre de propriétaire ; qu'au cas présent, contrairement au jugement entrepris, la cour d'appel a considéré que la preuve de la propriété, par prescription trentenaire, de la terrasse litigieuse n'était pas rapportée par les attestations de Madame [S] et de Monsieur [F], en l'absence d'autres pièces permettant de corroborer ces témoignages et de confirmer la réalité d'une occupation du local et de la terrasse par des locataires successifs depuis 1977 (arrêt attaqué, p. 6) ; qu'en ne recherchant pas si ces témoignages n'étaient pas corroborés par la création en 1977 d'ouvertures dans la façade du local de Monsieur [B] donnant sur la terrasse édifiée à la même époque, lesquelles suffisaient à démontrer l'occupation de la terrasse par Monsieur [B] ou par ses locataires depuis plus de trente ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2229, devenu 2261, du code civil ;
2) ALORS, d'autre part, QUE les conditions de forme d'une attestation prescrites par l'article 202 du code de procédure civile ne sont pas sanctionnées par la nullité ; qu'une attestation non conforme aux dispositions de ce texte ne peut être écartée par le juge que si celui-ci a précisé la nature de l'irrégularité et indiqué en quoi elle constitue l'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque ; qu'au cas présent, pour écarter la prescription acquisitive par Monsieur [B] de la terrasse litigieuse, la cour d'appel a rejeté les attestations de Madame [Z], de Monsieur [H] et de Monsieur [L], qui démontraient pourtant que depuis 1976/1977 Monsieur [B] occupait de manière continue cette terrasse comme l'avaient fait par la suite ses locataires successifs (arrêt attaqué p. 6) ; qu'en se bornant à relever que ces attestations n'étaient pas conformes aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile, en l'absence d'un document officiel justifiant de l'identité de leur auteur et de date pour l'attestation de Monsieur [L], ce qui constituait l'inobservation d'une formalité substantielle, sans préciser en quoi cette irrégularité faisait grief au Syndicat des copropriétaires Résidence Le Soleil, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 202 du code de procédure civile. | L'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement du mur extérieur d'un immeuble soumis au statut de la copropriété par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition par prescription d'une servitude de vue sur le fonds voisin |
7,732 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 269 F-B
Pourvoi n° Q 20-23.300
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 AVRIL 2022
1°/ M. [F] [D], domicilié [Adresse 6], Dubaï UAE (Émirats Arabes Unis),
2°/ la société Art héritage France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],
ont formé le pourvoi n° Q 20-23.300 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Banque palatine, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 5],
2°/ à la société Brouard-Daudé, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4], prise en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société Art héritage France,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [D], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Banque palatine, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Art héritage France du désistement de son pourvoi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 novembre 2020), par une convention du 30 novembre 2011, la société Art héritage France (la société) a ouvert un compte courant dans les livres de la société Banque palatine (la banque), qui lui a consenti une facilité de caisse d'un montant de 500 000 euros, ramené à 400 000 euros à compter du 31 janvier 2015.
3. Par un acte du 18 janvier 2012, M. [D], dirigeant de la société, s'est rendu caution solidaire de cette dernière au profit de la banque.
4. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné en paiement la caution, qui lui a opposé la nullité de son engagement pour non-respect des prescriptions légales relatives à la mention manuscrite.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. M. [D] fait grief à l'arrêt de le condamner, en sa qualité de caution, à verser à la banque la somme de 377 545,70 euros et de rejeter toutes ses demandes, alors « que toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à
peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X, dans la limite de..., couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens, si X n'y satisfait pas lui-même" ; que la cour d'appel a constaté que l'engagement souscrit par M. [D] comportait des termes non prévus par les prescriptions légales en ce qu'étaient ajoutés les mots "des commissions, frais et accessoires" ; que ces ajouts modifiaient le sens et la portée de la mention ; qu'en énonçant, pour débouter néanmoins M. [D] de sa demande de nullité de l'engagement de caution, qu'il était président et associé de la société Art héritage France, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir relevé que la mention manuscrite apposée par M. [D] sur l'acte de cautionnement, avant sa signature, comporte des termes non prescrits par l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, en ce que sont ajoutés, entre le mot « intérêts » et le mot « et », les mots « des commissions, frais et accessoires », l'arrêt retient que cet ajout n'est pas de nature à modifier le sens ou la portée de son engagement, mais conduit seulement à préciser la nature des sommes couvertes par le cautionnement, sans en modifier la limite, fixée à un certain montant.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, à bon droit, statué comme elle l'a fait.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] et le condamne à payer à la société Banque palatine la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [D] et la société Art héritage France.
M. [F] [D] reproche à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamné, en sa qualité de caution à verser à la Banque Palatine la somme de 377.545,70 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2016, et d'AVOIR rejeté toutes ses demandes ;
ALORS QUE toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X, dans la limite de..., couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens, si X, n'y satisfait pas lui-même" ; que la cour d'appel a constaté que l'engagement souscrit par M. [D] comportait des termes non prévus par les prescriptions légales en ce qu'étaient ajoutés les mots « des commissions, frais et accessoires » ; que ces ajouts modifiaient le sens et la portée de la mention ; qu'en énonçant, pour débouter néanmoins M. [D] de sa demande de nullité de l'engagement de caution, qu'il était président et associé de la société Art Héritage France, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. | Après avoir relevé que la mention manuscrite apposée sur l'acte de cautionnement par celui qui s'est rendu caution, comportait des termes non prescrits par l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, en ce qu'étaient ajoutés, entre le mot « intérêts » et le mot « et », les mots « des commissions, frais et accessoires », c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que cet ajout n'était pas de nature à modifier le sens ou la portée de son engagement, mais conduisait seulement à préciser la nature des sommes couvertes par le cautionnement, sans en modifier la limite, fixée à un certain montant |
7,733 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 287 FS-B
Pourvoi n° N 20-10.809
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 AVRIL 2022
1°/ M. [E] [V], domicilié [Adresse 2],
2°/ la société [R] et associés, société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [M] [R], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [E] [V], ont formé le pourvoi n° N 20-10.809 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2018 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige les opposant à la société 2EI, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [V], de la société [R] et associés, ès qualités, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société 2EI, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, conseillers, M. Guerlot, Mmes de Cabarrus, Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse,17 janvier 2018), M. [V] a, par un acte du 3 janvier 2013, cédé l'intégralité des parts composant le capital de la SARL Entreprise [V] à la société 2E, devenue la société 2EI, moyennant un prix déterminé au vu d'un bilan arrêté au 30 septembre 2012.
2. La société Entreprise [V] a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, respectivement les 21 janvier et 18 février 2014.
3. Soutenant que la situation présentée par M. [V] ne correspondait pas à la réalité, la société 2EI l'a assigné en exécution de la garantie d'actif et de passif prévue par l'acte de cession et en paiement de dommages-intérêts puis a demandé principalement l'annulation de la cession et la remise des parties dans la situation où elles se trouvaient antérieurement ainsi que la condamnation de M. [V] à lui payer des dommages-intérêts.
4. Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de M. [V], la société [R] et associés étant désignée liquidateur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [V] et la société [R] et associés, ès qualités, font grief à l'arrêt d'annuler la convention de cession de parts du 3 janvier 2013, d'ordonner, en conséquence, la restitution des parts à M. [V] et de rejeter la demande de paiement de prix de ce dernier, alors « que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'en ordonnant en conséquence de la nullité de la cession des parts sociales de la SARL Entreprise [V], la restitution desdites parts à M. [V], alors que dans leurs dernières conclusions ni la société 2EI, ni M. [V] n'avait formulé une telle demande, la cour d'appel a jugé au-delà des prétentions des parties et violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. La société 2EI ayant, dans le dispositif de ses conclusions, demandé à la cour d'appel de confirmer le jugement entrepris, notamment, en ce qu'il avait dit et jugé que les parties étaient remises dans leurs situations antérieures à la signature de l'acte de cession des parts du 3 janvier 2013, le grief manque en fait.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. M. [V] et la société [R] et associés, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « que tout jugement doit être motivé à peine de nullité, le défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motif ; que dans ses conclusions, M. [V] faisait valoir "l'impossibilité de replacer les parties dans leur état initial d'avant la cession du fait de la liquidation de la société Entreprise [V] à l'initiative de la demanderesse", et demandait par conséquent à la cour de condamner la SAS 2EI non pas à lui restituer lesdites parts, mais à lui payer la somme de 150 000 euros ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, pertinent en ce qu'il aurait permis à M. [V] d'obtenir la restitution en valeur des parts sociales qui n'existaient plus, et en ordonnant la restitution des parts sociales de la SARL Entreprise [V] à M. [V], la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de réponse à conclusions et violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. M. [V] ayant demandé, non la restitution en valeur des parts sociales de la société Entreprise [V], mais des dommages-intérêts aux motifs qu'il avait été privé du prix de cession de ces parts, qu'il avait été évincé de son poste de gérant de la société Entreprise [V] et privé de son poste de responsable régional, contractuellement dû pendant une certaine durée, et que la société Entreprise [V] avait été pillée de ses actifs au profit de la société 2EI sans bourse délier, la cour d'appel, qui a retenu que la privation du prix de cession des parts n'était que la conséquence de l'annulation de la cession du fait des dissimulations auxquelles M. [V] s'était livré et ne pouvait donner lieu à indemnisation, que M. [V] ne démontrait pas que la société 2EI avait pillé la société Entreprise [V] de ses actifs ou avait tiré un quelconque bénéfice durant la période séparant la
cession des parts de son annulation, et qu'il ne pouvait se prévaloir d'un engagement pris dans le cadre d'une convention annulée en raison de sa déloyauté, a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. M. [V] et la société [R] et associés, ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en cas d'annulation d'une cession de parts sociales, si la restitution desdites parts consécutive à cette nullité est impossible, le cédant est en droit d'obtenir la restitution de la valeur qu'elles avaient au jour de la cession litigieuse ; qu'en ordonnant la restitution de parts sociales de l'entreprise [V] à M. [V], alors que la société avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire de sorte que les parts sociales n'existaient plus, la cour d'appel a violé les articles 1844-8 du code civil, L. 237-2 du code de commerce et 1234 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
12. Il résulte de l'article 1844-7, 7°, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, ainsi que des articles 1844-8, alinéa 3, du même code et L. 237-2, alinéa 2, du code de commerce, que le jugement de liquidation judiciaire d'une société, s'il entraîne sa dissolution de plein droit, est sans effet sur sa personnalité morale, qui subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de la procédure, de sorte que, tant que cette publication n'est pas intervenue, les parts sociales composant son capital ont toujours une existence juridique et peuvent faire l'objet d'une restitution en nature.
13. Le moyen, qui soutient que la restitution en nature n'est plus possible en raison de la seule liquidation judiciaire de la société Entreprise [V], sans prétendre que la procédure avait été clôturée par un jugement publié, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [V] et la société [R] et associés, en qualité de liquidateur judiciaire de M. [V], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen annexe produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [V] et la société [R] et associés, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [V].
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la convention de cession des parts de la SARL Entreprise [V] intervenue le 3 janvier 2013 entre Monsieur [E] [V] et la SARL 2E, devenue SAS 2EI, d'avoir en conséquence ordonné la restitution des parts sociales de la SARL Entreprise [V] à Monsieur [E] [V] et de l'avoir débouté de sa demande de paiement du prix ;
AUX MOTIFS QUE « la cession de parts sociales de la SARL Entreprise [V] par Monsieur [V] à la SARL 2EI sera en conséquence annulée en raison du dol imputable au cédant, la décision déférée étant confirmée sur ce point.
Sur les conséquences de l'annulation
Sur les restitutions
Les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant cette exécution, ce qui implique d'une part l'annulation de la dette de la société 2EI à Monsieur [V] au titre du paiement du prix de 150 000 € et le rejet de sa demande en paiement, d'autre part, le retour des parts sociales de la SARL Entreprise [V] dans le patrimoine de ce dernier. La SA 2EI soutient que la restitution des parts sociales intervient en l'état dans lequel elles se trouvaient à la date de la cession, puisque la société était déjà en liquidation judiciaire. L'autorité de la chose jugée s'attachant à la fixation de la date de cessation des paiements au 30 septembre 2012 par le tribunal de commerce, n'a d'effet qu'à l'égard des parties qui ont été présentes ou représentées à l'audience et qui, dans la nouvelle instance, procèdent en la même qualité, et s'il y a entre les deux litiges identité de cause et d'objet. La cour n'est en conséquence pas tenue par la date de cessation des paiements fixée par le tribunal qui ouvre le redressement judiciaire de la société dont les parts ont été cédées, et Monsieur [V] est en droit de la contester nonobstant l'absence de tierce opposition. Toutefois, il a été relevé ci-dessus que la société [V] rencontrait de grosses difficultés à honorer ses engagements au cours du dernier trimestre 2012, qu'elle n'était pas à jour auprès de l'administration fiscale, des organismes sociaux, des caisses de retraite et de congés payés, et ne faisait pas face aux échéances. En outre ses comptes bancaires étaient débiteurs pour plus de 150 000 €, au 30 septembre comme au 31 décembre 2012, et des dettes restaient impayées malgré mises en demeures et menaces de procédures judiciaires. Bien qu'ayant été sollicité, Monsieur [V] n'a pas démontré l'existence de créances clients permettant de faire face au passif exigible, lui-même reconnaissant que certaines de ces créances étaient plus délicates à recouvrer. Dès lors, il n'y a pas lieu de remettre en cause la date de cessation des paiements telle que fixée par le tribunal de commerce. La SAS 2EI restitue donc à Monsieur [V] des parts d'une société en cessation des paiements, comme elles lui ont été vendues, la liquidation judiciaire ayant toutefois été depuis lors prononcée » ;
1°/ ALORS QUE la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'en ordonnant en conséquence de la nullité de la cession des parts sociales de la SARL Entreprise [V], la restitution desdites parts à Monsieur [E] [V], alors que dans leurs dernières conclusions ni la société 2EI, ni Monsieur [V] n'avait formulé une telle demande, la cour d'appel a jugé au-delà des prétentions des parties et violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE, subsidiairement, tout jugement doit être motivé à peine de nullité, le défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motif ; que dans ses conclusions, l'exposant faisait valoir « l'impossibilité de replacer les parties dans leur état initial d'avant la cession du fait de la liquidation de la Société Entreprise [V] à l'initiative de la demanderesse » (v. conclusions p. 26 et p. 46), et demandait par conséquent à la cour de condamner la SAS 2EI non pas à lui restituer desdites parts, mais à lui payer la somme de 150 000 euros ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, pertinent en ce qu'il aurait permis à Monsieur [V] d'obtenir la restitution en valeur des parts sociales qui n'existaient plus, et en ordonnant la restitution des parts sociales de la SARL Entreprise [V] à Monsieur [V], la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de réponse à conclusions et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3° / ALORS QUE subsidiairement, en cas d'annulation d'une cession de parts sociales, si la restitution desdites parts consécutive à cette nullité est impossible, le cédant est en droit d'obtenir la restitution de la valeur qu'elles avaient au jour de la cession litigieuse ; qu'en ordonnant la restitution de parts sociales de l'entreprise [V] à Monsieur [V], alors que la société avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire de sorte que les parts sociales n'existaient plus, la cour d'appel a violé les articles 1844-8 du code civil, L. 237-2 du Code de commerce et 1234 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. | Il résulte de l'article 1844-7, 7°, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, ainsi que des articles 1844-8, alinéa 3, du même code et L. 237-2, alinéa 2, du code de commerce, que le jugement de liquidation judiciaire d'une société, s'il entraîne sa dissolution de plein droit, est sans effet sur sa personnalité morale, qui subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de la procédure, de sorte que, tant que cette publication n'est pas intervenue, les parts sociales composant son capital ont toujours une existence juridique et peuvent faire l'objet d'une restitution en nature |
7,734 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 538 FS-B
sur la 2de branche du 1er moyen
Pourvoi n° F 20-17.496
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 AVRIL 2022
La société Lebronze Alloys, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11], ayant un établissement secondaire situé [Adresse 4], a formé le pourvoi n° F 20-17.496 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [C], domicilié [Adresse 5],
2°/ au syndicat [Adresse 6], dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de Mme [F] [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société [Adresse 10],
4°/ à l'UNEDIC, délégation AGS-CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prache, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Lebronze Alloys, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [C] et du syndicat [Adresse 6], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société MJA, ès qualités, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prache, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Agostini, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 12 mars 2020) et les productions, M. [C] a été engagé le 17 décembre 1993 par la société [Adresse 10], laquelle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 1er juin 2015, avec maintien de l'activité jusqu'au 5 juin 2015, la société MJA, prise en la personne de Mme [U] étant désignée en qualité de liquidateur.
2. Un accord majoritaire portant des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi a été conclu le 16 juin 2015 et validé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi le 18 juin 2015. M. [C] a été licencié pour motif économique le 15 juillet 2015, après autorisation de l'inspecteur du travail.
3. Par ordonnance du 19 août 2015, le juge commissaire a autorisé la reprise de l'activité du site industriel de [Localité 7] par la société [Adresse 8], aux droits de laquelle vient la société Lebronze Alloys (la société).
4. Après avoir vainement demandé sa réembauche auprès de la société Lebronze Alloys, le salarié et le syndicat [Adresse 6] ont saisi la juridiction prud'homale le 12 juin 2017, afin de voir dire le licenciement dépourvu d'effet en vertu de l'article L. 1224-1 du code du travail et obtenir condamnation de la société Lebronze Alloys au paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif ou, subsidiairement, leur fixation au passif de la société [Adresse 10].
Examen des moyens
Sur la première branche du premier moyen et les deuxième et quatrième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. La société Lebronze Alloys fait grief à l'arrêt de déclarer le salarié et le syndicat [Adresse 6] recevables en leurs actions et de la condamner à payer au salarié des dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, alors « que le bien fondé du licenciement d'un salarié protégé intervenu en vertu d'une autorisation administrative définitive ne peut être remis en cause devant le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [C], salarié protégé, avait été licencié après autorisation de l'inspecteur du travail ; que la société Lebronze Alloys avait fait valoir, tant en première instance qu'en appel, qu'il ne pouvait donc, sans heurter le principe de séparation des pouvoirs, solliciter des dommages-et-intérêts pour licenciement abusif au prétexte que son contrat de travail aurait dû être transféré à la société Lebronze Alloys, élément dont il avait au demeurant eu connaissance dans le délai de recours contre l'autorisation de licenciement ; qu'en jugeant la demande du salarié recevable et en lui accordant des dommages et intérêts pour rupture abusive, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs. »
Réponse de la Cour
7. En l'absence de toute cession d'éléments d'actifs de la société en liquidation judiciaire à la date à laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement d'un salarié protégé, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier si la cession ultérieure d'éléments d'actifs autorisée par le juge-commissaire ne constitue pas la cession d'un ensemble d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, emportant de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome, conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail, et rendant sans effet le licenciement prononcé, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
8. La cour d'appel, qui a relevé que la contestation ne portait pas sur la régularité de la procédure de licenciement, la recherche d'un repreneur et le bien-fondé de la décision rendue par l'inspecteur du travail devenue définitive, mais, à titre principal, sur le non-respect du principe du transfert des contrats de travail par l'effet de la cession d'une entité économique autonome, intervenue après la notification du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail et, à titre subsidiaire, sur la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire dans le cadre de la même opération, a légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Lebronze Alloys fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-7 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cas de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci ; que ce délai est applicable lorsque le salarié conteste la régularité ou la validité de son licenciement pour motif économique intervenu dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif en prétendant que son contrat de travail aurait dû être transféré à un autre employeur sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
10. Le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, qui court à compter de la notification du licenciement, concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou sur la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telles les contestations fondées sur l'article L. 1233-58 II, alinéa 5, du code du travail.
11. Ce délai n'est pas applicable aux actions, relevant de la compétence du juge judiciaire, exercées par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, de nature à priver d'effet les licenciements économiques prononcés à l'occasion du transfert d'une entité économique autonome, lesquelles sont soumises à la prescription biennale prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
12. Ayant constaté que les salariés avaient saisi la juridiction prud'homale d'une action fondée sur l'article L. 1224-1 du code du travail, étrangère à toute contestation afférente à la validité du plan de sauvegarde de l'emploi et non susceptible d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, la cour d'appel en a exactement déduit que la prescription applicable était celle prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Lebronze Alloys aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société MJA, en qualité de liquidateur judiciaire de la société [Adresse 10] et par la société Lebronze Alloys, et condamne cette dernière à payer à M. [C] et au syndicat [Adresse 6] la somme de 150 euros à chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Lebronze Alloys
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le salarié et le syndicat [Adresse 6] recevables en leurs actions, d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys à payer au salarié des dommages-et-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-et-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun, et d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys aux dépens,
AUX MOTIFS QUE « Sur l'exception d'incompétence : Attendu qu'aux termes de l'article 74 du code de procédure civile "les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public" ;
Attendu qu'en l'espèce, la partie intimée conclut à l'irrecevabilité des demandes formées par les appelants ; qu'il est soutenu en substance que l'action de ces derniers tend à remettre en cause la régularité de la procédure de licenciement et le contenu de l'accord collectif afférents aux mesures de plan de sauvegarde de l'emploi, pour lesquels le tribunal administratif a compétence exclusive, en raison de leur validation par la DIRECCTE ; que les intimés en déduisent que le juge judiciaire ne saurait statuer à cet égard sans contrevenir au principe de séparation des pouvoirs ; Attendu qu' il en découle des dispositions légales susvisées que le défendeur représenté en première instance, qui aurait pu invoquer, à ce stade de la procédure, l'incompétence de la juridiction saisie et qui ne l'a pas valablement fait, est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d'appel ; qu'en l'espèce, la SELAFA M.J.A ès qualités et la société Lebronze alloys, représentées en première instance, notamment lors de l'audience de plaidoiries devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, n'ont pas soulevé d'exception d'incompétence devant les premiers juges avant leur défense au fond ; qu'il s'ensuit que la partie intimée est irrecevable à se prévaloir de l'exception litigieuse ; Attendu qu'en tout état de cause, la demande principale des appelants porte exclusivement sur les conséquences du transfert de son contrat de travail au profit d'une entité économique autonome acquise par la société Lebronze alloys, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, pour lesquelles le juge judiciaire est compétent ; que les demandes formées par les appelants ne tendent pas à contester la régularité de la procédure de licenciement, la recherche d'un repreneur et la décision d'homologation rendue par l'inspection du travail devenue définitive ; Qu'en effet, ces contestations portent :
- à titre principal sur le non-respect du principe de transfert des contrats de travail par l'effet de la cession d'une entité économique, et ont fait observer que cette revendication est exclusivement dirigée à l'encontre de la société Lebronze alloys,
- à titre subsidiaire sur la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire, dans le cadre de la même opération,
que ces actions sont donc de nature différente à celles qui pourraient être engagées sur le fondement de la contestation du licenciement économique et du plan de sauvegarde de l'emploi ; que leur mise en oeuvre ne caractérise pas en elles-mêmes la volonté du salarié de frauder les décisions prises dans le cadre du plan social pour l'emploi, et sont sans rapport avec les efforts de reclassement de société [Adresse 10] dans le cadre de la procédure collective ; que la question relative au transfert d'activité est étrangère au contrôle de la DIRECCTE ; que l'examen du litige par le juge judiciaire n'a donc pas pour effet de violer le principe de la séparation des pouvoirs »
1. ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ;
qu'en l'espèce, il était constant que M. [C], salarié protégé, avait été licencié après autorisation de l'inspecteur du travail (conclusions d'appel de la société Lebronze alloys, p. 7 à 12 ; conclusions du salarié, p. 3, § 1 et p. 11-12) et la société Lebronze alloys en déduisait (concl. précitées, ibid.) que sa demande, tendant en réalité à revenir sur le bien fondé de son licenciement, était irrecevable en application du principe de séparation des pouvoirs, moyen déjà soulevé en première instance (cf. jugement, p. 5) ; que la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2. ALORS en tout état de cause QUE le bien fondé du licenciement d'un salarié protégé intervenu en vertu d'une autorisation administrative définitive ne peut être remis en cause devant le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [C], salarié protégé, avait été licencié après autorisation de l'inspecteur du travail (conclusions d'appel de la société Lebronze alloys, p. 7 à 12 ; conclusions du salarié, p. 3, § 1 et 11-12) ; que la société Lebronze alloys avait fait valoir, tant en première instance (jugement, p. 5) qu'en appel (conclusions d'appel, p. 7 à 12), qu'il ne pouvait donc, sans heurter le principe de séparation des pouvoirs, solliciter des dommages-et-intérêts pour licenciement abusif au prétexte que son contrat de travail aurait dû être transféré à la société Lebronze alloys, élément dont il avait au demeurant eu connaissance dans le délai de recours contre l'autorisation de licenciement ;
qu'en jugeant la demande du salarié recevable et en lui accordant des dommages et intérêts pour rupture abusive, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le salarié et le syndicat [Adresse 6] recevables en leurs actions, d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys à payer au salarié des dommages-et-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-et-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun, et d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys aux dépens,
AUX MOTIFS QUE « Sur l'exception d'incompétence : Attendu qu'aux termes de l'article 74 du code de procédure civile "les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public" ;
Attendu qu'en l'espèce, la partie intimée conclut à l'irrecevabilité des demandes formées par les appelants ; qu'il est soutenu en substance que l'action de ces derniers tend à remettre en cause la régularité de la procédure de licenciement et le contenu de l'accord collectif afférents aux mesures de plan de sauvegarde de l'emploi, pour lesquels le tribunal administratif a compétence exclusive, en raison de leur validation par la DIRECCTE ; que les intimés en déduisent que le juge judiciaire ne saurait statuer à cet égard sans contrevenir au principe de séparation des pouvoirs ; Attendu qu'il en découle des dispositions légales susvisées que le défendeur représenté en première instance, qui aurait pu invoquer, à ce stade de la procédure, l'incompétence de la juridiction saisie et qui ne l'a pas valablement fait, est irrecevable à soulever une telle exception pour la première fois en cause d'appel ; qu'en l'espèce, la SELAFA M.J.A ès qualités et la société Lebronze alloys, représentées en première instance, notamment lors de l'audience de plaidoiries devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, n'ont pas soulevé d'exception d'incompétence devant les premiers juges avant leur défense au fond ; qu'il s'ensuit que la partie intimée est irrecevable à se prévaloir de l'exception litigieuse ; Attendu qu'en tout état de cause, la demande principale des appelants porte exclusivement sur les conséquences du transfert de son contrat de travail au profit d'une entité économique autonome acquise par la société Lebronze alloys, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, pour lesquelles le juge judiciaire est compétent ; que les demandes formées par les appelants ne tendent pas à contester la régularité de la procédure de licenciement, la recherche d'un repreneur et la décision d'homologation rendue par l'inspection du travail devenue définitive ; Qu'en effet, ces contestations portent :
- à titre principal sur le non-respect du principe de transfert des contrats de travail par l'effet de la cession d'une entité économique, et ont fait observer que cette revendication est exclusivement dirigée à l'encontre de la société Lebronze alloys,
- à titre subsidiaire sur la responsabilité solidaire du cédant et du cessionnaire, dans le cadre de la même opération,
que ces actions sont donc de nature différente à celles qui pourraient être engagées sur le fondement de la contestation du licenciement économique et du plan de sauvegarde de l'emploi ; que leur mise en oeuvre ne caractérise pas en elles-mêmes la volonté du salarié de frauder les décisions prises dans le cadre du plan social pour l'emploi, et sont sans rapport avec les efforts de reclassement de société [Adresse 10] dans le cadre de la procédure collective ; que la question relative au transfert d'activité est étrangère au contrôle de la DIRECCTE ; que l'examen du litige par le juge judiciaire n'a donc pas pour effet de violer le principe de la séparation des pouvoirs » ;
1. ALORS QUE les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, la société Lebronze alloys soulevait, sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs et de l'autorité attachée à la décision de la Direccte validant l'accord collectif déterminant le nombre de licenciements et le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, l'irrecevabilité de la demande du salarié et non une exception d'incompétence (cf. conclusions d'appel de la société, p. 8 à 10 et dispositif de ses conclusions p. 21) ; que la cour d'appel, qui a considéré que la société était irrecevable à soulever pour la première fois en cause d'appel une exception d'incompétence qu'elle aurait dû présenter devant les premiers juges avant toute défense au fond, a modifié les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2. ALORS en outre QUE le moyen tiré de ce que la demande se heurte au principe de séparation des pouvoirs constitue une fin de non-recevoir, pouvant être invoquée en tout état de cause ; qu'en affirmant que la société Lebronze alloys était irrecevable à soulever pour la première fois en cause d'appel le moyen tiré de ce que la demande du salarié se heurtait au principe de séparation des pouvoirs, au prétexte que les exceptions d'incompétence doivent être soulevées avant toute défense au fond et fin de non-recevoir, la cour d'appel a violé les articles 74, 122 et 123 du code de procédure civile ;
3. ALORS en toute hypothèse QUE l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 du code du travail, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4 ; que ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux ; qu'en l'espèce, sous couvert de voir juger que son contrat de travail aurait dû être transféré à la société Lebronze alloys en vertu de l'article L. 1224-1 du code du travail, l'action du salarié tendait à remettre en cause la régularité de la procédure de licenciement suivie au sein de la société [Adresse 10] et l'accord collectif ayant déterminé le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et prévu le licenciement pour motif économique de 173 salariés, validé par la Direccte le 18 juin 2015 ; qu'en affirmant que l'examen du litige par le juge judiciaire n'avait pas pour effet de violer le principe de séparation des pouvoirs et en accordant au salarié des dommages-et-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des pouvoirs.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré le salarié et le syndicat [Adresse 6] recevables en leurs actions, d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys à payer au salarié des dommages-et-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-et-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun, et d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys aux dépens,
AUX MOTIFS QUE « Sur la prescription : Attendu que les appelants ont engagé leur action par devant le conseil de prud'hommes le 12 juin 2017 ; que la prescription de leur action s'apprécie donc au regard des dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la réforme du 22 septembre 2017, aux termes desquelles : "toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par 12 mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cas de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci" ; que néanmoins, le délai de 12 mois prévu par le second alinéa de cet article, n'était applicable qu'aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'en l'espèce, les demandes du salarié, fondées sur l'article L. 1224-1 du code du travail, sont étrangères à toute contestation afférente à la validité du plan de sauvegarde de l'emploi et ne sont donc pas soumises au délai de prescription prévu à l'article L. 1235-7 du code du travail ; qu'il s'ensuit qu'au jour la saisine des premiers juges, la prescription de l'action doit s'apprécier non pas à la lumière de cet article mais au regard l'article L. 1471-1 du même code, aux termes duquel "toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où les demandeurs ont connu les faits leur permettant d'exercer leur droit" ; Attendu qu'en l'espèce, dès lors qu'il s'est écoulé moins de 2 ans entre le licenciement de l'appelant et sa saisine juridictionnelle, le moyen formé par les intimés n'est pas fondé » ;
ALORS QU'aux termes de l'article L. 1235-7 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par 12 mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cas de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci ; que ce délai est applicable lorsque le salarié conteste la régularité ou la validité de son licenciement pour motif économique intervenu dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif en prétendant que son contrat de travail aurait dû être transféré à un autre employeur sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys à payer au salarié des dommages-et-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail et au syndicat des dommages-et-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, outre une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun, et d'AVOIR condamné la société Lebronze alloys aux dépens,
AUX MOTIFS QUE « Sur l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ; Attendu qu'en l'espèce, le salarié réclame le paiement de dommages intérêts au motif que nonobstant son licenciement dans le cadre de la liquidation de [la] société [Adresse 10], il aurait dû bénéficier du transfert de son contrat de travail par l'effet de la cession d'actifs intervenue le 19 août 2015 sous l'égide du juge-commissaire ; que pour s'opposer la société Lebronze alloys soutient que les dispositions de l'article L. 1224 -1 du code du travail n'ont pas vocation à s'appliquer dès lors que la société [Adresse 10] a fait l'objet d'une liquidation judiciaire ayant entraîné le licenciement de l'ensemble du personnel de l'entreprise ; Attendu qu'en l'espèce, la société [Adresse 10] a été placée en redressement judiciaire suivant jugement du tribunal de commerce de Paris rendu en date du 18 février 2015 ; que sa liquidation judiciaire a été prononcée par la même juridiction le 1er juin 2015, avec maintien de l'activité jusqu'au 5 juin 2015 et désigné la SELAFA M.J.A en qualité de mandataireliquidateur ; qu'un accord collectif sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi a été conclu entre la société [Adresse 10] et la Confédération Générale du Travail (CGT) le 16 juin 2015 prévoyant le licenciement pour motif économique de 173 salariés en contrat à durée indéterminée et la rupture anticipée des contrats d'apprentissage et de professionnalisation ;
que cet accord a été validé par la DIRECCTE suivant décision du 18 juin 2015 ; que [le salarié] a été licencié consécutivement à la liquidation judiciaire de son employeur ; que par requête au juge commissaire du tribunal de commerce de Paris du 11 août 2015, la SELAFA Mandataires judiciaires associés a réceptionné quatre propositions dont trois le 22 juillet 2015 et une le 09 juillet 2015 ; que par ordonnance du 19 août 2015, le juge commissaire du tribunal de commerce de Paris a autorisé la SELAFA M.J.A à procéder à la vente de gré à gré des éléments suivants à la société [Adresse 9], devenue la société Lebronze alloys :
- le fonds de commerce et la clientèle (en ce y compris le droit au bail),
- les stocks en pleine propriété,
- l'ensemble des équipements et du parc machine en pleine propriété,
- l'ensemble des actifs intellectuels, des données et actifs informatiques,
- l'ensemble des bases de données ;
Attendu que les dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce, et plus généralement le cadre légal de cette décision, ne comportent aucune disposition susceptible de faire obstacle à l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ; que ce dernier, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, est susceptible de s'appliquer en cas de procédure collective de l'entreprise objet d'une modification dans sa situation juridique ; que l'existence d'un licenciement prononcé par le précédent employeur ne fait pas obstacle au maintien du contrat de travail en cas de reprise ou de poursuite de l'activité d'une entité économique conservant son identité, avec les mêmes moyens, par une autre entreprise ; que seule la cessation d'activité de l'entreprise, sans transfert d'actif, n'emporte pas application de ces dispositions ; Attendu qu'en l'espèce, la cession d'actif opérée par l'effet de l'autorisation du juge-commissaire a eu pour conséquence de transférer au profit de la société Lebronze alloys les actifs essentiels et « vitaux » de [la] société [Adresse 10], à savoir : son fonds de commerce, sa clientèle, ce stock des actifs intellectuels et ses données informatiques ; que la caractéristique et la diversité de chacun de ces éléments était susceptible de permettre à eux seuls la poursuite des activités de l'entreprise de manière stable ; que cette cession a donc eu pour effet de transférer une unité économique au profit de la société Lebronze alloys ; qu'au surplus, cette situation se voit clairement confortée par les déclarations du juge commissaire qui a relevé que l' offre faite par la société Lebronze alloys s'inscrivait "dans le cadre d'une réelle reprise de l'activité du site industriel de [Localité 7], et prévoit la reprise du contrat de bail", qu'elle présentait un intérêt majeur du point de vue des obligations environnementales de remise en état du site de l'usine de [Localité 7] et "un intérêt du point de vue de l'emploi en ce qu'elle prévoit l'embauche de 45 anciens salariés de la société [Adresse 10]" ; Attendu qu'en outre, la cession susvisée et les discussions qui l'ont précédée sont intervenues, peu de temps après le 5 juin 2015, fin de l'activité de [Adresse 10] ; que la brève interruption de l'activité de l'entité cédée, intervenue en période estivale, habituellement propice à une activité faible voire nulle est sans emport sur sa continuité rendue effective par la reprise opérée par Lebronze alloys ; que l'existence d'un licenciement prononcé par le précédent employeur ne fait pas obstacle au maintien du contrat de travail en cas de reprise ou de poursuite de l'activité d'une entité économique conservant son identité, avec les mêmes moyens, par une autre entreprise comme cela était le cas en l'espèce ; que les dispositions de l'article L. 1224 -1 du code du travail sont donc applicables en l'espèce, nonobstant le licenciement du salarié consécutif à la liquidation de la société [Adresse 10] ; que la société Lebronze alloys aurait donc dû reprendre le contrat de travail du salarié ; que pour autant, celle-ci n'a pas entendu donner suite à ce transfert ; que le salarié qui disposait d'une option lui permettant d'agir soit à l'encontre du repreneur du fonds, soit à l'encontre de l'auteur de son licenciement, est donc fondé à solliciter de la société Lebronze alloys, l'indemnisation des préjudices que lui a causé la rupture abusive de son contrat de travail ; Attendu que la cour a les éléments suffisants compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, de son ancienneté dans l'entreprise et de l'effectif de celle-ci, pour fixer le préjudice à [...] euros ; Sur l'action du syndicat [Adresse 6] :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont un intérêt à agir dès lors que les faits portent un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; Que la violation des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ayant pour objet le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert de leur contrat de travail porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat ; Que l'action du syndicat est donc recevable ; Attendu qu'en l'espèce, la violation de dispositions d'ordre public par la société Lebronze alloys a eu pour effet de priver le salarié de son emploi ; Que celle-ci a causé un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qu'il convient de fixer à 500 euros » ;
ALORS QUE lorsque la liquidation judiciaire pure et simple de l'entreprise a été ordonnée, sans plan de cession, l'entreprise disparaît et tous les salariés doivent être licenciés dans un délai de 15 jours ou 21 jours si un plan de sauvegarde de l'emploi est nécessaire ;
qu'en cas de cession intervenant ensuite de gré à gré dans le cadre de la liquidation d'actifs en application de l'article L. 641-19 du code de commerce, l'article L. 1224-1 du code du travail n'est pas applicable, les contrats de travail n'étant plus en cours au jour de la cession ; qu'en l'espèce, la société [Adresse 10] a fait l'objet d'une liquidation judiciaire pure et simple, sans plan de cession, avec cessation d'activité au 5 juin 2015, entraînant les licenciements de tous les salariés en application d'un accord collectif validé par la Direccte ; que le 19 août 2015, le juge commissaire a, en application de l'article L. 642-19 du code de commerce, autorisé le liquidateur judiciaire à procéder à la vente de gré à gré à la société [Adresse 9], aux droits de laquelle vient la société Lebronze alloys, du fonds de commerce et de la clientèle, des stocks, des équipements et du parc machine, des actifs intellectuels et données informatiques, et des bases de données, cession qui a été réalisée par acte du 2 mai 2016 ; qu'en jugeant que la cession d'actifs autorisée par le juge commissaire ayant eu pour conséquence de transférer une entité économique autonome au cessionnaire, l'article L. 1224-1 du code du travail devait s'appliquer nonobstant les licenciements prononcés par le liquidateur judiciaire du cédant, quand les contrats de travail n'étaient plus en cours au jour de la cession, la cour d'appel a violé les articles L. 641-19 du code de commerce et L. 1224-1 du code du travail. | En l'absence de toute cession d'éléments d'actifs de la société en liquidation judiciaire à la date à laquelle l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement d'un salarié protégé, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier si la cession ultérieure d'éléments d'actifs autorisée par le juge-commissaire ne constitue pas la cession d'un ensemble d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, emportant de plein droit le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité économique autonome, conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail, et rendant sans effet le licenciement prononcé, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Doit dès lors être approuvée la cour d'appel qui, ayant relevé que la contestation portait sur le non-respect du principe du transfert des contrats de travail par l'effet de la cession d'une entité économique autonome, intervenue après la notification du licenciement autorisé par l'inspecteur du travail, déclare recevable l'action engagée par les salariés protégés devant la juridiction prud'homale aux fins de condamnation du cessionnaire au paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive de leur contrat de travail |
7,735 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 542 FS-B
Pourvoi n° R 20-18.402
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 AVRIL 2022
M. [H] [Y] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-18.402 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à la société Keolis CIF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y] [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Keolis CIF, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Agostini, conseillers, Mme Chamley-Coulet, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 juillet 2020), M. [Y] [J] est salarié de la société Keolis CIF depuis 2009. Le 16 avril 2015, le syndicat CGT CIF Keolis a déposé un préavis de grève courant du 22 avril 2015 au 31 décembre 2015 pour l'ensemble du personnel de la société Keolis CIF.
2. Le salarié s'est déclaré gréviste le 5 mai 2015. Le 17 juin 2015, l'employeur lui a enjoint de reprendre son poste au motif que, seul de l'entreprise se déclarant encore gréviste, il ne pouvait prétendre poursuivre un mouvement de grève. Il a été licencié le 16 juillet 2015 pour abandon de poste.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation, alors :
« 1°/ que tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de l'exercice de son droit de grève ou de faits commis pendant l'exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde ; si dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier doit mentionner l'heure de début et de fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le préavis déposé le 16 avril 2015 par le syndicat CGT CIF Kéolis permettait l'exercice du droit de grève du 22 avril 2015 à 0 heure jusqu'au 31 décembre 2015 à 24 heures pour l'ensemble du personnel sur la totalité des dépôts et annexes des courriers d'Ile de France ; qu'en déduisant du seul fait que M. [Y] [J] s'était retrouvé être le seul salarié gréviste à compter du 8 juin 2015, la cessation de l'arrêt collectif de travail et en considérant que son absence à compter de cette date ne relevait pas de l'exercice normal de son droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
2°/ que dans les services publics, la liberté reconnue aux salariés, seuls titulaires du droit de grève, de prendre part à l'action collective à l'instant et pour la durée qu'ils souhaitent s'oppose à ce que l'employeur licencie un salarié gréviste pour abandon de poste dans la période définie par le préavis déposé par un syndicat représentatif au motif qu'il est le seul à poursuivre le mouvement de grève ; qu'en retenant, pour juger fondé le licenciement pour faute grave motivé par un abandon de poste, qu'il importait peu que l'absence de M. [Y] [J], qui s'est déclaré gréviste, se situait durant la période de préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Kéolis dès lors qu'il était le seul, après le 8 juin 2015, à cesser le travail, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2511-1, L. 2512-1, L. 2512-2 du code du travail et l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
4. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.404, Bull. 2012, V, n° 207 ; Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-14.607, Bull. 2015, V, n° 25 ; Soc., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.078, Bull. 2016, V, n° 237), dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que l'employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève.
5. Dès lors, la cessation de travail d'un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d'un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu'un seul salarié se soit déclaré gréviste.
6. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l'arrêt retient qu'alors que le préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Keolis à compter du 22 avril 2015 courait jusqu'au 31 décembre 2015, le salarié était seul en cessation de travail dans l'entreprise depuis le 8 juin 2015, et qu'informé par l'employeur de cette situation et mis en demeure de reprendre son poste, il est demeuré absent de l'entreprise, si bien qu'il ne pouvait prétendre au statut de gréviste.
7. En statuant ainsi, alors que le salarié était en cessation de travail dans le cadre du préavis de grève déposé par un syndicat représentatif et pendant la période couverte par celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Keolis CIF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Keolis CIF et la condamne à payer à M. [Y] [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [Y] [J]
M. [Y] [J] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation.
1°) ALORS QUE tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de l'exercice de son droit de grève ou de faits commis pendant l'exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde ; si dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier doit mentionner l'heure de début et de fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le préavis déposé le 16 avril 2015 par le syndicat CGT CIF Kéolis permettait l'exercice du droit de grève du 22 avril 2015 à 0 h jusqu'au 31 décembre 2015 à 24 h pour l'ensemble du personnel sur la totalité des dépôts et annexes des Courriers d'Ile de France ; qu'en déduisant du seul fait que M. [Y] [J] s'était retrouvé être le seul salarié gréviste à compter du 8 juin 2015, la cessation de l'arrêt collectif de travail et en considérant que son absence à compter de cette date ne relevait pas de l'exercice normal de son droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
2°) ALORS QUE dans les services publics, la liberté reconnue aux salariés, seuls titulaires du droit de grève, de prendre part à l'action collective à l'instant et pour la durée qu'ils souhaitent s'oppose à ce que l'employeur licencie un salarié gréviste pour abandon de poste dans la période définie par le préavis déposé par un syndicat représentatif au motif qu'il est le seul à poursuivre le mouvement de grève ; qu'en retenant, pour juger fondé le licenciement pour faute grave motivé par un abandon de poste, qu'il importait peu que l'absence de M. [Y] [J], qui s'est déclaré gréviste, se situait durant la période de préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Kéolis dès lors qu'il était le seul, après le 8 juin 2015, à cesser le travail, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. | Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.404, Bull. 2012, V, n° 207; Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-14.607, Bull. 2015, V, n° 25; Soc., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.078, Bull. 2016, V, n° 237), dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que l'employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève.
Dès lors, la cessation de travail d'un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d'un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu'un seul salarié se soit déclaré gréviste.
Il en résulte que viole les articles L. 2511-1, L. 2512-1, L. 2512-2 du code du travail et l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la cour d'appel qui dit fondé sur une faute grave le licenciement d'un salarié seul en cessation de travail dans le cadre du préavis de grève déposé par un syndicat représentatif et pendant la période couverte par celui-ci au motif qu'il était demeuré absent de l'entreprise en dépit d'une mise en demeure de son employeur sans pouvoir prétendre au statut de gréviste |
7,736 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 536 FS-D
Pourvois n°
X 20-18.799
V 20-18.820 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 AVRIL 2022
I - La Fédération française du bâtiment (FFB), dont le siège est [Adresse 7], a formé le pourvoi n°X 20-18.799,
II - la Fédération générale Force Ouvrière construction, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-18.820,
contre l'arrêt rendu le 11 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige les opposant et les opposant également :
1°/ à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la Fédération Bati-Mat-TP CFTC, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, dont le siège est [Adresse 8],
4°/ à la Fédération nationale des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement CGT (FNSCBA-CGT), dont le siège est [Adresse 6],
5°/ à l'Union fédéral de l'industrie et de la construction UNSA, dont le siège est [Adresse 4],
6°/ à la Fédération des sociétés coopératives et participatives du bâtiment et des travaux publics (SCOP-BTP), dont le siège est [Adresse 10],
7°/ à la Fédération française des entreprises de génie électrique et énergetique (FFIE), dont le siège est [Adresse 9],
8°/ au syndicat CFE-CGC-BTP, dont le siège est [Adresse 1],
La demanderesse au pourvoi n° X 20-18.799 invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° V 20-18.820 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Huglo, conseiller doyen, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Fédération française du bâtiment, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Fédération générale Force Ouvrière construction, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment ,de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la Fédération nationale des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement CGT, de l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Huglo, conseiller doyen rapporteur, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Agostini, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° X 20-18.799 et V 20-18.820 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 juin 2020), statuant en référé, deux accords ont été signés le 14 mai 2019 dans le secteur du bâtiment. Le premier accord, signé entre la Fédération française du bâtiment (FFB), du côté patronal, et les organisations syndicales fédération générale Force Ouvrière construction (le syndicat FO), Fédération Bati-MAT-TP CFTC (le syndicat CFTC) et CFE-CGC-BTP (le syndicat CGC) prévoit la mise en place d'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) unique pour tout le secteur du bâtiment. Ce premier accord a fait l'objet d'une opposition majoritaire des syndicats CFDT, CGT et UNSA et a ainsi été privé d'effet. Le second accord, signé entre la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (la CAPEB), du côté patronal, et les organisations syndicales Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT (le syndicat CFDT), Fédération nationale des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement CGT (le syndicat CGT) et l'Union fédérale de l'industrie et de la construction UNSA (le syndicat UNSA), prévoit la mise en place de deux CPPNI dans le même secteur du bâtiment, l'une pour les entreprises occupant jusqu'à dix salariés, l'autre pour les entreprises occupant plus de dix salariés.
3. Par acte du 19 août 2019, la FFB a saisi le président du tribunal de grande instance statuant en référé pour faire suspendre les effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de deux CPPNI dans le secteur du bâtiment, ainsi que de l'accord signé à la suite concernant les thèmes et calendrier de négociation au motif du trouble manifestement illicite résultant de ces accords. Le syndicat FO s'est joint à cette demande.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen du pourvoi de la FFB, et les première, quatrième et cinquième branches du moyen du pourvoi du syndicat FO
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi de la FFB et le moyen du pourvoi du syndicat FO pris en ses deuxième, troisième, sixième et septième branches, réunis
Enoncé du moyen
5. La FFB et le syndicat FO font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes, alors :
selon le premier moyen du pourvoi de la FFB,
« que la validité d'une convention de branche ou d'un accord professionnel est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5 ou, le cas échéant aux élections visées à l'article L. 2122-6, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des mêmes organisations à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants ; que la preuve de la représentativité des organisations syndicales doit être faite au niveau du champ d'application de la convention ou de l'accord ; que l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation (CPPNI) et l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier des négociations 2019 ont vocation à s'appliquer dans toutes les entreprises du bâtiment, quel que soit le nombre de salariés occupés, et toutes catégories professionnelles confondues ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que selon l'arrêté du 20 juillet 2017, l'UNSA n'était représentative que dans le champ d'application de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés ; qu'en jugeant néanmoins que sa participation à la signature des accords du 14 mai 2019 n'affectait pas leur validité au motif inopérant que ces accords avaient pour objet d'organiser la négociation au niveau de deux périmètres distincts, soit les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et les entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, la cour d'appel a violé les articles L. 2231-1 et L. 2232-6 du code du travail. »
selon le deuxième moyen du pourvoi de la FFB,
« 1/ que l'article L. 2231-9 du code du travail ne prévoit la mise en place que d'une seule commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation dans chaque branche ; que le périmètre de la branche correspond à celui au sein duquel la représentativité des organisations syndicales est reconnue par le ministre du travail ; qu'en l'absence d'arrêté de représentativité dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et dans celui des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, il n'existe qu'une seule branche recouvrant toutes les entreprises du bâtiment sans distinction selon le nombre de salariés occupés par ces entreprises ; qu'en jugeant, pour refuser de suspendre l'accord du 14 mai 2019 instaurant deux CCPNI, l'une pour les entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés, et l'autre pour les entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, et l'accord du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier de la négociation 2019, qu'il relevait de la liberté contractuelle des organisations signataires de scinder en deux le champ d'application des conventions collectives catégorielles du bâtiment, la cour d'appel a violé les articles L. 2122-11 et L. 2232-9 du code du travail ;
2/ que la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ; que la FFB faisait valoir qu'en l'absence d'arrêté du ministre du travail fixant la liste des organisations syndicales représentatives au niveau des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, ni au niveau des entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, les CPPNI mises en place par l'accord du 14 mai 2019 ne pouvaient fonctionner faute de pouvoir déterminer les organisation syndicales devant y être représentées ; qu'en se bornant à juger, pour refuser de suspendre l'accord du 14 mai 2019 instaurant une CCPNI pour les entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés, et une autre CPPNI pour les entreprises du bâtiment occupant plus de dix salariés, qu'il relevait de la liberté contractuelle des organisations signataires de scinder en deux le champ d'application des conventions collectives catégorielles, sans rechercher comme elle y était invitée si leur fonctionnement n'était pas impossible compte tenu de l'absence d'organisations syndicales représentatives au niveau du périmètre de chacune des commissions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2261-19 du code du travail ;
3/ que la FFB contestait l'invitation faite à l'UNSA de désigner ses représentants destinés à siéger au sein des commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation, en faisant valoir qu'elle ne figurait pas parmi les organisations syndicales représentatives dans la branche du bâtiment ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
et selon le moyen du pourvoi du syndicat FO,
« 2/ qu'un accord collectif est conclu entre, d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ de l'accord ; qu'en l'espèce, ayant constaté que les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été signés, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, la cour d'appel a reconnu que l'UNSA n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, suivant l'arrêté du 20 juillet 2017 ; qu'elle a néanmoins considéré que la signature de ces accords par cette organisations syndicale ne remettait pas en cause leur validité ''dès lors que les accords contestés sont d'un niveau supérieur, global, organisant la négociation au niveau de deux branches définies par les signataires, pour les entreprises du bâtiment de plus ou moins de dix salariés, l'UNSA ayant vocation à participer à la négociation de l'accord dans ce deuxième périmètre d'activité'' ; qu'en statuant par de tels motifs quand il ressortait de ses propres constatations que les accords litigieux du 14 mai 2019 avait été conclus par une organisation syndicale qui n'était pas représentative dans le champ de ces accords, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2231-1 et L. 2232-6 du code du travail ;
3/ qu'un accord collectif est conclu entre, d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ de l'accord ; qu'en l'espèce, ayant constaté que les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été signés, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, la cour d'appel a reconnu que l'UNSA n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, suivant l'arrêté du 20 juillet 2017 ; qu'elle a néanmoins considéré que la signature de ces accords par cette organisations syndicale ne remettait pas en cause leur validité ''dès lors que les accords contestés sont d'un niveau supérieur, global, organisant la négociation au niveau de deux branches définies par les signataires, pour les entreprises du bâtiment de plus ou moins de dix salariés, l'UNSA ayant vocation à participer à la négociation de l'accord dans ce deuxième périmètre d'activité'' ; qu'en considérant que l'UNSA avait vocation à participer à la négociation de l'accord dans le périmètre d'activité des entreprises du bâtiment de moins de dix salariés alors qu'elle avait relevé que cette organisation syndicale n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et non dans l'ensemble du périmètre d'activité susvisé, la cour d'appel a de plus fort violé les dispositions des articles L. 2231-1 et L. 2232-6 du code du travail ;
6/ que les commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation sont mises en place par accord ou convention dans chaque branche ; que ces commissions sont composées de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ; qu'il en résulte qu'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation ne saurait être valablement mise en place dans un champ professionnel dans le cadre duquel aucun arrêté de représentativité n'a été pris ; qu'en l'espèce, l'accord litigieux du 14 mai 2019 prévoit la mise en place de deux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation, l'une se rapportant aux entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés et l'autre aux entreprises du bâtiment employant plus de dix salariés ; qu'en admettant la validité de cet accord au motif que la négociation collective s'inscrit dans un principe de liberté contractuelle alors qu'il est constant qu'aucun arrêté de représentativité n'est en vigueur dans les champs professionnels couverts par les deux commissions instituées par l'accord, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2232-9 I, L. 2261-19 et L. 2122-11 du code du travail ;
7/ que les commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation sont mises en place par accord ou convention au niveau des branches professionnelles ; que, si un accord collectif peut définir une nouvelle branche professionnelle par regroupement du champ de plusieurs conventions collectives existantes, il ne saurait en revanche, pour définir une telle branche, procéder par voie de scission du champ de conventions collectives existantes ; qu'en l'espèce, en considérant que la circonstance que les accords litigieux du 14 mai 2019 n'étaient pas illicites malgré le fait qu'ils conduisent à scinder en deux le champ d'application des conventions collectives des ETAM et des cadres du bâtiment au motif que la définition du périmètre de la négociation de branche s'inscrivait dans le cadre de la liberté contractuelle des partenaires sociaux, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2232-9, 1er alinéa, du code du travail, une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche.
7. Il résulte de l'arrêt que les accords du 14 mai 2019 prévoient la négociation de deux conventions collectives nationales et la mise en place de deux CPPNI dans le secteur d'activité du bâtiment jusqu'alors divisé en quatre branches professionnelles, que ces accords ont été signés par la CAPEB, organisation patronale représentative dans le secteur du bâtiment, et par les syndicats CGT et CFDT, représentant plus de 50 % des suffrages exprimés au niveau du secteur du bâtiment selon l'arrêté de représentativité du ministre du travail modifié le 25 juillet 2018, ainsi que par l'UNSA, représentative dans le champ couvert par la convention collective nationale concernant les ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962, c'est-à-dire occupant jusqu'à dix salariés.
8. Dans sa décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019, le Conseil constitutionnel a précisé qu'il résulte des dispositions contestées de l'article L. 2261-32 et du premier alinéa de l'article L. 2261-33 du code du travail que, lorsque le ministre du travail prononce la fusion de branches professionnelles, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs qui souhaitent négocier un tel accord de remplacement sont, d'une part, contraintes de le faire dans le champ professionnel et géographique ainsi déterminé par le ministre et, d'autre part, tenues d'adopter des stipulations communes pour régir les situations équivalentes au sein de cette branche. Ce faisant, ces dispositions portent atteinte à la liberté contractuelle. Toutefois, il ressort des travaux préparatoires que le législateur a estimé que la seule négociation collective laissée à l'initiative des partenaires sociaux ne suffisait pas à limiter l'éparpillement des branches professionnelles. En adoptant les dispositions contestées, il a entendu remédier à cet éparpillement, dans le but de renforcer le dialogue social au sein de ces branches et de leur permettre de disposer de moyens d'action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d'emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises. Ce faisant, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général (points n° 16 et 17).
9. Par ailleurs, l'article L. 2261-34 du code du travail dispose que, jusqu'à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs qui suit la fusion de champs conventionnels prononcée en application du I de l'article L. 2261-32 ou de la conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions préexistantes, sont admises à négocier les organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ d'au moins une branche préexistant à la fusion ou au regroupement. La même règle s'applique aux organisations syndicales de salariés. Les taux mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 2261-19 et à l'article L. 2232-6 sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du regroupement.
10. Il en résulte que, lorsque les partenaires sociaux décident, en vertu du principe de la liberté contractuelle, de procéder à la fusion de plusieurs branches professionnelles existantes, doivent être invitées à cette négociation, en application du principe de concordance, toutes les organisations syndicales représentatives dans une ou plusieurs des branches professionnelles préexistantes à la fusion.
11. Ayant constaté que l'UNSA était représentative dans le champ couvert par la convention collective nationale concernant les ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, soit une des quatre branches professionnelles dans le secteur du bâtiment préexistantes à la fusion, la cour d'appel en a déduit exactement qu'elle avait vocation à participer à la négociation des accords litigieux.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2232-6 du code du travail, la validité d'une convention de branche ou d'un accord professionnel est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5 ou, le cas échéant aux élections visées à l'article L. 2122-6, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des mêmes organisations à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants. L'opposition est exprimée dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de cet accord ou de cette convention, dans les conditions prévues à l'article L. 2231-8.
13. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 2261-19 du code du travail, pour pouvoir être étendus, la convention de branche ou l'accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes, doivent avoir été négociés et conclus au sein de la commission paritaire mentionnée à l'article L. 2232-9. Cette commission est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré.
14. Il ressort des constatations de la cour d'appel que les organisations syndicales CGT et CFDT sont majoritaires dans le secteur du bâtiment ainsi que cela résulte de l'arrêté de représentativité du ministre du travail du 25 juillet 2018, fixant la liste des organisations syndicales représentatives dans le secteur du bâtiment, dont l'annulation pour excès de pouvoir a été rejetée par arrêt du Conseil d'Etat (CE, 4 novembre 2020, n° 434519).
15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a décidé que les accords du 14 mai 2019, dont le périmètre recouvre l'ensemble du secteur du bâtiment, réunissaient les conditions de validité exigées par l'article L. 2232-6 du code du travail, peu important qu'aucune mesure de la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre des deux branches professionnelles créées par ces accords n'ait encore eu lieu.
16. En troisième lieu, le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision précitée, que les effets de l'arrêté du ministre du travail prononçant la fusion et contraignant les partenaires sociaux cessent au terme du délai de cinq ans suivant la date de cette fusion. Ainsi, les dispositions contestées ne s'opposent pas à ce que, une fois que l'arrêté a produit tous ses effets, les partenaires sociaux révisent l'accord de remplacement ou, à défaut d'avoir conclu un tel accord, qu'ils révisent la convention collective de la branche de rattachement rendue applicable de plein droit, afin notamment de modifier les champs géographique ou professionnel de cet accord ou de cette convention (point 21).
17. Les partenaires sociaux, en application du principe de la liberté contractuelle, sont libres de décider, pour la mise en oeuvre de l'article L. 2232-9, 1er alinéa, du code du travail, du périmètre de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation et, dès lors, du champ d'application de la convention collective de la branche correspondante.
18. Il appartient au seul ministre du travail, en application du III de l'article L. 2261-32 du code du travail, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, de refuser le cas échéant d'étendre la convention collective, ses avenants ou ses annexes, après avis de la Commission nationale de la négociation collective.
19. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a décidé que le choix des partenaires sociaux par les accords litigieux, après avoir procédé à la fusion des quatre branches préexistantes dans le secteur du bâtiment, d'instaurer deux commissions paritaires permanentes pour la négociation de deux conventions collectives relevait de la liberté contractuelle et qu'en l'absence de trouble manifestement illicite, il n'y avait pas lieu de suspendre l'application de ces deux accords.
20. Il en résulte que le deuxième moyen, en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi de la FFB est inopérant et que les autres griefs ne sont pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la Fédération française du bâtiment et la Fédération générale Force Ouvrière construction aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la Fédération française du bâtiment, demanderesse au pourvoi n° X 20-18.799
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise ayant débouté la Fédération Française du Bâtiment (FFB) de l'ensemble de ses demandes principales aux fins de suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de deux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation dans le secteur du bâtiment (pour les entreprises occupant jusqu'à 10 salariés et celles occupant plus de 10 salariés), de suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier de négociations 2019 dans le secteur du bâtiment, et d'interdiction de réunion des deux CCPNI susmentionnées telles que prévues pour le 19 septembre 2019, et d'AVOIR condamné la FFB au paiement d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de l'AVOIR condamnée aux dépens
ALORS QUE la validité d'une convention de branche ou d'un accord professionnel est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5 ou, le cas échéant aux élections visées à l'article L. 2122-6, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des mêmes organisations à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants ; que la preuve de la représentativité des organisations syndicales doit être faite au niveau du champ d'application de la convention ou de l'accord ; que l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation (CPPNI) et l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier des négociations 2019 ont vocation à s'appliquer dans toutes les entreprises du Bâtiment, quel que soit le nombre de salariés occupés, et toutes catégories professionnelles confondues ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que selon l'arrêté du 20 juillet 2017, l'UNSA n'était représentative que dans le champ d'application de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés ; qu'en jugeant néanmoins que sa participation à la signature des accords du 14 mai 2019 n'affectait pas leur validité au motif inopérant que ces accords avaient pour objet d'organiser la négociation au niveau de deux périmètres distincts, soit les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés et les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés, la cour d'appel a violé les articles L 2231-1 et L 2232-6 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise ayant débouté la Fédération Française du Bâtiment (FFB) de l'ensemble de ses demandes principales aux fins de suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de deux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation dans le secteur du bâtiment (pour les entreprises occupant jusqu'à 10 salariés et celles occupant plus de 10 salariés), de suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier de négociations 2019 dans le secteur du bâtiment, et d'interdiction de réunion des deux CCPNI susmentionnées telles que prévues pour le 19 septembre 2019, et d'AVOIR condamné la FFB au paiement d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de l'AVOIR condamnée aux dépens
1/ ALORS QUE l'article L 2231-9 du code du travail ne prévoit la mise en place que d'une seule commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation dans chaque branche ; que le périmètre de la branche correspond à celui au sein duquel la représentativité des organisations syndicales est reconnue par le ministre du travail ; qu'en l'absence d'arrêté de représentativité dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés et dans celui des entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés, il n'existe qu'une seule branche recouvrant toutes les entreprises du bâtiment sans distinction selon le nombre de salariés occupés par ces entreprises ; qu'en jugeant, pour refuser de suspendre l'accord du 14 mai 2019 instaurant deux CCPNI, l'une pour les entreprises du bâtiment employant jusqu'à 10 salariés, et l'autre pour les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés, et l'accord du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier de la négociation 2019, qu'il relevait de la liberté contractuelle des organisations signataires de scinder en deux le champ d'application des conventions collectives catégorielles du bâtiment, la cour d'appel a violé les articles L 2122-11 et L 2232-9 du code du travail ;
2/ ALORS QUE la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est composée de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ; que la FFB faisait valoir qu'en l'absence d'arrêté du ministre du travail fixant la liste des organisations syndicales représentatives au niveau des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés, ni au niveau des entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés, les CPPNI mises en place par l'accord du 14 mai 2019 ne pouvaient fonctionner faute de pouvoir déterminer les organisation syndicales devant y être représentées (conclusions d'appel de la FFB p 28 et s.) ; qu'en se bornant à juger, pour refuser de suspendre l'accord du 14 mai 2019 instaurant une CCPNI pour les entreprises du bâtiment employant jusqu'à 10 salariés, et une autre CPPNI pour les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés, qu'il relevait de la liberté contractuelle des organisations signataires de scinder en deux le champ d'application des conventions collectives catégorielles, sans rechercher comme elle y était invitée si leur fonctionnement n'était pas impossible compte tenu de l'absence d'organisations syndicales représentatives au niveau du périmètre de chacune des commissions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 2261-19 du code du travail ;
3/ ALORS QUE la FFB contestait l'invitation faite à l'UNSA de désigner ses représentants destinés à siéger au sein des commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation, en faisant valoir qu'elle ne figurait pas parmi les organisations syndicales représentatives dans la branche du bâtiment (conclusions d'appel de la FFB p 16-17) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise ayant débouté la Fédération Française du Bâtiment de l'ensemble de ses demandes principales aux fins de suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier de négociations 2019 dans le secteur du bâtiment et d'AVOIR condamné la FFB au paiement d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de l'AVOIR condamnée aux dépens
ALORS QUE la FFB faisait valoir que la négociation de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif aux thèmes et calendrier des négociations 2019 dans le Bâtiment n'était pas régulière faute pour cet accord d'avoir été soumis à la négociation des partenaires sociaux ; qu'elle précisait que la CAPEB n'avait jamais présenté ni remis aucun projet d'accord sur les thèmes et calendrier des négociations 2019, celui-ci ayant été uniquement remis pour signature aux organisations patronales le 22 mai 2019 sans aucune discussion préalable sur son contenu avec l'ensemble des organisations patronales et syndicales (conclusions d'appel de la FFB p 9-10) ; qu'en se bornant à constater que la CAPEB n'avait jamais caché son opposition au projet de la FFB de mettre en place une CPPNI unique dans le secteur du bâtiment, correspondant à une branche unifiée de tous les champs conventionnels actuels et que la signature des deux accords démontraient qu'ils avaient été soumis aux organisations syndicales qui ont manifesté leur accord respectif sur chacun des deux projets, après débat sur cette question, la cour d'appel qui ne s'est pas prononcée sur les conditions de négociation de l'accord relatif aux thèmes et calendrier des négociations, a violé l'article du code de procédure civile. Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la Fédération générale Force Ouvrière construction, demanderesse au pourvoi n° V 20-18.820
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Fédération Générale FO Construction de ses demandes tendant à voir dire et juger que, conformément à l'article L. 2232-9 du Code du travail, une CPPNI ne peut être mise en place qu'au sein d'une branche professionnelle, que le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés et celui des entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés ne constituent pas des branches professionnelles permettant la mise en place de CPPNI et qu'en l'absence d'arrêté de représentativité et de mesure du poids de chaque organisation dans la branche du bâtiment, ainsi que dans le champ des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés et celui des entreprise du bâtiment occupant plus de 10 salariés, il est impossible de déterminer si les conditions de validité des accords litigieux sont remplies et de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir ordonner la suspension des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation dans le bâtiment ainsi que la suspension des effets de l'accord collectif national relatif aux thèmes et calendrier des négociations 2019 dans le bâtiment et à voir condamner la CAPEB, la CFDT, la CGT et l'UFIC-UNSA au paiement d'une somme par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de suspension des accords du 14 mai 2019 signés par la CAPEB. Le litige porte sur les conditions de mise en oeuvre de l'article L. 2232-9 du code du travail, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, organisant la création des commissions permanentes de négociation et d'interprétation, dans chaque branche. Deux accords ont été signés le 14 mai 2019 dans le secteur du bâtiment, par les organisations syndicales et patronales représentatives : Un accord prévoyant la mise en place d'une seule commission, signé par les organisations patronales FFB, SCOP BTP, FFIE, et les organisations syndicales FO, CFTC, CFE-CGC. Un autre accord prévoit la mise en place de deux CPPNI : une CPPNI dans les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés, et une CPPNI dans les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés. Cet accord a été signé du côté patronal par la CAPEB, et par les organisations syndicales CFDT, CGT, et UNSA. La CGT, la CFDT et l'UNSA ont formé opposition à l'accord issu du projet de la FFB, tandis que les syndicats FO et CFTC faisaient opposition à l'accord proposé par la CAPEB. Le 19 août 2019, la FFB a engagé l'action devant le juge des référés de Paris aux fins de voir ordonner la suspension des effets de l'accord signé par la CAPEB. La FFB a également contesté l'accord de la CAPEB signé avec les mêmes syndicats, fixant les thèmes et calendriers des négociations 2019 dans le bâtiment, et sollicité l'interdiction des deux réunions de CPPNI prévues le 19 septembre 2019. Par ordonnance du 17 septembre 2019, le juge des référés a rejeté les demandes de la FFB, au motif notamment qu'aucune norme en droit du travail n'interdit la division conventionnelle du secteur du bâtiment en deux branches professionnelles suivant la taille des entreprises, et que la notion de branche professionnelle relève de la liberté conventionnelle des partenaires sociaux. A l'appui de son appel, la FFB fait valoir que les accords litigieux n'ont pas été conclus avec des organisations syndicales représentatives permettant de s'assurer de leur validité ; que l'accord litigieux a pour champ d'application toutes les entreprises de la branche du bâtiment, quel que soit leur effectif et toutes catégories confondues (ouvriers, Etam, cadres) dans un contexte où la cour administrative d'appel de Paris a annulé les arrêtés des 22 décembre 2017 et 25 juillet 2018 fixant la liste des organisations syndicales représentatives dans le bâtiment ; que le fait que les organisations signataires soient représentatives au niveau des conventions catégorielles du bâtiment ne leur confère pas cette qualité au niveau de la branche du bâtiment ; que le périmètre d'implantation des CPPNI n'est pas conforme à l'article L. 2232-9 du code du travail qui impose la mise en place d'une seule commission paritaire par branche ; que les signataires des accords litigieux ont profité de la procédure de mise en place des CPPNI pour amorcer une scission de la branche du bâtiment en deux sous-branches, entreprises de plus ou moins dix salariés, alors que cette distinction n'est opérée que pour la catégorie des ouvriers ; que les accords litigieux conduisent à scinder le champ des conventions catégorielles des Etam et cadres du bâtiment en deux, selon la taille des entreprises, ce qui est contraire à l'objectif du législateur de fusionner les branches ; que la branche du bâtiment est le niveau idoine de la CPPNI alors que l'unicité de la branche a été reconnue par l'arrêté du 27 décembre 2013 jamais contesté La CAPEB conclut à l'absence de trouble manifestement illicite et au rejet de la demande de suspension des accords qu'elle a signés, au motif que la mise en place de deux CPPNI correspond à la volonté des Fédérations CGT, CFDT et UFIC-UNSA, en vue d'organiser la restructuration des branches et d'aboutir à deux convention collectives caractérisées par l'activité et le nombre de salariés employés par les entreprises ; que les accords FFB sont caduques du fait de l'opposition manifestée par les syndicats majoritaires CGT et CFDT ; que l'annulation des arrêtés des 22 décembre 2017 et 25 juillet 2018, qui ont fixé la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le secteur du bâtiment, empêche les organisations syndicales signataires de se prévaloir de leur représentativité dans la branche du bâtiment ; que les accords litigieux sont conformes à l'article L. 2232-9 du code du travail, puisque signés par des organisations d'employeurs et de salariés représentatives dans le secteur du bâtiment ; que les accords sont conformes aux objectifs du législateur puisqu'ils vont permettre de ramener les quatre branches existantes, à deux branches définies en fonction de la taille de l'entreprise, et ces accords résultent de la négociation entre des partenaires sociaux représentatifs dans le champ d'au moins une branche préexistant à l'opération de fusion des champs conventionnels ; que dans l'attente de la procédure d'extension ou de regroupement, la validité de l'accord instaurant deux CPPNI doit uniquement satisfaire aux règles définies par le code civil sur la formation des contrats ; que le grief de déloyauté n'est pas établi puisque l'objet des réunions de négociation visait expressément la mise en place de deux CCN du bâtiment et de deux CPPNI ; que ces accords sont conformes au principe de liberté contractuelle qui gouverne la négociation collective ; qu'enfin, l'accord ne produit pas d'effet contraignant vis-à-vis des organisations non signataires, et notamment de la FFB, la question d'une éventuelle extension des accords devant être tranchée à l'avenir par la ministre du travail. La Fédération FNSCBA CGT conclut également à l'incompétence du juge des référés et au rejet des demandes, ajoutant que la cour administrative d'appel de Paris n'a pas annulé les arrêtés de représentativité des quatre branches du bâtiment (ouvriers plus de dix salariés, moins de dix, Etam et cadres) qui seuls permettent de mesurer l'audience des organisations syndicales ; que les accords du 14 mai 2019 doivent être considérés comme des accords interbranches ; que la mise en place de deux CPPNI est la première étape de la mise en place de deux convention collectives unifiées dans deux branches professionnelles différentes. La Fédération FNSCB CFDT est également à la confirmation ajoutant qu'en l'absence de définition légale de la branche, ce sont les partenaires sociaux qui définissent le champ d'application d'un accord professionnel ; que la cour administrative d'appel de Paris a admis implicitement que la branche résulte de la définition donnée par les partenaires sociaux, l'administration ne pouvant pas en modifier le périmètre ; que les partenaires sociaux ont ainsi défini deux branches, sur le périmètre desquelles ils ont mis en place deux CPPNI. L'UFIC-UNSA conclut également à la confirmation, ajoutant que les accords litigieux sont conformes aux règles relatives à la représentativité des organisations syndicales et à la loyauté de la négociation ; que les deux CPPNI mises en place par l'accord, concernent les quatre branches existantes dans le secteur du bâtiment. La Fédération FO Construction conclut à l'infirmation de l'ordonnance et à la suspension des effets de l'accord au motif qu'il n'existe pas de branche professionnelle correspondant aux champs des deux CPPNI, ni d'arrêtés de représentativité correspondant aux entreprises du bâtiment occupant plus ou moins de dix salariés, rendant impossible le contrôle des conditions de validité de l'accord ; que les accords sont contraires à l'objectif de restructuration des branches puisqu'il aboutit à créer deux branches supplémentaires dans le bâtiment. La Fédération Bati Mat TP CFTC conclut à l'infirmation au motif qu'il ne peut y avoir qu'une seule CPPNI par branche et que les entreprises du bâtiment occupant plus ou moins de dix salariés, ne constituent pas des branches professionnelles. En droit, la compétence de la juridiction de référés est fondée sur l'existence d'un trouble manifestement illicite qui résulte, selon la FFB, de la conclusion d'un accord collectif irrégulier en ce qu'il a été signé par des organisations syndicales représentatives dans un périmètre ne correspondant pas à leur sphère de représentativité. La compétence du juge des référés est fondée sur la nécessité d'obtenir une décision provisoire portant sur les accords litigieux dont il est demandé la suspension, alors que ces accords constituent la première étape dans le renouvellement des accords de branche, suite au nouveau cadre législatif arrêté par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, modifiée par l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, qui a notamment crée les commissions paritaires de négociation et d'interprétation, devant être mises en place dans chaque branche, et dont les missions sont définies par l'article L. 2232-9 du code du travail qui leur confère un rôle essentiel dans l'organisation de la négociation, de veille et d'appui aux entreprises dans la branche qu'elle représente. Ainsi le premier accord contesté, relatif aux thèmes et calendrier des négociations 2019 dans le bâtiment, qui organise le calendrier des réunions entre septembre et décembre 2019, fixe un objectif large, puisqu'il prévoit la restructuration des branches du bâtiment et la mise en place de deux conventions collectives nationales : une convention collective nationale pour les entreprises occupant jusqu'à dix salariés (ouvriers, Etam, et cadres) et une convention collective nationale pour les entreprises occupant plus de dix salariés (ouvriers, Etam, et cadres). Le deuxième accord, conforme au même objectif, met en place deux CPPNI en indiquant dans son article 1er qu'il est applicable aux employeurs dont l'activité relève de chacun des champs d'activité définis par les quatre conventions collectives nationales : celle des ouvriers des entreprises du bâtiment occupant jusqu'à 10 salariés ; celle des ouvriers des entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés ; celle des Etam du bâtiment et celle des cadres du bâtiment. L'article 1er précise que pour ces deux CPPNI qui sont constituées, l'une se rapporte à la branche des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés et l'autre à la branche des entreprises du bâtiment employant plus de dix salariés. La FFB et les Fédérations FO et CFTC contestent la régularité de ces accords en ce qu'ils ont été signés par des organisations syndicales dont la représentativité ne correspond pas aux champs conventionnels existants. Or la négociation collective s'inscrit dans un principe de liberté contractuelle. L'article L. 2232-5 du code du travail donne une définition légale très limitée de la convention de branche, en énonçant que ces termes désignent la convention collective et les accords de branche, les accords professionnels et les accords interbranches. La loi précise ensuite les missions de la convention de branche et son organisation dans les articles L. 2232-5-1 et suivants. La régularité doit s'apprécier à ce stade au niveau de la capacité des parties signataires à négocier l'accord de branche, en conformité avec les dispositions des articles L. 2231-1, L. 2232-5-2 et L. 2232-5-2 du code du travail. Les accords litigieux du 14 mai 2019 ont été signés par des organisations représentatives tant du côté patronal que du côté des syndicats de salariés, puisque la CAPEB a été reconnue représentative dans le secteur des entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés par arrêté du 21 décembre 2017, et dans le secteur des entreprises du bâtiment employant plus de dix salariés par arrêté du 12 juillet 2017. Pour les organisations syndicales de salariés signataires, leur représentativité a été reconnue pour la CGT et la CFDT par les arrêtés des 22 juin 2017 et 20 juillet 2017 dans les quatre conventions collectives nationales du secteur du bâtiment. L'UNSA n'est représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, suivant l'arrêté du 20 juillet 2017. Mais sa participation à la signature des accords du 14 mai 2019 ne remet pas en cause leur validité dès lors que les accords contestés sont d'un niveau supérieur, global, organisant la négociation au niveau des deux branches définies par les signataires, pour les entreprises du bâtiment de plus ou moins de dix salariés, l'UNSA ayant vocation à participer à la négociation de l'accord dans ce deuxième périmètre d'activité. S'agissant de l'arrêté du 21 décembre 2017 concernant la représentativité de la CAPEB dans les entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés, l'arrêt du 12 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Paris n'a pas d'impact sur cette représentativité puisque la décision d'annulation porte seulement sur l'article 2 de l'arrêté qui a fixé les poids respectifs de la CAPEB et de la FFB, l'article 1er qui reconnaît sa représentativité n'étant pas remis en cause par cette décision. S'agissant de l'annulation des arrêtés des 22 décembre 2017 et 25 juillet 2018, qui avaient fixé la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le bâtiment, leur annulation par un deuxième arrêt du 12 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Paris n'a pas d'impact sur la représentativité des organisations syndicales signataires des accords du 14 mai 2019. D'une part ces organisations syndicales tirent leur représentativité, dans les quatre conventions collectives nationales du bâtiment, des arrêtés des 22 juin 2017 et 20 juillet 2017. D'autre part la décision d'annulation de la cour administrative d'appel est fondée sur l'absence de base légale des arrêtés pris par la ministre qui n'avait pas le "pouvoir de restructurer la branche du bâtiment" et d'"agréger les résultats d'audiences obtenus dans le cadre de plusieurs conventions collectives du secteur du bâtiment pour définir un cadre de négociation élargi qualifié de "périmètre assimilable à une branche" et arrêter la liste des organisations syndicales reconnues représentatives admises à y prendre part". Cette décision reconnaît implicitement que les partenaires sociaux sont seuls habilités à définir le périmètre de négociation de la branche, ce que les accords du 14 mai 2019 ont précisément pour objet. Par ailleurs, l'argumentation selon laquelle les accords seraient irréguliers en ce qu'ils conduisent à scinder en deux le champ des conventions catégorielles des Etam et cadres du bâtiment, selon la taille des entreprises, n'est pas fondé pour le même motif tiré de la liberté conventionnelle des partenaires sociaux, alors que la représentativité des Fédérations CGT et CFDT a été reconnue dans les conventions collectives nationales des cadres du bâtiment et des Etam, par les arrêtés des 22 juin 2017 et 20 juillet 2017. Il ne saurait être tiré argument de l'arrêté du 27 décembre 2013 qui fixe la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le bâtiment, auquel s'était substitué les arrêtés des 22 décembre 2017 et 25 juillet 2018 annulés par la cour administrative d'appel de Paris, alors que le secteur d'activité du bâtiment est scindé en quatre conventions collectives nationales qui couvrent les quatre champs conventionnels actuels. Au vu de ces éléments, l'argumentation de la FFB et des Fédérations FO et CFTC contestant la régularité des accords en fonction du périmètre de la nouvelle négociation de branche, n'est pas fondée, ni par voie de conséquence, les contestations portant sur la constitution de deux CPPNI ou sur les thèmes et calendrier de la négociation, qui résultent du même choix des partenaires sociaux de placer la négociation au sein de deux cadres distincts dans le secteur du bâtiment, selon la taille des entreprises de ce secteur d'activité. S'agissant de la contestation portant sur la loyauté de la négociation, la CAPEB produit diverses pièces résultant de messages adressés aux partenaires sociaux et de déclarations liminaires faites lors des réunions de négociation engagées depuis le début 2008, dont il ressort qu'elle n'a jamais caché son opposition au projet de la FFB de mettre en place une CPPNI unique dans le secteur du bâtiment, correspondant à une branche unifiée de tous les champs conventionnels actuels. La FFB ne dément pas que l'opposition des organisations patronales et syndicales s'est cristallisée sur cette question du choix du périmètre de la négociation, ce qui ne peut pas lui permettre de mettre en cause la loyauté de la négociation, alors que la signature des accords qu'elle conteste démontre au contraire que les deux accords ont été soumis aux organisations syndicales qui ont manifesté leur accord respectif sur chacun des deux projets, après débat sur cette question. En définitive, il ressort de l'ensemble de ces éléments que les accords du 14 mai 2019 ne méritent pas d'être suspendus, l'ordonnance du premier juge devant être confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de suspension. » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Il résulte des dispositions de l'article 808 du Code de procédure civile que « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. » et des dispositions de l'article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile que « Le [Juge des référés] peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. ». Il résulte des dispositions de l'article 484 du code de procédure civile que « L'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires. ». En lecture des dispositions législatives qui précèdent, le dommage imminent se définit comme étant celui qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira immanquablement si la situation litigieuse devait se perpétuer tandis que le trouble manifestement illicite se définit comme un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Tout exercice d'un droit, quel qu'il soit, pouvant le cas échéant dégénérer en abus de droit ou en dévoiement illicite, la juridiction des référés apparaît en tout état de cause matériellement compétente dès lors qu'il peut s'avérer urgent de mettre en place des mesures provisoires, conservatoires ou de remise en état après caractérisation d'un dommage imminent à prévenir ou d'un trouble manifestement illicite à faire cesser dans les meilleurs délais. L'article L. 2232-9 du code du travail, résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, dispose que : « I.- Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche. II. - La commission paritaire exerce les missions d'intérêt général suivantes : 1° Elle représente la branche, notamment dans l'appui aux entreprises et vis-à-vis des pouvoirs publics,·2° Elle exerce un rôle de veille sur les conditions de travail et l'emploi, 3° Elle établit un rapport annuel d'activité qu'elle verse dans la base de données nationale mentionnée à l'article L. 2231-5-1. Ce rapport comprend un bilan des accords collectifs d'entreprise conclus dans le cadre du titre II, des chapitres Ier et Ill du titre III et des titres IV et V du livre Ier de la troisième partie, en particulier de l'impact de ces accords sur les conditions de travail des salariés et sur la concurrence entre les entreprises de la branche, et formule, le cas échéant, des recommandations destinées à répondre aux difficultés identifiées. Il comprend également un bilan de l'action de la branche en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de classifications, de promotion de la mixité des emplois et d'établissement des certificats de qualification professionnelle, des données chiffrées sur la répartition et la nature des postes entre les femmes et les hommes ainsi qu'un bilan des outils mis à disposition des entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Elle peut rendre un avis à la demande d'une juridiction sur l'interprétation d'une convention ou d'un accord collectif dans les conditions mentionnées à l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire. Elle peut également exercer les missions de l'observatoire paritaire mentionné à l'article L. 2232-10 du présent code. Un décret définit les conditions dans lesquelles les conventions et accords d'entreprise conclus dans le cadre du titre II, des chapitres Ier et III du titre III et des titres IV et V du livre Ier de la troisième partie du présent code sont transmis aux commissions mentionnées au I du présent article. III.- La commission paritaire est réunie au moins trois fois par an en vue des négociations mentionnées au chapitre Ier du titre IV du présent livre. Elle définit son calendrier de négociations dans les conditions prévues à l'article L. 2222-3. » L'accord collectif litigieux du 14 mai 2019 ayant conclu à la mise en place de deux Commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation (CPPNI) dans le secteur du Bâtiment, et divisé ainsi ce secteur en deux branches respectivement au titre des entreprises occupant jusqu'à l 0 salariés et au titre de celles occupant plus de 10 salariés, est intervenu dans un contexte général de profondes restructurations du paysage conventionnel sur initiative législative (loi du 8 août 2016) et avec le concours actif des partenaires sociaux. Ce mouvement vise à réduire le nombre de conventions collectives de branches, estimé trop important dans le domaine du Bâtiment, notamment en réduisant le nombre de celles-ci à quelque 200 branches à l'horizon 2019 et en procédant en conséquence à diverses aux opérations de fusions et de rattachements. L'institution des CPPNI a précisément pour finalités d'encadrer ce type de négociation collective en direction des différentes branches du Bâtiment. Il convient ici de rappeler l'enjeu important que pose l'article L. 2261-19 alinéa 1er du code du travail, postulant le principe selon lequel aucune négociation collective ne peut faire l'objet d'une extension ministérielle si elle ne s'est préalablement déroulée dans le cadre d'une CPPNI.·Au terme des débats, il n'apparaît pas sérieusement contestable que le premier accord du 14 mai 2019, ne prévoyant qu'une seule CPPNI en reconnaissance d'une seule branche et conclu entre notamment la FFB (partie patronale) d'une part et les syndicats FO, CFE-CGC et CFTC d'autre part, ne peut avoir aucun effet. Cet accord a en effet donné lieu à l'opposition des syndicats CGT, CFDT et UNSA, alors que cette opposition constitue une opposition majoritaire. Dans ces conditions, seul le second accord prévoyant deux CPPNI et conclu à cette même date du 14 mai 2019 entre la CAPEB (partie patronale) d'une part et les syndicats CFDT, CGT et UNSA demeure manifestement applicable. Le choix opéré par ce second accord en ce qui concerne spécifiquement ce clivage en deux branches économiques distinctes concernant respectivement les entreprises de moins de 10 salariés et les entreprises de 10 salariés relève manifestement de la liberté contractuelle des partenaires sociaux quant à la définition du périmètre estimé le plus pertinent. La prééminence ainsi donnée à la taille del'entreprise dans ce dessein général de restructuration et de redéfinition des contours de branches renvoie d'ailleurs à un clivage déjà opéré plus largement dans les conventions collectives nationales du Bâtiment et de leurs ouvriers d'entreprise suivant que celles-ci occupent jusqu'à 10 salariés ou plus de 10 salariés. Ce critère de la taille de l'entreprise apparaît donc tout aussi légitime qu'un autre. Le caractère très hétéroclite du champ du secteur du Bâtiment ne peut que justifier davantage le recours à ce choix du critère beaucoup plus objectif et en définitive beaucoup moins discutable de la taille de l'entreprise, ce secteur recouvrant les domaines respectifs de la Construction métallique, de la Menuiserie métallique de bâtiments, de la Fabrication et installation de matériel aéraulique, thermique et frigorifique, des Travaux d'aménagement des terres et des eaux, voiries, parcs et jardins, des Travaux d'infrastructure générale, des Entreprises de forages, sondages et fondations spéciales, des Constructions d'ossatures autres que métallique, des Installations industrielles et montageslevages, des Installations électriques, de la Construction industrialisée, de la Maçonnerie et travaux courants de béton armé, du Génie climatique, de la Menuiserie-serrurerie, de la Couvertureplomberie et installations sanitaires, des Aménagements-finitions et des Services de nettoyage. Force est de constater que la FFB et les syndicats FO et CFTC se fondent visiblement sur un simple postulat en estimant sans grande argumentation que le secteur d'activités du Bâtiment constitue une branche unique professionnelle, ne pouvant dès lors être réglé que par une seule CPPNI. Or, il résulte précisément des dispositions de l'article L. 2222-1 alinéa 1er du code du travail, résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que « Les conventions et accords collectifs de travail, ci-après désignés "conventions "et "accords 11 dans le présent livre, déterminent leur champ d'application territorial et professionnel. Le champ d'application professionnel est défini en termes d'activités économiques. ». Ce principe de liberté laissée aux partenaires sociaux ne fait nullement obstacle à la délimitation d'une branche d'activité économique selon le critère de la taille des entreprises concernées. Quoi qu'il en soit, aucune définition légale n'est en tout état de cause énoncée par le législateur en ce qui concerne la notion de branche professionnelle, ce qui accrédite davantage le rôle et la responsabilité propre des partenaires sociaux pour y pourvoir sur le mode conventionnel. La liberté conventionnelle de définir le concept de branche professionnelle ne peut donc qu'avoir pour corollaire celle d'en définir le nombre et le périmètre au sein d'un même secteur d'activité. Par ailleurs, en l'état actuel de la procédure de référé, aucun élément ne permet d'inférer que la division conventionnelle de ce secteur du Bâtiment en deux branches professionnelles suivant la taille des entreprises concernées heurterait de quelconques normes du droit du travail ou de principes juridiques généraux en matière d'ordre public social au regard des paramètres divers de réalités du travail salarial suivant la taille des entreprises. En effet, les entreprises du Bâtiment sont elles-mêmes nécessairement soumises à des contraintes organisationnelles et concurrentielles qui sont indéniablement de plus en plus différentes à partir du seuil convenu d'une certaine taille, Ce curseur lié à la taille de l'entreprise apparaît même visiblement plutôt pertinent au regard de l'ensemble des normes de régulation de la concurrence entre les entreprises qui doivent dès lors relever autant que possible d'un même champ d'application. En dépit de l'arrêt du 19 mai 2019 de la cour administrative d'appel de Paris invoqué par la FFB, annulant totalement deux arrêtés du 22 décembre 2017 et du 25 juillet 2018 du Ministre du travail qui notamment désignait les syndicats CGT, FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC comme représentatifs et fixait le poids de leur représentativité respective dans la négociation collective, il n'apparaît pas certain que la CAPEB et les syndicats CFDT, CGT et UNSA ne pouvaient a posteriori que se prévaloir de cet arrêté de représentativité du 25 juillet 2018 pour la conclusion de cet accord collectif du 14 mai 2019 à l'origine de ces deux branches nouvelles. Il n'est en toute hypothèse pas davantage contestable que ces organisations patronale et syndicales étaient alors de véritables organisations représentatives dans le champ d'application de chacune de ces deux branches au regard notamment de leurs précédents arrêtés de représentativité. Enfin, la FFB ne conteste pas la lecture du syndicat CFDT suivant laquelle les motifs de cette décision de justice du 19 mai 2019, résulte uniquement du fait que le Ministre du travail n'avait pas la capacité de restructurer la branche du bâtiment et de prendre un arrêté de représentativité au niveau global du bâtiment qui serait assimilé à une seule branche, alors même que les partenaires sociaux avaient donné une autre définition de cette branche, en l'occurrence plus restreinte. Il n'apparaît pas par ailleurs que des éléments de déloyauté seraient manifestement de nature à vicier le contenu de cet accord, compte tenu de la convocation exhaustive de l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans l'entreprise aux négociations ayant eu lieu, du calendrier et de la fréquence des réunions de négociations ainsi que de la qualité et de la suffisance des informations nécessaires quant à la capacité de négociation des parties syndicales en bonne connaissance de cause. Le fait que deux propositions aient été présentées par deux organisations patronales distinctes (FFB et CAPEB), prévoyant respectivement une seule CPPNI et deux CPPNI au niveau de la branche, souligne bien au contraire la liberté d'expression des différentes sensibilités qui se sont opposées au cours de ces discussions et donc la qualité même de cette négociation collective. En définitive, faute d'urgence ou d'existence d'un trouble manifestement illicite, l'ensemble des demandes formées à titre principal par la FFB et les syndicats FO et CFTC aux fins de suspensions des effets de l'accord collectif national du 14 mai 2019 relatif à la mise en place de deux CPPNI dans le secteur du bâtiment et d'interdiction des réunions de ces deux CPPNI prévues pour le 19 septembre 2019 sera en conséquence rejeté. Par voie de conséquence, les demandes de défraiements formées par la FFB et les syndicats FO et CFTC au visa de l'article 700 du code de procédure civile seront purement et simplement rejetées » ;
ALORS en premier lieu QU'un accord collectif est conclu entre, d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ de l'accord ; qu'au niveau de la branche professionnelle, le ministre chargé du travail arrête, après avis du Haut Conseil du dialogue social, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives par branche professionnelle à l'issue de chaque mesure d'audience ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été conclus dans « le secteur du bâtiment » et que les arrêtés du 22 décembre 2017 et du 25 juillet 2018 qui avaient fixé la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans ce secteur avaient été annulés par arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 12 juillet 2019, la Cour d'appel a néanmoins considéré que cette annulation n'avait pas d'impact sur la représentativité des organisations syndicales signataires de ces accords dès lors que ces organisations syndicales tiraient leur représentativité, dans les quatre conventions collectives du bâtiment, des arrêtés des 22 juin 2017 et du 20 juillet 2017 et que la décision de la Cour administrative d'appel reconnaissait implicitement que les partenaires sociaux sont seuls habilités à définir le périmètre de négociation de la branche, ce que les accords du 14 mai 2019 auraient précisément eu pour objet ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses propres constatations que, du fait de l'annulation des arrêtés du 22 décembre 2017 et du 25 juillet 2018 qui fixaient la listes de organisations syndicales représentatives dans le bâtiment, il n'était pas possible d'apprécier si les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été signés par des organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ de cet accord, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2231-1, L. 2232-6 et L. 2122-11 du Code du travail ;
ALORS en deuxième lieu et en toute hypothèse QU'un accord collectif est conclu entre, d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ de l'accord ; qu'en l'espèce, ayant constaté que les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été signés, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, la Cour d'appel a reconnu que l'UNSA n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, suivant l'arrêté du 20 juillet 2017 ; qu'elle a néanmoins considéré que la signature de ces accords par cette organisations syndicale ne remettait pas en cause leur validité « dès lors que les accords contestés sont d'un niveau supérieur, global, organisant la négociation au niveau de deux branches définies par les signataires, pour les entreprises du bâtiment de plus ou moins de dix salariés, l'UNSA ayant vocation à participer à la négociation de l'accord dans ce deuxième périmètre d'activité » ; qu'en statuant par de tels motifs quand il ressortait de ses propres constatations que les accords litigieux du 14 mai 2019 avait été conclus par une organisation syndicale qui n'était pas représentative dans le champ de ces accords, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2231-1 et L. 2232-6 du Code du travail ;
ALORS en troisième lieu QU'un accord collectif est conclu entre, d'une part, une ou plusieurs organisations syndicales d'employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ de l'accord ; qu'en l'espèce, ayant constaté que les accords litigieux du 14 mai 2019 avaient été signés, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, la Cour d'appel a reconnu que l'UNSA n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés, suivant l'arrêté du 20 juillet 2017 ; qu'elle a néanmoins considéré que la signature de ces accords par cette organisations syndicale ne remettait pas en cause leur validité « dès lors que les accords contestés sont d'un niveau supérieur, global, organisant la négociation au niveau de deux branches définies par les signataires, pour les entreprises du bâtiment de plus ou moins de dix salariés, l'UNSA ayant vocation à participer à la négociation de l'accord dans ce deuxième périmètre d'activité » ;qu'en considérant que l'UNSA avait vocation à participer à la négociation de l'accord dans le périmètre d'activité des entreprises du bâtiment de moins de dix salariés alors qu'elle avait relevé que cette organisation syndicale n'était représentative que dans la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu'à dix salariés et non dans l'ensemble du périmètre d'activité susvisé, la Cour d'appel a de plus fort violé les dispositions des articles L. 2231-1 et L. 2232-6 du Code du travail ;
ALORS en quatrième lieu et en toute hypothèse QUE la validité d'un accord collectif de branche est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5 ou, le cas échéant aux élections visées à l'article L. 2122-6, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que les accords litigieux avaient été signés, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, pour conclure à la validité des accord litigieux, la Cour d'appel s'est contentée de relever que la représentativité de la CFDT et de la CGT avait été reconnue par les arrêtés des 22 juin et 20 juillet 2017 dans les quatre conventions collectives nationales du secteur du bâtiment ; qu'en statuant ainsi sans vérifier si ces organisations syndicales avaient recueilli le niveau de suffrages requis au niveau du secteur du bâtiment, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 2232-6 du Code du travail ;
ALORS encore en cinquième lieu QUE la validité d'un accord collectif de branche est subordonnée à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des mêmes organisations à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que l'accord du 14 mai 2019 instituant deux CPPNI avait été signé, s'agissant des organisations syndicales, par la CFDT, la CGT et l'UNSA, et que FO et la CFTC avaient fait opposition à cet accord, pour conclure à la validité de l'accord en cause, la Cour d'appel s'est contentée de relever que la représentativité de la CFDT et de la CGT avait été reconnue par les arrêtés des 22 juin et 20 juillet 2017 dans les quatre conventions collectives nationales du secteur du bâtiment ; qu'en statuant ainsi sans vérifier si FO et la CFTC avaient recueilli le niveau de suffrage requis au niveau du secteur du bâtiment pour s'opposer valablement à cet accord , la Cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 2232-6 du Code du travail ;
ALORS en sixième lieu QUE les commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation sont mises en place par accord ou convention dans chaque branche ; que ces commissions sont composées de représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives dans le champ d'application considéré ; qu'il en résulte qu'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation ne saurait être valablement mise en place dans un champ professionnel dans le cadre duquel aucun arrêté de représentativité n'a été pris ; qu'en l'espèce, l'accord litigieux du 14 mai 2019 prévoit la mise en place de deux commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation, l'une se rapportant aux entreprises du bâtiment employant jusqu'à dix salariés et l'autre aux entreprises du bâtiment employant plus de dix salariés ; qu'en admettant la validité de cet accord au motif que la négociation collective s'inscrit dans un principe de liberté contractuelle alors qu'il est constant qu'aucun arrêté de représentativité n'est en vigueur dans les champs professionnels couverts par les deux commissions instituées par l'accord, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 2232-9 I, L. 2261-19 et L. 2122-11 du Code du travail ;
ALORS en septième lieu et en toute hypothèse QUE les commissions paritaires permanentes de négociation et d'interprétation sont mises en place par accord ou convention au niveau des branches professionnelles ; que, si un accord collectif peut définir une nouvelle branche professionnelle par regroupement du champ de plusieurs conventions collectives existantes, il ne saurait en revanche, pour définir une telle branche, procéder par voie de scission du champ de conventions collectives existantes ; qu'en l'espèce, en considérant que la circonstance que les accords litigieux du 14 mai 2019 n'étaient pas illicites malgré le fait qu'ils conduisent à scinder en deux le champ d'application des conventions collectives des ETAM et des cadre du Bâtiment au motif que la définition du périmètre de la négociation de branche s'inscrivait dans le cadre de la liberté contractuelle des partenaires sociaux, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. | En premier lieu, il résulte de l'article L. 2261-34 du code du travail que, lorsque les partenaires sociaux décident, en vertu du principe de la liberté contractuelle, de procéder à la fusion de plusieurs branches professionnelles existantes, doivent être invitées à cette négociation, en application du principe de concordance, toutes les organisations syndicales représentatives dans une ou plusieurs des branches professionnelles préexistantes à la fusion.
En second lieu, aux termes de l'article L. 2232-6 du code du travail, la validité d'une convention de branche ou d'un accord professionnel est subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience prévue au 3° de l'article L. 2122-5 ou, le cas échéant, aux élections visées à l'article L. 2122-6, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, et à l'absence d'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des mêmes organisations à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants. L'opposition est exprimée dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de cet accord ou de cette convention, dans les conditions prévues à l'article L. 2231-8.
C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel décide que des accords professionnels dont le périmètre recouvre l'ensemble du secteur du bâtiment, procédant à la fusion de quatre branches professionnelles et créant deux nouvelles branches professionnelles, réunissaient les conditions de validité exigées par l'article L. 2232-6 du code du travail, au regard de la mesure de représentativité résultant de l'arrêté du ministre du travail du 25 juillet 2018 fixant la liste des organisations syndicales représentatives dans le secteur du bâtiment, peu important qu'aucune mesure de la représentativité des organisations syndicales dans le périmètre des deux branches professionnelles créées par ces accords n'ait encore eu lieu.
En troisième lieu, les partenaires sociaux, en application du principe de la liberté contractuelle, sont libres de décider, pour la mise en oeuvre de l'article L. 2232-9, alinéa 1, du code du travail, du périmètre de la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation et, dès lors, du champ d'application de la convention collective de la branche correspondante.
Il appartient au seul ministre du travail, en application du III de l'article L. 2261-32 du code du travail, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, de refuser le cas échéant d'étendre la convention collective, ses avenants ou ses annexes, après avis de la Commission nationale de la négociation collective.
C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel décide que le choix des partenaires sociaux par les accords litigieux, après avoir procédé à la fusion des quatre branches préexistantes dans le secteur du bâtiment, d'instaurer deux commissions paritaires permanentes pour la négociation de deux conventions collectives relevait de la liberté contractuelle et qu'en l'absence de trouble manifestement illicite, il n'y avait pas lieu de suspendre l'application de ces deux accords |
7,737 | N° T 21-82.877 F-B
N° 00512
MAS2
21 AVRIL 2022
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 AVRIL 2022
Mme [T] [S] et M. [U] [J], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 avril 2021, qui a déclaré irrecevable leur constitution de partie civile contre personne non dénommée, du chef d'homicide involontaire.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de Mme [T] [S] et M. [U] [J], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Barbé, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 décembre 2014, [I] [J], qui, circulait à bord d'un véhicule automobile sur une route départementale, dans les Côtes d'Armor, est décédée dans une collision avec un véhicule circulant sur la voie opposée.
3. La procédure, ouverte après l'accident, a été classée par le procureur de la République.
4. Les parents de la victime, Mme [T] [S] et M. [U] [J], ont alors déposé plainte avec constitution de partie civile du chef d'homicide involontaire le 26 novembre 2018.
5. Le 27 décembre 2019, le juge d'instruction a rendu une ordonnance d'irrecevabilité de cette plainte avec constitution de partie civile.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance ayant déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de Mme [S] et M. [J] en l'absence de plainte préalable, alors :
« 1°/ que constitue une plainte le courrier adressé au procureur de la République par la victime de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, lui demandant d'enquêter sur ces faits afin que puissent être rassemblées les preuves de la responsabilité pénale de leur auteur ; que dans leur courrier adressé le 23 avril 2015 au procureur de la République, Mme [S] et M. [J] indiquaient expressément que l'accident ayant provoqué le décès de leur fille [I] avait pu être causé par « la vitesse » du véhicule conduit par M. [G] [H], ou encore par « un acte de malveillance sur le véhicule », en soulignant que cela pouvait « entraîner une recherche en responsabilité pénale », et sollicitaient tout aussi expressément « une réouverture du dossier pour un complément d'enquête » afin que leur soient offerts « les moyens de cette preuve » que les lacunes de l'enquête effectuée par la gendarmerie ne leur avaient pas permis d'obtenir ; qu'en retenant, pour juger que ce courrier ne pouvait s'analyser comme une plainte préalable, qu'« il ressort de la lecture de ce document qu'ils sollicitent l'organisation d'investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes du décès de leur fille, sans qu'à aucun moment ils n'indiquent déposer plainte », quand il en ressortait pourtant que Mme [S] et M. [J] y informaient le procureur de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale en lui demandant d'user de ses prérogatives pour qu'une enquête approfondie soit menée, ce qui constitue le propre d'une plainte pénale, la chambre de l'instruction a violé les articles 40 et 85 du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que la personne qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier du dépôt préalable d'une plainte auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire, demeure recevable à apporter cette justification devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du magistrat instructeur ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable ; que pour juger que « la condition d'une plainte préalable à la constitution de partie civile prévue par l'article 85, alinéa 2, du code de procédure pénale n'est pas remplie », la chambre de l'instruction a également retenu que « le courrier du 23 avril 2015 que les requérants présentent comme étant une plainte n'était pas joint à leur plainte avec constitution de partie civile contrairement à ce prévoit le texte susvisé », qu'en statuant ainsi, elle a, de nouveau, violé l'article 85 du code de procédure pénale et l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 85 du code de procédure pénale :
7. Constitue une plainte, au sens de cet article, toute information portée, sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un officier ou agent de police judiciaire, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.
8. La personne qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier du dépôt préalable d'une plainte auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire dans les conditions fixées par le deuxième alinéa du texte susvisé, demeure recevable à apporter ces justifications devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du juge d'instruction ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable.
9. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile des demandeurs devant le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'aucune plainte n'a été déposée dans le cadre de la procédure établie par les services de gendarmerie à la suite de l'accident dans lequel leur fille est décédée et que leur courrier adressé, le 23 avril 2015, au procureur de la République ne constitue pas une plainte.
10. Les juges relèvent que, s'ils y sollicitent l'organisation d'investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes du décès de leur fille, ils ne déclarent pas porter plainte.
11. Ils ajoutent que la correspondance adressée par leur avocat au procureur de la République le 29 novembre 2016, laquelle a pour objet de communiquer à ce magistrat le rapport de l'expertise qu'ils ont fait réaliser et de solliciter la mise en oeuvre de réquisitions téléphoniques destinées à déterminer si M. [H], conducteur de l'autre véhicule impliqué dans l'accident, utilisait son téléphone portable au moment de la collision, ne mentionne pas que cette demande ferait suite à une plainte déposée par les intéressés.
12. Les juges ajoutent que le courrier du 23 avril 2015, que les requérants présentent comme étant une plainte préalable, n'était pas joint à leur constitution de partie civile.
13. Ils en concluent que celle-ci est irrecevable.
14. En prononçant ainsi, alors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les demandeurs avaient entendu saisir le procureur de la République de faits constituant une infraction pénale, d'une part, et qu'ils avaient justifié devant la chambre de l'instruction du dépôt d'une plainte préalable, d'autre part, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
15. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 avril 2021 ;
DÉCLARE recevables les constitutions de partie civile de Mme [T] [S] et M. [U] [J] ;
ORDONNE le retour du dossier au doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc aux fins d'application des articles 88 et suivants du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un avril deux mille vingt-deux. | Constitue une plainte, au sens de l'article 85 du code de procédure pénale, une information portée, même sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un service de police, ou d'une unité de gendarmerie, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.
Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare irrecevable la plainte avec constitution de partie civile des demandeurs, au motif qu'ils n'ont pas déposé une plainte préalable, alors même qu'elle a constaté que ces derniers avaient sollicité, dans un courrier adressé au procureur de la République, des investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes de la mort de leur fille, et qu'ils avaient communiqué, dans un courrier postérieur, un rapport d'expertise réalisé à leur initiative, destiné à déterminer si le conducteur circulant sur la voie inverse utilisait son téléphone au moment de la collision |
7,738 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 455 F-B
Pourvoi n° B 20-18.826
Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de Mme [O] [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 mai 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
Mme [O] [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 20-18.826 contre l'ordonnance n° RG 18/05119 rendue le 26 juin 2019 par le premier président de la cour d'appel, dans le litige l'opposant à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de Mme [P], de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [B], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance rendue par le premier président d'une cour d'appel (Toulouse, 26 juin 2019), le 8 novembre 2017, Mme [P] a saisi M. [B], avocat, d'un litige l'opposant à son ex-concubin au sujet du recouvrement avant prescription d'une reconnaissance de dette. Une convention d'honoraires a été conclue le 30 avril 2018 stipulant un honoraire forfaitaire de base et un honoraire complémentaire de résultat de 10 % HT.
2. M. [B] a demandé à Mme [P] le versement d'un honoraire de résultat d'un certain montant. Contestant celui-ci en son principe, Mme [P] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Toulouse.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [P] fait grief à l'ordonnance de fixer à 6 840 euros TTC, dont 4 200 euros HT soit 5 040 euros TTC à titre d'honoraire de résultat, le montant total des honoraires dus à M. [B] et de dire en conséquence que, déduction faite de la somme de 1 800 euros déjà versée, elle restait devoir à celui-ci un solde de 5 040 euros TTC au paiement de laquelle elle l'a condamnée, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 10 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction applicable au litige issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et de l'article 10 du décret du 2 août 2017, en l'absence d'une convention d'honoraires prévoyant un honoraire de résultat signée préalablement à toute diligence de l'avocat et dès la saisine de celui-ci, l'avocat n'a pas droit à cet honoraire de résultat ; qu'en l'espèce, si le juge de l'honoraire a relevé l'existence d'une convention d'honoraire, prévoyant un honoraire de résultat, préalable à l'acquisition du résultat envisagé, il n'a pas constaté, comme il y avait été pourtant été invité, si une convention d'honoraire prévoyant l'honoraire de résultat avait été conclue au moment de la saisine de l'avocat de Mme [P] et avant l'accomplissement de toute diligence ; que par suite, en se bornant à relever la conclusion d'une convention prévoyant un honoraire de résultat préalablement à l'acquisition de ce résultat, pour dire que l'avocat de Mme [P] avait droit à cet honoraire de résultat, le délégué du premier président a violé l'article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et l'article 10 du décret du 12 juillet 2005 dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1226 du 2 août 2017 ;
2°/ que Mme [P] avait expressément exposé que seule la convention d'honoraires de résultat préalablement conclue entre l'avocat et son client permettait d'obtenir un honoraires complémentaire de résultat, que le « préalable » s'entendait comme le préalable à la procédure engagée, que la procédure ici avait été engagée le 5 décembre 2017, soit préalablement à la convention signée le 30 avril 2018 et que le délégué du bâtonnier de l'ordre des avocats de Toulouse s'était basé sur une jurisprudence antérieure à la « loi Macron » du 6 août 2015, tandis que de son côté, elle faisait référence à une jurisprudence postérieure ; que le délégué du premier président n'a pas répondu à ce moyen tiré de l'application de la loi du 6 août 2015 et relatif à la détermination du droit de l'avocat à l'honoraire de résultat en l'absence de convention d'honoraires signée préalablement à l'intervention de l'avocat ; qu'il a donc violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 30 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et de l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1226 du 2 août 2017, que si l'honoraire de résultat ne peut être valablement stipulé qu'avant que le résultat ne soit obtenu, l'accord entre les parties sur l'existence d'un tel honoraire peut avoir lieu après la réalisation de diligences par l'avocat.
5. L'ordonnance relève que la signature d'un protocole d'accord transactionnel est intervenue entre les ex-conjoints le 20 mai 2018 et que des conclusions de désistement ont été déposées en vue de l'audience devant le tribunal de grande instance le 20 juin 2018.
6. L'ordonnance constate qu'au moment de la signature de la convention d'honoraires le 30 avril 2018, le résultat n'était pas encore acquis puisque le protocole d'accord transactionnel n'était pas signé.
7. De ces constatations et énonciations, le premier président, qui a retenu que l'honoraire de résultat avait été accepté en parfaite connaissance de cause par Mme [P] avant l'obtention de l'accord transactionnel, et qui n'était pas tenu de rechercher si la convention stipulant cet honoraire avait été conclue dès la saisine de l'avocat et avant toute diligence, en a exactement déduit que, dès lors qu'il avait été mis fin au litige par un acte irrévocable, l'honoraire de résultat conventionnel était dû.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [P] et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour Mme [P]
Mme [P] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir fixé à 6.840 € TTC, dont 4.200 € HT soit 5.040 € TTC à titre d'honoraire de résultat, le montant total des honoraires dus à Me [B] et dit en conséquence que, déduction faite de la somme de 1.800 € déjà versée, elle restait devoir à celui-ci une solde de 5.040 € TTC au paiement de laquelle elle l'a condamnée,
1°) Alors, d'une part, qu'en application de l'article 10 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction applicable au litige issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 et de l'article 10 du décret du 2 août 2017, en l'absence d'une convention d'honoraires prévoyant un honoraires de résultat signée préalablement à toute diligence de l'avocat et dès la saisine de celui-ci, l'avocat n'a pas droit à cet honoraire de résultat ; qu'en l'espèce, si le juge de l'honoraire a relevé l'existence d'une convention d'honoraire, prévoyant un honoraire de résultat, préalable à l'acquisition du résultat envisagé, il n'a pas constaté, comme il y avait été pourtant été invité, si une convention d'honoraire prévoyant l'honoraire de résultat avait été conclue au moment de la saisine de l'avocat de Mme [P] et avant l'accomplissement de toute diligence ; que par suite, en se bornant à relever la conclusion d'une convention prévoyant un honoraire de résultat préalablement à l'acquisition de ce résultat, pour dire que l'avocat de Mme [P] avait doit à cet honoraire de résultat, le délégué du premier président a violé l'article 10 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 et l'article 10 du décret du 12 juillet 2005 dans sa rédaction issue du décret n°2017-1226 du 2 août 2017,
2°) Alors, d'autre part, que Mme [P] avait expressément exposé que seule la convention d'honoraires de résultat préalablement conclue entre l'avocat et son client permettait d'obtenir un honoraires complémentaire de résultat, que le « préalable » s'entendait comme le préalable à la procédure engagée, que la procédure ici avait été engagée le 5 décembre 2017, soit préalablement à la convention signée le 30 avril 2018 et que le délégué du bâtonnier de l'ordre des avocats de Toulouse s'était basé sur une jurisprudence antérieure à la « loi Macron » du 6 août 2015, tandis que de son côté, elle faisait référence à une jurisprudence postérieure ; que le délégué du premier président n'a pas répondu à ce moyen tiré de l'application de la loi du 6 août 2015 et relatif à la détermination du droit de l'avocat à l'honoraire de résultat en l'absence de convention d'honoraires signée préalablement à l'intervention de l'avocat ; qu'il a donc violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 30 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et de l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1226 du 2 août 2017, que si l'honoraire de résultat ne peut être valablement stipulé qu'avant que le résultat ne soit obtenu, l'accord entre les parties sur l'existence d'un tel honoraire peut avoir lieu après la réalisation de diligences par l'avocat |
7,739 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 459 F-B
Pourvoi n° P 20-20.976
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022
La société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-20.976 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d'appel de Paris ([Adresse 3]), dans le litige l'opposant à la société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali IARD, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2020), à la suite d'un accident du travail subi par un salarié intérimaire qui avait été embauché par la société Adecco, assurée au titre de sa responsabilité civile par la société Allianz IARD (la société Allianz), et mis à la disposition de la société Manathan, assurée pour sa responsabilité civile auprès de la société Generali IARD (la société Generali), un tribunal des affaires de sécurité sociale a reconnu la faute inexcusable de la société Manathan et mis à la charge de la société Adecco le coût de l'accident du travail.
2. La société Allianz, ayant réglé la somme de 756 144,43 euros à une caisse primaire d'assurance maladie (la caisse), a demandé à la société Generali, condamnée par un arrêt de cour d'appel à garantir la société Adecco des condamnations mises à la charge de cette dernière, de la lui rembourser.
3. Elle a assigné cette dernière, qui lui opposait l'acquisition de la prescription édictée par l'article L. 114-1 du code des assurances, en paiement de la somme versée à la caisse.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Allianz fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la renonciation de la société Generali aux exceptions de garantie, en particulier de la renonciation à l'exception de prescription et, en conséquence, de déclarer prescrite son action à l'encontre de la société Generali, alors « que rien n'interdit à un tiers au contrat d'assurance de se prévaloir de la renonciation de l'assureur ayant pris la direction du procès, aux exceptions à l'égard de son assuré dans la mise en oeuvre de la garantie ; qu'en retenant néanmoins que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription en prenant la direction du procès, motif pris que « ces dispositions sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré. Allianz IARD, tiers au contrat, n'est en conséquence pas fondée à s'en prévaloir », la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-17 du code des assurances :
6. Aux termes de ce texte, l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.
7. L'arrêt, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la renonciation de la société Generali aux exceptions de garantie, énonce que les dispositions du texte susvisé sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré, et que la société Allianz, étant tiers au contrat, n'est en conséquence pas fondée à s'en prévaloir.
8. En statuant ainsi, alors que l'action directe dont dispose l'assureur de l'entreprise intérimaire contre l'assureur de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable d'un accident du travail, aux fins d'obtenir le remboursement des sommes qu'il a payées à un organisme social, peut être exercée tant que le second assureur se trouve exposé au recours de son assuré, et que l'assureur de l'entreprise intérimaire peut se prévaloir à l'encontre de cet assureur, au soutien de la recevabilité de cette action, de la présomption selon laquelle celui-ci, ayant pris la direction du procès fait à son assuré, a renoncé aux exceptions qu'il pouvait opposer à ce dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. La société Allianz fait le même grief à l'arrêt, alors « en outre, qu'en retenant que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription au motif inopérant que « le TASS ne statue pas sur la garantie, de sorte que Generali ne peut soutenir avoir pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure en 2012 », la société Generali pouvant au contraire prendre la direction du procès intenté à son assurée, la société Manathan, entreprise utilisatrice, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale statuant sur la faute inexcusable de la société sans que la garantie de la société Generali ne soit mise en jeu, la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-17 du code des assurances :
10. Aux termes de ce texte, l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.
11. L'arrêt, pour statuer comme il le fait, énonce que le tribunal des affaires de sécurité sociale ne statue pas sur la garantie, de sorte qu'il ne peut être soutenu que la société Generali aurait pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure.
12. En statuant ainsi, alors que l'assureur qui défend son assuré à l'occasion d'un litige dont l'objet est de nature à déclencher la mise en oeuvre de sa garantie prend la direction d'un procès intenté à cet assuré, au sens de l'article L. 113-17 susvisé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. La société Allianz fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action à l'encontre de la société Generali, alors « qu'en application des articles L. 452-3 et L. 412-6 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice de main d'oeuvre est en droit d'obtenir des indemnités complémentaires dont le paiement incombe aux organismes de sécurité sociale qui disposent d'un recours subrogatoire contre l'entreprise de travail temporaire, employeur, ou son assureur, qui a elle-même une action en remboursement de même nature contre l'entreprise utilisatrice sur laquelle pèse la charge définitive du paiement des indemnités dont la victime est créancière ; que par ailleurs, l'action de la caisse tendant à récupérer contre un employeur ou l'assureur de celui-ci, en cas d'accident de travail dû à une faute inexcusable, le capital correspondant aux arrérages à échoir de la rente, demeure soumise, à défaut de texte particulier, à la prescription de droit commun ; que par conséquent, l'action de l'entreprise de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice étant de même nature que celle dont dispose la caisse contre elle ou son assureur, le même délai de prescription de droit commun s'applique dans les rapports de l'entreprise de travail temporaire et de l'assureur de l'entreprise utilisatrice ; qu'en déclarant prescrite l'action de la société Allianz, assureur de l'entreprise de travail temporaire (société Adecco), contre la société Generali, assureur de la société Manathan, entreprise utilisatrice déclarée responsable, motif pris qu'il s'agit d'une action dérivant du contrat d'assurance soumise à la prescription de deux ans de l'article L. 114-1 du code des assurances, cependant que, subrogée dans les droits de la CPAM, la société Allianz disposait d'une action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable, ou de son assureur, de même nature que celle dont bénéficie la caisse à l'encontre de l'employeur, ou de son assureur, à savoir une action qui ne dérive pas du contrat d'assurance et qui est soumise au délai de prescription de droit commun, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 241-5-1, L. 412-6 et R. 242-6-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil, L. 452-2, L. 452-3, L. 452-4, alinéa 3, et L. 412-6 du code de la sécurité sociale, et L. 124-3 du code des assurances :
14. Aux termes du premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
15. Selon les deuxième et troisième, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la caisse primaire d'assurance maladie récupère auprès de celui-ci les compléments de rente et indemnités versés par elle à la victime.
16. Aux termes du quatrième, l'employeur peut s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable ou de la faute de ceux qu'il s'est substitué dans la direction de l'entreprise ou de l'établissement.
17. Il résulte du cinquième que l'entreprise de travail temporaire peut exercer une action en remboursement contre l'auteur de la faute inexcusable.
18. Aux termes du dernier, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
19. Il en découle, en premier lieu, qu'en l'absence de texte spécifique, l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur, auteur d'une faute inexcusable, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil et que son action directe à l'encontre de l'assureur de l'employeur se prescrit par le même délai (2e Civ., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-15.732).
20. Il en résulte, en second lieu, que l'action en remboursement des compléments de rente et indemnités versés à la caisse que l'assureur de l'entreprise de travail temporaire peut exercer contre l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable, se prescrit également par cinq ans en application du même texte. Son action directe à l'encontre de l'assureur de cette entreprise se prescrit par le même délai et ne peut être exercée contre cet assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré.
21. Pour déclarer prescrite l'action de la société Allianz contre la société Generali, l'arrêt retient d'abord que l'action de l'entreprise de travail temporaire contre l'assureur des conséquences financières de la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice est soumise à la prescription applicable à l'action directe de la victime dans les droits de laquelle l'entreprise de travail temporaire et l'organisme de sécurité sociale sont subrogés.
22. Il relève ensuite qu'en l'espèce, l'action de la société Allianz, tiers lésé, est une action directe à l'encontre de la société Generali, assureur garantissant la responsabilité civile de la société utilisatrice dont la responsabilité a été reconnue dans l'accident du travail et que cette action est soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances.
23. En statuant ainsi, alors que la prescription de l'action de la société Allianz était soumise au délai de cinq ans prévu à l'article 2224 du code civil et que l'action pouvait être exercée contre la société Generali au-delà de ce délai tant que celle-ci restait exposée au recours de son assuré, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un texte inapplicable au litige, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Generali IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Generali IARD et la condamne à payer à la société Allianz IARD la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Allianz IARD
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Allianz IARD fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Allianz IARD tirée de la renonciation de la société Generali IARD aux exceptions de garantie, en particulier de la renonciation à l'exception de prescription et, en conséquence, d'avoir déclaré prescrite l'action de la société Allianz IARD à l'encontre de la société Generali ;
1°) ALORS QUE rien n'interdit à un tiers au contrat d'assurance de se prévaloir de la renonciation de l'assureur ayant pris la direction du procès, aux exceptions à l'égard de son assuré dans la mise en oeuvre de la garantie ; qu'en retenant néanmoins que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription en prenant la direction du procès, motif pris que « ces dispositions sont applicables uniquement dans les rapports entre assureur et assuré. ALLIANZ IARD, tiers au contrat, n'est en conséquence pas fondée à s'en prévaloir » (p. 5 § 2 arrêt), la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QU' en retenant que la société Generali n'avait pas renoncé à l'exception de prescription au motif inopérant que « le TASS ne statue pas sur la garantie, de sorte que GENERALI ne peut soutenir avoir pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure en 2012 », la société Generali pouvant au contraire prendre la direction du procès intenté à son assurée, la société Manathan, entreprise utilisatrice, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale statuant sur la faute inexcusable de la société sans que la garantie de la société Generali ne soit mise en jeu, la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances ;
3°) ALORS, ENFIN, QU' en retenant que la société « GENERALI ne peut soutenir avoir pris la direction du procès intentée à son assurée dès le début de la procédure en 2012, au motif que la défense des intérêts de la société MANATHAN était assurée par la SCP NORMAND, tant au cours des instances ayant donné lieu au jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du 18 janvier 2012 et à l'arrêt de la cour d'appel de DIJON du 14 février 2013, tout comme la défense de ses propres intérêts à l'occasion de sa mise en cause en sa qualité d'assureur responsabilité civile de la société MANATHAN, faite par conclusions du 3 décembre 2013, par la société ADECCO, devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Haute-Marne » (p. 5 § 3 de l'arrêt), cependant que la circonstance que la société Generali et la société Manathan aient été représentées par un même avocat, la SCP Normand, constituait un indice sérieux permettant de soutenir que la société Generali avait pris la direction du procès fait à son assurée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-17 du code des assurances.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Allianz IARD fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré prescrite l'action de la société Allianz IARD à l'encontre de la société Generali ;
ALORS QU' en application des articles L. 452-3 et L. 412-6 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice de main d'oeuvre est en droit d'obtenir des indemnités complémentaires dont le paiement incombe aux organismes de sécurité sociale qui disposent d'un recours subrogatoire contre l'entreprise de travail temporaire, employeur, ou son assureur, qui a elle-même une action en remboursement de même nature contre l'entreprise utilisatrice sur laquelle pèse la charge définitive du paiement des indemnités dont la victime est créancière ; que par ailleurs, l'action de la caisse tendant à récupérer contre un employeur ou l'assureur de celui-ci, en cas d'accident de travail dû à une faute inexcusable, le capital correspondant aux arrérages à échoir de la rente, demeure soumise, à défaut de texte particulier, à la prescription de droit commun ; que par conséquent, l'action de l'entreprise de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice étant de même nature que celle dont dispose la caisse contre elle ou son assureur, le même délai de prescription de droit commun s'applique dans les rapports de l'entreprise de travail temporaire et de l'assureur de l'entreprise utilisatrice ; qu'en déclarant prescrite l'action de la société Allianz, assureur de l'entreprise de travail temporaire (société Adecco), contre la société Generali, assureur de la société Manathan, entreprise utilisatrice déclarée responsable, motif pris qu'il s'agit d'une action dérivant du contrat d'assurance soumise à la prescription de deux ans de l'article L. 114-1 du code des assurances (p. 7 §1), cependant que, subrogée dans les droits de la CPAM, la société Allianz disposait d'une action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice déclarée responsable, ou de son assureur, de même nature que celle dont bénéficie la caisse à l'encontre de l'employeur, ou de son assureur, à savoir une action qui ne dérive pas du contrat d'assurance et qui est soumise au délai de prescription de droit commun, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 241-5-1, L. 412-6 et R. 242-6-1 du code de la sécurité sociale. | L'assureur d'une entreprise intérimaire, qui exerce l'action directe dont il dispose à l'encontre de l'assureur de l'entreprise utilisatrice, déclarée responsable d'un accident du travail, aux fins d'obtenir le remboursement des sommes qu'il a payées à un organisme social, peut, au soutien de la recevabilité de cette action, se prévaloir à l'encontre de cet assureur de la présomption de l'article L. 113-17 du code des assurances selon laquelle celui-ci, ayant pris la direction du procès fait à son assuré, a renoncé aux exceptions qu'il pouvait opposer à ce dernier |
7,740 | COUR DE CASSATION LG
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 26 avril 2022
Mme ARENS, première présidente Annulation
Arrêt n° 657 B+R
Pourvois n°J 21-86.158
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 26 AVRIL 2022
Mme [L] [T] a formé un pourvoi contre l'ordonnance de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (commission d'instruction) du 20 octobre 2021 qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de mise en danger d'autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, a rejeté sa demande de modification d'une mission d'expertise.
Le pourvoi est examiné par l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Par ordonnance du 18 novembre 2021, la première présidente de la Cour de cassation a prescrit l'examen immédiat du pourvoi et fixé au 20 décembre 2021 l'expiration du délai imparti à la SCP Waquet, Farge et Hazan pour déposer un mémoire.
Mme [L] [T] invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation le 17 décembre 2021 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [T].
Le rapport écrit de Mme Leprieur, conseiller, et l'avis écrit de M. Desportes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, assistée de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, l'avis de M. Desportes, auquel la SCP Waquet, Farge et Hazan, invitée à le faire, a répliqué, après débats en l'audience publique du 18 mars 2022 où étaient présents, Mme Arens, première présidente, Mme Mouillard, MM. Pireyre, Soulard, Cathala, Mme Teiller, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, MM. Rémery, Huglo, Maunand, Mme de la Lance, doyens de chambre, Mmes Taillandier-Thomas, Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, Mmes Durin-Karsenty, Antoine, Van Ruymbeke, Boisselet, Abgrall, conseillers, M. Desportes, premier avocat général, Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, et après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 3 juillet 2020, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a transmis au procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de justice de la République, des plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, relatives à la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, aux fins de saisine de la commission d'instruction du chef d'abstention de combattre un sinistre, à l'encontre de M. [F] [S], premier ministre, de Mme [L] [T], ancienne ministre des solidarités et de la santé, et de M. [P] [M], ministre des solidarités et de la santé.
3. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d'instruction d'informer, à l'encontre de M. [S], de Mme [T] et de M. [M], du chef d'abstention de combattre un sinistre, délit prévu et réprimé par l'article 223-7 du code pénal, faits commis à [Localité 1], courant 2019 et 2020.
4. A la suite d'autres plaintes, notamment celle de M. [X] [H], consécutive au décès de sa compagne, [V] [Z], des suites, selon le plaignant, d'une infection par le virus SARS-CoV-2, des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d'informer contre les mêmes personnes, du même chef.
5. Mme [T] a été mise en examen, le 10 septembre 2021, par la commission d'instruction du chef de mise en danger d'autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d'abstention volontaire de combattre un sinistre.
6. Par ordonnance du 4 octobre 2021, la présidente de la commission d'instruction a commis des experts aux fins de procéder à l'examen du dossier médical de [V] [Z] et répondre à diverses questions.
7. Le 14 octobre 2021, Mme [T] a saisi la commission d'instruction, sur le fondement de l'article 161-1, alinéa 1er, du code de procédure pénale, d'une demande de modification ou de complément des questions posées aux experts. Soutenant que la mission excédait le champ de la saisine in rem de la commission d'instruction, elle a sollicité la suppression de l'ensemble des questions.
8. Par ordonnance du 20 octobre 2021, la présidente de la commission d'instruction a rejeté la demande.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le moyen fait grief à l'ordonnance de rejeter la demande de modification ou de complément d'expertise et de confirmer la mission d'expertise initiale, alors :
« 1°/ qu'aux termes des articles 18, 19, 21 et 22 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, l'instruction doit être menée collégialement au sein de la commission d'instruction ; en prenant seul une ordonnance « pour la commission d'instruction », le président a excédé ses pouvoirs et violé lesdits textes. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, dans la mesure où il n'y est pas dérogé par le chapitre 1er du titre 1er de cette loi, la commission d'instruction procède à tous les actes qu'elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le code de procédure pénale et spécialement celles relatives aux droits de la défense.
Ces pouvoirs sont exercés, jusqu'à la réunion de la commission d'instruction, par le président de cette commission.
11. Selon l'article 21 du même texte, les auditions, interrogatoires et confrontations des membres du gouvernement sont effectués par la commission d'instruction.
12. L'article 22 du texte précité dispose que les décisions de caractère juridictionnel sont rendues par la commission d'instruction après réquisitions du procureur général.
13. Les travaux préparatoires de la loi organique révèlent que l'article 17 du projet de loi, devenu l'article 18 de la loi, comportait un alinéa prévoyant que « lorsqu'elle est saisie, la commission d'instruction peut commettre un de ses membres qui a compétence pour prescrire sur tout le territoire de la République tous les actes d'instruction nécessaires dans les formes et conditions prévues par le chapitre premier du titre troisième du livre premier du code de procédure pénale ». Cet alinéa a été supprimé, afin, selon ce qu'il ressort des débats parlementaires, d'éviter que la commission puisse confier à un seul de ses membres l'examen de l'ensemble du dossier.
14. Par ailleurs, il s'induit de l'article 18 précité que la commission d'instruction peut donner commission rogatoire à un officier de police judiciaire ou à un juge d'instruction, dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, pour procéder aux actes d'information qu'elle estime nécessaires, telle l'audition d'un témoin, non membre du gouvernement.
15. Par conséquent, il ne résulte pas des articles 18, 21 et 22 de la loi organique du 23 novembre 1993 que tous les actes doivent être accomplis par la commission d'instruction en formation collégiale.
16. Hors le cas visé par le second alinéa de l'article 18 précité, relatif aux pouvoirs provisoires du président de la commission d'instruction jusqu'à la première réunion de celle-ci, les actes d'administration judiciaire et les actes d'instruction, autres que ceux prévus par les articles 21 et 22 dudit texte, peuvent être effectués par l'un des membres de la commission d'instruction.
17. Le grief doit par conséquent être écarté.
Mais sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
18. Le moyen fait le même grief à l'ordonnance, alors :
« 2°/ qu'à tout le moins, les décisions juridictionnelles doivent être prises de façon collégiale par la commission d'instruction ; en statuant seul sur la contestation de la mission des experts initiée par un mis en examen sur le fondement de l'article 161-1 du code de procédure pénale, le président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 22 de la loi précitée ;
3°/ que les décisions de nature juridictionnelle ne peuvent être rendues par la commission d'instruction qu'après réquisitions du procureur général ; en l'absence de toutes réquisitions préalables à son prononcé, l'ordonnance ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale et a été rendue en violation de l'article 22 de la loi précitée. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 22 et 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République :
19. L'assemblée plénière a jugé (Ass. plén., 21 décembre 2021, pourvoi n° 21-85.560, publié au bulletin) qu'il résulte des articles 18, 22 et 24 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, éclairés par les travaux préparatoires de cette loi, que les décisions de caractère juridictionnel rendues par la commission d'instruction, juridiction collégiale unique, qui exerce à la fois les fonctions d'instruction et de contrôle de l'instruction, sont des arrêts qui ne peuvent faire l'objet que de pourvois en cassation portés devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
20. Il résulte des articles 22 et 24 de la loi organique du 23 novembre 1993, éclairés par ses travaux préparatoires et par l'arrêt précité, que les décisions de caractère juridictionnel doivent être rendues, par arrêts, par la commission d'instruction statuant en formation collégiale, après réquisitions du procureur général.
21. La présidente de la commission d'instruction a statué seule, par ordonnance, sur une demande de modification ou de complément des questions posées à des experts, formée par la personne mise en examen sur le fondement de l'article 161-1, alinéa 1er, du code de procédure pénale, et sans que le procureur général ait pris des réquisitions.
22. En statuant ainsi, la présidente de la commission d'instruction, qui a excédé ses pouvoirs, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
23. En effet, la décision rendue sur une demande de modification ou de complément des questions posées à des experts, formée par la personne mise en examen sur le fondement de l'article 161-1, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui tranche une contestation relative à la mission d'expertise, est une décision de caractère juridictionnel.
24. L'annulation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, en date du 20 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République autrement présidée ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt-six avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [T]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée prise le 20 octobre 2021 par le président de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République d'avoir rejeté la demande de modification ou de complément d'expertise et confirmé la mission d'expertise initiale,
1° ALORS QU'aux termes des articles 18, 19, 21 et 22 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, l'instruction doit être menée collégialement au sein de la commission d'instruction ; en prenant seul une ordonnance « pour la commission d'instruction », le président a excédé ses pouvoirs et violé lesdites textes ;
2° ALORS QU'à tout le moins, les décisions juridictionnelles doivent être prises de façon collégiale par la commission d'instruction ; en statuant seul sur la contestation de la mission des experts initiée par un mis en examen sur le fondement de l'article 161-1 du code de procédure pénale, le président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 22 de la loi précitée ;
3° ALORS QUE les décisions de nature juridictionnelle ne peuvent être rendues par la commission d'instruction qu'après réquisitions du procureur général ; en l'absence de toutes réquisitions préalables à son prononcé, l'ordonnance ne répond pas aux conditions essentielles de son existence légale et a été rendue en violation de l'article 22 de la loi précitée.
SECOND MOYEN (subsidiaire) DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée du 20 octobre 2021 d'avoir rejeté la demande de modification ou de complément d'expertise et confirmé la mission d'expertise initiale,
ALORS QU'il est interdit à tout juge d'instruction et notamment à la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, d'instruire en dehors des limites de sa saisine ; la commission d'instruction est nécessairement saisie de faits imputables à une personne déterminée ayant ou ayant eu la qualité de ministre ; en l'espèce la commission est saisie de faits portant sur de prétendus manquements, commis dans l'exercice de fonctions ministérielles, relatifs au suivi de la crise sanitaire liée au virus du SARS-CoV-2, qualifiés de mise en danger d'autrui et d'abstention volontaire de combattre un sinistre ; les questions posées aux experts, qui concernent uniquement les causes de la mort de [V] [Z], en ce qu'elles tendent à déterminer la conformité ou l'absence de conformité aux règles de l'art des actes médicaux réalisés, ne sauraient concerner que le personnel médical ; l'ordonnance attaquée confirme qu'il s'agit de rechercher « l'existence d'éventuelles fautes médicales » et « l'accomplissement d'actes médicaux imputables dans leur mauvais accomplissement au seul personnel médical, soignant ou hospitalier ou encore de l'EPHAD qui en avait la charge » ; en refusant de retenir qu'elles excèdent le champ de la saisine, le président a violé les articles 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, 81 et 161-1 du code de procédure pénale. | 1°) Il ne résulte pas des articles 18, 21 et 22 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République que tous les actes utiles à la manifestation de la vérité doivent être accomplis par la commission d'instruction en formation collégiale.
Hors le cas visé par le second alinéa de l'article 18 précité, relatif aux pouvoirs provisoires du président de la commission d'instruction jusqu'à la première réunion de celle-ci, les actes d'administration judiciaire et les actes d'instruction, autres que ceux prévus par les articles 21 et 22 dudit texte, peuvent être effectués par l'un des membres de la commission d'instruction.
2°) Il résulte des articles 22 et 24 de la loi organique du 23 novembre 1993, éclairés par ses travaux préparatoires et par l'arrêt de l'assemblée plénière du 21 décembre 2021 (Ass. plén., 21 décembre 2021, pourvoi n° 21-85.560, publié au bulletin et au rapport annuel), que les décisions de caractère juridictionnel doivent être rendues, par arrêts, par la commission d'instruction statuant en formation collégiale, après réquisitions du procureur général.
3°) La décision rendue sur une demande de modification ou de complément des questions posées à des experts, formée par la personne mise en examen sur le fondement de l'article 161-1, alinéa 1, du code de procédure pénale, qui tranche une contestation relative à la mission d'expertise, est une décision de caractère juridictionnel |
7,741 | COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 29 avril 2022
Cassation partielle partiellement sans renvoi
Mme ARENS, première présidente
Arrêt n° 658 B+R
Pourvois n° B 18-18.542
et G 18-21.814 Jonction
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 29 AVRIL 2022
I. La société Bank Sepah, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3] (République islamique d'Iran), ayant un établissement [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 18-18.542 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Overseas Financial Ltd, société de droit étranger,
2°/ à la société Oaktree Finance Ltd, société de droit étranger,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1] (États-Unis),
défenderesses à la cassation.
II. 1°/ La société Overseas Financial Ltd, société de droit étranger,
2°/ la société Oaktree Finance Ltd, société de droit étranger,
ont formé le pourvoi n° G 18-21.814 contre le même arrêt, dans le litige les opposant à la société Bank Sepah, société de droit étranger, défenderesse à la cassation.
Par arrêts du 27 février 2020, la deuxième chambre civile a ordonné le renvoi de l'examen des pourvois devant l'assemblée plénière.
La demanderesse au pourvoi n° B 18-18.542 invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Bank Sepah, suivi d'observations complémentaires.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd, suivi d'observations complémentaires.
Les demanderesses au pourvoi n° G 18-21.814 invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Bank Sepah.
Par arrêt du 10 juillet 2020, l'assemblée plénière a rejeté le premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542, a posé à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles et sursis à statuer sur le second moyen du pourvoi n° B 18-18.542 et le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814. La Cour de justice de l'Union européenne a rendu sa décision le 11 novembre 2021.
Un mémoire complémentaire a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Bank Sepah.
Le rapport écrit de M. Mollard, conseiller, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Un avis 981 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties et des productions d'observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd.
Un avis 1015 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties et des observations en réponse ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd.
Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, assisté de Mme Ploffoin, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer et de la SCP Spinosi, et l'avis de M. Molins, procureur général, auquel parmi les parties invitées à le faire, la SCP Célice, Texidor, Périer a répliqué, après débats en l'audience du 15 avril 2022 où étaient présents Mme Arens, première présidente, Mme Mouillard, MM. Chauvin, Pireyre, Soulard, Cathala, Mme Teiller, présidents, M. Mollard, conseiller rapporteur, MM. Rémery, Huglo, Mme Martinel, doyens de chambre, MM. Echappé, Vigneau, Bonnal, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Wyon, Mme Leroy-Gissinger, M. Boyer, Mme Guihal, M. Florès, conseillers, M. Molins, procureur général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2018) et les productions, par la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé que la République islamique d'Iran devait suspendre toutes les activités liées à l'enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l'eau lourde, et prendre certaines mesures prescrites par le Conseil des Gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, que le Conseil de sécurité des Nations unies a jugées essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Afin de persuader l'Iran de se conformer à cette décision contraignante, le Conseil de sécurité a décidé que l'ensemble des États membres des Nations unies devrait appliquer un certain nombre de mesures restrictives. Conformément à la résolution 1737 (2006), la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 a prévu certaines mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, et notamment le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, des entités et des organismes qui participent, sont directement associés ou apportent un soutien aux activités de l'Iran liées à l'enrichissement, au retraitement ou à l'eau lourde, ou à la mise au point par l'Iran de vecteurs d'armes nucléaires. Ces mesures ont été mises en uvre dans la Communauté européenne par le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran.
2. Par la résolution 1747 (2007), du 24 mars 2007, le Conseil de sécurité a identifié la société Bank Sepah (la banque Sepah) comme faisant partie des « entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques » de l'Iran auxquelles devait s'appliquer la mesure de gel des avoirs. Cette résolution a été transposée dans le droit communautaire par le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission du 20 avril 2007 modifiant le règlement n° 423/2007.
3. Par arrêt du 26 avril 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a condamné la banque Sepah, ainsi que diverses personnes physiques, à payer à la société Overseas Financial (la société Overseas) la contrevaleur en euros de la somme de 2 500 000 USD, et à la société Oaktree Finance (la société Oaktree) la contrevaleur en euros de la somme de 1 500 000 USD, le tout avec intérêts au taux légal à compter de cet arrêt.
4. La demande des sociétés Overseas et Oaktree de levée partielle de la mesure de gel des avoirs de la banque Sepah a été rejetée par décision implicite du ministre de l'économie et des finances.
5. Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité a radié la banque Sepah de la liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Cette décision a été transposée dans le droit de l'Union par le règlement d'exécution (UE) n° 2016/74 du Conseil du 22 janvier 2016, entré vigueur le 23 janvier 2016.
6. En vertu de l'arrêt du 26 avril 2007, les sociétés Overseas et Oaktree ont, le 17 mai 2016, fait délivrer des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah et, le 5 juillet 2016, fait pratiquer entre les mains de la Société générale des saisies-attributions et des saisies de droits d'associés et valeurs mobilières, au préjudice de la banque Sepah, saisies dénoncées le 8 juillet 2016.
7. Les 13 juin et 15 juillet 2016, la banque Sepah a assigné les sociétés Overseas et Oaktree devant un juge de l'exécution aux fins de contester ces mesures d'exécution forcée. Les deux procédures ont été jointes.
8. Par un arrêt du 10 juillet 2020, la Cour de cassation a joint les pourvois n° B 18-18.542, formé par la banque Sepah, et G 18-21.814, formé par les sociétés Overseas et Oaktree, rejeté le premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542, sursis à statuer sur les autres moyens et saisi la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles en interprétation des règlements (CE) n° 423/2007, (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 423/2007, et (UE) n° 267/2012 du Conseil du 23 mars 2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010.
9. La Cour de justice a répondu par un arrêt du 11 novembre 2021, Bank Sepah (C-340/20).
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° B 18-18.542, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ainsi qu'en ses cinquième et sixième branches en tant que celles-ci font grief à l'arrêt de valider les saisies-attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016, ci-après annexé
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur ce moyen, pris en sa sixième branche, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la banque Sepah tendant à son exonération de la majoration du taux de l'intérêt légal
Enoncé du moyen
11. La banque Sepah fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la voir exonérer de la majoration du taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers et à voir dire et juger que les intérêts dus aux sociétés Overseas et Oaktree seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration, alors « que la "situation du débiteur" à l'aune de laquelle le juge de l'exécution doit apprécier l'opportunité de réduire ou de neutraliser la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier s'entend de tous les éléments relatifs à la situation financière du débiteur mais également de toutes difficultés qu'il a pu rencontrer dans le cadre de l'exécution de la décision de condamnation ; qu'en jugeant que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, "un élément de la situation du débiteur" à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en uvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la Cour d'appel a violé cette disposition. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier :
12. Aux termes de ce texte, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration du taux de l'intérêt légal prévue à l'alinéa 1er ou en réduire le montant.
13. Cette majoration ayant pour finalité d'inciter le débiteur à exécuter sans tarder la décision le condamnant, relève de la situation du débiteur, au sens de l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, toute circonstance indépendante de la volonté du débiteur de nature à faire obstacle à l'exécution, par ce dernier, de la décision de justice le condamnant au paiement d'une somme d'argent.
14. Pour rejeter la demande d'exonération de la banque Sepah, l'arrêt énonce que l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant du gel de ses avoirs ne constitue pas un élément de sa situation permettant son exonération.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen du pourvoi n° G 18-21.814, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
16. Les sociétés Overseas et Oaktree font grief à l'arrêt de dire prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et de les retrancher des causes des saisies, alors « que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2234 et 2244 du code civil, 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007, tel que modifié par le règlement n° 441/2007, et 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 :
17. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes que la prescription extinctive ne court pas ou est suspendue contre le créancier détenteur d'un titre exécutoire qui, par suite d'un empêchement résultant de la loi, est dans l'impossibilité de diligenter une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée.
18. Conformément aux deux derniers textes, successivement applicables, est interdit tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds gelés qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, ainsi que toute utilisation de ressources économiques gelées afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque.
19. Répondant aux questions préjudicielles qui lui étaient renvoyées par l'arrêt du 10 juillet 2020, la Cour de justice a dit pour droit :
« 1°) L'article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et j), du règlement n° 423/2007, l'article 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 423/2007, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et i), du règlement n° 961/2010, et l'article 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010, lu en combinaison avec l'article 1er, sous j) et k), du règlement n° 267/2012, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, des mesures conservatoires qui instaurent, au profit du créancier concerné, un droit d'être payé par priorité par rapport aux autres créanciers, même si de telles mesures n'ont pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur.
2°) La circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 23 décembre 2006, n'est pas pertinente aux fins de répondre à la première question préjudicielle. »
20. Il ressort de cette réponse qu'aucune sûreté judiciaire ni aucune saisie conservatoire, qui assurent au créancier que sa créance sera réglée par préférence aux autres créanciers sur le bien qui en fait l'objet, ne peut être diligentée sur des avoirs gelés sans autorisation préalablement délivrée par l'autorité française compétente.
21. Ne peuvent a fortiori être réalisées sur de tels avoirs, sans autorisation préalable, des mesures d'exécution forcée qui, à la différence de mesures conservatoires, entraînent un transfert de propriété du patrimoine du débiteur vers celui du créancier.
22. Enfin, dès lors qu'une saisie-vente d'avoirs gelés est impossible, le créancier qui poursuit l'exécution du titre exécutoire dont il dispose n'est pas tenu de délivrer un commandement aux fins de saisie-vente dans l'unique but d'interrompre la prescription.
23. Il s'ensuit que lorsque les avoirs d'un débiteur sont gelés et que les conditions dans lesquelles l'autorité française compétente peut autoriser le déblocage de certains d'entre eux ne sont pas réunies ou que celle-ci a refusé de les débloquer, la prescription extinctive est suspendue à l'égard des créanciers pendant toute la durée de la mesure de gel.
24. Pour dire prescrits les intérêts courus sur leurs créances antérieurement au 17 mai 2011, l'arrêt retient que rien n'interdisait aux sociétés Overseas et Oaktree d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.
25. En statuant ainsi, alors que la demande de déblocage des avoirs gelés de la banque Sepah formée par les sociétés Overseas et Oaktree avait été rejetée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
26. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
27. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur la fin de non-recevoir soulevée par la banque Sepah, prise de la prescription des intérêts échus antérieurement au 17 mai 2011.
28. Il y a lieu, pour les motifs exposés au § 23 à 25, de rejeter cette fin de non-recevoir.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, retranche des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et dit que les frais devront être recalculés en conséquence, et en ce qu'il rejette la demande de la société Bank Sepah d'exonération de la majoration du taux de l'intérêt légal, l'arrêt rendu le 8 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Bank Sepah, prise de la prescription des intérêts antérieurs au 17 mai 2011 ;
La rejette ;
Renvoie pour le surplus à la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt-neuf avril deux mille vingt-deux par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° B 18-18.542 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Bank Sepah
PREMIER MOYEN DE CASSATION
- sur le paiement des intérêts moratoires -
Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté la demande de la Bank Sepah tendant à voir constater que la décision du Conseil de sécurité de l'ONU du 24 mars 2007 et le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil de l'Union européenne du 19 avril 2007 avaient eu pour effet le gel du patrimoine de la Bank Sepah, de celle tendant à voir dire et juger que le gel du patrimoine avait les effets d'une saisie pénale, de celle tendant à voir dire et juger que les mesures d'embargo prononcées à l'encontre de la Bank Sepah par décision du règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 caractérisaient un cas de force majeure entraînant suspension des intérêts, de celle tendant à voir cantonner le montant des saisies au principal et de celle tendant à voir exonérer la Bank Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte. Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ; Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;
1°) ALORS QUE les intérêts moratoires ne peuvent courir contre le débiteur d'une obligation monétaire qui se trouve temporairement placé dans l'impossibilité absolue d'exécuter de manière licite son obligation ; qu'en l'espèce, la banque Sepah faisait valoir que le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté une résolution 1747(2007) prononçant plusieurs mesures restrictives à l'encontre de la République islamique d'Iran qui incluaient le gel de ses avoirs en tant qu'« entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations, et que des mesures de même nature avaient été adoptées par la Commission européenne dans un règlement n° 441/2007 ; que sans remettre en cause le principe même de sa condamnation, la banque Sepah faisait valoir que du temps où cet embargo était applicable, elle avait été placée dans l'impossibilité absolue d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD « assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision de condamnation », de sorte qu'invoquant la survenance d'un authentique fait du prince, constitutif d'un cas de force majeure, elle faisait valoir que les intérêts moratoires n'avaient pu courir à son encontre sur la période considérée ; qu'en rejetant ce moyen au motif que le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission n'« avait pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007 », cependant que l'invocation par la banque Sepah du régime de gel de ses avoirs et de l'interdiction qui en résultait d'exécuter la condamnation mise à sa charge ne tendait en rien à revenir sur la chose jugée mais seulement à tirer les conséquences d'un cas de force majeure sur les dommages-intérêts moratoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1153-1 et 1148 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause (devenus les articles 1231-6 et 1218 du code civil) ;
2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;
3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à des fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République Islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
- sur la majoration du taux d'intérêts -
Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté les demandes de la Bank Sepah tendant à voir exonérer la banque Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers et celle tendant à voir dire et juger que les intérêts dus aux sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte. Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ; Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;
ET QUE : « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » ;
1°) ALORS QU'eu égard à sa fonction comminatoire et à son caractère de sanction, la majoration de l'intérêt légal prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ne peut s'appliquer au débiteur qui, du fait de la survenance d'une mesure de gel de ses avoirs, se trouve temporairement dans l'impossibilité de s'exécuter ; que cette exonération est indépendante de l'exercice, par le juge de l'exécution, du pouvoir de modération que lui reconnaît l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier pour tenir compte de la « situation du débiteur » ; qu'en rejetant la demande subsidiaire de la banque Sepah tendant à être exonérée de la majoration prévue par ce texte sur la période au cours de laquelle elle avait été dans l'impossibilité de payer au motif que « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée, si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah en conséquence de la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies et du règlement (CE) n° 441/2007, ainsi que l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement n'exonérait pas en tout état de cause la banque Sepah du paiement des intérêts majorés de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier du temps où elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;
3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU ;
5°) ALORS subsidiairement QUE le juge de l'exécution peut, en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ou en réduire le montant ; que le juge de l'exécution est tenu de s'expliquer sur les circonstances invoquées par le débiteur pour solliciter la réduction ou la neutralisation de la majoration encourue sur le fondement de ce texte ; qu'en refusant d'exercer son pouvoir de modération au motif que « l'indisponibilité de la créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée (v. ses conclusions, p. 15), si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah et l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement ne justifiaient pas à tout le moins l'exercice du pouvoir modérateur prévu par l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition ;
6°) ALORS enfin et en tout état de cause QUE la « situation du débiteur » à l'aune de laquelle le juge de l'exécution doit apprécier l'opportunité de réduire ou de neutraliser la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier s'entend de tous les éléments relatifs à la situation financière du débiteur mais également de toutes difficultés qu'il a pu rencontrer dans le cadre de l'exécution de la décision de condamnation ; qu'en jugeant que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, « un élément de la situation du débiteur » à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé cette disposition. Moyen produit au pourvoi n° G 18-21.814 par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour les sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et d'avoir retranché des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 ;
Aux motifs propres que « A l'appui de cette fin de non-recevoir, qui peut être soulevée en tout état de cause, la Bank Sepah soutient que les créanciers poursuivants ne peuvent obtenir le recouvrement des intérêts au-delà des cinq années précédant la délivrance des deux commandements de payer du 17 mai 2016 ;
Si depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, le recouvrement des arriérés échus postérieurement à la décision est soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance. Il en résulte que le délai d'exécution d'un titre exécutoire, prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, n'est pas applicable aux créances périodiques nées en application de ce titre exécutoire, en l'espèce aux intérêts, lesquels se prescrivent par cinq ans par application de l'article 2224 du code civil.
Rien n'interdisait aux intimées, contrairement à ce qu'elles soutiennent, d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.
Les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, en l'absence de toute cause interruptive de prescription invoquée par les intimées, antérieure à la signification des commandements de payer en date du 17 mai 2016, sont donc prescrits et il convient de les retrancher des causes des saisies. »
1°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'une loi prononçant une mesure de gel de fonds, laquelle s'entend comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, empêche le créancier d'une personne visée par une telle mesure d'engager toute mesure d'exécution portant sur les fonds gelés, y compris à titre conservatoire, toute mesure conservatoire étant constitutive d'une modification des fonds ayant pour conséquence un changement de leur destination ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree dès lors que rien ne leur interdisait d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, à l'encontre de la société Bank Sepah, cependant que de telles mesures étaient prohibées par les dispositions légales ayant opéré le gel des fonds détenus par cette société, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble les articles 1 et 7 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 ;
2°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. | Aux termes de l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration du taux de l'intérêt légal prévue à l'alinéa 1 ou en réduire le montant. Cette majoration ayant pour finalité d'inciter le débiteur à exécuter sans tarder la décision le condamnant, relève de la situation du débiteur, au sens dudit article, toute circonstance indépendante de la volonté du débiteur de nature à faire obstacle à l'exécution, par ce dernier, de la décision de justice le condamnant au paiement d'une somme d'argent |
7,742 | N° X 21-84.951 FS-B
N° 00434
ECF
10 MAI 2022
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2022
Le [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 15 février 2021, qui l'a débouté de ses demandes, après relaxe de M. [F] [U] et Mme [G] [U] du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat du [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mmes Ingall-Montagnier, Goanvic, MM. Sottet, Coirre, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un signalement du conseil départemental de l'ordre national des médecins et du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, du département de Meurthe-et-Moselle, M. [F] [U] et Mme [G] [U], gérants d'un établissement pratiquant la cryothérapie, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel pour exercice illégal des professions de médecin et de masseur-kinésithérapeute, par la pratique de la cryothérapie « corps entier ».
3. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables.
4. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du mémoire en défense
5. Le mémoire personnel en défense de M. et Mme [U] est irrecevable, en application de l'article 585 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, a relaxé M. et Mme [U] des fins de la poursuite et a déclaré irrecevables la constitution de partie civile du [2] et celle du conseil départemental de l'ordre des médecins de Meurthe-et-Moselle, alors :
« 1°/ que par application des articles 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et R. 4321-7 du code de la santé publique, la cryothérapie est un acte de physiothérapie réservé aux médecins et aux masseurs-kinésithérapeutes ; qu'en retenant qu'à l'exception des cas visés à l'article R. 4321-5 du code de la santé publique, aucun texte n'interdirait la pratique de la cryothérapie « corps entier » à d'autres professions que celles de médecin ou de masseur-kinésithérapeute, la cour d'appel a violé les articles L. 4161-1, L. 4323-4, L. 4323-4-1, R. 4321-5, R. 4321-7 du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 ;
2°/ qu'en relaxant M. et Mme [U] des fins de la poursuite du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute et de médecin, tout en constatant que ceux-ci indiquaient eux-mêmes, dans leur plaquette de présentation, que les actes de cryothérapie « corps entier » pratiqués dans le centre Cryostan pouvaient soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires, aider à la rééducation de patients présentant une plasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, les oedèmes et les inflammations, et que Mme [U] avait elle-même déclaré aux enquêteurs qu'elle proposait des séances de cryothérapie pour de la récupération sportive et pour soulager des douleurs, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 4321-1, L. 4323-4, L. 4323-4-1, R. 4321-1 et R. 4321-7 du code de la santé publique ;
3°/ que le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ne peut prononcer une décision de relaxe qu'autant qu'il a vérifié que les faits dont il est saisi ne sont constitutifs d'aucune infraction ; qu'il a le droit et le devoir de leur restituer leur véritable qualification à la condition de n'y rien ajouter ; qu'en relaxant les époux [U] des fins de la poursuite, tout en constatant que la présentation de leurs documents publicitaires pouvait « éventuellement relever de l'infraction de publicité mensongère », la cour d'appel, qui devait rechercher si les faits dont elle était saisie caractérisaient cette infraction, a violé les articles 388 et 512 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale, R. 4321-5 et R. 4321-7 du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins :
7. Selon le premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Il résulte des trois derniers que la cryothérapie à des fins médicales est un acte de physiothérapie dont la pratique est réservée, d'une part, lorsqu'elle aboutit à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, aux docteurs en médecine, d'autre part, à la condition qu'elle ne puisse aboutir à une lésion des téguments, aux personnes titulaires d'un diplôme de masseur-kinésithérapeute intervenant pour la mise en oeuvre de traitements sur prescription médicale.
9. Pour infirmer le jugement et relaxer les prévenus, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions des articles 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et R. 4321-5 du code de la santé publique signifient que tout acte aboutissant à la destruction des téguments, c'est-à-dire des tissus du corps humain, par l'emploi de la cryothérapie, relève du monopole des médecins avec une exception pour les masseurs-kinésithérapeutes, mais à condition qu'ils agissent sur prescription médicale et qu'ils participent à des traitements de rééducation spécifiques et limitativement énumérés.
10. Les juges ajoutent qu'à l'exception des cas visés à l'article R. 4321-5 du code précité, aucun texte n'interdit expressément la pratique de la cryothérapie « corps entier » à d'autres professions que celles de médecin ou de masseur-kinésithérapeute.
11. Ils relèvent encore que la cryothérapie « corps entier » pratiquée par les prévenus n'entraîne pas d'altération ou destruction des tissus et qu'il n'a été démontré ni par les parties civiles ni par le ministère public que les actes effectivement pratiqués avaient une visée thérapeutique et constituaient des actes médicaux réservés aux médecins ou aux masseurs-kinésithérapeutes.
12. Ils soulignent également que, dans un rapport de 2019 commandé par les pouvoirs publics, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale ([4]) indique qu'il n'existe en France aucun titre professionnel relatif à la cryothérapie « corps entier », que l'utilisation de ce terme n'est soumise à aucune condition et qu'aucun texte ne restreint actuellement l'exploitation des cabines de cryothérapie « corps entier » à une profession donnée.
13. Ils relèvent enfin que des documents publicitaires maladroits et manifestement inspirés par d'autres centres de cryothérapie laissaient penser à tort que le centre [3] pouvait soulager des douleurs chroniques et des états post-traumatiques par des effets antalgiques et anti-inflammatoires, aider à la rééducation de patients présentant une spasticité musculaire et apporter des bienfaits notamment pour certaines pathologies comme l'eczéma, le psoriasis, les oedèmes et les inflammations.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs, d'une part, inopérants tenant au caractère maladroit des mentions publicitaires, d'autre part, contradictoires avec ses constatations selon lesquelles Mme [U] avait déclaré proposer des séances pour soulager des douleurs, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation ne porte que sur les dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Meurthe-et-Moselle. Les autres dispositions seront maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 15 février 2021, mais en ses seules dispositions ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Meurthe-et-Moselle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille vingt-deux. | Il résulte des articles R. 4321-5 et R. 4321-7 du code de la santé publique et 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins que la cryothérapie à des fins médicales est un acte de physiothérapie dont la pratique est réservée, d'une part, lorsqu'elle aboutit à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, aux docteurs en médecine, d'autre part, à la condition qu'elle ne puisse aboutir à une lésion des téguments, aux personnes titulaires d'un diplôme de masseur-kinésithérapeute intervenant pour la mise en oeuvre de traitements sur prescription médicale.
Encourt la cassation l'arrêt qui, pour relaxer les prévenus du chef d'exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute, se prononce par des motifs inopérants et contradictoires quant à l'absence de finalité médicale de la cryothérapie « corps entier » pratiquée dans l'établissement qu'ils dirigent |
7,743 | N° U 21-83.522 FS-B
N° 00435
ECF
10 MAI 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2022
M. [R] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-8, en date du 25 mai 2021, qui, pour exercice illégal de la médecine, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [R] [H], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Rouvière, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'une séance de cryothérapie dispensée par l'institut de beauté exploité par la société [1], M. [D] [K] a subi des engelures lui ayant occasionné une incapacité totale de travail d'un mois et demi.
3. L'enquête a établi que la cryothérapie était pratiquée par la société [1] en dehors de toute supervision médicale, par des esthéticiennes ayant seulement suivi une formation assurée par l'installateur du matériel.
4. La société [1] et son gérant M. [R] [H] ont été poursuivis respectivement des chefs de blessures involontaires et d'exercice illégal de la médecine.
5. Le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de [Localité 2] s'est constitué partie civile.
6. Le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus coupables.
7. M. [H] et le ministère public ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, cinquième, septième et huitième branches
8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et sixième branches, et sur le second moyen
Enoncé des moyens
9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [H] coupable d'exercice illégal de la médecine et l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et, sur l'action civile, l'a condamné à payer diverses sommes au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris, partie civile, alors :
« 1°/ que la prestation accomplie dans un but esthétique et de confort, sans visée thérapeutique n'est pas soumise à prescription médicale de sorte que son accomplissement ne saurait constituer un exercice illégal de la médecine ; que la cour d'appel, en se bornant à relever que la technique de la cryothérapie ne peut être pratiquée que par des médecins, en application de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 dans sa rédaction issue de l'arrêté du 13 avril 2007, et que le moyen selon lequel « la pratique de la cryothérapie alléguée ne consisterait
qu'en un cryosauna à but purement esthétique ne saurait prospérer dès l'instant que l'appareil utilisé a vocation à délivrer, par injection d'azote sous forme de gaz, des températures extrêmes, soit pouvant atteindre, par pic, jusqu'à 190°C, voire 196°C, avec une température moyenne de la machine
s'établissant, par séance, à -150°C » sans expliquer en quoi les températures extrêmes délivrées excluraient le but esthétique sans visée thérapeutique de la cryothérapie corps entier ou cryosauna, a privé sa décision de base légale au regard dudit arrêté ;
3°/ qu'un motif inopérant équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel, en relevant que M. [H] s'est effectivement livré aux traitements de maladies pour avoir recours à des décharges de responsabilité réservées en pareil matière de soins à des praticiens ou chirurgiens, a statué par des motifs inopérants pour justifier qu'il ne s'agissait pas simplement d'une prestation de bien-être à but esthétique sans visée thérapeutique et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que sont tout aussi inopérants les motifs suivant lesquels le contrat de prestation de service reprenait en son article 7 « contre-indications médicales » et que la société [1], au titre de ses arguments publicitaires se prévalait de témoignages de clients ayant eu recours à la cryothérapie et déclarant avoir été guéris de pathologies ; que la cour d'appel a encore violé l'article 593 du code précité ;
6°/ que la cour d'appel, qui a relevé « que seul un médecin est habilité à pratiquer un acte de cryothérapie, ayant pour effet d'emporter la destruction des téguments, quelque limitée qu'elle puisse être, des téguments » ne pouvait déclarer M. [H] coupable d'exercice illégal de la médecine sans constater que l'appareil utilisé par la société [1] aurait emporté la destruction de téguments et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 dans sa rédaction issue de l'arrêté du 13 avril 2007. »
10. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [H], sur l'action publique, coupable d'exercice illégal de la médecine, et l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, et, sur l'action civile, l'a condamné à payer diverses sommes au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris, partie civile, alors « qu'il résulte des articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), tels qu'interprétés par la Cour de Justice de l'Union européenne (cf. notamment CJUE, arrêt du 19 mai 2009, Apothekerkammer des Saarlandes et autres, C-171/07 et C-172/07), que la liberté d'établissement et la libre prestation de services ne peuvent faire l'objet de restrictions justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, que si ces mesures s'appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir de façon cohérente, la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; qu'en application des principes de primauté et d'effet direct du droit communautaire, il incombe au juge national, chargé d'appliquer les dispositions du droit communautaire, d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale ; qu'en déclarant M. [H] coupable d'exercice illégal de la médecine parce que la société [1] dont il était à l'époque le gérant, assurait une prestation de cryothérapie corps entier en raison de ce que cette prestation devait être encadrée par des médecins, voire autres professionnels de santé a écarté le moyen tiré de l'inconventionalité de toute interdiction de la cryothérapie quand l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, dans son édition 2018 du guide « Qualification et positionnement réglementaire des dispositifs médicaux et dispositifs médicaux de diagnostic in vitro », à la question « Quel est le statut d'une cabine de cryothérapie ? » avait répondu «
si un fabricant destine une cabine de cryothérapie uniquement à des fins non médicales telles que le bien-être, la récupération ou l'entraînement du sportif ou l'esthétique, le produit n'est pas un dispositif médical et ne requiert pas le marquage C au titre de la directive 93/42 CEE
», de sorte que les restrictions apportées, d'une part, étaient contraires aux libertés précitées et, d'autre part, à les supposer restreintes pour des motifs impérieux d'intérêt général, seraient totalement disproportionnées au but de protection de la santé publique avancé ; que la cour d'appel, en se fondant cependant sur les dispositions de l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 dans sa rédaction issue de l'arrêté du 13 avril 2007, a méconnu la liberté d'établissement et la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
11. Les moyens sont réunis.
12. Pour déclarer le prévenu coupable d'exercice illégal de la médecine, l'arrêt attaqué énonce que le procédé utilisé, qui soumet la personne à des températures négatives extrêmes ayant notamment entraîné chez M. [K] des brûlures profondes aux deuxième et troisième degrés, effet secondaire par ailleurs répertorié par un rapport de juin 2019 de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, relève de l'article 2, 4° de l'arrêté du 6 janvier 1962, qui réserve aux seuls docteurs en médecine les actes de physiothérapie, incluant la cryothérapie, aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments.
13. Les juges considèrent que la restriction apportée par ce texte à la liberté d'établissement et au principe de libre prestation de services garantis par les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est justifiée par la prévention des risques que le procédé en cause comporte au regard de la santé publique.
14. Ils relèvent par ailleurs que le prévenu a, dans la communication publicitaire de la société [1], allégué que la cryothérapie permettait de soulager les personnes atteintes de maladies dégénératives douloureuses et mis en avant des témoignages de clients déclarant avoir été guéris de pathologies réelles.
15. Ils ajoutent que si M. [H] et son personnel décrivent la pratique dispensée comme dépourvue de toute finalité de soin et visant exclusivement le bien-être, l'une des esthéticiennes de la société [1] a admis que la seule différence avec la cryothérapie thérapeutique était l'absence d'intervention d'un médecin.
16. Ils en déduisent que le prévenu s'est livré de manière habituelle, par l'intermédiaire de la société dont il était le gérant, au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées.
17. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée par des motifs inopérants, a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
18. En premier lieu, elle a, par des motifs dépourvus d'insuffisance comme de contradiction, considéré à juste titre que le procédé utilisé, qui consistait en un acte de physiothérapie par cryothérapie aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, relevait des actes dont l'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 réserve la pratique aux docteurs en médecine.
19. En second lieu, ce texte, qui apporte à la liberté d'établissement et au principe de libre prestation de services une restriction nécessaire et proportionnée à la poursuite d'un intérêt impérieux de protection de la santé publique, justifiée par les dangers particuliers liés à l'usage de ce procédé, ne méconnaît pas les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne.
20. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [R] [H] devra payer au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de [Localité 2] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille vingt-deux. | L'article 2, 4°, de l'arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqué également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoires d'analyses médicales non médecins, en ce qu'il réserve aux docteurs en médecine la pratique des actes de cryothérapie aboutissant à la destruction, si limitée soit-elle, des téguments, apporte à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation de services une restriction nécessaire et proportionnée à la poursuite d'un intérêt impérieux de protection de la santé publique, et ne méconnaît par conséquent pas les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne |
7,744 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 361 FS-B
Pourvoi n° K 21-12.513
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [B] [S], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-12.513 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant au Parlement européen, agissant au nom de l'Union européenne, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg), pris en la personne de son Juriconsulte, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [S], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat du Parlement européen agissant au nom de l'Union européenne, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 5 novembre 2020), M. [S] a siégé au Parlement européen en qualité de député de juillet 1999 à juillet 2004. En application de la réglementation du bureau du Parlement européen sur les frais et indemnités des députés, il a demandé que le Parlement lui verse des indemnités destinées à couvrir ses dépenses liées à l'engagement de M. [T] et Mmes [E] et [L] comme assistants parlementaires.
2. Par lettre du 30 septembre 2004, un juge d'instruction français a informé le Parlement européen qu'à l'occasion d'une procédure pénale diligentée contre M. [S], il était apparu que Mme [E] et M. [T] n'avaient, en réalité, jamais exercé les fonctions d'assistant parlementaire.
3. Saisi par le Parlement européen, l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a remis, en octobre 2011, un rapport concluant à l'emploi de M. [T] et Mmes [E] et [L] à d'autres tâches que celles liées à l'activité parlementaire de M. [S] et à la perception indue d'indemnités par celui-ci sur la base de fausses déclarations.
4. Le 4 mars 2009, le secrétaire général du Parlement européen a pris une décision, qui n'a pas été contestée, ordonnant le recouvrement de la somme de 148 160,27 euros, correspondant à des indemnités indûment versées à M. [S] pour les emplois de Mme [E] et M. [T] et accordant à M. [S] un délai de règlement expirant le 25 mai 2009.
5. Le 4 juillet 2013, le secrétaire général a pris une seconde décision ordonnant le recouvrement de la somme de 107 694,72 euros, correspondant à des sommes supplémentaires, au titre des rémunérations de Mme [E] et M. [T] et au titre de la rémunération de Mme [L], et accordant à M. [S] un délai de règlement expirant le 31 août 2013. Les recours de M. [S] contre cette décision ont été rejetés (TUE, 10 octobre 2014, T-479/13 ; CJUE, 14 juin 2016, C-566/14).
6. Le 12 juin 2013, le Parlement européen a assigné M. [S] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du code civil. M. [S] a opposé la prescription de l'action et l'irrecevabilité du rapport de l'OLAF pour non-respect des droits de la défense.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses trois autres branches
Enoncé du moyen
8. M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, alors :
« 1°/ que la durée de la prescription de l'ancien article 2277 du code civil est exclusivement déterminée par la nature de la créance ou son caractère périodique ; que la circonstance que le créancier exerce une action en responsabilité extracontractuelle afin d'obtenir, par l'allocation de dommages et intérêts, le remboursement de sommes versées périodiquement, n'est pas de nature à modifier la durée de cette prescription ; qu'en jugeant toutefois que l'action exercée par le Parlement européen à l'encontre de M. [S] était une action en responsabilité délictuelle, pour juger inapplicables les dispositions de l'ancien article 2277 du code civil au profit de celles de l'ancien article 2270-1 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, cependant que la demande du Parlement européen tendait à voir M. [S] condamné à restituer l'intégralité des indemnités de secrétariat établies en application de l'article 14 de la Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen qui étaient versées mensuellement, la cour d'appel a violé par refus d'application le premier de ces textes et par fausse application le deuxième ;
3°/ que l'article L. 143-14 ancien, devenu L. 3245-1, du code du travail, s'applique, comme à toute action afférente au salaire, à l'action en remboursement ou en répétition de frais professionnels ; qu'en jugeant que les sommes réclamées par le Parlement européen ne consisteraient pas en des salaires versés aux assistants parlementaires mais en des indemnités de remboursement de frais, pour juger de l'inapplicabilité de ces dispositions, la cour d'appel a violé l'article L. 143-14, devenu L. 3245-1 du code du travail ;
4°/ que la prescription quinquennale de l'ancien article 2277 du code civil s'applique à toutes les actions afférentes aux sommes payables par année ou à des termes périodiques plus courts, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou en restitution ; qu'en jugeant que l'action en répétition de l'indu relèverait du régime spécifique des quasi-contrats et serait en tout état de cause soumise à la prescription trentenaire en vigueur avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé l'ancien article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »
Réponse de la Cour
9. C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'une action intentée par le Parlement européen aux fins d'obtenir le remboursement d'indemnités dont un député a irrégulièrement bénéficié, au titre de ses fonctions, pour la rémunération d'assistants parlementaires, n'est au nombre ni de celles qui sont mentionnées à l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 71-586 du 16 juillet 1971, ni de celle prévue à l'article L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail, et a écarté l'application de ces textes.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
11. M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer irrecevable le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011 et de le condamner à payer au Parlement européen les sommes de 148 160,27 euros avec intérêts au taux de 4,75 % à compter du 25 mai 2009 et 107 694,72 euros avec intérêts au taux de 4 % à compter du 31 août 2013, alors :
« 1°/ que le principe de loyauté de la preuve s'oppose à ce qu'une partie produise aux débats un rapport de l'office européen de lutte anti-fraude (l'OLAF) dans lequel les droits fondamentaux de la défense de la personne à laquelle il est opposé n'ont pas été respectés ; qu'en l'espèce, M. [S] rappelait que le rapport de l'OLAF avait été établi sur demande du Parlement européen, dans l'affaire le concernant, le 14 octobre 2011, soit avant l'adoption du Règlement 883/2013 du 11 septembre 2013 entré en vigueur le 1er octobre 2013, dont l'un des objectifs consistait précisément à introduire des garanties procédurales non prévues par le règlement n° 1073/1999 du 25 mai 1999, afin de prévenir d'éventuelles violations des droits fondamentaux de la défense par l'OLAF ; qu'il ajoutait que le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011 produit par le Parlement européen pour tenter de prouver l'existence d'une faute de M. [S], avait été réalisé à charge puisqu'établi sur la base du seul courrier transmis par un juge d'instruction français le 30 septembre 2004, auquel étaient joints des procès-verbaux d'audition de deux de ses trois assistants parlementaires (Mme [E] et M. [T]) réalisés en l'absence d'avocats dans le cadre de procédures pénales suivies à son cabinet mais n'ayant donné lieu à aucune poursuite, et sans que l'OLAF n'effectue le moindre travail critique ou d'investigation propre ; qu'il poursuivait en rappelant que, de surcroit, sa troisième assistante parlementaire, Mme [L], n'avait quant à elle jamais été auditionnée personnellement par le juge d'instruction français ; qu'il précisait, enfin, qu'aucune preuve de la convocation de ses assistants parlementaires à être entendus dans le cadre de l'enquête menée par l'OLAF n'était rapportée ; qu'en se fondant, pour rejeter la demande de l'exposant tendant à voir déclarer irrecevable le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011, sur l'article 9 du règlement n° 1073/1999 du 25 mai 1999 énonçant que les rapports de l'OLAF constituent des éléments de preuves admissibles dans les procédures judiciaires où leur utilisation s'avère nécessaire, sans même rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si tant les dispositions du règlement n° 1073/1999 du 25 mai 1999 alors applicables aux enquêtes internes de l'OLAF que les conditions de réalisation effective de l'enquête au cas considéré, offraient des garanties suffisantes à la préservation des droits fondamentaux de M. [S], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
2°/ que les rapports de l'office européen de lutte anti-fraude doivent être établis en tenant compte des exigences de procédure prévues par la loi nationale de l'État membre concerné ; que dans le cadre de l'exécution de ses prérogatives, l'envoi par l'office européen de lutte anti-fraude des convocations par lettre recommandée constitue une formalité essentielle, à défaut de laquelle les mesures d'instruction réalisées en l'absence d'une des parties ou des tiers tenus d'apporter leur concours à ces mesures sont entachées d'un défaut de contradiction ; qu'en jugeant que le fait qu'aucune des convocations des trois assistants parlementaires ne soient jointes au rapport ne suffit pas à mettre en doute qu'elles aient été envoyées, la cour d'appel a violé les articles 16 et 160 du code de procédure civile, ensemble l'article 9, § 2 du Règlement n° 1073/1999 du 25 mai 1999 ;
3°/ qu'en se fondant sur les décisions du tribunal de l'Union européenne du 10 octobre 2014 et de la cour de justice de l'Union européenne du 14 juin 2016 pour juger que l'intégralité des indemnités versées à M. [S] pour Mme [E], M. [T] et Mme [L] auraient été indûment perçues, cependant que les décisions précitées ne portaient que sur la décision du secrétaire général du Parlement européen du 4 juillet 2013 d'ordonner le recouvrement de la somme de 107 694,72 euros, mais non sa décision du 4 mars 2009 ordonnant le recouvrement de la somme de 148 160,27 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Ayant retenu, sans se fonder sur le rapport de l'OLAF ni sur la décision du 4 juillet 2013, que les procès-verbaux d'audition de Mme [E] et de M. [T] par les services de police français établissaient qu'ils étaient respectivement employés comme aide-ménagère et chauffeur de la famille de M. [S] et que Mme [L] était chargée du ménage et du repassage, qu'aucun d'eux ne présentait les qualifications requises pour assister M. [S] dans son activité de parlementaire au sein d'une commission d'enquête, comme il l'avait prétendu, et que leurs contrats avaient, en outre, été conclus après la fin des travaux de cette commission, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que les indemnités versées à l'intéressé n'étaient pas dues.
13. Inopérant en ses deux premières branches qui s'attaquent à des motifs surabondants, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
14. M. [S] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal ; que le taux de l'intérêt légal est, en toute matière, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie ; qu'en fixant l'intérêt de retard « au taux prévu par les dispositions européennes », soit 4,75 % et 4 %, cependant que l'intérêt en question était afférent à la condamnation de M. [S] au paiement d'une indemnité, la cour d'appel a méconnu l'entendue de ses pouvoirs et violé, par refus d'application, l'article 1153-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
15. C'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé, par motifs propres et adoptés, qu'en application des articles 78, § 3, du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission du 23 décembre 2002 établissant les modalités d'exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes et 80 du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 du 29 octobre 2012, relatif aux règles d'application du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union, directement applicables en droit interne, selon l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que les indemnités dues au Parlement européen devaient être assorties des intérêts aux taux prévus à ces textes.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [S] et le condamne à payer au Parlement européen la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. [S].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [B] [S] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la fin de non-recevoir qu'il a soulevée tirée de la prescription de l'action engagée par le Parlement européen à son encontre ;
1) ALORS QUE la durée de la prescription de l'ancien article 2277 du code civil est exclusivement déterminée par la nature de la créance ou son caractère périodique ; que la circonstance que le créancier exerce une action en responsabilité extracontractuelle afin d'obtenir, par l'allocation de dommages et intérêts, le remboursement de sommes versées périodiquement, n'est pas de nature à modifier la durée de cette prescription ; qu'en jugeant toutefois que l'action exercée par le Parlement européen à l'encontre de M. [S] était une action en responsabilité délictuelle, pour juger inapplicables les dispositions de l'ancien article 2277 du code civil au profit de celles de l'ancien article 2270-1 du même code, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, cependant que la demande du Parlement européen tendait à voir M. [S] condamné à restituer l'intégralité des indemnités de secrétariat établies en application de l'article 14 de la Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen qui étaient versées mensuellement, la cour d'appel a violé par refus d'application le premier de ces textes et par fausse application le deuxième ;
2) ALORS QUE le juge ne peut relever d'office un moyen sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'inapplicabilité de l'article L. 143-14 ancien, devenu L. 3245-1, du code du travail, qui n'était soutenu par aucune des parties, sans les avoir au préalable invitées à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3) ALORS, en tout état de cause, QUE l'article L. 143-14 ancien, devenu L. 3245-1, du code du travail, s'applique, comme à toute action afférente au salaire, à l'action en remboursement ou en répétition de frais professionnels ; qu'en jugeant que les sommes réclamées par le Parlement européen ne consisteraient pas en des salaires versés aux assistants parlementaires mais en des indemnités de remboursement de frais, pour juger de l'inapplicabilité de ces dispositions, la cour d'appel a violé l'article L. 143-14, devenu L. 3245-1 du code du travail ;
4) ALORS, subsidiairement, QUE la prescription quinquennale de l'ancien article 2277 du code civil s'applique à toutes les actions afférentes aux sommes payables par année ou à des termes périodiques plus courts, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une action en paiement ou en restitution ; qu'en jugeant que l'action en répétition de l'indu relèverait du régime spécifique des quasi-contrats et serait en tout état de cause soumise à la prescription trentenaire en vigueur avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé l'ancien article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [B] [S] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté sa demande aux fins de voir déclarer irrecevable le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011, de l'AVOIR condamné à payer au Parlement européen les sommes de 148 160,27€ (cent quarante-huit mille cent soixante euros et vingt-sept centimes) augmentée des intérêts au taux de 4,75 % à compter du 25 mai 2009 et 107 694,72 € (cent sept mille six cent quatre-vingt-quatorze euros et soixante-douze centimes) augmentée des intérêts au taux de 4% à compter du 31 août 2013 et d'AVOIR confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 28 mars 2019 sous réserves des rectifications d'erreurs matérielles opérées ;
1) ALORS QUE le principe de loyauté de la preuve s'oppose à ce qu'une partie produise aux débats un rapport de l'office européen de lutte anti-fraude (l'OLAF) dans lequel les droits fondamentaux de la défense de la personne à laquelle il est opposé n'ont pas été respectés ; qu'en l'espèce, M. [S] rappelait que le rapport de l'OLAF avait été établi sur demande du Parlement européen, dans l'affaire le concernant, le 14 octobre 2011, soit avant l'adoption du Règlement 883/2013 du 11 septembre 2013 entré en vigueur le 1er octobre 2013, dont l'un des objectifs consistait précisément à introduire des garanties procédurales non prévues par le règlement n°1073/1999 du 25 mai 1999, afin de prévenir d'éventuelles violations des droits fondamentaux de la défense par l'OLAF ; qu'il ajoutait que le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011 produit par le Parlement européen pour tenter de prouver l'existence d'une faute de M. [S], avait été réalisé à charge puisqu'établi sur la base du seul courrier transmis par un juge d'instruction français le 30 septembre 2004, auquel étaient joints des procès-verbaux d'audition de deux de ses trois assistants parlementaires (Mme [E] et M. [T]) réalisés en l'absence d'avocats dans le cadre de procédures pénales suivies à son cabinet mais n'ayant donné lieu à aucune poursuite, et sans que l'OLAF n'effectue le moindre travail critique ou d'investigation propre ; qu'il poursuivait en rappelant que, de surcroit, sa troisième assistante parlementaire, Mme [L], n'avait quant à elle jamais été auditionnée personnellement par le juge d'instruction français ; qu'il précisait, enfin, qu'aucune preuve de la convocation de ses assistants parlementaires à être entendus dans le cadre de l'enquête menée par l'OLAF n'était rapportée ; qu'en se fondant, pour rejeter la demande de l'exposant tendant à voir déclarer irrecevable le rapport de l'OLAF du 14 octobre 2011, sur l'article 9 du règlement n°1073/1999 du 25 mai 1999 énonçant que les rapports de l'OLAF constituent des éléments de preuves admissibles dans les procédures judiciaires où leur utilisation s'avère nécessaire, sans même rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si tant les dispositions du règlement n°1073/1999 du 25 mai 1999 alors applicables aux enquêtes internes de l'OLAF que les conditions de réalisation effective de l'enquête au cas considéré, offraient des garanties suffisantes à la préservation des droits fondamentaux de M. [S], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
2) ALORS QUE les rapports de l'office européen de lutte anti-fraude doivent être établis en tenant compte des exigences de procédure prévues par la loi nationale de l'État membre concerné ; que dans le cadre de l'exécution de ses prérogatives, l'envoi par l'office européen de lutte anti-fraude des convocations par lettre recommandée constitue une formalité essentielle, à défaut de laquelle les mesures d'instruction réalisées en l'absence d'une des parties ou des tiers tenus d'apporter leur concours à ces mesures sont entachées d'un défaut de contradiction ; qu'en jugeant que le fait qu'aucune des convocations des trois assistants parlementaires ne soient jointes au rapport ne suffit pas à mettre en doute qu'elles aient été envoyées, la cour d'appel a violé les articles 16 et 160 du code de procédure civile, ensemble l'article 9 § 2 du Règlement n° 1073/1999 du 25 mai 1999 ;
3) ALORS, en tout hypothèse, QU'en se fondant sur les décisions du tribunal de l'Union européenne du 10 octobre 2014 et de la cour de justice de l'Union européenne du 14 juin 2016 pour juger que l'intégralité des indemnités versées à M. [S] pour Mme [E], M. [T] et Mme [L] auraient été indûment perçues, cependant que les décisions précitées ne portaient que sur la décision du secrétaire général du Parlement européen du 4 juillet 2013 d'ordonner le recouvrement de la somme de 107 694,72 euros, mais non sa décision du 4 mars 2009 ordonnant le recouvrement de la somme de 148 160,27 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4) ALORS QUE la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal ; que le taux de l'intérêt légal est, en toute matière, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie ; qu'en fixant l'intérêt de retard « au taux prévu par les dispositions européennes », soit 4,75 % et 4 %, cependant que l'intérêt en question était afférent à la condamnation de M. [S] au paiement d'une indemnité, la cour d'appel a méconnu l'entendue de ses pouvoirs et violé, par refus d'application, l'article 1153-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 313-2 du code monétaire et financier. | L'action intentée par le Parlement européen aux fins d'obtenir le remboursement d'indemnités dont un député a irrégulièrement bénéficié, au titre de ses fonctions, pour la rémunération d'assistants parlementaires, n'est au nombre ni de celles qui sont mentionnées à l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 71-586 du 16 juillet 1971, ni de celle prévue à l'article L. 143-14, devenu L. 3245-1, du code du travail |
7,745 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 362 FS-B
Pourvoi n° C 21-16.600
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
Mme [U] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-16.600 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [H] [C], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de Me Ridoux, avocat de Mme [B], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 11 février 2021) et les productions, [W] [B] est décédé le 3 juin 1992, en laissant pour lui succéder sa fille, Mme [B], et sa concubine, Mme [C], instituée légataire de la plus large quotité disponible par testament du 1er septembre 1989.
2. Un jugement du 26 février 1998, devenu irrévocable, a ordonné le partage de la succession, retenu que Mme [C] avait recelé des sommes au préjudice de la succession et ordonné leur réintégration dans la succession.
3. Un jugement du 25 mai 2012 a autorisé Mme [B] à faire procéder à la saisie des rémunérations de Mme [C].
4. Reprochant à Mme [B] d'occuper sans droit ni titre une maison dont elle est propriétaire, Mme [C] l'a assignée en expulsion et indemnisation. Mme [B] a formé une demande de compensation entre les sommes dues par elle au titre de l'indemnité d'occupation et celles dues par Mme [C] au titre du recel successoral.
5. Mme [B] a été condamnée à payer à Mme [C] une indemnité d'occupation mensuelle à compter du 13 février 2013 jusqu'à la libération effective des lieux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. Mme [B] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de compensation judiciaire, alors « que les exceptions aux règles de la compensation légale énumérées par l'article 1347-2 du code civil ne s'étendent pas aux créances et dettes faisant l'objet d'une demande en compensation judiciaire, dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que Mme [B] formulait une demande de compensation judiciaire ; que dès lors, en se bornant à appliquer les dispositions de l'article 1347-2 du code civil pour rejeter la demande de compensation, sans apprécier si la compensation pouvait être prononcée en justice, la cour d'appel a violé les articles 1347-2 et 1348 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1347-2 et 1348 du code civil :
7. Il résulte de ces textes que les exceptions aux règles de la compensation légale énumérées par le premier d'entre eux ne s'étendent pas aux créances et dettes qui font l'objet d'une demande de compensation judiciaire sur le fondement du second et dont l'appréciation incombe aux juges du fond.
8. Pour rejeter la demande de compensation judiciaire formée par Mme [B], l'arrêt retient qu'en application de l'article 1347-2 du code civil, la compensation ne peut s'opérer dans le cas d'une demande de restitution d'une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé et que la demande de compensation porte, d'une part, sur une indemnité d'occupation d'un bien sans droit ni titre dont la propriétaire est privée de la jouissance, qui n'a pas consenti à la compensation, d'autre part, sur des sommes dues au titre d'un recel successoral.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de compensation formée par Mme [B] entre la créance que Mme [C] détient sur elle au titre de l'indemnité d'occupation et celle que Mme [B] détient au titre du recel successoral, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Ridoux, avocat aux Conseils, pour Mme [B].
Mme [U] [B] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de L'AVOIR déboutée de sa demande visant à voir ordonner la compensation entre toute créance que Mme [H] [C] pourrait détenir sur elle à l'issue de la présente instance – comprenant sa créance au titre de l'indemnité d'occupation –, et la créance que Mme [B] détenait sur Mme [C] au titre du recel successoral ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [B] demandait, en tout état de cause, que soit ordonnée nécessaire compensation entre toute créance que Mme [C] pourrait détenir sur elle à l'issue de la présente instance, et la créance que l'exposante détenait sur Mme [C] au titre du recel successoral (conclusions d'appel, p. 15, et dispositif) ; que Mme [C] ne formulait aucune observation sur cette demande ; que dès lors, en jugeant, pour débouter Mme [B] de sa demande, qu'en vertu de l'article 1347-2 du code civil, la compensation « ne peut s'opérer dans le cas de demande de restitution d'une chose dont le propriétaire a été injustement dépouillé », et qu'« en l'espèce, la demande de compensation porte d'une part sur une indemnité d'occupation d'un bien sans droit ni titre dont la propriétaire est privée de la jouissance, qui n'a pas consenti à la compensation et d'autre part de sommes dues au titre d'un recel » (arrêt attaqué, p. 7), sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, en tout état de cause, QUE les exceptions aux règles de la compensation légale énumérées par l'article 1347-2 du code civil ne s'étendent pas aux créances et dettes faisant l'objet d'une demande en compensation judiciaire, dont l'appréciation appartient aux juges du fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que Mme [B] formulait une demande de compensation judiciaire ; que dès lors, en se bornant à appliquer les dispositions de l'article 1347-2 du code civil pour rejeter la demande de compensation, sans apprécier si la compensation pouvait être prononcée en justice, la cour d'appel a violé les articles 1347-2 et 1348 du code civil ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE l'exclusion de la compensation ne peut porter que sur un dépôt, un prêt à usage ou une chose dont la restitution est demandée et dont le propriétaire a été injustement privé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné Mme [B] à payer à Mme [C] une indemnité d'occupation ; que la créance au titre de cette indemnité ne correspondait pas à l'obligation de restitution d'une chose dont Mme [C] aurait été injustement privée ; qu'en jugeant le contraire (arrêt attaqué, p. 7), et se fondant sur les dispositions de l'article 1347-2 du code civil pour débouter Mme [B] de sa demande de compensation, la cour d'appel a violé ces mêmes dispositions par fausse application ;
4°) ET ALORS, en tout état de cause, QUE la demande de compensation avec l'objet du recel ne peut être écartée au motif que l'héritier receleur aurait été injustement privé de la chose dont il demande la restitution ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la demande de compensation porte d'une part sur une indemnité d'occupation d'un bien sans droit ni titre dont la propriétaire est privée de la jouissance, qui n'a pas consenti à la compensation et d'autre part de sommes dues au titre d'un recel » (arrêt attaqué, p. 7) ; que dès lors, en déboutant Mme [B] de sa demande de compensation au motif que « la compensation ne peut s'opérer dans le cas de demande de restitution d'une chose dans le propriétaire a été injustement dépouillé », la cour d'appel a violé l'article 1347-2 du code civil. | Il résulte des articles 1347-2 et 1348 du code civil que les exceptions aux règles de la compensation légale énumérées par le premier d'entre eux ne s'étendent pas aux créances et dettes qui font l'objet d'une demande de compensation judiciaire sur le fondement du second et dont l'appréciation incombe aux juges du fond |
7,746 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 363 FS-B
Pourvoi n° Z 21-16.689
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
L'association Promo Develop Transports Sagu 30, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-16.689 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société ambulances La Romaine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de l'association Promo Develop Transports Sagu 30, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Ambulances la Romaine, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 10 mars 2021) et les productions, le décret n° 87-965 du 30 novembre 1987, dont les dispositions ont été ultérieurement codifiées aux articles R. 6312-1 et suivants du code de la santé publique, a instauré à l'égard des entreprises de transports sanitaires agréées une obligation de participer à une garde départementale, en fonction de leurs moyens matériels et humains, et précisé que les conditions d'organisation de la garde ambulancière dans chaque département seraient fixées par un cahier des charges, arrêté par le préfet, puis par le directeur général de l'agence régionale de santé à compter du 26 juillet 2010.
2. Le cahier des charges annexé à l'arrêté n° 2004-136-5 du 4 juin 2004 pris par le préfet du Gard (le préfet) a, en son article 3, confié à l'association Asso Promo Dévelop Transports Sagu 30 (l'association) l'organisation et la coordination, en lien avec le service médical d'urgence, de la garde ambulancière dans le département, et, en son article 9, prévu une contribution financière, au prorata des gardes effectuées, des entreprises de transport sanitaire agréées du Gard aux frais de fonctionnement de la garde ambulancière.
3. Le 26 octobre 2015, la société Ambulances La Romaine (la société) a saisi la juridiction administrative d'une demande d'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet sur sa demande d'abrogation de l'article 9. Par jugement du 20 octobre 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
4. Le 20 décembre 2017, l'association a assigné la société en paiement de factures relatives à ses frais de fonctionnement pour la période du 30 novembre 2014 au 30 octobre 2017.
5. Par arrêt du 13 juin 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du 20 octobre 2017 et la décision implicite de rejet de la demande de la société et enjoint au directeur général de l'agence régionale de santé Occitanie d'abroger l'article 9 du cahier des charges dans un délai de six mois. Par arrêté du 12 décembre 2019, celui-ci a procédé à l'abrogation de ce texte.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. L'association fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'abrogation d'un acte administratif entraîne sa disparition juridique pour l'avenir ; qu'en déboutant l'association Sagu 30 de ses demandes fondées sur l'article 9 du cahier des charges annexé à l'arrêté n° 2004-136-5 du 4 juin 2004, après avoir constaté que ces demandes tendaient au paiement de factures relatives aux frais de fonctionnement de l'association pour la période du 30 novembre 2014 au 30 octobre 2017 et que l'article 9 du cahier des charges annexé à l'arrêté n° 2004-136-5 du 4 juin 2004 n'avait été abrogé que par arrêté du directeur général de l'ARS du 12 décembre 2019, la cour d'appel, qui a fait produire un effet rétroactif à cette abrogation, a violé l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration. »
Réponse de la Cour
8. Toute déclaration d'illégalité d'un texte réglementaire par le juge administratif, même décidée à l'occasion d'une autre instance, s'impose au juge civil qui ne peut faire application d'un texte illégal.
9. C'est dès lors à bon droit qu'après avoir constaté, en s'appuyant sur le dispositif de l'arrêt du 13 juin 2019 et ses motifs qui en sont le support nécessaire, que la décision implicite de rejet de la demande d'abrogation de l'article 9 avait été annulée aux motifs que le préfet n'avait pas compétence, à la date de publication du règlement, pour instaurer une contribution financière, constituant une taxe non prévue par la loi, la cour d'appel en a déduit que les demandes de l'association, fondées sur un acte administratif illégal dès l'origine, devaient être rejetées.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association Promo Develop Transports Sagu 30 aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour l'association Promo develop transports Sagu 30.
L'association ASSO PROMO DEVELOP TRANSPORTS SAGU 30 fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à ce que la société Ambulances La Romaine soit condamnée à lui payer la somme de 3.233,50 euros pour la période du 30 novembre 2014 au 31 octobre 2017, sauf à parfaire, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,;
1°) ALORS QUE l'abrogation d'un acte administratif entraine sa disparition juridique pour l'avenir ; qu'en déboutant l'association Sagu 30 de ses demandes fondées sur l'article 9 du cahier des charges annexé à l'arrêté n° 2004-136-5 du 4 juin 2004, après avoir constaté que que ces demandes tendaient au paiement de factures relatives aux frais de fonctionnement de l'association pour la période du 30 novembre 2014 au 30 octobre 2017 et que l'article 9 du cahier des charges annexé à l'arrêté n° 2004-136-5 du 4 juin 2004 n'avait été abrogé que par arrêté du directeur général de l'ARS du 12 décembre 2019, la cour d'appel, qui a fait produire un effet rétroactif à cette abrogation, a violé l'article L. 240-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU' il n'est pas permis au juge de modifier l'objet du litige tel qu'il résulte des prétentions respctives des parties ; que l'association Sagu 30 demandait, aux termes du dispositif de ses conclusions d'appel, qu'il soit constaté « que la SARL Ambulance La Romaine a toujours bénéficié des services d'intermédiaire de l'association Sagu 30 » (p. 12), et que la société Ambulances La Romaine soit condamnée, au titre de ces services d'intermédiaire « au paiement à l'association Sagu 30 de la somme de 3.233, 50 euros pour la période du 30 novembre 2014 au 31 octobre 2017 sauf à parfaire » (p. 13) ; que la société Ambulances La Romaine relevait également que l'association Sagu 30 poursuivait le paiement de factures correspondant à la rémunération de prestations de services d'interface (p. 23) ; qu'il en résultait que l'objet du litige était la rémunération due à l'association Sagu 30 pour ses prestations de service d'interface, et non la charge de la garde ambulancière ; qu'en considérant que l'enjeu du litige aurait été une charge de garde imposée par le code de la santé publique et non un enrichissement de la société Ambulances la Romaine, la cour d'appel a modifié l'objet du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui celui auquel un service a été rendu dans le cadre d'une activité appréciable en argent, sans rémunération, contrepartie ou avantage personnel ; qu'en se bornant à considérer, pour débouter l'exposante de sa demande fondée sur l'enrichissement injustifié, que les difficultés étaient multiples puisque l'enjeu aurait été une charge de garde imposée par le code de la santé publique et non un enrichissement de la société Ambulances La Romaine et que l'association Sagu aurait dû justifier d'un appauvrissement quelconque en son patrimoine, mais n'aurait justifié par aucun document d'une telle situation car elle n'aurait produit aucune pièce sur la réalité des charges induites par les fonctions qu'elle avait acceptées dans des conditions et selon des modalités ignorées, faute de tout document relatif aux circonstances de sa constitution et de son fonctionnement, sans rechercher comme elle y était invitée si l'association Sagu 30 n'avait pas délivré une prestation de services à la société Ambulances La Romaine sans en obtenir rémunération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1371 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et de l'article 1303 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Toute déclaration d'illégalité d'un texte réglementaire par le juge administratif, même décidée à l'occasion d'une autre instance, s'impose au juge civil qui ne peut faire application d'un texte illégal.
C'est dès lors à bon droit qu'après avoir constaté, en s'appuyant sur le dispositif de la décision de la juridiction administrative et ses motifs qui en sont le support nécessaire, que la décision implicite de rejet de la demande d'abrogation d'un acte réglementaire avait été annulée aux motifs que le préfet n'avait pas compétence, à la date de publication du règlement, pour instaurer une contribution financière, constituant une taxe non prévue par la loi, la cour d'appel en déduit que des demandes fondées sur un acte administratif illégal dès l'origine doivent être rejetées |
7,747 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 364 FS-B
Pourvoi n° W 20-18.867
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [U] [X], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-18.867 contre le jugement rendu le 15 juin 2020 par le président du tribunal judiciaire d'Evreux, dans le litige l'opposant à la société Carrosserie Le Cam, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [X], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Le Gall, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d'Evreux, 15 juin 2020), rendu en dernier ressort, M. [X] (le client) a fait opposition à une injonction de payer du 13 juillet 2018, le condamnant à payer à la société Carrosserie Le Cam (le garagiste), cessionnaire depuis le 30 juin 2016 du fonds de commerce de la société Electricité Auto, la somme de 1 320,40 euros au titre du solde d'une facture du 3 novembre 2017 et a formé reconventionnellement des demandes d'indemnisation, en invoquant avoir confié son véhicule à ces sociétés à la suite de dysfonctionnements du système de climatisation non résolus.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Le client fait grief au jugement de le condamner à payer au garagiste la somme de 1 320,40 euros au titre de la facture du 3 novembre 2017, outre les intérêts légaux, et de rejeter ses demandes reconventionnelles, alors « que l'obligation de résultat, qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients, emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ; qu'en exigeant de M. [X] qu'il rapporte la preuve que le défaut ait un lien avec l'intervention du garagiste et en décidant que la seule production de la facture intitulée « atelier [X] » ne permettait pas d'établir que la défectuosité alléguée du système de climatisation était reliée à l'intervention de la société Carrosserie Le Cam, en l'absence de tout élément technique objectif ou d'élément d'expertise contradictoire, après avoir posé en principe que « la responsabilité de plein droit qui pèse sur la garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat », le tribunal a violé les articles 1147 et 1315 du code civil dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit des obligations.»
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil :
3. Il résulte de ces textes que, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n'est engagée qu'en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées.
4. S'il a été précédemment mis à la charge du garagiste une obligation de résultat (1re Civ., 2 février 1994, pourvoi n° 91-18.764, Bull. 1994, I, n° 41 ; 1re Civ., 8 décembre 1998 , pourvoi n° 94-11.848, Bull.1998, I, n° 343) ou une responsabilité de plein droit (1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-18.350, Bull. 2008, I, n°94 ; 1re Civ., 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-24.324, Bull. 2012, I, n° 227) et jugé que c'est l'obligation de résultat auquel le garagiste est tenu qui emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage (1re Civ., 8 décembre 1998, précité ; 1re Civ., 21 octobre 1997, pourvoi n° 95-16.717, Bull. 1197, I, n° 279), la référence à une telle obligation et un tel régime de responsabilité n'est pas justifiée dès lors qu'il a été admis que la responsabilité du garagiste pouvait être écartée, même si le résultat n'a pas été atteint, en prouvant qu'il n'a pas commis de faute (1re Civ., 2 février 1994, précité ; 1re Civ., 17 février 2016, pourvoi n° 15-14.012). Il y a donc lieu d'opérer une telle clarification.
5. Pour condamner le client à payer au garagiste le solde de la facture et rejeter ses demandes reconventionnelles, le jugement retient que, si le garagiste est intervenu à deux reprises pour recharger la climatisation, la production de la facture ne permet pas d'établir que la défectuosité alléguée du système de climatisation soit reliée à son intervention en l'absence de tout élément technique objectif ou d'expertise contradictoire et que la recherche de panne effectuée ensuite, à la demande du client, au sein d'un autre établissement, ne prouve pas un manquement du garagiste.
6. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 15 juin 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire d'Evreux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Rouen ;
Condamne la société Carrosserie Le Cam aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Carrosserie Le Cam à payer à M. [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la CP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. [X].
Le pourvoi fait grief au jugement attaqué D'AVOIR condamné M. [X] à payer à la société CARROSSERIE LE CAM, la somme de 1.320,40 € correspondant au solde de la facture émise le 3 novembre 2017, outre les intérêts légaux et D'AVOIR rejeté les demandes indemnitaires que M. [X] avait formées à titre reconventionnel ;
ALORS QUE l'obligation de résultat, qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients, emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ; qu'en exigeant de M. [X] qu'il rapporte la preuve que le défaut ait un lien avec l'intervention du garagiste et en décidant que la seule production de la facture intitulée « atelier [X] » ne permettait pas d'établir que la défectuosité alléguée du système de climatisation était reliée à l'intervention de la société CARROSSERIE LE CAM, en l'absence de tout élément technique objectif ou d'élément d'expertise contradictoire, après avoir posé en principe que « a responsabilité de plein droit qui pèse sur la garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat », le tribunal a violé les articles 1147 et 1315 du code civil dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit des obligations. | Il résulte des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil que, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n'est engagée qu'en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées.
Dès lors, prive sa décision de base légale le tribunal qui, par des motifs impropres à écarter la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal, condamne le client à payer le solde de la facture en retenant que le garagiste est intervenu à deux reprises sur le système de climatisation, mais qu'en l'absence d'élément technique objectif ou d'expertise contradictoire, la production de la facture ne permet pas d'établir que la défectuosité alléguée de ce dernier soit reliée à son intervention |
7,748 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 365 FS-B
Pourvoi n° M 20-19.732
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
Mme [C] [U], domiciliée [Adresse 4],[Localité 1]x, a formé le pourvoi n° M 20-19.732 contre l'arrêt rendu le 25 février 2020 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige l'opposant à la société Bayern Landes Pays Basque, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [U], et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Le Gall, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 février 2020), Mme [U] (le client), ayant acquis de M. [O] (le vendeur) un véhicule d'occasion présentant des pannes récurrentes, l'a confié à plusieurs reprises à la société Bayern Landes Pays Basque (le garagiste).
2. En raison de la persistance de dysfonctionnements et après la réalisation d'expertises, le vendeur a versé une indemnisation au client qui a ensuite assigné le garagiste en responsabilité et indemnisation.
3. Le garagiste a été condamné à payer au client différentes sommes au titre des travaux facturés, du préjudice de jouissance et des frais d'expertise.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le client fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en indemnisation du coût de la remise en état du véhicule, alors « que l'obligation de résultat, qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients, emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ; qu'en déboutant Mme [U] de sa demande d'indemnisation au titre de la remise en état du véhicule, tout en constatant que les interventions de la société Bayern Landes Pays Basque n'ont pas été suffisantes pour diagnostiquer la cause exacte des pannes, puis pour en tirer les conséquences en procédant aux réparations adéquates, ce qui a causé des dépenses inutiles, sans remédier aux défauts, quand, si la réparation réalisée ne permet pas un emploi normal du véhicule, le garagiste doit supporter le coût de la remise en état du véhicule, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil :
5. Il résulte de ces textes que, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n'est engagée qu'en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées.
6. S'il a été précédemment mis à la charge du garagiste une obligation de résultat (1re Civ., 2 février 1994, pourvoi n° 91-18.764, Bull. 1994, I, n° 41 ; 1re Civ., 8 décembre 1998 , pourvoi n° 94-11.848, Bull.1998, I, n° 343) et une responsabilité de plein droit (1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-18.350, Bull. 2008, I, n° 94 ; 1re Civ., 31 octobre 2012, pourvoi n° 11-24.324, Bull. 2012, I, n° 227) et jugé que c'est l'obligation de résultat auquel le garagiste est tenu qui emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage (1re Civ., 8 décembre 1998, précité ; 1re Civ., 21 octobre 1997, pourvoi n° 95-16.717, Bull. 1197, I, n° 279), la référence à une telle obligation et un tel régime de responsabilité n'est pas justifiée dès lors qu'il a été admis que la responsabilité du garagiste pouvait être écartée, même si le résultat n'a pas été atteint, en prouvant qu'il n'a pas commis de faute (1re Civ., 2 février 1994, précité ; 1re Civ., 17 février 2016, pourvoi n° 15-14.012). Il y a donc lieu d'opérer une telle clarification.
7. Pour rejeter la demande formée par le client au titre du coût de la remise en état du véhicule, l'arrêt retient que les désordres sont dus à un défaut d'entretien du vendeur, que les interventions du garagiste n'ont pas permis d'y mettre fin, ce qui a causé des dépenses inutiles, que le vendeur du véhicule a indemnisé l'acquéreur en concluant une transaction avec lui et que les défauts ne sont pas imputables aux défaillances du garagiste qui n'a manqué à ses obligations qu'en ce qu'il n'a pas su déceler le vice pour fournir les solutions adéquates.
8. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme [U] formée contre la société Bayern Landes Pays Basque au titre du coût de la remise en état du véhicule et renvoie les parties à procéder aux rétablissements de comptes résultant de l'infirmation partielle qui vaut titre de restitution, l'arrêt rendu le 25 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Bayern Landes Pays Basque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Bayern Landes Pays Basque à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme [U].
Madame [C] [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il a imputé à la société Bayern Landes Pays Basque le préjudice de remise en état du moteur et, en conséquence, d'AVOIR renvoyé les parties à procéder aux rétablissements de comptes résultant de l'infirmation partielle qui vaut titre de restitution ;
ALORS DE PREMIERE PART QUE l'obligation de résultat, qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients, emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ; qu'en déboutant Mme [U] de sa demande d'indemnisation au titre de la remise en état du véhicule, tout en constatant que les interventions de la société Bayern Landes Pays Basque n'ont pas été suffisantes pour diagnostiquer la cause exacte des pannes, puis pour en tirer les conséquences en procédant aux réparations adéquates, ce qui a causé des dépenses inutiles, sans remédier aux défauts, quand, si la réparation réalisée ne permet pas un emploi normal du véhicule, le garagiste doit supporter le coût de la remise en état du véhicule, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS DE SECONDE PART QUE les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en déboutant Mme [U] de sa demande d'indemnisation au titre de la remise en état du véhicule, au motif inopérant que Mme [U] avait déjà été indemnisée de ce chef de préjudice par son vendeur à un niveau qu'elle avait accepté dans le cadre d'une transaction conclue le 9 avril 2013, quand cette transaction ne peut pas lui être opposée par le garagiste, tiers à cette convention, pour s'exonérer de sa responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | Il résulte des articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil que, si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n'est engagée qu'en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l'existence d'une faute et celle d'un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées.
Dès lors, viole ces textes la cour d'appel qui, par des motifs impropres à écarter la présomption de faute pesant sur le garagiste et celle du lien causal, rejette la demande du client au titre du coût de la remise en état du véhicule, en retenant que, si les interventions du garagiste n'ont pas permis de mettre fin aux dysfonctionnements, ceux-ci ne sont pas imputables à ses défaillances et que le garagiste n'a manqué à ses obligations qu'en ce qu'il n'a pas su déceler le vice pour proposer les solutions adéquates |
7,749 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 370 F-B
Pourvoi n° E 20-22.210
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [E] [S], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 20-22.210 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bourcier, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Laika Caravans, dont le siège est [Adresse 2] (Italie), société de droit italien,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. [S], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Laika Caravans, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Bourcier, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, M. Mornet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 septembre 2020), afin d'effectuer un voyage sur le continent américain avec quatre passagers, M. [S] a acquis auprès de la société Bourcier (le vendeur) un camping-car fabriqué par la société Laika Caravans. Postérieurement à la livraison du véhicule le 6 mai 2011, il a fait installer par le vendeur des équipements supplémentaires.
2. En novembre 2011, au cours de son voyage, il a constaté un fléchissement de l'essieu arrière et a sollicité à son retour des expertises amiable et judiciaire qui ont imputé le dommage à un excès de poids.
3. Estimant que le vendeur et la société Laika Caravans avaient manqué à leur devoir d'information et de conseil, il les a assignés en résolution de la vente et en réparation de ses préjudices moral et matériel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Exposé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'obligation de conseil à laquelle est tenu le vendeur lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur et de l'informer lors de l'achat, de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue ; qu'il s'ensuit que le vendeur devait s'enquérir des besoins de M. [S] qui souhaitait acquérir un camping-car pour réaliser un long voyage d'un an au travers du continent américain avec une famille de cinq personnes pour le conseiller sur l'adéquation des options et des accessoires par rapport à la charge utile restante ; qu'en se satisfaisant de la seule mise en garde donnée postérieurement à la conclusion de la vente par une facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge » ; qu'en imposant à M. [S] lui-même de surveiller la charge de son véhicule pour demeurer dans les limites du poids définis par son permis de voiture, après avoir constaté que le vendeur avait attiré son attention sur la charge du véhicule et, plus particulièrement, sur l'incidence de l'installation de nouveaux équipements en précisant sur la facture de livraison que chaque accessoire diminue la charge utile, quand il appartenait au vendeur de s'informer des besoins de M. [S] et, en particulier, de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage, compte tenu des options et des accessoires qu'il souhaitait installer, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil :
5. Il résulte de ce texte que le vendeur professionnel est tenu, avant la vente, d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien qui est proposé et l'usage qui en est prévu.
6. Pour rejeter les demandes de M. [S], l'arrêt retient que le véhicule livré conformément à la commande initiale était apte à l'usage prévu par M.[S], que la surcharge de poids est la conséquence de l'installation à sa demande d'équipements optionnels postérieurement à la livraison, que son attention a été attirée de manière formelle sur la facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge utile », que, même si cette mention ne précisait pas le poids des équipements déjà installés, elle était suffisante pour attirer l'attention du client sur la charge du véhicule et particulièrement sur l'incidence de l'installation de nouveaux équipements sur le poids du véhicule, M. [S] devant, en sa qualité de conducteur, surveiller la charge de son véhicule pour demeurer dans les limites de poids définies par son permis de conduire.
7. En statuant ainsi, sans constater que le vendeur s'était informé des besoins de M. [S] et, en particulier, de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en ce qu'il rejette les demandes de M. [S] contre la société Bourcier, l'arrêt rendu le 18 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne la société Bourcier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Bourcier et la société Laika Caravans, et condamne la société Bourcier à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. [S].
M. [S] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR écarté les demandes qu'il avait formées ;
1. ALORS QUE tout vendeur d'un matériel doit, afin que la vente soit conclue en connaissance de cause, s'informer des besoins de son acheteur et informer ensuite celui-ci des contraintes techniques de la chose vendue et de son aptitude à atteindre le but recherché ; qu'il s'ensuit que le vendeur doit informer l'acheteur préalablement à la conclusion de la vente ; qu'en se satisfaisant de la seule mise en garde donnée postérieurement à la conclusion de la vente par une facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble les articles 1602 et 1604 du code civil ;
2. ALORS QUE l'obligation de conseil à laquelle est tenu le vendeur lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur et de l'informer lors de l'achat, de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue ; qu'il s'ensuit que la société BOURSIER devait s'enquérir des besoins de M. [S] qui souhaitait acquérir un camping-car pour réaliser un long voyage d'un an au travers du continent américain avec une famille de cinq personnes pour le conseiller sur l'adéquation des options et des accessoires par rapport à la charge utile restante ; qu'en se satisfaisant de la seule mise en garde donnée postérieurement à la conclusion de la vente par une facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge » ; qu'en imposant à M. [S] lui-même de surveiller la charge de son véhicule pour demeurer dans les limites du poids définis par son permis de voiture, après avoir constaté que le vendeur avait attiré son attention sur la charge du véhicule et, plus particulièrement, sur l'incidence de l'installation de nouveaux équipements en précisant sur la facture de livraison que chaque accessoire diminue la charge utile, quand il appartenait au vendeur de s'informer des besoins de M. [S] et, en particulier, de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage, compte tenu des options et des accessoires qu'il souhaitait installer, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. | Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le vendeur professionnel est tenu, avant la vente, d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien qui est proposé et l'usage qui en est prévu |
7,750 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 380 F-B
Pourvoi n° T 20-18.542
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ Le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4],
2°/ le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris, domicilié [Adresse 1], [Localité 4],
ont formé le pourvoi n° T 20-18.542 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige les opposant à Mme Claudia Martin-Laviolette, domiciliée [Adresse 2], [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat du conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris et du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme Martin-Laviolette, et l'avis de Mme Legoherel, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, M. Mornet, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2020), Mme Laviolette, avocate inscrite au barreau de Sarreguemines, et M. Martin, avocat inscrit au barreau de Metz, qui exercent leur activité professionnelle au sein d'une association inter-barreaux Metz-Sarreguemines, ont créé la SARL Martin-Laviolette avocats, ayant son siège à Paris, sous condition suspensive de son inscription au tableau des avocats du barreau de Paris.
2. Par un arrêté du 5 novembre 2018, le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris (le conseil de l'ordre) a rejeté la demande au motif qu'aucun des deux associés n'était inscrit au barreau de Paris.
3. Mme Laviolette et M. Martin ont formé un recours contre cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le conseil de l'ordre et le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris font grief à l'arrêt de dire qu'il doit être procédé à l'inscription de la SARL Martin-Laviolette au tableau des avocats du barreau de Paris, alors :
« 1°/ que les avocats exercent leur profession, comprenant le monopole de l'assistance et de la représentation en Justice, de la postulation et de la plaidoirie devant les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, soit à titre individuel, soit au sein d'entités dotées de la personnalité morale et ayant pour objet l'exercice de la profession d'avocat ; que l'inscription au tableau, qui doit correspondre au lieu effectif de l'exercice complet de la profession d'avocat, y compris la postulation, d'une telle entité doit par suite nécessairement être faite au barreau auquel l'un au moins de ses associés exerçant en son sein est inscrit ; qu'en décidant le contraire, au motif erroné et inopérant que l'exercice de la postulation, qui est soumise à la règle de la territorialité, ne serait pas consubstantiel à la profession d'avocat, la cour d'appel a violé les articles 7, 8, 8-1 de la loi du 31 décembre 1971, 3 du décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 et 18 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 ;
2°/ que selon l'article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le conseil de l'ordre est seul compétent pour statuer sur l'inscription au tableau ; que dès lors, et en l'absence des dispositions législatives ou réglementaires contraires, il lui appartient d'apprécier l'opportunité d'inscrire à son tableau une société dont aucun des membres avocats n'y est inscrit ; et qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a violé l'article 17 de la loi susvisée du 31 décembre 1971. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, la cour d'appel a exactement énoncé que le décret du 29 juin 2016, applicable à l'exercice de la profession d'avocat par des sociétés autres que les SCP et les SEL, et notamment aux SARL, ne renvoyait pas à l'article 3 du décret du 25 mars 1993 exigeant que la société d'exercice libéral comprenne, parmi ses membres, au moins un avocat inscrit au barreau auprès duquel elle sollicitait son inscription et que l'absence d'une telle inscription d'un avocat de la société faisait seulement obstacle à une postulation de la société dans le ressort du barreau concerné.
6. En second lieu, en l'absence de disposition législative ou réglementaire l'y autorisant, le conseil de l'ordre ne peut apprécier l'opportunité d'inscrire au tableau une société dont aucun des membres n'y est inscrit, s'agissant d'une condition formelle de l'inscription.
7. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a dit qu'il devait être procédé
à l'inscription de la SARL au tableau des avocats du barreau de Paris.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris et le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'arrêté du 5 novembre 2018 du Conseil de l'ordre du barreau de Paris et d'avoir dit qu'il doit être procédé à l'inscription de la Sarl Martin-Laviolette sur le tableau des avocats du Barreau de Paris ;
Aux motifs qu'il est constant que le décret du 29 juin 2016 qui est applicable à l'exercice de la profession d'avocat par des sociétés autres que les SCP et SEL, et notamment les SARL, ne renvoie pas à l'article 3 du décret du 25 mars 1993 qui exige que la société d'exercice libéral comprenne parmi ses membres au moins un avocat inscrit au barreau auprès duquel elle sollicite son inscription.
La règle de la territorialité qui gouverne la postulation (sauf devant les cours d'appel statuant en matière sociale) ne fait pas obstacle à cette liberté d'inscription mais a simplement pour effet de limiter l'activité de la nouvelle société comme peut l'être celle d'un bureau secondaire, l'exercice de la postulation qui revenait autrefois aux avoués n'étant pas consubstantielle à la profession d'avocat.
La nouvelle rédaction de l'article P 31 du RIPB qui ne repose pas sur l'application des règles légales et réglementaires ne régit pas la demande d'inscription de la Sarl Martin-Laviolette qui est antérieure à son entrée en vigueur.
L'arrêté du 5 novembre 2018 qui a rejeté la demande d'inscription de la Sarl Martin-Laviolette au motif qu'aucun des associés n'était inscrit au tableau du barreau de Paris doit donc être infirmé ;
1°- ALORS QUE les avocats exercent leur profession, comprenant le monopole de l'assistance et de la représentation en Justice, de la postulation et de la plaidoirie devant les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, soit à titre individuel, soit au sein d'entités dotées de la personnalité morale et ayant pour objet l'exercice de la profession d'avocat ; que l'inscription au tableau, qui doit correspondre au lieu effectif de l'exercice complet de la profession d'avocat, y compris la postulation, d'une telle entité doit par suite nécessairement être faite au barreau auquel l'un au moins de ses associés exerçant en son sein est inscrit ; qu'en décidant le contraire, au motif erroné et inopérant que l'exercice de la postulation, qui est soumise à la règle de la territorialité, ne serait pas consubstantiel à la profession d'avocat, la cour d'appel a violé les articles 7, 8, 8-1 de la loi du 31 décembre 1971, 3 du décret n° 2016-882 du 29 juin 2016 et 18 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 ;
2°- ALORS QUE selon l'article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le Conseil de l'Ordre est seul compétent pour statuer sur l'inscription au tableau ; que dès lors, et en l'absence des dispositions législatives ou règlementaires contraires, il lui appartient d'apprécier l'opportunité d'inscrire à son tableau une société dont aucun des membres avocats n'y est inscrit ;
et qu'en décidant le contraire, l'arrêt attaqué a violé l'article 17 de la loi susvisée du 31 décembre 1971. | Le décret n° 2016-882 du 29 juin 2016, applicable à l'exercice de la profession d'avocat par des sociétés autres que les sociétés civiles professionnelles (SCP) et les sociétés d'exercice libéral (SEL), et notamment par les sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL), ne renvoie pas à l'article 3 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 exigeant que la société d'exercice libéral comprenne, parmi ses membres, au moins un avocat inscrit au barreau auprès duquel elle sollicite son inscription. Il en résulte que l'absence d'une telle inscription d'un avocat de la société fait seulement obstacle à une postulation de la société dans le ressort du barreau concerné |
7,751 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 428 FS-B
Pourvoi n° V 21-16.156
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [S] [M], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-16.156 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant à Mme [B] [L], dite [D] [T], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [M], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [L], les plaidoiries de Me Waquet et Me Piwnica, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 avril 2021), les propos suivants ont été mis en ligne :
- le 18 octobre 2017, dans un article de Mme [L] intitulé « #Moiaussi : pour que la honte change de camps », sur le site www.itinera-magica.com à l'adresse URL http://www.itinera-magica.com/moi-aussi/ :
« la troisième agression, ou comment j'ai été agressée par un ancien ministre
[
]
J'avais vingt ans. À cette époque, mon père était ministre. Il était très exposé
médiatiquement, et je souffrais beaucoup de cette attention extrême, de ce climat polémique qui rôdait tout le temps autour de lui, de ma famille, et j'aurais mille fois préféré l'anonymat. Mais le seul privilège de ministre qui me consolait, le seul dont lequel j'étais heureuse de bénéficier, c'était l'opéra. Le merveilleux opéra de [Localité 5] invitait régulièrement les ministres à assister aux représentations, et mon père, qui connaît mon amour pour l'art lyrique, me faisait souvent bénéficier de la deuxième invitation. L'y accompagner était une joie immense. Ce soir-là, nous allions voir un Wagner à l'opéra [Localité 3], était-ce Parsifal ? Était-ce le Ring ?, et j'étais aux anges. Mais mon père a eu une urgence à gérer, et n'a pu me rejoindre qu'à l'entracte. Du coup, les sièges étaient rebattus, et quelqu'un s'est assis à ma droite, là où mon père aurait dû être.
Je ne sais pas si vous connaissez l'opéra [Localité 3]. Dans cette immense et magnifique salle, une rangée est considérée comme la « rangée VIP ». C'est la catégorie Optima, la première rangée du premier balcon, en plein milieu de la salle (et non pas devant la scène), avec personne devant vous sur plusieurs mètres. C'est la rangée la plus exposée, où on voit aussi bien qu'on est vu. Les ministres, les hautes personnalités, les stars, sont toujours placés là, et c'était un immense bonheur pour moi de pouvoir en bénéficier. J'insiste là-dessus pour expliquer que ce ne sont pas des places discrètes, où on serait caché dans l'ombre. Ce sont des places où tout le monde sait qui vous êtes et voit ce que vous faites.
Un vieux monsieur à l'air éminemment respectable s'assoit donc à ma droite. Son épouse est à sa droite à lui. J'insiste. Son épouse est là. La représentation commence. Et au bout de dix minutes, le vieux monsieur a sa main sur ma cuisse. Je me dis qu'il doit être très âgé, perturbé. Je le repousse gentiment. Il recommence. Rebelote. Une troisième fois. Il commence à remonter ma jupe. Il glisse sa main à l'intérieur de ma cuisse, remonte vers mon entrejambe. J'enlève sa main plus fermement et je pousse un cri d'indignation étouffé, bouche fermée. Tout le monde me regarde. Il arrête. Dix minutes plus tard, il recommence.
Je lui plante mes ongles dans la main. C'est un combat silencieux, grotesque, en plein opéra [Localité 3]. Wagner sur scène, le vieux pervers contre la gamine en pantomime dans la salle.
[
]
C'est un ancien ministre de [O], membre de plusieurs gouvernements, qui a occupé des fonctions régaliennes, qui est une grande figure de gauche, décoré de l'Ordre national du mérite et de plusieurs autres Ordres européens. Une statue vivante. La représentation recommence, je suis tranquille, mais je n'arrive pas à me concentrer sur la mort des Dieux
et les vocalises de la cantatrice. »
- le 19 octobre 2017, dans un article intitulé « [D] [T], fille d'[W] [L], accuse l'ex-ministre [S] [M] d'agression sexuelle », sur le site www.lexpress.fr, à l'adresse https://www.lexpress.[04].html :
« Au bout de dix minutes, le vieux monsieur a sa main sur ma cuisse. Je me dis qu'il doit être très âgé, perturbé. Je le repousse gentiment. Il recommence. Rebelote. Une troisième fois. Il commence à remonter ma jupe. Il glisse sa main à l'intérieur de ma cuisse, remonte vers mon entrejambe. J'enlève sa main plus fermement et je pousse un cri d'indignation, étouffé, bouche fermée. Tout le monde me regarde. Il arrête. Dix minutes plus tard, il recommence. Je lui plante mes ongles dans la main. C'est un combat silencieux, grotesque, en plein opéra [Localité 3]. »
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]
« Je ne voulais pas qu'on commence à soupçonner tous les anciens ministres de [P] [O], alors j'ai donné des indices précis, mais j'ai eu peur de donner son nom, peur de mettre en cause un homme très respecté, qui a occupé les plus hautes fonctions de l'État... En même temps, j'ai vu toutes mes amies qui ont subi des agressions témoigner, et je ne veux pas être la seule qui se taise par lâcheté. D'autant que c'est l'agression qui m'a le plus sidérée, parce que je savais que je n'y étais absolument pour rien. »
2. Le 10 janvier 2018, M. [M] a assigné Mme [L] en diffamation sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [M] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que le motif selon lequel même si l'imputation diffamatoire ne porte que sur les seuls gestes qui auraient été commis sur Mme [L], il y a lieu d'ajouter qu'il a été fait état de comportements très déplacés de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes : M. [W] [L] a déclaré en particulier qu'une femme professeur d'université lui avait expliqué que M. [M] avait "abusé d'elle", la fille de celui-ci lui ayant demandé de ne pas témoigner contre son père ne résulte que de la reprise des notes d'audience prises en première instance à la suite de l'audition comme témoin de M. [W] [L], père d'[B] [L] auteur des propos litigieux ; que les déclarations d'un témoin à l'audience de première instance, fût-ce sans serment, doivent faire l'objet d'un procès-verbal signé notamment par lui, et que le juge ne peut se fonder sur de telles déclarations que si elles ont été régulièrement recueillies et transcrites ; en se fondant exclusivement sur des notes d'audience, dont l'objet ne peut être la transcription des propos d'un témoin entendu par le juge, et aucun procès-verbal n'ayant été dressé de ces déclarations, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 219, 220, 231 du code de procédure civile, 727 du même code par fausse application, 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ qu'un juge ne peut pas fonder sa décision sur un élément qui n'est pas régulièrement dans le débat ; que dès lors que le témoin dont s'agit a été entendu par le premier juge sans procès-verbal, qu'aucune des parties devant la Cour d'appel ne s'est référée explicitement à ce témoignage, et que le tribunal de grande instance l'a seulement analysé ainsi : « Monsieur [W] [L], père de la défenderesse, était entendu à titre de simple renseignement et confirmait les accusations de sa fille qui lui avait rapporté les faits, selon lui, en arrivant au ministère le soir même », excluant ainsi toute référence à d'autres propos, la Cour d'appel n'avait pas le pouvoir de s'emparer de ces autres propos à titre de preuve, et elle a encore violé les textes précités, outre les articles 4 et 16 du même code et les droits de la défense ;
3°/ que la détermination du point de savoir si un diffamateur accusant notamment une personne d'agression sexuelle, était de bonne foi et disposait lors de la publication de ses propos, d'une base factuelle suffisante ne peut pas résulter même pour partie d'un témoignage anonyme, fût-il rapporté de manière indirecte par un autre témoin, un tel témoignage étant insusceptible d'une contestation précise ; en se fondant de façon manifestement importante sur le « contexte » résultant de propos tenus par des tiers dont un anonyme – à propos d'un comportement inacceptable de M. [M], pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante aux propos de Mme [L], la Cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits d'homme, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et les droits de la défense ;
4°/ qu'est déloyal le procédé consistant à reprendre comme élément de preuve de la base factuelle d'un propos accusant un homme d'agression sexuelle sur une jeune fille les propos tenus à l'audience de première instance par le père de celle-ci, dont aucune des parties ne s'est prévalue à l'audience d'appel, que le tribunal dans son jugement infirmé n'avait pas retenu, lesquels propos ne se référaient qu'à un témoignage absolument anonyme en disant : « un professeur d'université qui n'a pas souhaité venir témoigner, mais que j'ai eu au téléphone (
) m'a expliqué ce qui s'était passé dans son bureau (de l'homme en question) alors qu'il était ministre de l'Intérieur, qu'il a abusé d'elle alors qu'elle avait été placée sous sa responsabilité par sa famille », sans faire état de ce que l'avocat de la défense a immédiatement protesté contre des « propos inacceptables » qu'il a demandé au président de « faire cesser », en retenant ainsi un témoignage absolument anonyme pour justifier une atteinte à l'honneur d'un homme, et sans inviter au minimum ce dernier et sa défense à s'en expliquer contradictoirement devant la Cour ; ainsi la Cour d'appel a violé les principes fondamentaux gouvernant une procédure équitable, les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les articles 219 et 220 du code de procédure civile et les droits de la défense. »
Réponse de la Cour
4. Le moyen, qui critique un motif surabondant relatif au comportement déplacé de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes, est inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. M. [M] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'exception de bonne foi est exclue en l'absence de base factuelle suffisante ; que si l'exigence d'une base factuelle suffisante ne se confond pas avec la preuve de la vérité des faits, du moins exige-t-elle la preuve qu'ils sont vraisemblables ; que l'imputation de faits imaginaires est exclusive de toute base factuelle ; qu'en retenant qu' « il n'appartient pas à la cour de rechercher si les propos dénoncés par l'appelante sont réels ou imaginaires, mais uniquement si, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été tenus, elle peut bénéficier de la bonne foi », la cour d'appel, qui nie ce qui constitue l'objet même d'une base factuelle, a méconnu son office et violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que, en matière de diffamation, y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, le diffamateur, même apparemment crédible, ne peut être dispensé de l'exigence d'une base factuelle suffisante, étayée par des éléments objectifs, en rapport avec les accusations portées et leur gravité, en l'espèce, selon les propos poursuivis, une agression sexuelle, survenue à l'opéra [Localité 3], durant un opéra de Wagner, dans des circonstances minutieusement décrites ; que si Mme [L] justifie que « les parties (ont) assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et (
) se trouvaient à proximité l'une de l'autre », l'arrêt relève que, contrairement à son récit, cet opéra ne comporte pas de « mort des Dieux », de « vocalises », que « Mme [L], qui met en avant son « amour pour l'art lyrique », ne se souvenait pas quel opéra de Wagner était représenté le soir des faits », « a insisté sur l'existence d'un entracte, pendant lequel son père serait arrivé et où elle aurait changé de place, alors que l'opéra l'Or du Rhin est toujours exécuté sans entracte » ; que l'arrêt ajoute : « il n'est produit aucun témoignage direct des faits et aucune attestation émanant de personnes présentes lors de la représentation, alors que Madame [L] avait écrit que tout le monde l'avait regardée et qu'elle avait, à la fin du spectacle, demandé à l'agent de sécurité de rechercher l'identité de l'homme qui était assis à ses côtés » ; qu'en évacuant ces erreurs factuelles et l'absence de témoignage direct au motif, insusceptible de combler la base factuelle manquante constatée, que « ces erreurs de fait, qu'elle a ensuite reconnues, ne sont pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos, dès lors qu'elle les exprime plus de sept ans et demi après les faits, cette durée faisant également obstacle à la recherche de témoins directs, tels que l'agent de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que l'arrêt relève encore la production de 4 témoignages indirects de proches, qui n'étaient pas présents au moment des faits prétendus et ne font que rapporter les dires d'[B] [L] ; d'un rapport d'expertise psychiatrique amiable attestant de l'absence de pathologie mentale susceptible d'affecter ses propos établi 8 ans après les faits ; outre les déclarations d'un père convaincu que « c'est une enfant qui ne mentait jamais » ; qu'en jugeant que les pièces et le témoignage produit constituent une base factuelle suffisante, ce que ses constatations excluaient, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ que les éléments produits au titre de la base factuelle doivent se rapporter aux accusations portées ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que « Mme [C] [Y], qui se présente comme faisant partie du cercle des amis proches de Mme [L], atteste du mal-être de son amie, à l'époque de son agression qu'elle avait gardée sous silence, de sa prise de poids et de son état de détresse » de sorte qu'il n'apparaît pas que son témoignage se rapporte précisément aux faits dénoncés dont elle ne savait rien ; que l'arrêt constate que l'attestation de Mme [V] [I] et les déclarations de M. [W] [L] relatant les dires d'un témoin anonyme ne se rapportent pas aux gestes dénoncés par Mme [L] ; qu'en se fondant néanmoins sur ces éléments pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
7. En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher, en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.
8. La cour d'appel a énoncé que, si les propos litigieux portaient atteinte à l'honneur ou à la considération de M. [M], ils s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite de l'affaire [H].
9. Elle a relevé, au vu des pièces produites par Mme [L], que les parties avaient assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et étaient assises à côté l'une de l'autre, qu'après la soirée, Mme [L] avait confié avoir subi une agression à plusieurs personnes de son entourage, à savoir ses parents, son compagnon et un ami, que son compagnon et sa mère avaient contribué à la dissuader de déposer plainte et qu'une expertise psychiatrique amiable, effectuée huit ans après les faits dénoncés, ne faisait état d'aucune pathologie mentale qui aurait pu affecter la crédibilité des propos.
10. Elle a retenu souverainement que, si Mme [L] avait commis des erreurs de fait dans son récit quant à l'opéra représenté et à l'existence d'un entracte, ces erreurs, qu'elle avaient reconnues, n'étaient pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos dès lors qu'elle les exprimait plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs.
11. Sans méconnaître son office, elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite de motifs justement critiqués par les première et quatrième branches mais surabondants, que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et que, compte tenu du contexte dans lequel ils avaient été tenus, le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme [L].
12. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [M].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes fondées sur la diffamation publique commise à son encontre par Mme [B] [L], en faisant bénéficier celle-ci de l'exception de bonne foi,
AUX MOTIFS, notamment, QUE « Même si l'imputation diffamatoire ne porte que sur les seuls gestes qui auraient été commis sur Mme [L], il y a lieu d'ajouter qu'il a été fait état de comportements très déplacés de M. [M] vis-à-vis d'autres femmes : M. [W] [L] a déclaré en particulier qu'une femme professeur d'université lui avait expliqué que M. [M] avait "abusé d'elle", la fille de celui-ci lui ayant demandé de ne pas témoigner contre son père. » (arrêt p. 6 § 4).
1° ALORS QUE ce motif ne résulte que de la reprise des notes d'audience prises en première instance à la suite de l'audition comme témoin de M. [W] [L], père d'[B] [L] auteur des propos litigieux ; que les déclarations d'un témoin à l'audience de première instance, fût-ce sans serment, doivent faire l'objet d'un procès-verbal signé notamment par lui, et que le juge ne peut se fonder sur de telles déclarations que si elles ont été régulièrement recueillies et transcrites ; en se fondant exclusivement sur des notes d'audience, dont l'objet ne peut être la transcription des propos d'un témoin entendu par le juge, et aucun procès-verbal n'ayant été dressé de ces déclarations, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles 219, 220, 231 du code de procédure civile, 727 du même code par fausse application, 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° ALORS QU'un juge ne peut pas fonder sa décision sur un élément qui n'est pas régulièrement dans le débat ; que dès lors que le témoin dont s'agit a été entendu par le premier juge sans procès-verbal, qu'aucune des parties devant la Cour d'appel ne s'est référée explicitement à ce témoignage, et que le tribunal de grande instance l'a seulement analysé ainsi : « Monsieur [W] [L], père de la défenderesse, était entendu à titre de simple renseignement et confirmait les accusations de sa fille qui lui avait rapporté les faits, selon lui, en arrivant au ministère le soir même », excluant ainsi toute référence à d'autres propos, la Cour d'appel n'avait pas le pouvoir de s'emparer de ces autres propos à titre de preuve, et elle a encore violé les textes précités, outre les articles 4 et 16 du même code et les droits de la défense ;
3° ALORS QUE la détermination du point de savoir si un diffamateur accusant notamment une personne d'agression sexuelle, était de bonne foi et disposait lors de la publication de ses propos, d'une base factuelle suffisante ne peut pas résulter même pour partie d'un témoignage anonyme, fût-il rapporté de manière indirecte par un autre témoin, un tel témoignage étant insusceptible d'une contestation précise ; en se fondant de façon manifestement importante sur le « contexte » résultant de propos tenus par des tiers dont un anonyme – à propos d'un comportement inacceptable de M. [M], pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante aux propos de Mme [L], la Cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits d'homme, l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et les droits de la défense ;
4° ALORS QU'est déloyal le procédé consistant à reprendre comme élément de preuve de la base factuelle d'un propos accusant un homme d'agression sexuelle sur une jeune fille les propos tenus à l'audience de première instance par le père de celle-ci, dont aucune des parties ne s'est prévalue à l'audience d'appel, que le tribunal dans son jugement infirmé n'avait pas retenu, lesquels propos ne se référaient qu'à un témoignage absolument anonyme en disant : « un professeur d'université qui n'a pas souhaité venir témoigner, mais que j'ai eu au téléphone (
) m'a expliqué ce qui s'était passé dans son bureau (de l'homme en question) alors qu'il était ministre de l'Intérieur, qu'il a abusé d'elle alors qu'elle avait été placée sous sa responsabilité par sa famille », sans faire état de ce que l'avocat de la défense a immédiatement protesté contre des « propos inacceptables » qu'il a demandé au président de « faire cesser », en retenant ainsi un témoignage absolument anonyme pour justifier une atteinte à l'honneur d'un homme, et sans inviter au minimum ce dernier et sa défense à s'en expliquer contradictoirement devant la Cour ; ainsi la Cour d'appel a violé les principes fondamentaux gouvernant une procédure équitable, les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, les articles 219 et 220 du code de procédure civile et les droits de la défense.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [S] [M] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses demandes fondées sur la diffamation publique commise à son encontre par Mme [B] [L],
1° ALORS QUE l'exception de bonne foi est exclue en l'absence de base factuelle suffisante ; que si l'exigence d'une base factuelle suffisante ne se confond pas avec la preuve de la vérité des faits, du moins exige-t-elle la preuve qu'ils sont vraisemblables ; que l'imputation de faits imaginaires est exclusive de toute base factuelle ; qu'en retenant qu' « il n'appartient pas à la cour de rechercher si les propos dénoncés par l'appelante sont réels ou imaginaires, mais uniquement si, compte tenu du contexte dans lequel ils ont été tenus, elle peut bénéficier de la bonne foi », la cour d'appel, qui nie ce qui constitue l'objet même d'une base factuelle, a méconnu son office et violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2° ALORS QUE en matière de diffamation, y compris dans le contexte d'un débat d'intérêt général, le diffamateur, même apparemment crédible, ne peut être dispensé de l'exigence d'une base factuelle suffisante, étayée par des éléments objectifs, en rapport avec les accusations portées et leur gravité, en l'espèce, selon les propos poursuivis, une agression sexuelle, survenue à l'opéra [Localité 3], durant un opéra de Wagner, dans des circonstances minutieusement décrites ; que si Mme [L] justifie que « les parties (ont) assisté le 25 mars 2010 à une représentation de l'Or du Rhin à l'Opéra [Localité 3] et (
) se trouvaient à proximité l'une de l'autre », l'arrêt relève que, contrairement à son récit, cet opéra ne comporte pas de « mort des Dieux », de « vocalises », que « l'appelante, qui met en avant son "amour pour l'art lyrique", ne se souvenait pas quel opéra de Wagner était représenté le soir des faits », « a insisté sur l'existence d'un entracte, pendant lequel son père serait arrivé et où elle aurait changé de place, alors que l'opéra l'Or du Rhin est toujours exécuté sans entracte »; que l'arrêt ajoute : « il n'est produit aucun témoignage direct des faits et aucune attestation émanant de personnes présentes lors de la représentation, alors que l'appelante avait écrit que tout le monde l'avait regardée et qu'elle avait, à la fin du spectacle, demandé à l'agent de sécurité de rechercher l'identité de l'homme qui était assis à ses côtés » ; qu'en évacuant ces erreurs factuelles et l'absence de témoignage direct au motif, insusceptible de combler la base factuelle manquante constatée, que « ces erreurs de fait, qu'elle a ensuite reconnues, ne sont pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos, dès lors qu'elle les exprime plus de sept ans et demi après les faits, cette durée faisant également obstacle à la recherche de témoins directs, tels que l'agent de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme;
3° ALORS QUE l'arrêt relève encore la production de 4 témoignages indirects de proches, qui n'étaient pas présents au moment des faits prétendus et ne font que rapporter les dires d'[B] [L] ; d'un rapport d'expertise psychiatrique amiable attestant de l'absence de pathologie mentale susceptible d'affecter ses propos établi 8 ans après les faits ; outre les déclarations d'un père convaincu que « c'est une enfant qui ne mentait jamais » ; qu'en jugeant que les pièces et le témoignage produit constituent une base factuelle suffisante, ce que ses constatations excluaient, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4° ALORS QUE les éléments produits au titre de la base factuelle doivent se rapporter aux accusations portées ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que « Mme [C] [Y], qui se présente comme faisant partie du cercle des amis proches de l'appelante, atteste du mal-être de son amie, à l'époque de son agression qu'elle avait gardée sous silence, de sa prise de poids et de son état de détresse, (pièce n° 6) » de sorte qu'il n'apparaît pas que son témoignage se rapporte précisément aux faits dénoncés dont elle ne savait rien ; que l'arrêt constate que l'attestation de Mme [V] [I] et les déclarations de M. [W] [L] relatant les dires d'un témoin anonyme ne se rapportent pas aux gestes dénoncés par Mme [L] ; qu'en se fondant néanmoins sur ces éléments pour retenir l'existence d'une base factuelle suffisante, la cour d'appel a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. | En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher, en application du § 2 de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.
Après avoir énoncé que, si les propos litigieux portaient atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée par eux, ils s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes, puis relevé que les parties avaient assisté, assises à côté l'une de l'autre, à la représentation d'un opéra dans une salle célèbre, qu'après la soirée, l'auteure des propos avait confié avoir subi une agression à plusieurs personnes de son entourage, que son compagnon et sa mère avaient contribué à la dissuader de déposer plainte et qu'une expertise psychiatrique amiable, effectuée plusieurs années après les faits dénoncés, ne faisait état d'aucune pathologie mentale qui aurait pu affecter sa crédibilité, enfin retenu souverainement que, si l'auteure des propos avait commis des erreurs de fait dans son récit quant à l'opéra représenté et à l'existence d'un entracte, ces erreurs, qu'elle avaient reconnues, n'étaient pas de nature à discréditer l'ensemble de ses propos dès lors qu'elle les exprimait plusieurs années après les faits et qu'une telle durée faisait également obstacle à la recherche de témoins directs, une cour d'appel en déduit à bon droit que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et que, compte tenu du contexte dans lequel ils avaient été tenus, le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à leur auteure |
7,752 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 429 FS-B
Pourvoi n° D 21-16.647
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ M. [T] [N], domicilié [Adresse 5],
2°/ M. [J] [N], domicilié [Adresse 4],
3°/ Mme [D] [N], domiciliée [Adresse 6],
4°/ M. [L] [N], domicilié [Adresse 2],
5°/ Mme [X] [E], domiciliée [Adresse 7],
6°/ Mme [Z] [E], épouse [U], domiciliée [Adresse 9],
7°/ Mme [K] [E], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° D 21-16.647 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [S] [A], épouse [M], domiciliée [Adresse 8],
2°/ à la société Allianz Global Corporate & Speciality SE,
3°/ à la société Allianz France, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Melkan, Prigent, Drusch, avocat de MM. [T], [J] et [L] [N] et de Mmes [D] [N], [X], [K] et [Z] [E], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [A], des sociétés Allianz Global Corporate & Speciality SE et Allianz France, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 21 janvier 2021), le 9 juin 2014, l'aéronef piloté par Mme [M] (la pilote), à bord duquel [W] [N] avait pris place à titre gratuit, s'est écrasé, provoquant la mort de la passagère.
2. Par jugement du 4 mai 2017, la pilote a été déclarée coupable d'homicide involontaire sur la personne de [W] [N].
3. Le 21 février 2018, le conjoint de [W] [N], M. [T] [N], leurs enfants, MM. [J] et [L] [N], et Mme [D] [N], ses soeurs, Mmes [X] et [Z] [E], ainsi que sa mère, Mme [K] [E] (les consorts [N]-[E]), ont assigné en indemnisation la pilote et la société Allianz France, qui ont opposé la prescription.
4. La société Allianz Global Corporate & Speciality est intervenue volontairement à l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Les consorts [N]-[E] font grief à l'arrêt de déclarer leurs demandes irrecevables comme prescrites, alors :
« 1°/ que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que pour dire prescrite l'action en responsabilité diligentée par les exposants contre Mme [M], la cour d'appel s'est bornée à relever que M. [N] ne s'était pas constitué partie civile devant la juridiction pénale, de sorte que le cours de la prescription biennale prévue par l'article L. 6422-5 du code des transports n'avait été ni interrompu ni suspendu ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si jusqu'à la date de l'audience pénale qui s'est tenue le 4 mai 2017, les consorts [N]-[E] n'avaient pas été dans l'impossibilité d'agir, pour avoir, de manière légitime et raisonnable, ignoré l'existence d'une faute commise par le pilote à l'origine de l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil, ensemble l'article L. 6422-5 du code des transports ;
2°/ qu'en déclarant prescrite l'action des consorts [N]-[E] au motif qu'ils auraient agi tardivement, cependant, d'une part, qu'en dépit de l'ouverture d'une action pénale contre le pilote pour homicide involontaire, les juridictions répressives n'étaient pas compétentes pour connaître de l'action civile des victimes, et, d'autre part, que la règle selon laquelle "le criminel tient le civil en l'état" et l'autorité de chose jugée attachée au jugement pénal pouvaient légitimement conduire les consorts [N]-[E] à attendre la décision pénale et la reconnaissance d'une faute pour agir à l'encontre du transporteur devant les juridictions civiles, la cour, qui a privé les consorts [N]-[E] du droit fondamental de voir leur cause entendue par le jeu de la prescription articulée à des règles spéciales de compétence des juridictions pénales et civiles, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1 de la convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 6421-4 du code des transports, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021, la responsabilité du transporteur aérien non titulaire d'une licence d'exploitation est régie par les stipulations de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dans les conditions définies par les articles L. 6422-2 à L. 6422-5 du même code, et, sauf stipulations conventionnelles contraires, sa responsabilité, lorsqu'il effectue un transport gratuit, n'est engagée que s'il est établi que le dommage a pour cause une faute qui lui est imputable.
7. Aux termes de l'article L. 6422-5, alinéa 1er, devenu l'article L. 6422-4, alinéa 1er, du code des transports, l'action en responsabilité contre le transporteur est intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l'arrivée à destination, du jour où l'aéronef aurait dû arriver ou de l'arrêt du transport.
8. C'est à bon droit et sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, dès lors que l'ignorance d'une faute imputable au pilote ne caractérise pas une impossibilité d'agir, ni avoir méconnu le droit de toute personne à un procès équitable, dès lors que les consorts [N]-[E] n'ont pas été privés du délai de deux ans précité pour agir, que la cour d'appel a retenu, en l'absence de constitution de partie civile des consorts [N]-[E], que le délai de prescription, qui avait commencé à courir le 9 juin 2014, n'avait pas été interrompu ni suspendu, de sorte que l'action engagée plus de deux ans après la survenance de l'accident était prescrite.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. [T], [J] et [L] [N] ainsi que Mmes [D] [N], [X], [K] et [Z] [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour MM. [T], [J] et [L] [N] et de Mmes [D] [N], [X], [K] et [Z] [E].
Les consorts [N]–[E] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes formées à l'encontre de Mme [M], pilote d'avion, et tendant à la réparation des préjudices subis du fait de l'accident ;
1) ALORS QUE la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que pour dire prescrite l'action en responsabilité diligentée par les exposants contre Mme [M], la cour d'appel s'est bornée à relever que M. [N] ne s'était pas constitué partie civile devant la juridiction pénale, de sorte que le cours de la prescription biennale prévue par l'article L. 6422-5 du code des transports n'avait été ni interrompu ni suspendu; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si jusqu'à la date de l'audience pénale qui s'est tenue le 4 mai 2017, les consorts [N]-[E] n'avaient pas été dans l'impossibilité d'agir, pour avoir, de manière légitime et raisonnable, ignoré l'existence d'une faute commise par le pilote à l'origine de l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil, ensemble l'article L. 6422-5 du code des transports ;
2) ALORS QU'en déclarant prescrite l'action des consorts [N]-[E] au motif qu'ils auraient agi tardivement, cependant, d'une part, qu'en dépit de l'ouverture d'une action pénale contre le pilote pour homicide involontaire, les juridictions répressives n'étaient pas compétentes pour connaitre de l'action civile des victimes, et, d'autre part, que la règle selon laquelle "le criminel tient le civil en l'état" et l'autorité de chose jugée attachée au jugement pénal pouvaient légitimement conduire les consorts [N]-[E] à attendre la décision pénale et la reconnaissance d'une faute pour agir à l'encontre du transporteur devant les juridictions civiles, la cour, qui a privé les consorts [N]-[E] du droit fondamental de voir leur cause entendue par le jeu de la prescription articulée à des règles spéciales de compétence des juridictions pénales et civiles, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1 de la convention européenne des droits de l'homme. | Selon l'article L. 6421-4 du code des transports, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021, la responsabilité du transporteur aérien non titulaire d'une licence d'exploitation est régie par les stipulations de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dans les conditions définies par les articles L. 6422-2 à L. 6422-5 du même code, et, sauf stipulations conventionnelles contraires, sa responsabilité, lorsqu'il effectue un transport gratuit, n'est engagée que s'il est établi que le dommage a pour cause une faute qui lui est imputable.
Aux termes de l'article L. 6422-5, alinéa 1, devenu l'article L. 6422-4, alinéa 1, du code des transports, l'action en responsabilité contre le transporteur est intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l'arrivée à destination, du jour où l'aéronef aurait dû arriver ou de l'arrêt du transport.
L'ignorance d'une faute imputable au pilote ne caractérise pas une impossibilité d'agir au sens de l'article 2234 du code civil |
7,753 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 430 FS-B
Pourvoi n° R 21-16.497
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [E] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 21-16.497 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Y] [J], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à la société Audiovisuel Business System Media (ABSM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L], de la SCP Lesourd, avocat de Mme [J], de la société Audiovisuel Business System Media, les plaidoiries de Me Waquet et Me Lesourd, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mars 2021), soutenant que le message suivant : « « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ». [E] [L] ex patron de Equidia #balancetonporc », publié le 13 octobre 2017 sur le compte Twitter de la société Audiovisuel Business System Media (la société ABSM), administré par Mme [J], journaliste indépendante, présentait un caractère diffamatoire à son égard, M. [L] a assigné Mme [J] et la société ABSM en réparation de son préjudice.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [L] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l'exception de bonne foi est subordonnée à l'existence d'une base factuelle suffisante ; cette base factuelle doit être appréciée au regard de l'intégralité des propos tenus par le diffamateur et dénoncés par le diffamé ; la cour d'appel considère que la base factuelle est suffisante en ce qui concerne « la teneur des propos attribués à [E] [L] » ; cependant il résulte de la procédure et de l'arrêt lui-même que le propos de Mme [J] tel qu'il a été tenu dans le tweet litigieux et tel qu'il est dénoncé ne se limite pas à la citation des propos tenus par M. [L], mais vise l'ensemble constitué par le rappel desdits propos avec la mention #balancetonporc ; et l'arrêt analyse lui-même ce propos dans son ensemble et au regard de son contexte comme la dénonciation de « harcèlement sexuel au sens général et commun, dans un cadre professionnel mais sans nécessité d'un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes » ; et encore que « [Y] [J] « balance » [E] [L] comme « porc » pour lui avoir tenu ces seuls propos reproduits dans le tweet incriminé (
) ce fait de harcèlement sexuel au sens commun est attentatoire à l'honneur ou à la considération » ; ainsi la base factuelle devait être appréciée non seulement pour les propos tenus par M. [E] [L] qui ne constituent qu'une partie des propos dénoncés mais pour les termes #balancetonporc, rapprochement signifiant que les mots de M. [L] auraient été tenus dans un contexte de « harcèlement » de nature à caractériser une attitude de « porc » méritant d'être « balancé » ; en scindant le propos en deux parties au moment de l'examen de sa base factuelle pour ne faire porter cet examen que sur la moitié du propos qui devait être examiné dans son ensemble, la cour d'appel a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que le propos dans sa globalité imputait à M. [L], selon la cour d'appel elle-même qui l'a justement replacé dans son contexte, de s'être comporté comme un harceleur et un porc, comportement qui ne résulte pas nécessairement du fait d'avoir tenu une seule fois des propos déplacés lors d'un cocktail arrosé, Mme [J] ayant voulu, selon la cour d'appel elle-même, par un tweet précédant le message litigieux, inviter le public à donner « les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1/ manqué de respect verbalement 2/ tenté des tripotages » dans le cadre de l'affaire [B] ; la tenue d'un propos déplacé ne fait pas nécessairement de son auteur un harceleur, un prédateur, termes qui impliquent, à travers le mot porc, un comportement général et répétitif dont la base factuelle suffisante devait être établie ; faute de l'avoir constaté la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés individuelles, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ qu'en s'abstenant totalement d'examiner les pièces produites sur ce sujet par M. [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;
4°/ que, contrairement à ce qu'énonce la cour d'appel, les termes « balance » et « porc », dont elle reconnaît le caractère « assez violent », ne sont pas « suffisamment prudents » dès lors qu'ils sont tenus par Mme [J] en tant que journaliste professionnelle, que l'objectif du compte twitter est de dénoncer nommément un homme dans le cadre d'un message nécessairement bref rédigé en quelques signes limités et donc exclusif de la moindre nuance, et qu'ont été dénoncés en l'espèce de simples et brefs propos grivois tenus une seule fois par une personne dont rien ne permet de dire qu'il serait coutumier du fait et aurait de manière générale un comportement tel que celui qu'induit nécessairement le terme de porc ; en retenant l'existence d'une prudence dans l'expression de la pensée, au motif erroné que la seule limite de la dénonciation serait qu'elle ne soit pas mensongère et au motif inopérant de l'existence parallèle d'un débat d'intérêt général sur la libération de la parole des femmes, la cour d'appel a encore violé les textes susvisés ;
5°/ que l'exactitude partielle du fait dénoncé par le propos diffamatoire n'est pas l'unique critère à prendre en compte dans la mise en balance entre le débat d'intérêt général autour de la libération de la parole des femmes, et la grave atteinte à la dignité d'une personne ; en l'espèce, cette exactitude partielle ne pouvait justifier la publication d'un bref dialogue vieux de cinq ans jointe à l'accusation d'être un porc impliquant un comportement général inadmissible à l'égard des femmes dans un tweet bref et sans nuance se situant volontairement dans un cadre général de dénonciation des comportements de harcèlement ou de prédateurs sexuels ; en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
3. Il résulte des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
4. En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher en application du paragraphe 2 du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression.
5. La cour d'appel a retenu que les propos litigieux contribuaient à un débat d'intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité.
6. Elle a relevé que les propos imputés à M. [L] avaient déjà été dénoncés par Mme [J] dans un message publié sur Facebook, que M. [L] avait admis dans divers médias les avoir tenus, que le message, reproduisant ces propos, visait uniquement à dénoncer un tel comportement sans contenir l'imputation d'un délit et que les termes « balance » et « porc » ne conduisaient pas à lui attribuer d'autres faits qui auraient pu être commis à l'égard de Mme [J] ou d'autres femmes.
7. Elle a estimé que, si ces deux termes étaient outranciers, ils étaient suffisamment prudents dès lors que les propos attribués à M. [L] étaient accompagnés du mot-dièse « #balancetonporc », ce qui permettait aux internautes de se faire leur idée personnelle sur le comportement de celui-ci et de débattre du sujet en toute connaissance de cause.
8. Ayant ainsi analysé le sens et la portée de l'ensemble du message incriminé et mis en balance les intérêts en présence, sans être tenue de se prononcer sur des pièces que ses constatations rendaient inopérantes, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et demeuraient mesurés, de sorte que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à Mme [J].
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux, signé par lui et Mme Tinchon, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [L].
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté M. [L] de toutes ses demandes à raison de la diffamation publique commise à son encontre par la publication sur un compte twitter des propos suivants : « « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ». [E] [L] ex-patron de Equidia # balancetonporc »,
1°) ALORS QUE l'exception de bonne foi est subordonnée à l'existence d'une base factuelle suffisante ; cette base factuelle doit être appréciée au regard de l'intégralité des propos tenus par le diffamateur et dénoncés par le diffamé ; la cour d'appel considère que la base factuelle est suffisante en ce qui concerne « la teneur des propos attribués à [E] [L] » ; cependant il résulte de la procédure et de l'arrêt lui-même que le propos de Mme [J] tel qu'il a été tenu dans le tweet litigieux et tel qu'il est dénoncé ne se limite pas à la citation des propos tenus par M. [L], mais vise l'ensemble constitué par le rappel desdits propos avec la mention #balancetonporc ; et l'arrêt analyse lui-même ce propos dans son ensemble et au regard de son contexte comme la dénonciation de « harcèlement sexuel au sens général et commun, dans un cadre professionnel mais sans nécessité d'un lien de subordination, à savoir tous les comportements à connotation sexuelle par paroles ou actes, non consentis et de nature à porter atteinte à la dignité des femmes » (arrêt p. 7 § 5) ; et encore que « [Y] [J] « balance » [E] [L] comme « porc » pour lui avoir tenu ces seuls propos reproduits dans le tweet incriminé (
) ce fait de harcèlement sexuel au sens commun est attentatoire à l'honneur ou à la considération » ; ainsi la base factuelle devait être appréciée non seulement pour les propos tenus par M. [E] [L] qui ne constituent qu'une partie des propos dénoncés mais pour les termes #balancetonporc, rapprochement signifiant que les mots de M. [L] auraient été tenus dans un contexte de « harcèlement » de nature à caractériser une attitude de « porc » méritant d'être « balancé » ; en scindant le propos en deux parties au moment de l'examen de sa base factuelle pour ne faire porter cet examen que sur la moitié du propos qui devait être examiné dans son ensemble, la cour d'appel a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°) ALORS QUE le propos dans sa globalité imputait à M. [L], selon la cour d'appel elle-même qui l'a justement replacé dans son contexte, de s'être comporté comme un harceleur et un porc, comportement qui ne résulte pas nécessairement du fait d'avoir tenu une seule fois des propos déplacés lors d'un cocktail arrosé, Mme [J] ayant voulu, selon la cour d'appel elle-même, par un tweet précédant le message litigieux, inviter le public à donner « les noms des prédateurs sexuels qui nous ont 1/ manqué de respect verbalement 2/ tenté des tripotages » dans le cadre de l'affaire [B] ; la tenue d'un propos déplacé ne fait pas nécessairement de son auteur un harceleur, un prédateur, termes qui impliquent, à travers le mot porc, un comportement général et répétitif dont la base factuelle suffisante devait être établie ; faute de l'avoir constaté la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés individuelles, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°) ALORS QU'en s'abstenant totalement d'examiner les pièces produites sur ce sujet par M. [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des mêmes textes ;
4°) ALORS QUE, contrairement à ce qu'énonce la cour d'appel, les termes « balance » et « porc », dont elle reconnait le caractère « assez violent », ne sont pas « suffisamment prudents » dès lors qu'ils sont tenus par Mme [J] en tant que journaliste professionnelle (arrêt p. 9 § 7), que l'objectif du compte twitter est de dénoncer nommément un homme dans le cadre d'un message nécessairement bref rédigé en quelques signes limités et donc exclusif de la moindre nuance, et qu'ont été dénoncés en l'espèce de simples et brefs propos grivois tenus une seule fois par une personne dont rien ne permet de dire qu'il serait coutumier du fait et aurait de manière générale un comportement tel que celui qu'induit nécessairement le terme de porc ; en retenant l'existence d'une prudence dans l'expression de la pensée, au motif erroné que la seule limite de la dénonciation serait qu'elle ne soit pas mensongère (arrêt p. 9 dernier § et p. 10 premier §) et au motif inopérant de l'existence parallèle d'un débat d'intérêt général sur la libération de la parole des femmes, la cour d'appel a encore violé les textes susvisés ;
5°) ALORS QUE l'exactitude partielle du fait dénoncé par le propos diffamatoire n'est pas l'unique critère à prendre en compte dans la mise en balance entre le débat d'intérêt général autour de la libération de la parole des femmes, et la grave atteinte à la dignité d'une personne ; en l'espèce, cette exactitude partielle ne pouvait justifier la publication d'un bref dialogue vieux de cinq ans jointe à l'accusation d'être un porc impliquant un comportement général inadmissible à l'égard des femmes dans un tweet bref et sans nuance se situant volontairement dans un cadre général de dénonciation des comportements de harcèlement ou de prédateurs sexuels ; en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. | En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'est exprimé dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher en application du § 2 de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment l'absence d'animosité personnelle et la prudence dans l'expression |
7,754 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 380 FS-B
Pourvoi n° V 21-15.420
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ M. [C] [O],
2°/ Mme [S] [N], épouse [O],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° V 21-15.420 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [W] [Y], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), société d'assurance à forme mutuelle, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Wallyn, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. et Mme [O], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Y] et de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Wallyn, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 février 2021), M. et Mme [O] (les maîtres de l'ouvrage) ont confié à M. [Y] (l'architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de l'aménagement d'une grange.
2. Les lots gros oeuvre, revêtements de sols et murs ont été confiés à la société Wallyn.
3. Dès le début des travaux, des désordres sont apparus sur les fondations des murs conservés et sur les nouvelles fondations.
4. Les maîtres de l'ouvrage ont saisi le conseil régional de l'ordre des architectes le 8 novembre 2010, puis ont assigné l'architecte devant le juge des référés le 13 décembre 2010 aux fins d'expertise. La réunion devant l'ordre des architectes a, alors, été annulée.
5. Après l'expertise, les maîtres de l'ouvrage ont assigné l'architecte, la MAF et la société Wallyn aux fins de réparation de leurs préjudices.
Examen des moyens Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
6. M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « que lorsque l'application de l'article L. 113-10 du code des assurances est stipulée dans un contrat d'assurance, elle est exclusive de l'application de l'article L. 113-9 dudit code ; qu'en l'espèce, l'article 8.2.1.2 des conditions générales de la police d'assurance stipulait au titre des « sanctions relatives à la non-fourniture des déclarations d'activité professionnelles » qu'à défaut de déclaration des activités, et après mise en demeure, « l'assuré peut mettre en recouvrement une cotisation forfaitaire qui s'élève à 150 % de la cotisation ajustée l'année précédente ou de la cotisation provisoire acquittée lors de la souscription » ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher si ce mécanisme, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, ne prévoyait pas une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code, quand bien même celle-ci était stipulée dans le contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel, devant laquelle M. et Mme [O] n'ont pas soutenu que le contrat, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, prévoyait une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code, n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.
8. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche
Énoncé du moyen
9. M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « qu'en présence d'une clause ayant pour effet de priver de garantie l'architecte qui, par erreur a déclaré que la valeur d'un chantier était de 0,00 euros, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile l'assureur qui délivre une attestation d'assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la MAF avait délivré à M. [Y] une attestation d'assurance dans le cadre du chantier des époux [O] ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher s'il n'en résultait pas qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité civile à l'égard des exposants, qui s'étaient fiés à cette déclaration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel, devant laquelle M. et Mme [O] n'ont pas soutenu que l'assureur avait engagé sa responsabilité délictuelle pour avoir délivré une attestation d'assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée, n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.
11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la société Wallyn et de les condamner à lui payer une certaine somme, alors « qu'il incombe à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux qu'il sait inefficaces ou de refuser de les exécuter s'il n'est pas suffisamment informé sur leur efficacité ; qu'en l'espèce, les époux [O] faisaient précisément valoir dans leurs conclusions que la société Wallyn aurait dû subordonner le démarrage du chantier à la remise d'une étude de sol, de nature à établir l'efficacité de la construction envisagée ; que la cour d'appel a considéré que la société Wallyn, au démarrage du chantier, n'aurait pas été informée par les exposants des études de sol réalisées en 2001 et 2004, et qu'il ne pouvait lui être reprochée de s'être abstenue de rechercher l'historique des risques à Bierne quant à la portance des sols ; qu'elle a considéré que c'est cette absence de remise d'une étude des sols qui était décisive dans l'apparition des désordres puisque cette étude « aurait permis à l'architecte et à l'entreprise d'adapter l'offre de travaux au regard des risques mis en lumière par les études » ; que la cour d'appel a pourtant écarté toute faute de la société Wallyn au seul prétexte « qu'il n'est pas démontré que celle-ci avait à sa charge une quelconque étude préalable aux travaux » ; qu'en statuant ainsi sans rechercher s'il n'incombait pas à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux quand il n'était manifestement pas suffisamment informé quant à leur efficacité potentielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
13. D'une part, la cour d'appel a souverainement retenu que les fautes d'exécution de la société Wallyn n'étaient pas établies et que leur lien de causalité avec les dommages n'était, en tout état de cause, pas démontré.
14. D'autre part, elle a souverainement retenu que, s'agissant de l'obligation de conseil, contrairement à la société Wallyn, les maîtres de l'ouvrage avaient une parfaite connaissance des risques liés à l'état du terrain et qu'ils avaient délibérément omis d'en avertir l'architecte et le constructeur en ne portant pas à leur connaissance les études de sols réalisées en 2001 et 2004.
15. Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la responsabilité de l'entrepreneur n'était pas engagée et a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Mais sur le moyen relevé d'office
16. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code :
17. Selon le premier de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
18. Le second dispose que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges.
19. Selon le troisième, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et applicable au litige, le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des débats.
20. Il est jugé au visa de ces textes que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu'il appartient au juge d'examiner d'office la régularité d'une telle clause (3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095, publié)
21. Pour accueillir la fin de non-recevoir opposée par l'architecte aux demandes des maîtres de l'ouvrage consommateurs, l'arrêt, qui constate que le contrat de maîtrise d'oeuvre comporte une clause selon laquelle « en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d'un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes », retient que le non-respect de cette clause est sanctionné par une fin de non-recevoir.
22. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui incombait d'examiner d'office le caractère éventuellement abusif d'une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
23. Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la MAF, alors « qu'en cas de déclaration inexacte du risque par l'assuré de bonne foi, découverte après la réalisation du sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ; que cette réduction proportionnelle doit s'apprécier au regard de l'ensemble des risques déclarés par l'architecte pendant la période d'assurance, et non chantier par chantier ; qu'en retenant à l'inverse qu' « une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie » et en appréciant ainsi la réduction proportionnelle d'indemnité au regard du seul chantier des époux [O], la cour d'appel a violé l'article L. 113-9 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
24. La MAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief est nouveau.
25. Cependant, le grief, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
26. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 113-9 du code des assurances :
27. Il résulte de ce texte qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.
28. Le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.
29. Pour rejeter les demandes formées par les maîtres de l'ouvrage contre la MAF, l'arrêt retient que l'article 5.2 des clauses générales du contrat d'assurance et l'article L. 113-9 du code précité rattachent expressément l'obligation de déclaration à chaque mission et réduisent l'indemnité en proportion des cotisations payées pour la mission inexactement déclarée, l'absence de déclaration équivalant à une absence de garantie.
30. Il retient, ensuite, qu'une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie.
31. En statuant ainsi, alors que la réduction proportionnelle de l'indemnité due au tiers lésé ne pouvait se calculer d'après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient dû être payées pour cette mission, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
32. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Wallyn, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes présentées par M. et Mme [O] contre M. [Y] et en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [O] contre la Mutuelle des architectes français, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [Y] et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [Y] et la Mutuelle des architectes français à payer à M. et Mme [O] la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. et Mme [O] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables leurs demandes présentées à l'encontre de M. [Y] ;
1/ ALORS QUE les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ; qu'en conséquence, la clause du contrat d'architecte, conclu avec un consommateur, qui stipule qu' « en cas de litige portant sur l'exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le Conseil Régional de l'Ordre des Architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire » doit être interprétée en ce sens que la mise en oeuvre de la procédure judiciaire n'est subordonnée qu'à la saisine du conseil régional de l'ordre, et non à ce qu'après cette saisine, le consommateur honore le rendez-vous que lui fixe le conseil régional de l'ordre et attende son avis ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « les consorts [O] ont saisi le conseil régional de l'ordre des architectes du litige le 8 novembre 2010 » (arrêt, p. 10, alinéa 3), mais, pour dire irrecevable leur action à l'encontre de M. [Y], a considéré que « la saisine obligatoire du conseil régional pour avis suppose que, notamment la partie ayant pris l'initiative de cette saisine, honore le rendez-vous fixé et attende que ledit avis soit rendu » (arrêt, p. 10, alinéa 7) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 133-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-96 du 2 février 1995, applicable en la cause, ensemble l'article 122 du code de procédure civile ;
2/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'en présence d'un contrat d'architecte stipulant qu' « en cas de litige portant sur l'exécution du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le Conseil Régional de l'Ordre des Architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire », seul le défaut de saisine du conseil régional de l'ordre, préalablement à la saisine du juge, est sanctionné d'une fin de non-recevoir ; que la mauvaise foi dans la mise en oeuvre de la procédure de conciliation de la partie ayant saisi le conseil régional de l'ordre des architectes avant toute procédure judiciaire, même à l'admettre, se résout en dommages et intérêts et ne donne pas lieu à fin de non-recevoir ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « les consorts [O] ont saisi le conseil régional de l'ordre des architectes du litige le 8 novembre 2010 » (arrêt, p. 10, alinéa 3) ; que pour dire irrecevable leur action à l'encontre de M. [Y], elle a toutefois considéré qu'à la suite de cette saisine, ils ont, par lettre du 10 décembre 2010, sollicité l'annulation du rendez-vous prévu par le conseil régional de l'ordre au motif qu'ils avaient saisi le juge des référés d'une demande d'expertise et n'avaient pas, par la suite, contacté le conseil de l'ordre aux fins qu'il organise une nouvelle réunion ; qu'en statuant ainsi quand, à supposer même que les époux [O] aient ainsi agi de mauvaise foi, ce comportement ne pouvait être sanctionné par une fin de non-recevoir mais simplement par l'allocation de dommages et intérêts, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile ;
3/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE la clause instituant, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat d'architecte, un recours préalable à l'avis du conseil régional de l'ordre des architectes, n'est pas applicable à l'action en référé expertise mise en oeuvre sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile dans le but de réunir des preuves ; qu'en se fondant pourtant, pour dire irrecevable l'action des époux [O] à l'encontre de M. [Y], sur la circonstance qu'avant que le conseil régional de l'ordre ait réceptionné leur courrier aux fins d'annulation de la réunion, ils avaient, le 3 décembre 2010, saisi le tribunal de grande instance de Dunkerque, quand cette saisine n'avait pour objet que de faire désigner, en référé, un expert, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Les époux [O] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande tendant à ce que la MAF soit condamnée, in solidum, avec M. [Y] et la société Wallyn, à leur payer la somme de 166 063,30 € outre la TVA au taux en vigueur au jour du paiement au titre des travaux de réfection, cette somme devant être au surplus indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 27 septembre 2011, date du devis de la société Ramery et le parfait paiement, la somme mensuelle de 1 650 € à compter du mois d'avril 2011 au titre de la perte des loyers, outre indexation sur l'évolution de l'indice IRL, soit la somme de 189 132,40 € outre la somme mensuelle de 1 829,65 € à compter d'avril 2020 jusqu'à parfait paiement, la somme de 11 542,85 € correspondant au surcoût des devis initiaux, cette somme devant être en outre indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le mois de décembre 2012 et le parfait paiement, et la somme de 20.414,13 € correspondant au coût des équipements achetés en pure perte ;
1/ ALORS QUE lorsque l'application de l'article L. 113-10 du code des assurances est stipulée dans un contrat d'assurance, elle est exclusive de l'application de l'article L. 113-9 dudit code ; qu'en l'espèce, l'article 8.2.1.2 des conditions générales de la police d'assurance stipulait au titre des « sanctions relatives à la non-fourniture des déclarations d'activité professionnelles » qu'à défaut de déclaration des activités, et après mise en demeure, « l'assuré peut mettre en recouvrement une cotisation forfaitaire qui s'élève à 150 % de la cotisation ajustée l'année précédente ou de la cotisation provisoire acquittée lors de la souscription » ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher si ce mécanisme, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, ne prévoyait pas une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code, quand bien même celle-ci était stipulée dans le contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2/ ALORS QU'en l'espèce, l'article 5.22 des conditions générales de la police d'assurance stipulait que c'est dans le seul cas « d'absence de déclaration » que la réduction proportionnelle d'indemnité équivalait à une absence de garantie et que l'existence même de la déclaration était une condition de la garantie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté qu'une déclaration de chantier avait été faite par M. [Y], mais qu'elle était erronée : « selon la lettre de M. [Y] du 3 janvier 2013 à laquelle sont jointes la déclaration initiale de chantier de l'architecte pour l'exercice 2010 "localisation du chantier [Adresse 3] d'une grange suite à sinistre incendie" et la proposition de paiement du 12 mai 2010 adressée aux consorts [O] (pièce n°20 MAF), l'architecte reconnaît que, lors de sa déclaration, il a indiqué "0,00 euros HT" à chaque ligne des éléments financiers, pour le montant des travaux exécutés relatifs à ce chantier pour l'exercice et pour l'assiette de la cotisation MAF » (arrêt, p. 11, alinéa 6) ; qu'en retenant pourtant qu' « une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie » (arrêt, p. 12, alinéa 1er), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
3/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QU'en cas de déclaration inexacte du risque par l'assuré de bonne foi, découverte après la réalisation du sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ; que cette réduction proportionnelle doit s'apprécier au regard de l'ensemble des risques déclarés par l'architecte pendant la période d'assurance, et non chantier par chantier ; qu'en retenant à l'inverse qu' « une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie » (arrêt, p. 12, alinéa 1er) et en appréciant ainsi la réduction proportionnelle d'indemnité au regard du seul chantier des époux [O], la cour d'appel a violé l'article L. 113-9 du code des assurances ;
4/ ALORS ET PLUS SUBSIDIAIREMENT QU'en présence d'une clause ayant pour effet de priver de garantie l'architecte qui, par erreur a déclaré que la valeur d'un chantier était de 0,00 euros, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile l'assureur qui délivre une attestation d'assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la MAF avait délivré à M. [Y] une attestation d'assurance dans le cadre du chantier des époux [O] (jugement, p. 12, alinéa 6) ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher s'il n'en résultait pas qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité civile à l'égard des exposants, qui s'étaient fiés à cette déclaration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Les époux [O] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir débouté de leur demande tendant à ce que la société Wallyn soit condamnée, in solidum, avec M. [Y] et la MAF, à leur payer la somme de 166 063,30 € outre la TVA au taux en vigueur au jour du paiement au titre des travaux de réfection, cette somme devant être au surplus indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le 27 septembre 2011, date du devis de la société Ramery et le parfait paiement, la somme mensuelle de 1 650 € à compter du mois d'avril 2011 au titre de la perte des loyers, outre indexation sur l'évolution de l'indice IRL, soit la somme de 189 132,40 € outre la somme mensuelle de 1 829,65 € à compter d'avril 2020 jusqu'à parfait paiement, la somme de 11 542,85 € correspondant au surcoût des devis initiaux, cette somme devant être en outre indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT01 entre le mois de décembre 2012 et le parfait paiement, et la somme de 20.414,13 € correspondant au coût des équipements achetés en pure perte, et de les avoir condamnés à payer à la SARL Wallyn une somme de 1 121,33 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2018 ;
ALORS QU'il incombe à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux qu'il sait inefficaces ou de refuser de les exécuter s'il n'est pas suffisamment informé sur leur efficacité ; qu'en l'espèce, les époux [O] faisaient précisément valoir dans leurs conclusions que la société Wallyn aurait dû subordonner le démarrage du chantier à la remise d'une étude de sol, de nature à établir l'efficacité de la construction envisagée (conclusions, p. 19 et 20) ; que la cour d'appel a considéré que la société Wallyn, au démarrage du chantier, n'aurait pas été informée par les exposants des études de sol réalisées en 2001 et 2004, et qu'il ne pouvait lui être reprochée de s'être abstenue de rechercher l'historique des risques à Bierne quant à la portance des sols (arrêt, p. 14) ; qu'elle a considéré que c'est cette absence de remise d'une étude des sols qui était décisive dans l'apparition des désordres puisque cette étude « aurait permis à l'architecte et à l'entreprise d'adapter l'offre de travaux au regard des risques mis en lumière par les études » (arrêt, p. 14, dernier alinéa) ; que la cour d'appel a pourtant écarté toute faute de la société Wallyn au seul prétexte « qu'il n'est pas démontré que celle-ci avait à sa charge une quelconque étude préalable aux travaux » (arrêt, p. 15, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi sans rechercher s'il n'incombait pas à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux quand il n'était manifestement pas suffisamment informé quant à leur efficacité potentielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. | Une cour d'appel n'est pas tenue de rechercher d'office si le contrat d'assurance, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, prévoit une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui exclurait que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code |
7,755 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 381 FS-B
Pourvoi n° A 21-16.023
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
Mme [X] [Y], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 21-16.023 contre l'arrêt rendu le 23 février 2021 par la cour d'appel d'Orléans (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Architecture Milieu Territoire 45, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Neodomus,
2°/ à la société Mutuelle des architectes français, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Thélem assurances, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme [Y], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat des sociétés Architecture Milieu Territoire 45 et Mutuelle des Architectes Français, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Thélem assurances, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [Y] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société d'assurance mutuelle à cotisations variables Thélem assurances.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 23 février 2021) et les productions, le 25 juin 2011, Mme [Y] a confié à la société Neodomus, architecte, aux droits de laquelle vient la société Architecture milieu territoire 45, assurée par la Mutuelle des architectes français (la MAF), une mission de maîtrise d'oeuvre en vue de la rénovation de sa maison d'habitation.
3. Le cahier des clauses générales du contrat d'architecte contenait, en son article G 10, la clause suivante : « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. Cette saisine intervient sur l'initiative de la partie la plus diligente ».
4. La réception est intervenue les 21 mars et 4 avril 2012, avec réserves.
5. Des désordres étant survenus, Mme [Y] a, après expertise judiciaire, assigné l'architecte et son assureur en indemnisation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [Y] fait grief à l'arrêt d'accueillir la fin de non-recevoir opposée à ses demandes par la société Architecture milieu territoire 45 et la MAF, alors « que la clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil ; qu'ayant constaté que Mme [Y] avait assigné la société Neodomus, la société Mutuelle des architectes de France et la société Thélem assurances sur le fondement des articles 1792 et 1147 du code civil et ayant, en outre, relevé que les désordres affectant les douches entraient dans le champ d'application de l'article 1792 du code civil pour être survenus postérieurement à la réception des travaux, la cour d'appel qui a fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la société Mutuelle des architectes de France et tirée de l'absence de saisine préalable de l'ordre régional des architectes dont relève la société Neodomus, sans rechercher si la responsabilité de la société Neodomus n'était pas invoquée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 du code civil, L. 124-3 du code des assurances et l'article 12 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1792 du code civil :
7. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
8. Selon le second, tout constructeur est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
9. Il résulte de ces dispositions que la clause de saisine de l'ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil et n'a donc pas vocation à s'appliquer dès lors que la responsabilité de l'architecte est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du même code.
10. Pour déclarer irrecevable l'action engagée par Mme [Y] contre l'architecte et la MAF, l'arrêt retient que la clause de l'article G 10 du cahier des clauses générales est licite, claire et précise, qu'elle institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge et que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de cette clause constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel, de sorte que l'action en responsabilité formée par Mme [Y], qui ne conteste pas ne pas avoir saisi le conseil régional de l'ordres des architectes, est irrecevable.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Mme [Y] demandait réparation de désordres sur le fondement, notamment, de l'article 1792 du code civil, ce dont il résultait que la clause n'était pas applicable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il accueille la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la Mutuelle des architectes français fondée sur l'absence de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes dont relève la société Neodomus, dit que l'action en responsabilité engagée par Mme [Y] à l'encontre de la société Neodomus et de la Mutuelle des architectes français par assignation en date des 2 et 3 décembre 2015 devant le tribunal de grande instance d'Orléans est irrecevable, rejette la demande de dommages-intérêts formée par Mme [Y] au titre de la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la Mutuelle des architectes français et condamne Mme [Y] aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 23 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Architecture milieu territoire 45 et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Architecture milieu territoire 45 et la Mutuelle des architectes français et les condamne à payer à Mme [Y] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour Mme [Y]
Mme [X] [Y] reproche à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué
d'AVOIR fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus (devenue aujourd'hui la société Architecture Milieu Territoire 45) et la société Mutuelle des architectes de France fondée sur l'absence de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes dont relève la société Neodomus et d'AVOIR dit irrecevable l'action en responsabilité engagée par Mme [Y] à l'encontre de la société Neodomus et de la société Mutuelle des architectes de France par assignation en date des 2 et 3 décembre 2015 devant le tribunal de grande instance d'Orléans
ALORS QUE la clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil ; qu'ayant constaté que Mme [Y] avait assigné la société Neodomus, la société Mutuelle des architectes de France et la société Thelem assurances sur le fondement des articles 1792 et 1147 du code civil et ayant, en outre, relevé que les désordres affectant les douches entraient dans le champ d'application de l'article 1792 du code civil pour être survenus postérieurement à la réception des travaux, la cour d'appel qui a fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la société Mutuelle des architectes de France et tirée de l'absence de saisine préalable de l'ordre régional des architectes dont relève la société Neodomus, sans rechercher si la responsabilité de la société Neodomus n'était pas invoquée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 du code civil, L 124-3 du code des assurances et l'article 12 du code de procédure civile. | La clause de saisine de l'ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et n'a donc pas vocation à s'appliquer dès lors que la responsabilité de l'architecte est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du même code |
7,756 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 384 FS-B
Pourvoi n° D 21-16.348
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La société Galloo littoral, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 21-16.348 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant à la société Brunelot, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Galloo littoral, de la SCP Gaschignard, avocat de la société Brunelot, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 janvier 2021), la société civile immobilière Brunelot (la SCI Brunelot) est propriétaire d'un immeuble dont la zone nord était le terrain d'emprise d'une activité de récupération et de traitement de déchets ferreux et de métaux relevant des installations classées pour la protection de l'environnement, les activités connexes de stockage de véhicules et de bennes, de dépôt de gaz et de station de traitement des eaux usées s'exerçant sur la zone sud.
2. La société Galloo littoral, qui exploitait l'ensemble de ces activités au titre d'un bail commercial, a donné congé à la SCI Brunelot le 12 décembre 2012, avec effet au 30 juin 2013, et a avisé son bailleur du dépôt en préfecture d'un dossier de cessation d'activité conformément aux articles R. 512-39-1 et suivants du code de l'environnement.
3. La direction régionale et interdépartementale de l'environnement (la DREAL) ayant conclu à la nécessité de réaliser des travaux pour permettre la réutilisation du site pour un usage industriel, la SCI Brunelot, après désignation d'un expert judiciaire, a assigné la société Galloo littoral en paiement des travaux de nettoyage et de remise en état du site, en indemnisation de ses divers préjudices et en paiement d'une indemnité d'occupation.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Galloo littoral fait grief à l'arrêt de la condamner au remboursement des travaux de nettoyage et de remise en état du site, alors :
« 1°/ que l'autorité de la chose jugée suppose que la chose demandée soit la même et que les demandes fondées sur les mêmes causes ; qu'en écartant le moyen pris de ce que la SCI Brunelot avait manifesté, durant les opérations d'expertise, son intention de reprendre l'exploitation du site au motif que par arrêt du 24 janvier 2019, la cour d'appel de Douai avait débouté la société Galloo littoral de sa demande tendant au remboursement du coût des travaux de construction des clôtures et de celle visant à disposer librement des constructions, quand les demandes dont elle était saisie n'étaient pas identiques à celles formées lors de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 24 janvier 2019, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en se bornant à mettre en avant l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 janvier 2019, quand celui-ci n'avait pas tranché dans son dispositif le point de savoir si la SCI Brunelot avait manifesté, au cours des opérations d'expertise, l'intention de reprendre l'exploitation du site, la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile ;
3°/ que le dernier exploitant est tenu d'une obligation de remise en l'état lors de la mise à l'arrêt définitive d'une installation classée pour la protection de l'environnement ; que tel n'est pas le cas lorsqu'à la fin du bail, le bailleur manifeste l'intention de reprendre l'exploitation par lui-même ou par l'intermédiaire d'un repreneur ; qu'en retenant que la SCI Brunelot, en sa qualité de bailleur, n'avait pas manifesté l'intention de reprendre l'exploitation du site, sans rechercher, comme l'y invitait la société Galloo littoral, si cette intention ne résultait pas du fait que la SCI Brunelot avait, lors de ses rencontres avec la Préfecture de Calais et des services de la DREAL, évoqué le maintien de l'affectation du site à un usage industriel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement ;
4°/ que le dernier exploitant est tenu d'une obligation de remise en l'état lors de la mise à l'arrêt définitive d'une installation classée pour la protection de l'environnement ; que tel n'est pas le cas lorsqu'à la fin du bail, le bailleur manifeste l'intention de reprendre l'exploitation par lui-même ou par l'intermédiaire d'un repreneur ; qu'en retenant que le fait que la société Vessiere exploite désormais le site n'était pas de nature à confirmer l'intention initiale du bailleur de reprendre l'exploitation du site dans la mesure où l'activité exercée par celle-ci l'était sous le régime de la déclaration quand l'activité alors exercée par la société Galloo littoral l'était sous le régime de l'autorisation, sans rechercher comme l'y invitait expressément la société Galloo littoral, si cette différence n'était pas exclusivement justifiée par la superficie de l'exploitation déclarée par la société Vessiere et non par le fait que les activités successivement exploitées étaient différentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles L. 512-6-1 et R. 512-39-1 et suivants du code de l'environnement, dans leur rédaction applicable à l'espèce, que, lorsqu'une installation classée pour la protection de l'environnement est mise à l'arrêt définitif, la mise en sécurité et la remise en état du site incombent au dernier exploitant, les mesures nécessaires devant être prises ou prévues dès l'arrêt de l'exploitation.
7. La cour d'appel a relevé que la société Galloo littoral avait, le 29 mars 2013, déposé en préfecture, sur le fondement des articles R. 512-39-1 et R. 512-39-2 du code de l'environnement, un dossier de cessation définitive d'activité pour l'ensemble des activités exercées sur le site, et en avait informé la SCI Brunelot.
8. Elle a constaté qu'après instruction par la DREAL, l'autorité administrative avait exigé que la société Galloo littoral, au titre de ses obligations environnementales, remette le site en état pour un usage futur comparable à celui de la dernière période d'exploitation et qu'un arrêté de mise en demeure lui avait été adressé le 26 avril 2017.
9. L'intention du propriétaire de reprendre l'exercice de son activité industrielle étant sans incidence sur l'obligation légale particulière de mise en sécurité et remise en état du site pesant sur le dernier exploitant dans l'intérêt général de protection de la santé ou de la sécurité publique et de l'environnement, la cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs que l'obligation de remettre le site en état s'imposait au locataire exploitant ayant mis l'installation à l'arrêt définitif.
10. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Galloo Littoral fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une indemnité d'occupation, alors :
« 1°/ que la réparation du dommage, qui doit être intégrale, ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'ainsi le paiement d'une indemnité d'occupation, calculée sur la valeur locative du bien, suppose qu'à raison de la méconnaissance de ses obligations par le preneur, le bailleur se trouve dans l'impossibilité d'exploiter son bien ; que tel n'est pas le cas lorsque l'inexécution des travaux de remise en état ne s'oppose pas, compte tenu de leur ampleur limitée, à l'exploitation du bien par le bailleur, et notamment à sa relocation ; qu'en retenant que la SCI Brunelot était fondée à solliciter une indemnité d'occupation jusqu'à l'achèvement des travaux de remise en état « et ce quelle que soit l'ampleur des travaux à réaliser », quand elle devait au contraire rechercher si la non réalisation des travaux s'opposait, à raison de leur ampleur, à l'exploitation du site par la SCI Brunelot, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil ;
2°/ que la réparation du dommage, qui doit être intégrale, ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait la société Galloo littoral, si au regard des circonstances de l'espèce, et notamment de l'ampleur des travaux à réaliser et du fait que la SCI Brunelot n'était pas dans l'impossibilité d'exploiter son bien, notamment en procédant à sa relocation, la condamnation de la société Galloo littoral à verser, pendant une période de plus de trois ans, une indemnité d'occupation calculée sur la valeur locative de l'ensemble du site n'était pas disproportionnée au regard du préjudice subi par la SCI Brunelot, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil, ensemble au regard du principe de proportionnalité. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a retenu que l'exercice d'une activité comparable sur le site à l'issue du bail avait été envisagé par l'expert judiciaire avant les prescriptions ultérieures de travaux complémentaires résultant d'un arrêté préfectoral du 29 juin 2016, après nouvelle inspection de la DREAL, et que cette reprise aurait été subordonnée à un accord avec le nouvel exploitant, inopposable au bailleur, pour que l'enlèvement des déchets se fasse pendant les études et procédures de relocation de droit commun et l'instruction des procédures administratives nécessaires.
13. Elle a relevé qu'un arrêté préfectoral de mise en demeure du 26 avril 2017 avait imposé à la société Galloo littoral la mise en sécurité des regards, le traitement de la cuve de gasoil, la réparation de la dalle béton en zone nord et en zone sud, au niveau des affaissements, pour prévenir l'infiltration des eaux pluviales dans le sol, la réfection des réseaux d'eaux pluviales de parking et des eaux pluviales des anciennes zones d'exploitation, la sécurisation des réseaux de gestion des eaux et des cuves enterrées par la mise en place de plaques métalliques au niveau des regards, ainsi que la mise en place d'une surveillance des eaux souterraines par la pose de piézomètres.
14. Elle a pu en déduire, ayant procédé à la recherche prétendument omise sur l'ampleur des travaux et sans être tenue de procéder à une recherche sur le caractère disproportionné ou non de l'indemnité d'occupation qui n'était pas demandée, que le locataire, n'ayant pas, au jour de son départ, effectué les mesures de mise en sécurité et de remise en état qui lui incombaient au titre de la législation sur les installations classées, était redevable d'une indemnité d'occupation jusqu'à la date du procès-verbal de récolement établi par l'administration en application de l'article R. 512-39-3, III, du code de l'environnement.
15. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Galloo littoral aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Galloo littoral et la condamne à payer à la société civile immobilière Brunelot la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Galloo littoral
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société GALLOO LITTORAL fait grief l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à la SCI BRUNELOT la somme de 174 574,50 euros HT en remboursement des travaux de nettoyage et de remise en état du site [Adresse 2], avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 3 juillet 2018 sur la somme de 148 500 euros et du présent arrêt pour le surplus ;
1°/ ALORS QUE l'autorité de la chose jugée suppose que la chose demandée soit la même et que les demandes fondées sur les mêmes causes ; qu'en écartant le moyen pris de ce que la SCI BRUNELOT avait manifesté, durant les opérations d'expertise, son intention de reprendre l'exploitation du site au motif que par arrêt du 24 janvier 2019, la cour d'appel de DOUAI avait débouté la société GALLOO LITTORAL de sa demande tendant au remboursement du coût des travaux de construction des clôtures et de celle visant à disposer librement des constructions, quand les demandes dont elle était saisie n'étaient pas identiques à celles formées lors de l'instance ayant abouti à l'arrêt du 24 janvier 2019, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil ;
2°/ ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en se bornant à mettre en avant l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI du 24 janvier 2019, quand celui-ci n'avait pas tranché dans son dispositif le point de savoir si la SCI BRUNELOT avait manifesté, au cours des opérations d'expertise, l'intention de reprendre l'exploitation du site, la cour d'appel a violé l'article 480 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE le dernier exploitant est tenu d'une obligation de remise en l'état lors de la mise à l'arrêt définitive d'une installation classée pour la protection de l'environnement ; que tel n'est pas le cas lorsqu'à la fin du bail, le bailleur manifeste l'intention de reprendre l'exploitation par lui-même ou par l'intermédiaire d'un repreneur ; qu'en retenant que la SCI BRUNELOT, en sa qualité de bailleur, n'avait pas manifesté l'intention de reprendre l'exploitation du site, sans rechercher, comme l'y invitait la société GALLOO LITTORAL (conclusions d'appel, p 43), si cette intention ne résultait pas du fait que la SCI BRUNELOT avait, lors de ses rencontres avec la Préfecture de Calais et des services de la DREAL, évoqué le maintien de l'affectation du site à un usage industriel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement ;
4°/ ALORS QUE le dernier exploitant est tenu d'une obligation de remise en l'état lors de la mise à l'arrêt définitive d'une installation classée pour la protection de l'environnement ; que tel n'est pas le cas lorsqu'à la fin du bail, le bailleur manifeste l'intention de reprendre l'exploitation par lui-même ou par l'intermédiaire d'un repreneur ; qu'en retenant que le fait que la société VESSIERE exploite désormais le site n'était pas de nature à confirmer l'intention initiale du bailleur de reprendre l'exploitation du site dans la mesure où l'activité exercée par celle-ci l'était sous le régime de la déclaration quand l'activité alors exercée par la société GALLOO LITTORAL l'était sous le régime de l'autorisation, sans rechercher comme l'y invitait expressément la société GALLOO LITTORAL (conclusions d'appel, p. 53), si cette différence n'était pas exclusivement justifiée par la superficie de l'exploitation déclarée par la société VESSIERE et non par le fait que les activités successivement exploitées étaient différentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
La société GALLOO LITTORAL fait grief l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à la SCI BRUNELOT la somme de 174 574,50 euros HT en remboursement des travaux de nettoyage et de remise en état du site [Adresse 2], avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 3 juillet 2018 sur la somme de 148 500 euros et du présent arrêt pour le surplus ;
1°/ ALORS QUE, dans ses conclusions d'appel, la société GALLOO LITTORAL a soutenu que l'expert avait surestimé l'étendue des travaux nécessaires à remettre le site en l'état conformément à l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement ; que pour l'établir, elle avait mis en avant le fait que les travaux effectivement réalisés par la SCI BRUNELOT l'avaient été sur une période de temps substantiellement plus courte que celle qui avait été retenue par l'expert (conclusions d'appel, p. 61 et p. 65 et s.) ; qu'en condamnant la société GALLOO LITTORAL à rembourser l'ensemble des travaux retenus par l'expert sans s'expliquer sur ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE, la société GALLOO LITTORAL avait également démontré que certains travaux préconisés par l'expert et réalisés par la SCI BRUNELOT ne relevaient pas des travaux de remise en état prévus par l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement ; qu'à ce titre, elle a souligné que l'élimination des eaux présentes au sein des trois cuves était injustifiée dans la mesure où les eaux concernées, qui étaient clarifiées avant d'être stockées, ne constituaient pas des déchets (conclusions d'appel, p. 64) ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce moyen de nature à établir que la somme demandée par la SCI BRUNELOT, au titre des travaux de remise en état, était excessive, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société GALLOO LITTORAL fait grief l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à la SCI BRUNELOT la somme de 368 296,27 euros HT au titre de l'indemnité d'occupation, et avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
1°/ ALORS QUE la réparation du dommage, qui doit être intégrale, ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'ainsi le paiement d'une indemnité d'occupation, calculée sur la valeur locative du bien, suppose qu'à raison de la méconnaissance de ses obligations par le preneur, le bailleur se trouve dans l'impossibilité d'exploiter son bien ; que tel n'est pas le cas lorsque l'inexécution des travaux de remise en état ne s'oppose pas, compte tenu de leur ampleur limitée, à l'exploitation du bien par le bailleur, et notamment à sa relocation ; qu'en retenant que la SCI BRUNELOT était fondée à solliciter une indemnité d'occupation jusqu'à l'achèvement des travaux de remise en état « et ce quelle que soit l'ampleur des travaux à réaliser », quand elle devait au contraire rechercher si la non réalisation des travaux s'opposait, à raison de leur ampleur, à l'exploitation du site par la SCI BRUNELOT, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil ;
2°/ ALORS QUE la réparation du dommage, qui doit être intégrale, ne saurait excéder le montant du préjudice ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'y invitait la société GALLOO LITTORAL, si au regard des circonstances de l'espèce, et notamment de l'ampleur des travaux à réaliser et du fait que la SCI BRUNELOT n'était pas dans l'impossibilité d'exploiter son bien, notamment en procédant à sa relocation, la condamnation de la société GALLOO LITTORAL à verser, pendant une période de plus de trois ans, une indemnité d'occupation calculée sur la valeur locative de l'ensemble du site n'était pas disproportionnée au regard du préjudice subi par la SCI BRUNELOT, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du code civil, ensemble au regard du principe de proportionnalité. | Lorsqu'une installation classée pour la protection de l'environnement est mise à l'arrêt définitif par le locataire qui l'exploitait, l'intention du propriétaire de reprendre l'exercice de l'activité industrielle est sans incidence sur l'obligation légale de mise en sécurité et de remise en état du site pesant sur ce locataire, en sa qualité de dernier exploitant |
7,757 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 385 FS-B
Pourvoi n° U 21-12.291
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ la société Les Compagnons paveurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de son liquidateur judiciaire la société Axyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Axyme (société d'exercice libéral à responsabilité limitée) dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée EMJ, agissant par M. [J] [V], mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons paveurs, société anonyme,
ont formé le pourvoi n° U 21-12.291 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant à la société Brest métropole aménagement (BMA), société anonyme d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Les Compagnons paveurs et de la société Axyme ès qualités, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Brest métropole aménagement, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Jacques, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 décembre 2020), la société d'aménagement d'économie mixte Brest métropole aménagement (la société BMA) a confié à la société Les Compagnons paveurs (la société LCP), désormais en liquidation judiciaire, un marché de travaux de fourniture de pose de pierres naturelles, selon un acte d'engagement prévoyant une durée de réalisation des travaux de quarante mois, dont vingt-trois mois pour la tranche ferme et onze et six mois pour deux tranches conditionnelles.
2. L'ordre de service du démarrage de travaux de la tranche ferme a été notifié le 24 octobre 2011.
3. Les travaux n'ont pas été réalisés.
4. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 novembre 2013, la société LCP a dénoncé la caducité du marché et adressé son décompte final au maître de l'ouvrage qui l'a refusé.
5. Par lettre du 29 novembre 2013, la société BMA a informé la société LCP de sa décision de résilier le marché pour un motif d'intérêt général et lui a notifié le montant de l'indemnité contractuelle due.
6. La société LCP a assigné la société BMA en paiement devant les juridictions administratives. Par décision du 25 octobre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que le litige ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative.
7. Soutenant que la résiliation notifiée par le maître de l'ouvrage était dépourvue de tout effet juridique, pour l'avoir été postérieurement à la date de caducité du marché de travaux, de sorte que la société BMA ne pouvait se prévaloir de la résiliation pour un motif d'intérêt général, la société LCP, représentée par la société Axyme, en sa qualité de liquidateur judiciaire, a assigné la société BMA en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société LCP et la société Axyme, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que le juge judiciaire ne peut donner effet aux clauses exorbitantes du droit que comporte un marché de travaux, étrangères par nature à celles consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; qu'en faisant application de l'article 46.4 du CCAG autorisant le maître d'ouvrage à résilier le marché « pour motif d'intérêt général », clause exorbitante du droit commun qu'elle devait écarter, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que suivant l'article 46.4 du CCAG (arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux), le marché peut être résilié « pour motif d'intérêt général » ; que, pour rejeter la contestation, par la société Les Compagnons paveurs, de l'existence d'un motif légitime de résiliation, la cour d'appel a énoncé que le maître d'ouvrage « justifie de la substitution d'un revêtement en béton aux pavés en pierre naturelle et de sa volonté de recherche d'économies » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser le motif d'intérêt général exigé par le CCAG, a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
10. La société LCP et son liquidateur judiciaire s'étant bornés, dans leurs conclusions d'appel, à contester la justification du motif de résiliation tiré de l'intérêt général, sans soutenir que la clause autorisant le maître de l'ouvrage à résilier le contrat à un tel motif serait exorbitante du droit commun ni demander qu'elle fût réputée non écrite, le grief de la première branche, contraire à leurs écritures, est irrecevable.
11. La cour d'appel, qui a constaté que la société BMA justifiait, au soutien de la résiliation pour un motif d'intérêt général, de la volonté de recherche d'économies qui l'avait conduite à substituer aux pavés de pierre naturelle, prévus dans le marché de la société LCP, un revêtement en béton a, appréciant souverainement cet intérêt, pu retenir que l'entreprise était mal fondée à contester l'existence d'un motif légitime et, faisant application de la clause contractuelle d'indemnisation prévue en un tel cas, rejeter les demandes.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Axyme, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons paveurs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Les Compagnons paveurs et la société Axyme ès qualités
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Les Compagnons paveurs et la société Axyme, en la personne de Me [J] [V], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons paveurs reprochent à l'arrêt attaqué, D'AVOIR débouté la société Les Compagnons paveurs représentée par son liquidateur, la société Axyme, de toutes ses demandes ;
1°) ALORS QUE l'expiration du délai d'exécution des travaux entraine la caducité du marché ; que, pour écarter le moyen soulevé par la société Les Compagnons paveurs, tiré de ce que le maître de l'ouvrage a prononcé la résiliation du marché après l'expiration de sa période de validité, une fois qu'il était devenu caduc, la cour d'appel a énoncé que les dispositions des articles 1186 et 1187 du code civil issues de l'ordonnance du 10 février 2016 et relatives à la caducité ne sont pas applicables au présent litige, le contrat étant antérieur à sa date d'entrée en vigueur ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'indépendamment des dispositions nouvelles introduites dans le code civil par l'ordonnance du 10 février 2016, un contrat peut, suivant le droit commun des obligations applicable avant l'entrée en vigueur, être frappé de caducité, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE, dans ses conclusions d'appel, la société Les Compagnons paveurs a fait valoir que le maître d'ouvrage ne pouvait valablement résilier le marché après l'expiration de sa période de validité de 23 mois ayant couru à compter de l'ordre de service du 24 octobre 2011 ; que si la société Les Compagnons paveurs a eu recours à la notion de caducité, c'était seulement pour qualifier l'expiration de la période d'exécution du marché, de 23 mois, ce pourquoi elle a précisé que la caducité du contrat est « simplement un constat » ; qu'en se contentant d'opposer à la société Les Compagnons paveurs que les articles 1186 et 1187 nouveaux du code civil, issues de l'ordonnance du 10 février 2016 ne s'appliquaient pas au marché conclu avant leur entrée en vigueur, sans se prononcer sur le prononcé de la résiliation du marché, après l'expiration de sa période d'exécution, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'aux termes de l'article 19.1.1. du cahier des clauses administratives générales (arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux), le délai d'exécution des travaux est celui imparti pour
la réalisation des travaux incombant au titulaire ; qu'aux termes de l'article 28. 2. 1. du CCAG, le programme d'exécution des travaux précise notamment le calendrier d'exécution des travaux précisant la date de démarrage des travaux et leur durée d'exécution ; que la cour d'appel a elle-même relevé que l'article 3 de l'acte d'engagement « porte sur la durée du marché : 40 mois toutes tranches confondues dont 23 mois pour la tranche ferme et deux tranches conditionnelles de 11 et 6 mois » et qu'il « y est précisé : "Un calendrier d'exécution sera mis au point par le maître d'oeuvre en accord avec les entreprises des différents lots avant le démarrage des travaux et deviendra contractuel pour chaque phase visée" » ; qu'elle a encore relevé que l'article 10-2 du CCAP « ajoute que le délai de préparation de deux mois est inclus dans la durée d'exécution et qu'au cours de cette période, le titulaire du marché présente au maître d'oeuvre un programme d'exécution des travaux à la suite de quoi ce dernier établit le calendrier d'exécution des travaux qui deviendra contractuel à compter de sa notification » ; qu'en énonçant cependant qu'« aux termes des documents contractuels, le point de départ du délai de 23 mois n'était donc pas l'ordre de service mais la notification du calendrier de travaux par le maître d'oeuvre », cependant que la durée d'exécution des travaux, déterminée par le programme d'exécution et le calendrier établis par le maître d'oeuvre, est sans incidence sur le délai d'exécution, à l'intérieur duquel il s'inscrit, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées du CCAG, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QU'aux termes de l'article 2, alinéa 6 du cahiers des clauses administratives générales, (arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux), l'ordre de service est « la décision du maître d'oeuvre qui précise les modalités d'exécution de tout ou partie des prestations qui constituent l'objet du marché » ; qu'une telle décision constitue un acte juridique unilatéral engageant son auteur ; qu'en énonçant que l'ordre de service au sens de l'article 2 du CCAG est un « acte unilatéral sans valeur contractuelle », la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans l'ordre de service n° 6 du 24 octobre 2011, le maître d'ouvrage demandait à la société Les Compagnons paveurs de « bien vouloir démarrer immédiatement les travaux se rapportant à la tranche ferme [du] marché » dont elle était attributaire ; qu'en énonçant cependant, après avoir relevé que, suivant l'article 10-2 du CCAP, « le délai de préparation de deux mois est inclus dans la durée d'exécution et qu'au cours de cette période, le titulaire du marché présente au maître d'oeuvre un programme d'exécution des travaux à la suite de quoi ce dernier établit le calendrier d'exécution des travaux qui deviendra contractuel à compter de sa notification », que « le point de départ du délai de 23 mois n'était donc pas l'ordre de service mais la notification du calendrier de travaux par le maître d'oeuvre », cependant que l'ordre de service susvisé notifiait à l'entrepreneur le démarrage des travaux de la tranche ferme, et faisait nécessairement, indépendamment des stipulations de l'article 10-2 du CCAP, courir le délai d'exécution de 23 mois, la cour d'appel, qui a dénaturé l'écrit constitué par l'ordre de service n° 6, a violé le principe susvisé.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Les Compagnons paveurs et la société Axyme, en la personne de Me [J] [V], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Les Compagnons paveurs reprochent à l'arrêt attaqué, D'AVOIR débouté la société Les Compagnons paveurs représentée par son liquidateur, la société Axyme, de toutes ses demandes ;
1°) ALORS QUE le juge judiciaire ne peut donner effet aux clauses exorbitantes du droit que comporte un marché de travaux, étrangères par nature à celles consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; qu'en faisant application de l'article 46.4 du CCAG autorisant le maître d'ouvrage à résilier le marché « pour motif d'intérêt général », clause exorbitante du droit commun qu'elle devait écarter, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE, suivant l'article 46.4 du CCAG (arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux), le marché peut être résilié « pour motif d'intérêt général » ; que, pour rejeter la contestation, par la société Les Compagnons paveurs, de l'existence d'un motif légitime de résiliation, la cour d'appel a énoncé que le maître d'ouvrage « justifie de la substitution d'un revêtement en béton aux pavés en pierre naturelle et de sa volonté de recherche d'économies » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser le motif d'intérêt général exigé par le CCAG, a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Une cour d'appel, qui constate qu'une société d'aménagement d'économie mixte, maître de l'ouvrage, justifie, au soutien de la résiliation du marché de travaux pour un motif d'intérêt général, de la volonté de recherche d'économies, peut retenir, appréciant souverainement cet intérêt, que la contestation de l'existence d'un motif légitime n'est pas fondée |
7,758 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 386 FS-B
Pourvoi n° Z 21-15.217
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La SMABTP, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Z 21-15.217 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Dematteo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ à M. [H] [R],
3°/ à Mme [V] [P], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
4°/ à M. [W] [X], domicilié [Adresse 1],
5°/ à la société Despres, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de liquidateur de la société Philarchi,
6°/ à la Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
M. et Mme [R] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [X], de la société Despres et de la Mutuelle des architectes français, de la SCP Duhamel-Rameix- Gury-Maitre, avocat de M. et Mme [R], après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Jacques, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 janvier 2021), M. et Mme [R], qui ont souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), ont confié à M. [X], dont l'activité a été reprise par la société Philarchi, désormais en liquidation judiciaire, tous deux assurés auprès de la MAF, une mission de maîtrise d'oeuvre complète portant sur la réhabilitation d'une construction existante en vue d'y aménager deux logements.
2. Le lot gros oeuvre ravalement a été confié à la société Dematteo, assurée auprès de la SMABTP.
3. Les travaux ont été réceptionnés par lots, certains avec réserves.
4. Se plaignant de désordres, M. et Mme [R] ont, après expertise, assigné en réparation les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La SMABTP fait grief à l'arrêt de condamner la société Dematteo à garantir la MAF, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, à hauteur de la moitié de la condamnation prononcée contre celle-ci, in solidum avec M. [X], au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend, à hauteur d'une certaine somme, alors :
« 1°/ que le subrogé ne peut avoir plus de droits que le créancier originaire, de sorte que le premier ne recueille que les droits dont le second était titulaire au moment de la subrogation ; que le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire ; que la présomption de responsabilité des constructeurs prévue à l'article 1792 du code civil n'a vocation à jouer qu'en présence de désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination et qui revêtent un caractère caché lors de la réception ; que, pour accueillir le recours de la MAF en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage à l'encontre de la société Dematteo, la cour a relevé que « le désordre étant de nature décennale ainsi qu'il a été vu au 3.1, la MAF subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage bénéfice de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil » ; qu'en statuant de la sorte, quand les désordres, qui certes portaient atteinte à la solidité de l'ouvrage et le rendaient impropre à sa destination, n'étaient pas de nature décennale, faute d'avoir été cachés lors de la réception, de sorte que les maîtres de l'ouvrage, M. et Mme [R] n'avaient pu bénéficier de la présomption de responsabilité à l'encontre des constructeurs, ce qui empêchait par conséquent l'assureur dommages-ouvrage subrogé dans leurs droits d'en bénéficier, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 121-12 du code des assurances, 1251 3° et 1252 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, devenus les articles 1346, 1346-3 à 1346-5 et celles de l'article 1792 du code civil ;
2°/ que le subrogé ne peut avoir plus de droits que le créancier originaire, de sorte que le premier ne recueille que les droits dont le second était titulaire au moment de la subrogation ; que le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire ; que la présomption de responsabilité des constructeurs n'a vocation à jouer qu'en présence de désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination et qui revêtent un caractère caché lors de la réception ; qu'en l'espèce, la cour d'appel avait elle-même relevé, à deux reprises, que le désordre tenant au déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques de refend avait été purgé en ce qu'il était apparent lors de la réception et qu'il n'avait fait l'objet d'aucune réserve ; qu'en accueillant toutefois le recours de la MAF à l'encontre de la société Dematteo au motif que « le désordre étant de nature décennale ainsi qu'il a été vu au 3.1, la MAF subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage bénéfice de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil », la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions des articles L. 121-12 du code des assurances, 1251 3° et 1252 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, devenus les articles 1346, 1346-3 à 1346-5 et celles de l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 121-12 du code des assurances et les articles 1251, 3°, et 1252 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. En application du premier de ces textes, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance, fût-ce en exécution d'une décision de justice, est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
7. Il résulte des deux derniers que le subrogé ne peut avoir plus de droits que le subrogeant.
8. Pour condamner la société Dematteo à garantir partiellement la MAF, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, de la condamnation prononcée contre celle-ci au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend, l'arrêt retient que le désordre étant de nature décennale, la MAF, subrogée dans les droits des maîtres de l'ouvrage, bénéficie de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu, par motifs adoptés, que le désordre apparent avait été couvert par la réception sans réserve, de sorte que les maîtres de l'ouvrage ne disposaient d'aucun recours sur aucun fondement à l'encontre de la société Dematteo, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. La SMABTP fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir, sous réserve de la franchise contractuelle, la société Dematteo de la condamnation à garantie prononcée à son encontre au bénéfice de M. [X] et la MAF, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, du chef du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend, alors « que relèvent de la garantie décennale, les désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination dès lors qu'ils sont cachés lors de la réception ; qu'en présence d'un vice connu du maître de l'ouvrage, une réception sans réserve fait obstacle à l'action en garantie décennale ; que la garantie offerte par le contrat d'assurance n'a vocation à jouer que si les conditions en sont réunies ; qu'en l'espèce, la société Dematteo avait sollicité la garantie de la SMABTP compte tenu de la gravité des désordres tenant au déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend ; que si la gravité desdits désordres n'était pas contestée, ceux-ci étaient toutefois connus du maître de l'ouvrage avant la réception et n'avaient fait l'objet d'aucune réserve, de sorte que la garantie décennale ne pouvait jouer ; qu'en condamnant pourtant la SMABTP à garantir son assurée au titre de la condamnation prononcée au 3.1, « compte tenu de la nature décennale du désordre », la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1792 du code civil, L. 241-1 et L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1792 du code civil et L. 241-1 du code des assurances :
11. En application du premier de ces textes, la responsabilité de plein droit du constructeur d'ouvrage à raison des dommages de nature décennale ne s'applique qu'aux désordres apparus après réception.
12. Selon le second, toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil, doit être couverte par une assurance.
13. Il résulte de la combinaison de ces deux textes que l'assurance obligatoire de responsabilité décennale ne garantit pas les désordres apparents qui, quel que soit leur degré de gravité, sont couverts par une réception sans réserve.
14. Pour condamner la SMABTP à garantir son assurée au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend, l'arrêt retient que le désordre en cause est de nature décennale et que la demande de l'assureur tendant à voir constater que sa garantie n'est pas acquise doit, en l'absence de critique en fait et en droit des dispositions du jugement, être rejetée.
15. En statuant ainsi, après avoir retenu, par motifs adoptés, que les désordres était apparents dans leur ampleur à la date de la réception, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
16. M. et Mme [R] font grief à l'arrêt de constater que la disposition du jugement ayant rejeté leur demande au titre du préjudice de jouissance est devenue définitive en l'absence d'appel provoqué contre les autres parties à l'instance et de rejeter, en conséquence, leur demande formée à ce titre, alors « que l'appel formé contre une partie ne requiert, pour être recevable, la mise en cause d'une autre partie que lorsque le chef de dispositif attaqué créé une indivisibilité entre ces deux parties ; que tel n'est pas le cas lorsque l'appel est formé contre le rejet d'une demande de condamnation in solidum au paiement d'une somme d'argent, une telle condamnation ne créant pas une indivisibilité entre les parties mais une solidarité ; qu'en jugeant irrecevable l'appel formé par les époux [R] contre les dispositions du jugement entrepris ayant rejeté leur demande de condamnation in solidum des intimés à la réparation de leur préjudice résultant de la perte de jouissance de leur bien immobilier, au motif que toutes les parties à la première instance concernées par le chef de dispositif attaqué n'avaient pas été mises en cause par un appel provoqué, cependant que la disposition attaquée n'était pas indivisible, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 553 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 553 du code de procédure civile :
17. Selon ce texte, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
18. Il est jugé qu'il n'y pas d'indivisibilité lorsque l'exécution d'une décision n'est pas incompatible avec l'exécution de l'autre (Soc., 4 juin 1984, pourvoi n° 82-16.499, Bull. 1984, V, n° 226), seule l'impossibilité d'exécuter à la fois deux décisions contraires caractérisant l'indivisibilité au sens de ce texte (2e Civ., 5 janvier 2017, pourvoi n° 15-28.356).
19. Il en est ainsi en matière de condamnation à paiement d'une somme d'argent prononcée à l'encontre de plusieurs parties (2e Civ., 7 janvier 2016, pourvoi n° 14-13.721, Bull. 2016, II, n° 8) ou d'obligation in solidum (2e Civ., 8 novembre 2001, pourvoi n° 00-14.559).
20. Pour déclarer irrecevable la demande en réparation de leur préjudice de jouissance formée par les maîtres de l'ouvrage, l'arrêt retient que, M. et Mme [R] n'ayant pas formé d'appel provoqué pour intimer toutes les parties contre lesquelles ils avaient présenté leur demande en première instance, la disposition du jugement qui a rejeté celle-ci est définitive.
21. En statuant ainsi, alors qu'un jugement qui rejette une demande de paiement in solidum contre plusieurs défendeurs ne crée aucune indivisibilité entre eux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Dematteo à garantir la Mutuelle des architectes français, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, à hauteur de la moitié de la condamnation prononcée contre celle-ci, in solidum avec M. [X], au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend, en ce qu'il condamne la SMABTP à garantir la société Dematteo de la condamnation prononcée contre elle au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend et en ce qu'il constate que la disposition du jugement ayant condamné M. et Mme [R] au titre du préjudice de jouissance est devenue définitive en l'absence d'appel provoqué contre les autres parties à l'instance et rejette leur demande de ce chef, l'arrêt rendu le 14 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne M. [X], la société civile professionnelle Després, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Philarchi, et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour la SMABTP
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SMABTP fait GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société Dematteo à garantir M. [X] et la MAF en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage de la moitié de la condamnation de M. [X] et la MAF en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de M. [X] et de la société Philarchi, à payer à M. et Mme [R] la somme de 110 047,42 € au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend ;
1° ALORS QUE le subrogé ne peut avoir plus de droits que le créancier originaire, de sorte que le premier ne recueille que les droits dont le second était titulaire au moment de la subrogation ; que le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense que ceux dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire ; que la présomption de responsabilité des constructeurs prévue à l'article 1792 du code civil n'a vocation à jouer qu'en présence de désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination et qui revêtent un caractère caché lors de la réception ; que, pour accueillir le recours de la MAF en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage à l'encontre de la société Dematteo, la cour a relevé que « le désordre étant de nature décennale ainsi qu'il a été vu au 3.1, la MAF subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage bénéfice de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil » ; qu'en statuant de la sorte, quand les désordres, qui certes portaient atteinte à la solidité de l'ouvrage et le rendaient impropre à sa destination, n'étaient pas de nature décennale, faute d'avoir été cachés lors de la réception, de sorte que les maîtres de l'ouvrage, M. et Mme [R] n'avaient pu bénéficier de la présomption de responsabilité à l'encontre des constructeurs, ce qui empêchait par conséquent l'assureur dommages-ouvrage subrogé dans leurs droits d'en bénéficier, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 121-12 du code des assurances, 1251 3° et 1252 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, devenus les articles 1346, 1346-3 à 1346-5 et celles de l'article 1792 du code civil ;
2° ALORS QUE le subrogé ne peut avoir plus de droits que le créancier originaire, de sorte que le premier ne recueille que les droits dont le second était titulaire au moment de la subrogation ; que le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire ; que la présomption de responsabilité des constructeurs n'a vocation à jouer qu'en présence de désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination et qui revêtent un caractère caché lors de la réception ; qu'en l'espèce, la cour d'appel avait elle-même relevé, à deux reprises, que le désordre tenant au déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques de refend avait été purgé en ce qu'il était apparent lors de la réception et qu'il n'avait fait l'objet d'aucune réserve ; qu'en accueillant toutefois le recours de la MAF à l'encontre de la société Dematteo au motif que « le désordre étant de nature décennale ainsi qu'il a été vu au 3.1, la MAF subrogée dans les droits du maître de l'ouvrage bénéfice de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du code civil », la cour, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions des articles L. 121-12 du code des assurances, 1251 3° et 1252 du code civil dans leur rédaction applicable au litige, devenus les articles 1346, 1346-3 à 1346-5 et celles de l'article 1792 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La SMABTP fait GRIEF à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à garantir, sous réserve de la franchise contractuelle, la société Dematteo, elle-même condamnée à garantir M. [X] et la MAF en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage de la moitié de la condamnation de M. [X] et la MAF en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de M. [X] et de la société Philarchi, à payer à M. et Mme [R] la somme de 110 047,42 € au titre du déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend ;
ALORS QUE relèvent de la garantie décennale, les désordres qui portent atteinte à la solidité de l'ouvrage ou rendent ce dernier impropre à sa destination dès lors qu'ils sont cachés lors de la réception ; qu'en présence d'un vice connu du maître de l'ouvrage, une réception sans réserve fait obstacle à l'action en garantie décennale ; que la garantie offerte par le contrat d'assurance n'a vocation à jouer que si les conditions en sont réunies ; qu'en l'espèce, la société Dematteo avait sollicité la garantie de la SMABTP compte tenu de la gravité des désordres tenant au déchaussement des fondations et de l'ensemble des murs périphériques et de refend ; que si la gravité desdits désordres n'était pas contestée, ceux-ci étaient toutefois connus du maître de l'ouvrage avant la réception et n'avaient fait l'objet d'aucune réserve, de sorte que la garantie décennale ne pouvait jouer ; qu'en condamnant pourtant la SMABTP à garantir son assurée au titre de la condamnation prononcée au 3.1, « compte tenu de la nature décennale du désordre », la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1792 du code civil, L. 241-1 et L. 113-1 du code des assurances.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Duhamel-Rameix- Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [R]
M. et Mme [R] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que les dispositions du jugement ayant condamné la société des Platanes à indemniser les époux [R] au titre du remplacement des portes à husset et débouté ces derniers de leur demande au titre du préjudice des jouissance sont devenues définitives en l'absence d'appel provoqué contre les autres parties à l'instance et, en conséquence, de les avoir déboutés de leur demande formulées à ce titre et confirmé en cela les dispositions du jugement.
Alors que l'appel formé contre une partie ne requiert, pour être recevable, la mise en cause d'une autre partie que lorsque le chef de dispositif attaqué créé une indivisibilité entre ces deux parties ; que tel n'est pas le cas lorsque l'appel est formé contre le rejet d'une demande de condamnation in solidum au paiement d'une somme d'argent, une telle condamnation ne créant pas une indivisibilité entre les parties mais une solidarité ; qu'en jugeant irrecevable l'appel formé par les époux [R] contre les dispositions du jugement entrepris ayant rejeté leur demande de condamnation in solidum des intimés à la réparation de leur préjudice résultant de la perte de jouissance de leur bien immobilier, au motif que toutes les parties à la première instance concernées par le chef de dispositif attaqué n'avaient pas été mises en cause par un appel provoqué, cependant que la disposition attaquée n'était pas indivisible, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 553 du code de procédure civile. | Un jugement qui rejette une demande de paiement in solidum contre plusieurs défendeurs ne crée aucune indivisibilité entre eux, au sens de l'article 553 du code de procédure civile.
Viole ce texte la cour d'appel qui retient que, les maîtres de l'ouvrage n'ayant pas formé d'appel provoqué pour intimer toutes les parties contre lesquelles ils avaient présenté leur demande en première instance, la disposition du jugement qui a rejeté celle-ci est définitive |
7,759 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 387 FS-B
Pourvoi n° Z 21-15.608
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
Le syndicat des copropriétaires [Adresse 6], dénommée [Adresse 6], dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société Le Kalliste, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 21-15.608 contre l'arrêt rendu le 17 février 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la compagnie d'assurances Axa Fance IARD, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Les Jardins de Toga, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du syndicat des copropriétaires [Adresse 6], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la compagnie d'assurances Axa France IARD, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Jacques, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte au [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga (le syndicat des copropriétaires) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Les Jardins de Toga.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 février 2021), se plaignant de désordres affectant les bâtiments d'une résidence réalisée par la société Les Jardins de Toga, le syndicat des copropriétaires a, après expertise, assigné celle-ci en réparation, ainsi que la société Axa France IARD, en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage, en indemnisation.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il vise l'absence d'écran en sous-toiture
Enoncé du moyen
3. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage relatives à l'absence d'écran en sous-toiture, alors :
« 1°/ que l'assureur dommages ouvrage garantit la réparation des dommages qui, apparus dans un délai de dix ans, compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que, dix ans après la réception de l'immeuble, « le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture retenu par l'expert ne s'était pas concrétisé », quand elle relevait que l'ouvrage était affecté de non-façons, apparues dans les dix ans de la réception, qui, faisant courir des risques aux occupants, le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu important que ces risques ne se soient pas encore concrétisés, la cour d'appel a méconnu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances ;
2°/ que dans ses conclusions d'appel, le syndicat des copropriétaires contestait le caractère apparent des non-façons lors de la réception, soulignant que « les acquéreurs profanes en la matière, ne pouvaient relever l'absence d'un film sous-toiture pas plus que l'absence des évents » et que ce n'était « qu'à la suite d'infiltrations et à la présence d'odeurs nauséabondes que le syndic » avait dénoncé les désordres, lesquels étaient « apparus bien après l'année de parfait achèvement » ; qu'en retenant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que le syndicat aurait, dans ses écritures, admis le caractère apparent des non-façons litigieuses, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel du syndicat des copropriétaires et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ;
qu'en se fondant sur le caractère apparent des désordres lors de la réception, sans répondre aux conclusions du syndicat des copropriétaires selon lesquelles les compétences des acquéreurs de l'immeuble, totalement profanes en matière de construction, ne leur permettaient pas de se rendre compte de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture lors de la réception, ni, à plus forte raison, en appréhender les conséquences, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que seuls peuvent être exclus de la garantie dommages ouvrage les désordres que le maître de l'ouvrage a pu appréhender, dans leur ampleur et leurs conséquences, lors de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les conséquences décennales et l'ampleur des désordres (odeurs nauséabondes dangereuses pour la santé s'agissant de l'absence de raccordement des évents ; possibilité d'entrées d'eau s'agissant de l'absence de film) n'étaient pas apparues postérieurement à la réception de sorte que les maîtres de l'ouvrage n'avaient pu les accepter en connaissance de cause lors de la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel, qui a constaté que l'absence d'écran sous-toiture pouvait, selon l'expert, provoquer, en cas de vents violents, des chutes de tuiles sur les occupants et des entrées d'eau, a retenu que, la réception ayant été prononcée le 31 juillet 2004, le risque évoqué ne s'était pas réalisé à la date du dépôt du rapport d'expertise le 9 février 2015.
5. Elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième, troisième et quatrième branches, qu'en l'absence de désordre décennal constaté durant le délai d'épreuve, les demandes formées de ce chef à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage ne pouvaient être accueillies.
6. Par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il vise l'absence de raccordement des évents
Enoncé du moyen
7. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage relatives à l'absence de raccordement des évents, alors « que l'assureur dommages ouvrage garantit la réparation des dommages qui, apparus dans un délai de dix ans, compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant, pour exclure la garantie de la société Axa, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que, dix ans après la réception de l'immeuble, « le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture retenu par l'expert ne s'était pas concrétisé », quand elle relevait que l'ouvrage était affecté de non-façons, apparues dans les dix ans de la réception, qui, faisant courir des risques aux occupants, le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu important que ces risques ne se soient pas encore concrétisés, la cour d'appel a méconnu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1792 du code civil et L. 242-1 du code des assurances :
8. En application de ces textes, l'assurance dommages-ouvrage garantit notamment les dommages qui, affectant l'ouvrage dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination dans le délai d'épreuve de dix ans courant à compter de la réception.
9. Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt retient que, la réception ayant eu lieu le 31 juillet 2004, le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents ne s'était pas concrétisé à la date de l'expertise.
10. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'expert avait relevé que l'absence de raccordement des évents provoquait des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes, de sorte que le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l'ouvrage impropre à sa destination durant le délai d'épreuve, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il vise l'absence de raccordement des évents
Enoncé du moyen
11. Le syndicat des copropriétaires fait le même grief à l'arrêt, alors « que seuls peuvent être exclus de la garantie dommages ouvrage les désordres que le maître de l'ouvrage a pu appréhender, dans leur ampleur et leurs conséquences, lors de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les conséquences décennales et l'ampleur des désordres (odeurs nauséabondes dangereuses pour la santé s'agissant de l'absence de raccordement des évents ; possibilité d'entrées d'eau s'agissant de l'absence de film) n'étaient pas apparues postérieurement à la réception de sorte que les maîtres de l'ouvrage n'avaient pu les accepter en connaissance de cause lors de la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1792 et 1792-6 du code civil et L. 242-1 du code des assurances :
12. Si en application du deuxième de ces textes, la réception sans réserve couvre les vices apparents, il résulte du premier et du troisième que la garantie dommages-ouvrage s'applique pour les désordres de nature décennale apparus après celle-ci.
13. Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt retient que l'absence de raccordement des évents était apparente à la date de la réception.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les nuisances olfactives provoquées par l'absence de raccordement des colonnes d'eaux usées à des évents extérieurs ne s'étaient pas manifestées que postérieurement à la réception, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande formée par le [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga à l'encontre de la société Axa France IARD au titre de l'absence de raccordement des évents, en ce qu'il condamne le [Adresse 6], dénommée résidence Les Jardins de Toga, à payer à la société Axa France IARD la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le condamne aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 17 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;
Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires [Adresse 6], dénommée [Adresse 6]
Le syndicat des copropriétaires de la résidence [4] dénommée « [Adresse 6] » fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir condamner la société Axa France Iard, en qualité d'assureur dommages ouvrage, à lui verser la somme de 35 470,05 € TTC au titre des travaux de remise en état des ouvrages affectés de désordres, outre la somme de 1 541,78 € au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre et la somme de 30 000 € de dommages et intérêts ;
1°) ALORS QUE l'assureur dommages ouvrage garantit la réparation des dommages qui, apparus dans un délai de dix ans, compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en considérant, pour exclure la garantie de la société AXA, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que, dix ans après la réception de l'immeuble, « le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture retenu par l'expert ne s'était pas concrétisé » (arrêt page 7, antépénultième al.), quand elle relevait que l'ouvrage était affecté de non-façons, apparues dans les dix ans de la réception, qui, faisant courir des risques aux occupants (arrêt page 7, al. 3), le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu important que ces risques ne se soient pas encore concrétisés, la cour d'appel a méconnu les articles 1792 et 1792-4-1 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances ;
2°) ALORS QUE, dans ses conclusions d'appel, le syndicat des copropriétaires contestait le caractère apparent des non-façons lors de la réception, soulignant que « les acquéreurs profanes en la matière, ne pouvaient relever l'absence d'un film sous-toiture pas plus que l'absence des évents » et que ce n'était « qu'à la suite d'infiltrations et à la présence d'odeurs nauséabondes que le syndic » avait dénoncé les désordres, lesquels étaient « apparus bien après l'année de parfait achèvement » (conclusions page 7, al. 6 et 7) ; qu'en retenant, pour exclure la garantie de la société AXA, en qualité d'assureur dommages ouvrage, que le syndicat aurait, dans ses écritures, admis le caractère apparent des non-façons litigieuses, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de l'exposant et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en se fondant sur le caractère apparent des désordres lors de la réception, sans répondre aux conclusions de l'exposant selon lesquelles les compétences des acquéreurs de l'immeuble, totalement profanes en matière de construction, ne leur permettaient pas de se rendre compte de l'absence de raccordement des évents et de l'absence d'écran sous-toiture lors de la réception, ni, à plus forte raison, en appréhender les conséquences, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, seuls peuvent être exclus de la garantie dommages ouvrage les désordres que le maître de l'ouvrage a pu appréhender, dans leur ampleur et leurs conséquences, lors de la réception ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les conséquences décennales et l'ampleur des désordres (odeurs nauséabondes dangereuses pour la santé s'agissant de l'absence de raccordement des évents ; possibilité d'entrées d'eau s'agissant de l'absence de film) n'étaient pas apparues postérieurement à la réception de sorte que les maîtres de l'ouvrage n'avaient pu les accepter en connaissance de cause lors de la réception, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil, ensemble l'article L. 242-1 du code des assurances. | En application des articles 1792 du code civil et L. 242-1 du code des assurances de ces textes, l'assurance dommages-ouvrage garantit notamment les dommages qui, affectant l'ouvrage dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination dans le délai d'épreuve de dix ans courant à compter de la réception.
Viole ces dispositions la cour d'appel qui, pour rejeter la demande, retient que le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents ne s'était pas concrétisé à la date de l'expertise, après avoir constaté que l'expert avait relevé que l'absence de raccordement des évents provoquait des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes, de sorte que le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l'ouvrage impropre à sa destination durant le délai d'épreuve |
7,760 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 403 FS-B
Pourvoi n° M 21-15.389
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
La société L'R du Lac, enseigne La Perle du Lac, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2] à [Localité 5], [Localité 4], a formé le pourvoi n° M 21-15.389 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Y] [Z], épouse [F],
2°/ à M. [O] [F],
tous deux domiciliés [Adresse 1], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société L'R du Lac, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [F], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 30 octobre 2020), M. et Mme [F] (les bailleurs), propriétaires d'une parcelle de terrain sur laquelle sont édifiés une maison et deux chalets meublés, ont consenti à la société L'R du Lac (la locataire) une location commerciale, dérogatoire au statut des baux commerciaux, pour une durée d'un an à compter du 1er juillet 2015, renouvelable tacitement pour la même durée dans la limite de trois années au total.
2. Les bailleurs ont signifié à la locataire, le 28 juin 2017, un congé à effet du 30 juin 2017, puis l'ont assignée en libération des lieux et en paiement d'une indemnité d'occupation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de la déclarer occupante sans droit ni titre depuis le terme du bail, le 30 juin 2017, d'ordonner sous astreinte la libération des locaux occupés, au besoin par voie d'expulsion et de fixer l'indemnité d'occupation due aux bailleurs, alors « qu'il résulte des articles L. 145-5 et L. 145-9 du code de commerce et 1738 du code civil que, quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, le congé alors donné par le bailleur est régi par les dispositions des articles L.145-1 et suivants du code de commerce, peu important l'existence d'une tacite reconduction qui n'est pas une prorogation du terme du bail principal ; qu'au cas présent, un bail dérogatoire était consenti par les consorts [F] à la Sarl L'R du Lac pour une durée d'une année, avec tacite reconduction, commençant à courir du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et la Sarl L'R du Lac ayant après ce terme contractuel continué à exploiter son fonds de commerce, le congé donné par le bailleur le 28 juin 2017 devait être annulé faute de respecter les formalités prévues pour les baux commerciaux régis par le statut découlant des articles L.145-1 et suivants du code de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
5. Un congé, délivré antérieurement au terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale, et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d'occupation à l'échéance de ce bail.
6. La cour d'appel, qui a relevé, par motifs adoptés, que le contrat de bail dérogatoire prévoyait qu'il était « consenti et accepté pour une durée d'une année qui a commencé à courir rétroactivement du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et qu'il sera renouvelé tacitement à l'issue de la première année et ainsi chaque année, sans dépasser une durée maximum de trois ans » et qu'aucun délai de prévenance, hormis l'antériorité du congé au regard de la date d'expiration du bail, n'était imposé au bailleur, et qui a retenu, par motifs propres, que les bailleurs avaient fait connaître, par acte d'huissier du 28 juin 2017 antérieur au terme normal du bail, leur volonté de ne pas poursuivre celui-ci, en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir d'un défaut de respect des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce, applicables aux seuls baux commerciaux statutaires.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société L'R du Lac aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société L'R du Lac et la condamne à payer à M. et Mme [F] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société L'R du Lac
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la société L'R du Lac occupant sans droit ni titre depuis l'arrivée du terme du bail le 30 juin 2017, d'avoir ordonné sous astreinte la libération par la société et toute personne introduite de son chef des locaux occupés [Adresse 2] à [Localité 5] [Localité 4], au besoin par voie d'expulsion et d'avoir fixé à 2.500 € par mois l'indemnité d'occupation due aux bailleurs ;
aux motifs propres qu' « aux termes de l'article 145-5 du code de commerce, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger au statut des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration du délai prescrit, le bail dérogatoire prend fin automatiquement. Il est donc sans portée d'invoquer les conditions prescrites à l'article L.145-41 du code de commerce, afférant aux congés en matière de baux commerciaux, pour contester le congé délivré au titre d'un bail dérogatoire souscrit par application de l'article L.145-5 susvisé. En l'espèce, le bail litigieux conclu entre les époux [F] et la société L'R du Lac par acte authentique le 7 décembre 2015 pour une durée d'un an a commencé à courir rétroactivement au 1er juillet 2015 pour s'achever au 30 juin 2016, stipulant expressément son caractère dérogatoire aux baux commerciaux. Le bail a été reconduit tacitement pour une durée d'un an, repoussant son terme au 30 juin 2017. Avant ce terme, les bailleurs ont déclaré de manière claire leur volonté de ne pas poursuivre celui-ci par acte d'huissier du 28 juin 2017. Le bail dérogatoire a donc pris fin le 30 juin 2017. Si l'appelant soutient qu'un nouveau bail commercial est né après la date du 30 juin 2017 à raison de son occupation des lieux, l'encaissement des loyers après la fin du bail dérogatoire, n'étant que la contre-partie de l'occupation et non la volonté de poursuivre un nouveau contrat, ne permet pas à lui seul de caractériser l'existence d'un bail verbal. Par conséquent, il doit être constaté que depuis le 30 juin 2017, la société L'R du Lac est devenue occupante sans droit ni titre. C'est donc à bon droit que le tribunal de grande instance de Saint-Pierre a ordonné la libération et l'expulsion de la société L'R du Lac et de tout occupant introduit de son chef, des immeubles sis [Adresse 2] à [Localité 5] à [Localité 4].» (arrêt p. 4, § 3 et s.) ;
et aux motifs adoptés des premiers juges qu'« aux termes de l'article L145-5 du code de commerce : «Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local. Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier. Lorsque le bail est conclu conformément au premier alinéa, un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location. Si l'état des lieux ne peut être établi dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire ». En l'espèce, le contrat de bail dérogatoire prévoit que «le preneur déclare avoir pris connaissance des dispositions de l'article L145-5 qui s'applique aux présentes et qui n'ouvre pas droit au bénéfice du statut des baux commerciaux à son profit, à la condition que la durée totale du ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. » S'agissant de sa durée, l'acte prévoit que « le présent bail est consenti et accepté pour une durée d'une année qui a commencé à courir rétroactivement du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016. Le bail sera renouvelé tacitement à l'issue de la première année et ainsi chaque année sans dépasser une durée maximum de trois ans. Si, à l'expiration d'une durée de trois ans, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du statut des baux commerciaux, de même en cas de renouvellement du bail ou de conclusion d'un nouveau bail entre les parties ». Enfin dans le paragraphe « Fin de Bail », il n'est pas prévu de délai de prévenance pour le bailleur afin de signifier sa volonté de ne pas reconduire le bail. Il est précisé que le propriétaire devra manifester dès avant l'expiration du bail auprès du preneur sa volonté de mettre fin aux présentes et ce par exploit d'huissier. En l'espèce, il convient de constater que le bail dérogatoire dont le terme était fixé au 30 juin 2016 a été tacitement reconduit une année conformément aux stipulations de l'acte. Cette reconduction tacite à l'issue de la première année n'a pas pour effet, contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, de soumettre les relations des parties au statut des baux commerciaux, la durée étant inférieure à trois ans et la tacite reconduction prévue dans l'acte. Les demandeurs ont, par acte du 28 juin 2017, signifié leur volonté de ne pas reconduire une nouvelle fois le bail dérogatoire. Le congé rappelle l'article L 145-5 du code de commerce et ne vise pas l'article L 145-1 comme l'affirme la SARL L'R du Lac dans ses écritures. Elle ne peut par ailleurs pas prétendre s'être maintenue dans les lieux avec l'accord du propriétaire dès lors que dès le 28 juin 2017, ce dernier a manifesté sa volonté de ne pas reconduire le bail dérogatoire, qu'il a au surplus adressé un courrier recommandé le 11 août 2017 lui demandant de libérer les lieux et a assigné la société devant le juge des référés en février 2018. Par conséquent, la SARL L'R du Lac ne peut se prévaloir des dispositions relatives au statut des baux commerciaux notamment quant aux conditions de congé pour affirmer qu'il est nul. A l'expiration du bail le 30 juin 2017, la défenderesse s'est maintenue dans les lieux en l'absence d'accord des bailleurs lesquels avaient manifesté une volonté contraire et se trouve donc occupante sans droit ni titre depuis cette date. Par conséquent, il sera ordonné la libération par la SARL L'R du Lac et toute personne introduite de son chef des locaux qu'ils occupent au n°[Adresse 2] à [Localité 5] - [Localité 4], dans un délai de deux mois suivant la signification de la décision et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pendant une durée de 90 jours passé le délai de deux mois suivant la signification de la décision, sans qu'il y ait lieu de se réserver compétence pour la liquidation. L'expulsion sera en outre ordonnée à l'issue du délai de deux mois. L'indemnité d'occupation constitue la contrepartie de la jouissance des locaux dont le bail a pris fin et la compensation du préjudice résultant pour le bailleur de la privation de la libre disposition des lieux. Une indemnité d'occupation d'un montant de 2500 euros par mois sera fixée à compter du 1er juillet 2017 jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux, étant précisé que la défenderesse justifie avoir effectué certains paiements depuis cette date. Il appartiendra aux parties de faire leur compte en fonction de ce qui a déjà été acquitté» (jugement p. 3 et p. 4, § 1 à 7) ;
1°) alors que d'une part, il résulte des articles L.145-5 et L 145-9 du code de commerce et 1738 du code civil que, quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, le congé alors donné par le bailleur est régi par les dispositions des articles. L. 145-1 et suivants du code de commerce, peu important l'existence d'une tacite reconduction qui n'est pas une prorogation du terme du bail principal ; qu'au cas présent, un bail dérogatoire était consenti par les consorts [F] à la Sarl L'R du Lac pour une durée d'une année, avec tacite reconduction, commençant à courir du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et la Sarl L'R du Lac ayant après ce terme contractuel continué à exploiter son fonds de commerce, le congé donné par le bailleur le 28 juin 2017 devait être annulé faute de respecter les formalités prévues pour les baux commerciaux régis par le statut découlant des articles L.145-1 et suivants du code de commerce ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°) alors que d'autre part, l'existence d'un bail verbal est établie par les quittances de loyers délivrées par le bailleur ; que les époux [F] ont établi le 24 juillet 2017, une « quittance de loyer » pour le mois de juillet en faisant eux-mêmes état des virements de 1.700 € et de 800 € effectués par la société L'R du Lac , les 10 juillet et 18 juillet précédents ; qu'en considérant que la société L'R du Lac était occupante sans droit ni titre depuis le 30 juin 2017 sans avoir égard aux quittances de loyers établies postérieurement à cette date et qui caractérisaient bien l'existence d'un bail verbal, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L.145-5 du code de commerce. | Un congé, délivré antérieurement au terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale, et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d'occupation à l'échéance de ce bail.
Dès lors, une cour d'appel, qui relève qu'un contrat de bail dérogatoire comprend une clause de renouvellement tacite et que les bailleurs ont fait connaître leur volonté de ne pas poursuivre le bail tacitement renouvelé, en a exactement déduit que le locataire ne pouvait se prévaloir d'un défaut de respect des dispositions de l'article L.145-41 du code de commerce, applicables aux seuls baux commerciaux statutaires |
7,761 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 407 FS+B
Pourvoi n° A 19-13.738
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
1°/ M. [C] [R],
2°/ Mme [V] [E],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° A 19-13.738 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [Y],
2°/ à Mme [J] [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [R] et Mme [E], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), rendu en référé, et les productions, M. et Mme [Y] (les bailleurs) ont, le 1er février 2003, donné à bail commercial à M. [R] et Mme [E] (les preneurs) divers locaux.
2. Le 22 novembre 2017, les bailleurs ont délivré aux preneurs un commandement, visant la clause résolutoire, de payer un arriéré au titre de la régularisation de charges et de justifier d'une assurance contre les risques locatifs. Le 12 janvier 2018, ils ont accepté, moyennant un loyer plus élevé, le principe du renouvellement du bail commercial, demandé par les preneurs, le 12 octobre 2017.
3. Par acte du 21 décembre 2017, les preneurs ont sollicité des délais de paiement et, le 28 mars 2018, les bailleurs ont demandé, à titre reconventionnel, la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et la condamnation des preneurs au paiement de diverses provisions.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Les preneurs font grief à l'arrêt de constater l'acquisition, à la date du 22 décembre 2017, de la clause résolutoire insérée au bail consenti le 1er février 2003, d'ordonner, à défaut de restitution volontaire, leur expulsion et celle de tout occupant de leur chef des lieux loués, de fixer l'indemnité d'occupation due par les preneurs et de les condamner solidairement au paiement de cette indemnité, alors « qu'en retenant que les bailleurs ne pouvaient être regardés comme ayant renoncé à se prévaloir du commandement en acceptant le principe du renouvellement du bail dès lors que le bail initialement conclu étant résilié de plein droit le 22 décembre 2007, les bailleurs étaient libres de consentir un nouveau contrat, une éventuelle nouvelle convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-8, L. 145-10, L. 145-11 et L. 145-41 du code de commerce.»
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 du code commerce :
6. Selon le premier de ces textes, dans les trois mois de la notification de la demande du preneur en renouvellement, le bailleur doit, par acte extrajudiciaire, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent.
7. Selon le second, le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l'article L. 145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l'article L. 145-10, faire connaître le loyer qu'il propose.
8. Il en résulte que l'acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d'une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.
9. Pour accueillir la demande reconventionnelle en constatation de la résiliation du bail, l'arrêt retient que les preneurs ne peuvent valablement soutenir que les bailleurs ont renoncé à se prévaloir du commandement du 22 novembre 2017, dès lors que le bail initialement conclu entre les parties a été résilié de plein droit le 22 décembre 2017, les bailleurs étant libres de consentir un nouveau contrat, les parties ne s'étant d'ailleurs manifestement pas encore entendues sur les termes d'une éventuelle nouvelle convention, et notamment sur le montant du loyer.
10. En statuant ainsi, alors qu'en notifiant aux locataires, le 12 janvier 2018, soit postérieurement au commandement du 22 novembre 2017 visant la clause résolutoire dont les effets n'avaient pas été constatés judiciairement, une acceptation du principe du renouvellement du bail, les bailleurs ont renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées au commandement antérieur pour obtenir la résiliation du bail renouvelé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- constate l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 22 décembre 2017 ;
- ordonne, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de l'ordonnance, l'expulsion de M. [R] et de Mme [E] et de tout occupant de leur chef des lieux sis [Adresse 1] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier ;
- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivant du code des procédures civiles d'exécution ;
- fixe à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par M. [R] et Mme [E], à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamné solidairement M. [R] et Mme [E] au paiement de cette indemnité ;
l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. et Mme [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour M. [R] et Mme [E]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir constaté l'acquisition, à la date du 22 décembre 2017, de la clause résolutoire insérée au bail consenti à M. [R] et Mme [E] le 1er février 2003 par M. et Mme [Y], d'avoir ordonné, à défaut de restitution volontaire, l'expulsion de M. [R] et de Mme [E] et de tout occupant de leur chef des lieux loués, d'avoir fixé l'indemnité d'occupation due par les locataires à une somme égale au montant du loyer contractuel et de les avoir condamnés solidairement au paiement de cette indemnité ;
AUX MOTIFS QUE M. [R] et Mme [E] n'ont pas justifié d'une assurance des locaux contre les risques locatifs dans le délai imparti qui expirait le 22 décembre 2017, et qu'ils n'établissent pas qu'ils étaient, à la date de la délivrance du commandement de payer, effectivement assurés à ce titre ; qu'ils ne peuvent arguer du fait qu'ils n'ont pas compris la portée des échanges de courriers avec leur assureur qui leur opposait de manière claire et précise une déchéance totale de garantie pour s'opposer au constat d'acquisition de la clause résolutoire du bail du fait du non-respect de cette obligation essentielle du contrat ; qu'au demeurant, les appelants n'établissent pas qu'ils sont désormais assurés contre les risques locatifs, l'attestation qu'ils versent aux débats, à effet du 28 mars 2018, mentionnant une assurance de responsabilité civile sans préciser qu'elle englobe l'assurance des locaux contre les risques locatifs ; que les preneurs n'ont donc pas satisfait aux causes du commandement du 22 novembre 2017 s'agissant de la justification d'une assurance contre les risques locatifs ; qu'ils ne peuvent valablement soutenir que les bailleurs ont renoncé à se prévaloir de cet acte d'huissier par l'acceptation du principe du renouvellement dès lors que le bail initialement conclu entre les parties a été résilié de plein droit le 22 décembre 2017, les bailleurs étant libres de consentir un nouveau contrat, les parties ne s'étant d'ailleurs manifestement pas encore entendues sur les termes d'une éventuelle nouvelle convention et notamment sur le montant du loyer ;
1) ALORS QUE la déchéance de garantie représente la perte d'un droit à indemnisation lors d'un sinistre déterminé et n'entraîne pas, par elle-même, la résiliation du contrat d'assurance ; qu'en affirmant qu'au regard des courriers de leur assureur qui leur opposait de manière claire et précise une déchéance totale de garantie, les locataires n'établissaient pas qu'ils étaient, à la date du commandement, effectivement assurés ou convaincus d'être assurés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 et suivants du code des assurances, ensemble l'article L. 145-1 du code de commerce ;
2) ALORS QUE les courriers adressées par la compagnie Aviva les 15 février et 2 mars 2017 à Mme [E] lui notifiaient un refus de prise en charge du sinistre survenu le 13 décembre 2015 et lui réclamaient le remboursement de l'indemnité versée dans le cadre de ce sinistre ; que ces courriers, s'ils opposaient à l'assurée une déchéance de garantie entraînant la perte du droit à indemnité à raison dudit sinistre, n'évoquaient aucune résiliation, résolution ou nullité du contrat d'assurances ; qu'en affirmant cependant que les locataires ne pouvaient prétendre n'avoir pas compris, à la lecture de ces courriers, qu'ils n'étaient plus assurés, la cour d'appel a dénaturé les lettres des 15 février et 2 mars 2017 en violation de son obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est donné ;
3) ALORS QUE le bail commercial renouvelé après une demande de renouvellement acceptée n'est pas un nouveau contrat ; qu'en retenant que les bailleurs ne pouvaient être regardés comme ayant renoncé à se prévaloir du commandement en acceptant le principe du renouvellement du bail dès lors que le bail initialement conclu étant résilié de plein droit le 22 décembre 2007, les bailleurs étaient libres de consentir un nouveau contrat, une éventuelle nouvelle convention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-8, L. 145-10, L. 145-11 et L. 145-41 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir condamné in solidum M. [R] et Mme [E] à payer à M. [Y] et Mme [Y] la somme de 6 519,81 euros au titre des régularisation de charges des années 2013 à 2017 avec intérêts au taux légal à compter du 4 octobre ;
AUX MOTIFS QUE I'omission pour le bailleur de régulariser les charges annuellement ne constitue pas une contestation sérieuse à la demande en paiement d'une provision à ce titre dès lors que le bailleur justifie avec l'évidence requise en référé du montant des charges effectivement dues, le bailleur pouvant simplement se voir opposer, le cas échéant, la prescription quinquennale de droit commun ; qu'aucune prescription n'est encourue puisque les sommes réclamées au titre des régularisations de charges des années 2013 à 2017, qui ont été fixées par le syndicat des copropriétaires respectivement en juin 2014, mars 2015, mai 2016 et juin 2017, ont fait l'objet du commandement de payer qui a été délivré aux appelants le 22 novembre 2017 et les sommes réclamées au titre de la régularisation de charges de l'année 2017 ont été établies par la copropriété le 30 mai 2018 ; que les époux [Y] produisent les relevés annuels de régularisation de charges ainsi que le tableau récapitulatif des charges pour les années 2013 à 2017, l'avis de régularisation du 14 septembre 2018 et les avis de taxes foncières de 2013 à 2017 ; qu'au vu de ces éléments, les bailleurs justifient de leur demande de provision relative à la régularisation des charges locatives des années 2013 à 2017 à hauteur de 6 519,81 euros ;
ALORS QUE les locataires soutenaient que les décomptes produits par les bailleurs n'étaient pas conformes aux obligations prévues au bail dès lors que l'article 2 de celui-ci vise les seules charges locatives et non l'intégralité des charges de copropriété et qu'il appartenait au bailleur de faire le décompte des charges imputables aux locataires en déduisant les provisions versées ; que ledit article 2 du bail stipulait que le bailleur devra adresser, un mois avant l'échéance de la régularisation annuelle des charges, un décompte faisant ressortir la quote-part du preneur ; qu'il ne ressort des constatations de l'arrêt ni que le bailleur aurait régulièrement adressé aux preneurs, un mois avant l'échéance de la régularisation annuelle, un décompte des charges faisant ressortir la part imputable au locataire, ni même que les décomptes produits devant le juge des référés fassent ressortir la quote-part de charges locatives en déduisant les provisions versées ; qu'en retenant cependant qu'aucune contestation sérieuse ne s'opposait à la demande, la cour d'appel a violé l'article 1103 nouveau du code civil, ensemble l'article 809 du code de procédure civile. | Il résulte des articles L. 145-10, alinéa 4, et L. 145-11 du code commerce que l'acceptation par le bailleur du principe du renouvellement du bail, sous la seule réserve d'une éventuelle fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, manifeste la volonté du bailleur de renoncer à la résolution de celui-ci en raison des manquements du locataire aux obligations en découlant et dénoncés antérieurement.
Encourt, dès lors, la censure, l'arrêt qui accueille la demande en constatation de la résiliation du bail alors que le bailleur, en notifiant au locataire l'acceptation du principe du renouvellement du bail postérieurement au commandement visant la clause résolutoire dont les effets n'avaient pas été constatés judiciairement, avait renoncé sans équivoque à se prévaloir des infractions dénoncées à ce commandement |
7,762 | CIV. 3
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 405 FS-B
Pourvois n°
P 20-21.689
X 20-21.651
Y 20-21.652 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
I - La société Dax meubles, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-21.689 contre un arrêt n° RG 19/00730 rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à la société Besson chaussures, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
II - La société Besson chaussures, société par actions simplifiée, a formé le pourvoi n° X 20-21.651 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à la société Dax meubles, société par actions simplifiée, défenderesse à la cassation.
III - La société Besson chaussures, société par actions simplifiée, a formé le pourvoi n° Y 20-21.652 contre un arrêt n° RG 19/03611 rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à la société Dax meubles, société par actions simplifiée, défenderesse à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° P 20-21.689 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses aux pourvois n° X 20-21.651 et Y 20-21.652 invoquent, chacune, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Besson chaussures, de la SCP Spinosi, avocat de la société Dax meubles, et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° P 20-21.689, X 20-21.651 et Y 20-21.652 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon le premier arrêt attaqué (Pau, 9 septembre 2020, n° 19/00730), la société Besson chaussures, locataire de locaux commerciaux appartenant à la société Dax meubles, a saisi le juge des loyers commerciaux, qui a fixé le loyer du bail renouvelé à compter du 1er février 2013, par jugement du 20 février 2019.
3. Selon le second arrêt attaqué (Pau, 9 septembre 2020, n° 19/03611), la société Besson chaussures a fait pratiquer, le 28 juin 2019, sur un compte bancaire ouvert au nom de la société Dax meubles, une saisie-attribution d'une certaine somme, en vertu de la décision du juge des loyers commerciaux. La société Dax meubles a saisi le juge de l'exécution en annulation de la saisie-attribution invoquant l'inexistence d'un titre exécutoire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° P 20-21.689, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi n° X 20-21.651
Enoncé du moyen
5. La société Besson chaussures fait grief à l'arrêt n° 19/00730 de dire n'y avoir lieu à condamnation de la société Dax meubles au remboursement du trop-perçu de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, puis à compter de chaque échéance trimestrielle, alors « que le juge des loyers commerciaux qui fixe le prix du loyer révisé à un montant inférieur à celui du loyer versé par le preneur est compétent pour statuer sur la demande de restitution par le bailleur du trop-perçu qui en résulte, cette demande étant accessoire à la demande principale ; qu'en retenant, après avoir fixé le montant du loyer du bail renouvelé, que la condamnation de la société Dax meubles au remboursement du trop-perçu de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, excédait sa compétence, la cour d'appel a violé l'article 1376, devenu l'article 1302-1 du code civil, ensemble l'article R. 145-23 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. En application de l'article R. 145-23 du code de commerce, la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire est exclusive du prononcé d'une condamnation.
7. La cour d'appel, statuant sur l'appel d'une décision du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire, qui a retenu que la locataire sollicitait la condamnation de la bailleresse au paiement d'une certaine somme, a exactement décidé que le prononcé d'une condamnation excédait ses pouvoirs.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi n° P 20-21.689
Enoncé du moyen
9. La société Dax meubles fait grief à l'arrêt n° 19/00730 de fixer le loyer commercial à la somme de 185 061,63 euros hors taxes et hors charges, alors « que la décision du locataire de ne pas exploiter certaines surfaces n'est pas opposable au bailleur ; qu'en énonçant que c'était de manière conforme à la réalité qu'en l'espèce, l'expert judiciaire avait déterminé que la surface de vente exploitée par la société Besson chaussures était de 1 571 m², compte tenu de la transformation en réserve, unilatéralement décidée et mise en oeuvre par cette société preneur, d'une partie du local qu'elle utilisait antérieurement comme surface de vente, la cour d'appel a violé les articles L. 145-33 et R. 145-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 145-33, 1°, et R. 145-3 du code de commerce :
10. Selon le premier texte, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d'accord, cette valeur est notamment déterminée d'après les caractéristiques du local considéré.
11. Selon le second, les caractéristiques propres au local s'apprécient notamment en considération de l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux et de ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée.
12. Pour fixer le loyer commercial à une certaine somme, l'arrêt, après avoir constaté que le bail désigne un local à usage commercial représentant une surface de vente en rez-de-chaussée d'environ 2 000 m², retient que la superficie d'exploitation mentionnée au bail ne correspond pas à la surface réellement consacrée par l'exploitant à ses activités de vente à la clientèle mais inclut nécessairement des parties à vocation administrative ou de réserve et que la surface de vente exploitée était en l'espèce de 1 571 m², compte tenu de la transformation en réserve d'une partie antérieurement utilisée en surface de vente.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'affectation à la vente d'une surface moindre, que celle autorisée par le bail pour cette activité, ne résultait pas d'un choix de gestion du locataire inopposable au bailleur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le moyen du pourvoi n° Y 20-21.652, ci-après annexé
14. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen du pourvoi n° Y 20-21.652, dès lors que la cassation de l'arrêt du 9 septembre 2020 (n° 19/00730) entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt du 9 septembre 2020 (n° 19/03611) qui est l'exécution de la décision cassée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe le loyer au 1er février 2013 à la somme de 185 061,63 euros hors taxes et hors charges, l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 (n° 19/00730), entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
ANNULE l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 (n° 19/03611), rendu entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Condamne la société Besson chaussures aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° P 20-21.689 par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Dax meubles.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Dax Meubles fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande en nullité du rapport d'expertise judiciaire et d'avoir fixé le loyer commercial au 1er février 2013 à la somme de 185.061,63 € hors taxes et hors charges ;
Alors que le caractère équitable de la procédure et le principe du contradictoire s'imposent aussi au stade de l'expertise, dont les conclusions doivent pouvoir être contradictoirement débattues, essentiellement dans les contentieux techniques, où les préconisations de l'expert sont, concrètement, susceptibles d'exercer une forte influence sur l'issue du litige ; qu'a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 16 du Code de procédure civile la cour d'appel qui s'est bornée à retenir, pour écarter le moyen de la société Dax Meubles qui faisait valoir qu'elle n'avait pas eu connaissance de la version de la charte de l'expertise immobilière sur laquelle s'était fondé l'expert judiciaire, que cette charte était accessible à tous et consultable sur Internet, sans préciser s'il s'agissait de la version de 2012 ou de celle de 2015 ; que la version de 2012, sur laquelle l'expert semble s'être fondé en l'espèce, ayant été annulée et remplacée par celle de 2015, ce point conditionnait la détermination du loyer commercial, puisque les deux versions successives de la charte prévoyaient des solutions différentes, notamment quant à l'évaluation des annexes et des réserves du local donné à bail commercial ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Dax Meubles fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le loyer commercial au 1er février 2013 à la somme de 185.061,63 € hors taxes et hors charges ;
Alors que la décision du locataire de ne pas exploiter certaines surfaces n'est pas opposable au bailleur ; qu'en énonçant que c'était de manière conforme à la réalité qu'en l'espèce, l'expert judiciaire avait déterminé que la surface de vente exploitée par la société Besson Chaussures était de 1.571 m², compte tenu de la transformation en réserve, unilatéralement décidée et mise en oeuvre par cette société preneur, d'une partie du local qu'elle utilisait antérieurement comme surface de vente, la cour d'appel a violé les articles L. 145-33 et R. 145-3 du Code de commerce. Moyen produit au pourvoi n° X 20-21.651 par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société Besson chaussures.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à condamnation de la SAS Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, puis à compter de chaque échéance trimestrielle ;
AUX MOTIFS QUE – Sur l'appel incident de la SAS Besson Chaussures - La société intimée a formé un appel incident à l'encontre de la décision déférée en sollicitant la condamnation de la SAS Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyer qu'elle a réglé sur la base de ce qui lui a été facturé par son bailleur à compter du renouvellement intervenu le 1er février 2013, au regard de la valeur locative estimée à l'issue de l'expertise judiciaire. Toutefois, c'est à juste titre que le premier juge a rejeté cette demande au motif qu'elle excède la compétence du juge des loyers commerciaux. En effet, la juridiction de première instance a été saisie sur le fondement de l'article R. 145-23 du code de commerce qui donne compétence au président du tribunal de grande instance ou au juge qui le remplace pour statuer sur les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé. La compétence du juge des loyers commerciaux est donc limitée à la fixation du prix du bail renouvelé sans pouvoir statuer sur une demande en restitution d'un trop-perçu de loyer ;
ET AUX MOTIFS QUE – Sur les autres demandes – La demande tendant à la condamnation de la Sas Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, puis à compter de chaque échéance trimestrielle, excède la compétence du juge des loyers commerciaux ;
ALORS QUE le juge des loyers commerciaux qui fixe le prix du loyer révisé à un montant inférieur à celui du loyer versé par le preneur est compétent pour statuer sur la demande de restitution par le bailleur du trop-perçu qui en résulte, cette demande étant accessoire à la demande principale ; qu'en retenant, après avoir fixé le montant du loyer du bail renouvelé, que la condamnation de la société Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyers, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, excédait sa compétence, la cour d'appel a violé l'article 1376, devenu l'article 1302-1 du code civil, ensemble l'article R. 145-23 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi n° Y 20-21.652 par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société Besson chaussures.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR ordonné la mainlevée de la saisie-attribution ;
AUX MOTIFS QUE – Si l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard, l'article L. 111-2 du même code précise que c'est sur la base d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible qu'une mesure d'exécution forcée peut être pratiquée sur les biens du débiteur. Il n'est pas exigé, pour retenir la qualification de titre exécutoire, que la décision juridictionnelle contienne formellement une condamnation à effectuer un paiement mais seulement qu'il en résulte, sans ambiguïté, une obligation de payer une somme liquide et exigible. En d'autres termes, le recouvrement forcé d'une créance peut intervenir lorsqu'elle est liquide, c'est-à-dire évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation, et qu'elle est exprimée dans une décision juridictionnelle qui emporte de manière claire et non ambiguë une obligation de paiement. En l'espèce, la SAS Besson Chaussures a fait pratiquer, le 28 juin 2019, une saisie attribution sur le compte ouvert auprès de la Société Générale, prise en son agence d'Anglet, au nom de la SAS Dax Meubles pour obtenir paiement d'une somme évaluée en principal à 382 736,52 €, en déclarant agir en vertu de la décision prononcée par le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Dax le 20 février 2019. Le procès-verbal énonce, au titre du détail des éléments de la créance, qu'il s'agit de «trop-perçus de loyer au 31 mars 2019». Ainsi qu'il résulte des écritures de la SAS Besson Chaussures, cette somme résulte de la différence qui existe entre le montant des loyers qu'elle a réglés à la SAS Dax Meubles sur la base du loyer provisionnel fixé avant expertise par jugement du 13 septembre 2017 et celui dont elle est réellement redevable, après fixation du loyer du bail renouvelé, dans les termes du jugement du 28 juin 2019, au demeurant non définitif puisque frappé d'appel sur l'initiative du bailleur. Or, sur la demande de la SAS Besson Chaussures qui avait sollicité du juge des loyers commerciaux qu'il se prononce sur cette créance de restitution et qu'il condamne son bailleur à la lui rembourser, la juridiction saisie, dans le dispositif de sa décision, n'a pas fait droit à cette demande et, au contraire, a «dit n'y avoir lieu à condamnation de la SAS Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyer, avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 2013, puis à compter de chaque échéance trimestrielle». Le juge des loyers commerciaux s'est donc prononcé de manière claire et expresse en excluant, dans le cadre de la procédure dont il était saisi et dans les limites de sa compétence, une condamnation du bailleur au remboursement du trop-perçu de loyer. Cette décision judiciaire, même si elle constitue bien un titre exécutoire, n'a donc pas prononcé condamnation à paiement à l'encontre de la SAS Dax Meubles et n'a pas davantage exprimé, de manière claire et non ambiguë, une obligation de paiement à la charge de celle-ci et au profit du preneur au titre des sommes réclamées dans le cadre de la mesure de saisie-attribution. Contrairement à ce qu'affirme la SAS Besson Chaussures, l'impossibilité pour elle de se prévaloir du jugement du 20 février 2019 pour pratiquer une mesure d'exécution forcée à l'encontre de son bailleur ne conduit pas à la priver du bénéfice de l'exécution provisoire dont ce jugement est assorti puisque c'est en vertu de cette même décision que le montant du loyer dont elle est redevable est fixé à un certain montant, à compter du 1er février 2013, date de renouvellement du bail, et qu'à compter de ce même jugement, en vertu de l'exécution provisoire dont il est assorti, elle n'est plus redevable que du loyer qu'il fixe. En outre, l'article 1305-2 du code civil ne peut être utilement invoqué par l'appelante ainsi qu'elle le fait. En effet, si cette disposition prévoit que ce qui n'est dû qu'à terme ne peut être exigé avant l'échéance, elle ajoute que ce qui a été payé d'avance ne peut être répété. En conséquence, la mesure de saisie-attribution ne pouvait être maintenue et c'est à juste titre que sa mainlevée a été ordonnée par le premier juge dont la décision est confirmée ;
ET AUX MOTIFS QUE – Aux termes de l'article L 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. En l'espèce, la SAS Besson Chaussures ne peut poursuivre l'exécution d'un jugement rendu par le juge des loyers commerciaux ayant fixé rétroactivement le loyer à une somme moindre que celle dont elle s'acquittait, au titre d'une créance de restitution qui n'a pas été constatée dans ce titre exécutoire ni dans un autre, le juge ayant du reste dit n'y avoir lieu à condamnation de la SAS Besson Chaussures au remboursement du trop-perçu après avoir retenu que pareille demande excédait sa compétence. Il convient d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution. La SAS Dax Meubles ne peut démontrer le caractère abusif de la mesure d'exécution contestée, dès lors que la SAS Besson Chaussures pouvait en toute bonne foi tirer du jugement la conclusion qu'il lui reconnaissait implicitement une créance certaine ;
1) ALORS QUE le jugement fixant le loyer du bail commercial, même en l'absence de condamnation au paiement, constitue un titre exécutoire permettant au preneur d'agir en exécution forcée pour recouvrer le trop-perçu des loyers versés ; qu'en retenant, pour ordonner la mainlevée de la saisie attribution, que le jugement du 20 février 2019, dans son dispositif, n'a pas fait à droit à la demande de la société Besson Chaussures tendant à la condamnation du bailleur à la créance de restitution mais a, au contraire dit n'y avoir lieu à condamnation de la société Dax Meubles au remboursement du trop-perçu de loyer, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution ;
2) ALORS QUE l'obligation pour le bailleur de restituer le trop-perçu des loyers versés depuis le renouvellement du bail est une conséquence inéluctable de la fixation par le juge d'un loyer renouvelé inférieur au loyer payé par le preneur ; qu'en retenant, pour ordonner la mainlevée de la saisie attribution, que le jugement ayant fixé le loyer du bail renouvelé n'a pas exprimé, de manière claire et non ambigüe, une obligation de paiement à la charge de la société Dax Meubles et au profit du preneur au titre des sommes réclamées dans le cadre de la saisie attribution quand ce jugement emportait nécessairement un tel effet, la cour d'appel a violé l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution. | En application de l'article R. 145-23 du code de commerce, la compétence du juge des loyers qui lui permet, après avoir fixé le prix du bail révisé ou renouvelé, d'arrêter le compte que les parties sont obligées de faire, est exclusive du prononcé d'une condamnation |
7,763 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 408 FS+B
Pourvoi n° C 20-23.335
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022
M. [N] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 20-23.335 contre l'arrêt rendu le 23 juillet 2020 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à l'association Astria, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [S], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 23 juillet 2020), par acte sous seing privé du 4 septembre 2014, la société Erilia a donné à bail à M. [S] et Mme [X] un local à usage d'habitation. L'association Astria s'est portée caution solidaire des engagements des locataires.
2. Ayant réglé des loyers et charges impayés, l'association Astria, subrogée dans les droits du bailleur, a obtenu du juge d'instance de Nîmes une ordonnance en injonction de payer à l'encontre de laquelle M. [S] a formé opposition.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [S] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de l'association Astria et de le condamner en conséquence à lui payer la somme de 5 392,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2018, alors « que les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, selon lesquelles l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, posent une règle de portée générale, qui s'applique à toutes les actions des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, en l'absence de dispositions particulières ; qu'en conséquence, si le bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation et si, par suite, la prescription de trois ans édictée par les dispositions de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 est seule applicable à l'action en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés exercée par un bailleur professionnel à l'encontre d'un preneur à bail d'habitation consommateur, le cautionnement consenti par un professionnel pour garantir le paiement des loyers et charges par un preneur à bail d'habitation consommateur est un service financier fourni à ce preneur par ce professionnel et, par conséquent, l'action récursoire exercée par l'organisme de caution, qui a payé des loyers et charges au bailleur au lieu et place du preneur à bail d'habitation consommateur est une action en paiement soumise à la prescription de deux ans prévue par les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, et non à la prescription de trois ans édictée par les dispositions de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 ; qu'en retenant le contraire, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'association Astria et condamner M. [S] à payer à l'association Astria la somme de 5 392,20 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2017, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation et de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989. »
Réponse de la Cour
4. Le délai de prescription des actions dérivant d'un contrat de bail d'habitation étant spécifiquement fixé à trois ans par les dispositions de l'article 7-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation ne leur est pas applicable.
5. Il résulte, par ailleurs, de l'article 2306 du code civil, dans sa version applicable, que l'action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription que celle applicable à l'action du créancier contre le débiteur.
6. Après avoir, à bon droit, retenu que le délai applicable au recours subrogatoire intenté par l'association Astria contre le locataire était celui de l'article 7-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la cour d'appel, qui a constaté que moins de trois ans s'étaient écoulés entre son point de départ et l'acte interruptif de prescription, en a exactement déduit que l'action était recevable.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S].
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour M. [S]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'association Astria et D'AVOIR, en conséquence, condamné M. [N] [S] à payer à l'association Astria la somme de 5 392, 20 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2017 ;
ALORS QUE les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, selon lesquelles l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, posent une règle de portée générale, qui s'applique à toutes les actions des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, en l'absence de dispositions particulières ; qu'en conséquence, si le bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation et si, par suite, la prescription de trois ans édictée par les dispositions de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 est seule applicable à l'action en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés exercée par un bailleur professionnel à l'encontre d'un preneur à bail d'habitation consommateur, le cautionnement consenti par un professionnel pour garantir le paiement des loyers et charges par un preneur à bail d'habitation consommateur est un service financier fourni à ce preneur par ce professionnel et, par conséquent, l'action récursoire exercée par l'organisme de caution, qui a payé des loyers et charges au bailleur au lieu et place du preneur à bail d'habitation consommateur, débiteur principal, à l'encontre de ce preneur à bail d'habitation consommateur est une action en paiement soumise à la prescription de deux ans prévue par les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, et non à la prescription de trois ans édictée par les dispositions de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 ; qu'en retenant le contraire, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de l'association Astria et condamner M. [N] [S] à payer à l'association Astria la somme de 5 392, 20 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2017, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation et de l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989. | L'action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription que celle applicable à l'action du créancier contre le débiteur, et les baux d'habitation régis par la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 obéissent à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation, de sorte que le recours subrogatoire de la caution contre le locataire défaillant est soumis au délai de prescription triennal institué par l'article 7-1 de cette loi |
7,764 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 294 F-B
Pourvoi n° N 20-23.298
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022
La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 20-23.298 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Institut de recherche biologique (IRB), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Institut de recherche biologique a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société La Poste, de Me Ridoux, avocat de la société Institut de recherche biologique, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 octobre 2020), la société Institut de recherche biologique (la société IRB), spécialisée dans la fabrication et la vente, notamment en ligne, de compléments alimentaires et de produits cosmétiques, a signé, à compter de 2006, avec la société La Poste (La Poste), des contrats « Colissimo Entreprise » ayant pour objet la prise en charge, l'acheminement et la distribution de colis à destination de ses clients.
2. Reprochant à La Poste des retards, pertes et avaries au cours de l'année 2012, la société IRB lui a adressé une réclamation et l'a mise en demeure, à titre principal, d'y apporter une réponse et, à titre subsidiaire, de lui payer une certaine somme à titre d'indemnisation.
3. Le 7 mars 2013, la société Itinsell, créatrice d'un logiciel « Itrack » permettant aux commerçants et vendeurs à distance de contrôler les expéditions, la gestion des incidents de livraison et les procédures administratives auprès des transporteurs, indiquant agir au nom de ses clients, dont la société IRB, a saisi le médiateur du groupe La Poste « de l'ensemble des réclamations ouvertes par leurs soins relatives aux colis expédiés antérieurement au 31 octobre 2012 et non clôturées à ce jour ».
4. Le médiateur du groupe La Poste a déclaré ces demandes « irrecevables ».
5. Par acte du 8 août 2013, la société IRB a assigné La Poste en vue de voir engager sa responsabilité au titre de l'inexécution de ses obligations contractuelles pour des colis envoyés entre le 1er janvier 2012 et le 30 avril 2013, sollicitant l'application de la clause pénale et la réparation de ses préjudices de perte de clientèle et d'image.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La Poste fait grief à l'arrêt de déclarer nulles les stipulations des clauses des articles 2.2, 11.1 et 17.1 de ses conditions générales de vente dans leurs versions de mars 2011 et mars 2012, telles que citées au dispositif de l'arrêt, qui font dépendre le point de départ du délai d'acheminement d'un colis de son enregistrement dans le système de traitement automatisé de La Poste et prévoient que les informations fournies par le système d'information de La Poste, issues des « flashages » des colis lors des différentes étapes de son acheminement, font foi entre les parties pour déterminer l'occurrence d'un retard, d'une perte ou d'une avarie, alors :
« 1°/ que la possibilité effective dont dispose le cocontractant de faire appel à d'autres prestataires ou à d'autres types de contrat pour l'exécution de ses demandes exclut toute soumission ou tentative de soumission de ce dernier à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que, dans ses conclusions, La Poste faisait valoir l'absence de toute soumission de la société IRB, observant que l'acheminement de colis est une activité ouverte à la concurrence et qu'elle-même n'est qu'un acteur, parmi d'autres de ce marché ; qu'elle observait encore que la société IRB avait choisi de conclure, pour l'envoi de ses colis, un contrat de la gamme Colissimo Entreprise, impliquant un traitement automatisé et qu'elle avait reconduit, depuis 2006, ses relations contractuelles avec La Poste, bien qu'elle puisse y mettre fin chaque année, sans jamais contester les clauses des conditions générales de vente ; qu'en se bornant cependant à relever, pour retenir la soumission de la société IRB à des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, partant prononcer la nullité desdites clauses, qu' "il est établi que les clauses litigieuses sont insérées dans les conditions générales de vente de La Poste et qu'elles sont quasiment identiques dans tous les contrats conclus par la société IRB entre 2006 et 2014 et se retrouvent sans modification possible dans l'ensemble des contrats souscrits par des entreprises avec La Poste", sans rechercher si la société IRB, qui n'avait jamais contesté les clauses litigieuses, n'avait pas la possibilité effective de s'adresser à d'autres prestataires ou de conclure d'autres types de contrats avec La Poste, de sorte qu'il n'y avait aucune obligation subie par le partenaire commercial, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
2°/ que ne crée pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la clause qui, pour déterminer l'étendue exacte de l'engagement de la société prestataire, se borne à prévoir que le point de départ du délai de distribution est fixé au moment de l'enregistrement de la première saisie postale dans le système d'information ; que, pour les colis en nombre, imposant un traitement informatisé, La Poste ne s'engage au respect d'un délai d'acheminement minimal qu'à compter de l'enregistrement, par flashage, des colis dans le système d'information automatisé ; qu'en énonçant, pour déclarer nulle la clause de l'article 2.2 des conditions générales de vente de la gamme Colissimo Entreprise, stipulant que "le colis est pris en charge par La Poste à compter de l'enregistrement de la première saisie postale dans le système d'information de La Poste (flashage)" que "les dispositions critiquées font dépendre le point de départ du délai d'acheminement d'un colis exclusivement de son enregistrement dans le système d'information de La Poste alors même que La Poste s'engage au respect de délais d'acheminement minimum", quand le constat que La Poste s'engageait au respect de délais d'acheminement minimum n'était pas de nature à caractériser l'illicéité de la clause définissant ce délai d'acheminement au regard de la date d'enregistrement du colis dans le système d'information, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
3°/ que n'est pas exclusive de toute preuve contraire la clause qui stipule que les informations issues du système automatisé de traitement des colis font foi entre les parties ou qui énonce que ces informations prévalent sur celles mentionnées sur le bordereau de dépôt ; que les articles 2.2, 11 et 17.1 des conditions générales de vente de la gamme Colissimo Entreprise se bornent à prévoir, respectivement, que "les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des flashages des colis par La Poste font foi.", (article 2.2), que "les Parties conviennent que les informations issues du système d'information de La Poste et liées à la prise en charge, à l'acheminement, à la notification et à la distribution le cas échéant remontées par flashage des colis lors de leur prise en charge, acheminement, la notification et distribution prévalent sur celles renseignées dans le bordereau de dépôt.", qu'"en toute hypothèse, les Parties conviennent que les modifications apportées par La Poste et intégrées dans le système d'information de La Poste font foi entre les Parties.", (article 11) et "Pour les colis de la gamme Colissimo Entreprise, qui font l'objet d'un suivi jusqu'à leur destination, les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des flashages des colis lors des différentes étapes d'acheminement (prise en charge, transport, notification au destinataire, le cas échéant, et distribution) font foi entre les Parties pour déterminer l'occurrence ou non d'un retard (en cas d'engagement de délai) ou d'une perte ou avarie.", (article 17.1) ; qu'en énonçant, pour annuler ces clauses contractuelles, qu'"il ressort des dispositions litigieuses que le système d'information de La Poste prévaut sur tout autre élément de preuve que son cocontractant pourrait vouloir apporter et qui pourrait contredire les informations qui y sont contenues", quand aucune des stipulations susvisées n'excluait la possibilité d'une preuve contraire et que les informations issues du système de traitement automatisé des colis ne prévalaient que sur les mentions figurant au bordereau de dépôt, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des articles 2.2, 11 et 17.1 des conditions générales de la gamme Colissimo Entreprise, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, après avoir rappelé que l'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective, l'arrêt retient qu'il est établi que les clauses litigieuses sont insérées dans les conditions générales de vente de La Poste et qu'elles sont quasiment identiques dans tous les contrats conclus par la société IRB entre 2006 et 2014 et se retrouvent sans modification possible dans l'ensemble des contrats souscrits par des entreprises avec La Poste. Il en déduit que les clauses contestées n'ont pas fait l'objet d'une négociation effective entre les parties.
9. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, établissant la soumission de la société IRB aux conditions contractuelles édictées par La Poste et dès lors que celle-ci ne soutenait pas qu'elle offrait d'autres propositions commerciales à ses clients, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la première branche, a légalement justifié sa décision.
10. En second lieu, après avoir énoncé que l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, l'arrêt relève que les conditions générales de La Poste prévoient, à l'article 2-2, que les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des « flashages » des colis par La Poste font foi, à l'article 11.1, que les parties conviennent que les informations issues du système d'information de La Poste et liées à la prise en charge, à l'acheminement, à la notification et à la distribution le cas échéant remontées par « flashage » des colis lors de leur prise en charge, acheminement, la notification et distribution prévalent sur celles renseignées dans le bordereau de dépôt, et, à l'article 17.1, que pour les colis de la gamme Colissimo Entreprise, qui font l'objet d'un suivi jusqu'à leur destination, les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des « flashages » des colis lors des différentes étapes d'acheminement (prise en charge, transport, notification au destinataire, le cas échéant, et distribution) font foi entre les parties pour déterminer l'occurrence ou non d'un retard (en cas d'engagement de délai) ou d'une perte ou avarie. Il retient qu'ainsi, d'un côté, ces articles prévoient que le système d'information de La Poste prévaut sur tout autre élément de preuve que son cocontractant pourrait vouloir apporter et qui pourrait contredire les informations qui y sont contenues, cependant qu'en dépendent la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de La Poste et l'indemnisation en résultant, et, de l'autre, qu'ils font dépendre le point de départ du délai d'acheminement d'un colis exclusivement de son enregistrement dans le système d'information de La Poste, quand celle-ci s'engage au respect de délais d'acheminement minimum. Il en déduit que ces clauses créent au détriment de la société cocontractante de La Poste un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, sans que celle-ci ne rapporte la preuve de la compensation de ce déséquilibre par d'autres clauses du contrat.
11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, c'est sans dénaturer les clauses litigieuses, dont l'ambiguïté nécessitait l'interprétation, que la cour d'appel a déclaré nulles ces clauses pour déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
13. La Poste fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce que soient jugées irrecevables comme prescrites les demandes relatives à des colis déposés entre le 7 mars 2012 et le 8 août 2012, pour les envois relevant d'une prescription d'un an, et les demandes relatives à des colis déposés entre le 7 septembre 2012 et le 8 février 2013, pour les envois relevant d'une prescription de six mois, et d'avoir, en conséquence, ordonné une mesure d'expertise en vue de déterminer l'existence de retards, pertes ou avaries pour ces colis, alors :
« 2°/ que la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ; que la seule saisine d'un médiateur n'est pas, en l'absence de commencement de la médiation, suspensive de prescription ; qu'en retenant cependant, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que "la saisine écrite du médiateur doit être considérée comme marquant le début de la suspension du délai de prescription" dès lors que cette saisine consacre la volonté des parties de recourir à une mesure de médiation, quand la seule saisine du médiateur ne constitue ni l'accord écrit des parties, ni la première réunion de médiation, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction, issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige ;
3°/ que la saisine d'un médiateur jugée irrecevable n'est pas suspensive de prescription, peu important le bien-fondé de cette décision ; qu'en énonçant de façon inopérante, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que "si le médiateur a, par lettre du 29 mars 2013, décidé de "classer" cette demande de médiation, prétextant la procédure judiciaire diligentée à l'encontre de La Poste, et, par lettre du 16 avril 2013, confirmé l'irrecevabilité de la demande de médiation, il a, dans une lettre du 28 juin 2013, reporté son intervention à l'issue du traitement des réclamations par la société La Poste de sorte que la mesure de médiation n'a pu se mettre en place du fait du médiateur", la cour d'appel a encore violé, par refus d'application, l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction, issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige ;
4°/ que par lettre du 16 avril 2013, le médiateur du groupe La Poste a confirmé l'irrecevabilité de la demande formée par la société Itinsell, concernant 492 125 réclamations pour des motifs et clients différents, accompagnée d'une palette de 610 kg de dossiers, au motif, notamment, que "la demande, par son ampleur, est dénuée de tout caractère raisonnable et ne réponds pas à l'esprit de la médiation, ce qui ne me permet pas de la traiter" ; qu'en se bornant à affirmer, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que "si le médiateur a, par lettre du 29 mars 2013, décidé de "classer" cette demande de médiation, prétextant la procédure judiciaire diligentée à l'encontre de la société La Poste, et, par lettre du 16 avril 2013, confirmé l'irrecevabilité de la demande de médiation, il a, dans une lettre du 28 juin 2013, reporté son intervention à l'issue du traitement des réclamations par la société La Poste de sorte que la mesure de médiation n'a pu se mettre en place du fait du médiateur", sans rechercher si les conditions de recevabilité de la demande de médiation, supposant une individualisation des litiges et la preuve de l'accomplissement des formalités de réclamations internes auprès des services de La Poste, étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige. »
Réponse de la Cour
14. En premier lieu, l'arrêt constate que la société IRB a saisi le médiateur du groupe La Poste par lettre du 7 mars 2013. Il en déduit que cette saisine écrite du médiateur institutionnel de ce groupe doit être considérée comme marquant le début de la suspension du délai de prescription conformément à l'article 2238 du code civil, dès lors que la saisine de ce médiateur par la société IRB consacre la volonté des parties de recourir à une mesure de médiation.
15. De ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la mise en place d'un médiateur en son sein caractérise la volonté de La Poste de recourir, par principe, dans l'hypothèse d'un litige, à la médiation, de sorte qu'en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, la saisine de son médiateur par lettre d'un cocontractant formalise l'accord écrit prévu à l'article 2238 du code civil, la cour d'appel a exactement déduit que la prescription avait été suspendue à compter du 7 mars 2013.
16. En second lieu, l'arrêt constate que par une lettre du 28 juin 2013, le médiateur a reporté son intervention à l'issue du traitement des réclamations par La Poste, et en déduit qu'il est ainsi revenu sur sa décision d'irrecevabilité de la demande résultant de ses lettres des 29 mars et 16 avril 2013. Il retient que, par son assignation en justice du 8 août 2013, la société IRB a manifesté sa volonté de mettre un terme à la médiation.
17. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a exactement déduit que le cours de la prescription, suspendu depuis le 7 mars 2013, n'avait pas repris du fait des lettres du médiateur de La Poste des 29 mars et 16 avril 2013, avant d'être interrompu le 8 août 2013, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche invoquée par la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
19. La société IRB fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes contenues dans l'assignation du 8 août 2013 et maintenues depuis, et relatives à des colis déposés avant le 7 mars 2012 pour les envois relevant de la prescription d'un an, et avant le 7 septembre 2012 pour les envois relevant d'une prescription de six mois, ses demandes formées en première instance par conclusions des 25 janvier et 22 février 2017 pour des colis envoyés entre le 9 janvier 2012 et le 30 juin 2014, dès lors qu'elles ne portent pas sur des colis visés dans l'assignation du 8 août 2013 et ses demandes d'indemnisation formulées en appel concernant des colis envoyés entre le 2 juillet 2012 et le 1er juillet 2019 pour lesquels aucune demande d'indemnisation n'a été formée en première instance, alors « que les parties peuvent ajouter, en appel, aux prétentions soumises au premier juge, toutes les demandes qui tendent aux mêmes fins d'indemnisation des préjudices causés par des manquements contractuels identiques entre les mêmes parties, ou qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevables comme nouvelles en cause d'appel, un ensemble de demandes d'indemnisation formulées en appel par la société IRB au titre des mêmes manquements contractuels, sur le même fondement, et entre les mêmes parties, que les demandes qu'elle avait expressément formulées en première instance ; qu'en statuant ainsi, quand ces demandes tendaient aux mêmes fins que les demandes formées en première instance et en constituaient le complément, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 565 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
20. Ayant relevé que les demandes d'indemnisation en appel portaient pour partie sur des nouveaux colis pour lesquels aucune demande d'indemnisation n'avait été formée en première instance, ce dont il se déduit qu'elles n'étaient ni l'accessoire, ni la conséquence ni encore le complément nécessaire des demandes formées en première instance, la cour d'appel a exactement retenu que cette demande constituait une demande nouvelle.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Poste et la condamne à payer à la société Institut de recherche biologique la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société La Poste.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société La Poste fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, infirmant le jugement entrepris, déclaré nulles les stipulations des clauses des articles 2.2, 11.1 et 17.1 des conditions générales de vente de la société La Poste version mars 2011 et version mars 2012, telles que citées au dispositif de l'arrêt, qui font dépendre le point de départ du délai d'acheminement d'un colis de son enregistrement dans le système de traitement automatisé de la société La Poste et prévoient que les informations fournies par le système d'information de la société La Poste, issues des flashages des colis lors des différentes étapes de son acheminement, font foi entre les parties pour déterminer l'occurrence d'un retard, d'une perte ou d'une avarie,
1) ALORS QUE la possibilité effective dont dispose le cocontractant de faire appel à d'autres prestataires ou à d'autres types de contrat pour l'exécution de ses demandes exclut toute soumission ou tentative de soumission de ce dernier à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; que, dans ses conclusions, la société La Poste faisait valoir l'absence de toute soumission de la société IRB, observant que l'acheminement de colis est une activité ouverte à la concurrence et qu'elle-même n'est qu'un acteur, parmi d'autres de ce marché ; qu'elle observait encore que la société IRB avait choisi de conclure, pour l'envoi de ses colis, un contrat de la gamme Colissimo Entreprise, impliquant un traitement automatisé et qu'elle avait reconduit, depuis 2006, ses relations contractuelles avec la société La Poste, bien qu'elle puisse y mettre fin chaque année, sans jamais contester les clauses des conditions générales de vente ; qu'en se bornant cependant à relever, pour retenir la soumission de la société IRB à des clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, partant prononcer la nullité desdites clauses, qu' « il est établi que les clauses litigieuses sont insérées dans les conditions générales de vente de la société La Poste et qu'elles sont quasiment identiques dans tous les contrats conclus par la société IRB entre 2006 et 2014 et se retrouvent sans modification possible dans l'ensemble des contrats souscrits par des entreprises avec la société La Poste », sans rechercher si la société IRB, qui n'avait jamais contesté les clauses litigieuses, n'avait pas la possibilité effective de s'adresser à d'autres prestataires ou de conclure d'autres types de contrats avec la société La Poste, de sorte qu'il n'y avait aucune obligation subie par le partenaire commercial, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
2) ALORS QUE ne crée pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la clause qui, pour déterminer l'étendue exacte de l'engagement de la société prestataire, se borne à prévoir que le point de départ du délai de distribution est fixé au moment de l'enregistrement de la première saisie postale dans le système d'information ; que, pour les colis en nombre, imposant un traitement informatisé, la société La Poste ne s'engage au respect d'un délai d'acheminement minimal qu'à compter de l'enregistrement, par flashage, des colis dans le système d'information automatisé ; qu'en énonçant, pour déclarer nulle la clause de l'article 2.2 des conditions générales de vente de la gamme Colissimo Entreprise, stipulant que « le colis est pris en charge par La Poste à compter de l'enregistrement de la première saisie postale dans le système d'information de La Poste (flashage) », que « les dispositions critiquées font dépendre le point de départ du délai d'acheminement d'un colis exclusivement de son enregistrement dans le système d'information de La Poste alors même que la société La Poste s'engage au respect de délais d'acheminement minimum », quand le constat que la société La Poste s'engageait au respect de délais d'acheminement minimum n'était pas de nature à caractériser l'illicéité de la clause définissant ce délai d'acheminement au regard de la date d'enregistrement du colis dans le système d'information, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 27 juillet 2010, applicable au litige ;
3) ALORS QUE n'est pas exclusive de toute preuve contraire la clause qui stipule que les informations issues du système automatisé de traitement des colis font foi entre les parties ou qui énonce que ces informations prévalent sur celles mentionnées sur le bordereau de dépôt ; que les articles 2.2, 11 et 17.1 des conditions générales de vente de la gamme Colissimo Entreprise se bornent à prévoir, respectivement, que « les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des flashages des colis par La Poste font foi. », (article 2.2), que « les Parties conviennent que les informations issues du système d'information de La Poste et liées à la prise en charge, à l'acheminement, à la notification et à la distribution le cas échéant remontées par flashage des colis lors de leur prise en charge, acheminement, la notification et distribution prévalent sur celles renseignées dans le bordereau de dépôt. », qu'« en toute hypothèse, les Parties conviennent que les modifications apportées par La Poste et intégrées dans le système d'information de La Poste font foi entre les Parties.», (article 11) et « Pour les colis de le gamme Colissimo Entreprise, qui font l'objet d'un suivi jusqu'à leur destination, les différentes informations fournies par le système d'information de La Poste issues des flashages des colis lors des différentes étapes d'acheminement (prise en charge, transport, notification au destinataire, le cas échéant, et distribution) font foi entre les Parties pour déterminer l'occurrence ou non d'un retard (en cas d'engagement de délai) ou d'une perte ou avarie. », (article 17.1) ; qu'en énonçant, pour annuler ces clauses contractuelles, qu'« il ressort des dispositions litigieuses que le système d'information de la société La Poste prévaut sur tout autre élément de preuve que son cocontractant pourrait vouloir apporter et qui pourrait contredire les informations qui y sont contenues », quand aucune des stipulations susvisées n'excluait la possibilité d'une preuve contraire et que les informations issues du système de traitement automatisé des colis ne prévalaient que sur les mentions figurant au bordereau de dépôt, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des articles 2.2, 11 et 17.1 des conditions générales de la gamme Colissimo Entreprise, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société La Poste fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant à ce que soient jugées irrecevables comme prescrites les demandes relatives à des colis déposés entre le 7 mars 2012 et le 8 août 2012, pour les envois relevant d'une prescription d'un an et les demandes relatives à des colis déposés entre le 7 septembre 2012 et le 8 février 2013, pour les envois relevant d'une prescription de six mois et d'avoir, en conséquence, ordonné une mesure d'expertise en vue de déterminer l'existence de retards, pertes ou avaries pour ces colis,
1) ALORS QUE la représentation conventionnelle d'une personne par une autre suppose l'existence d'un mandat et que l'acte effectué par le mandataire s'inscrive dans les termes de ce mandat ; qu'il appartient au mandant, qui invoque à l'encontre d'un tiers le bénéfice de l'acte effectué par son mandataire, d'établir l'existence et le contenu du mandat confié ; qu'en affirmant, pour dire qu'il était établi que la société IRB avait, par l'intermédiaire de son mandataire, la société Itinsell, saisi le médiateur du groupe La Poste par lettre du 7 mars 2013, et que cette saisine avait suspendu le délai de prescription de l'action en réparation intentée par la société IRB, que « dans la mesure où, dans cette lettre, la société Itinsell a indiqué agir en qualité de mandataire de certains clients dont elle donnait la liste et que dans cette liste figurait la société IRB, (
), la société La Poste n'est pas fondée à mettre en doute l'existence du mandat qui concerne les rapports entre la société IRB et la société Itinsell », quand la saisine du médiateur par la société Itinsell ne pouvait suspendre la prescription de l'action que pour autant que cette société détenait un mandat de la société IRB à cette fin, la cour d'appel a méconnu les règles de la représentation, en violation de l'article 1984 du code civil ;
2) ALORS QUE la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ; que la seule saisine d'un médiateur n'est pas, en l'absence de commencement de la médiation, suspensive de prescription ; qu'en retenant cependant, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que « la saisine écrite du médiateur doit être considérée comme marquant le début de la suspension du délai de prescription » dès lors que cette saisine consacre la volonté des parties de recourir à une mesure de médiation, quand la seule saisine du médiateur ne constitue ni l'accord écrit des parties, ni la première réunion de médiation, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction, issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige ;
3) ALORS QUE la saisine d'un médiateur jugée irrecevable n'est pas suspensive de prescription, peu important le bien-fondé de cette décision ; qu'en énonçant de façon inopérante, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que « si le médiateur a, par lettre du 29 mars 2013, décidé de « classer » cette demande de médiation, prétextant la procédure judiciaire diligentée à l'encontre de la société La Poste, et, par lettre du 16 avril 2013, confirmé l'irrecevabilité de la demande de médiation, il a, dans une lettre du 28 juin 2013, reporté son intervention à l'issue du traitement des réclamations par la société La Poste de sorte que la mesure de médiation n'a pu se mettre en place du fait du médiateur », la cour d'appel a encore violé, par refus d'application, l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction, issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige;
4) ALORS, en tout état de cause QUE par lettre du 16 avril 2013, le médiateur du groupe La Poste a confirmé l'irrecevabilité de la demande formée par la société Itinsell, concernant 492 125 réclamations pour des motifs et clients différents, accompagnée d'une palette de 610 kg de dossiers, au motif, notamment, que « la demande, par son ampleur, est dénuée de tout caractère raisonnable et ne réponds pas à l'esprit de la médiation, ce qui ne me permet pas de la traiter »; qu'en se bornant à affirmer, pour dire que le délai de prescription avait été suspendu entre le 7 mars 2013, date de la saisine du médiateur et le 8 août 2013, date de l'assignation, que « si le médiateur a, par lettre du 29 mars 2013, décidé de « classer » cette demande de médiation, prétextant la procédure judiciaire diligentée à l'encontre de la société La Poste, et, par lettre du 16 avril 2013, confirmé l'irrecevabilité de la demande de médiation, il a, dans une lettre du 28 juin 2013, reporté son intervention à l'issue du traitement des réclamations par la société La Poste de sorte que la mesure de médiation n'a pu se mettre en place du fait du médiateur », sans rechercher si les conditions de recevabilité de la demande de médiation, supposant une individualisation des litiges et la preuve de l'accomplissement des formalités de réclamations internes auprès des services de la société La Poste, étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2238 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 2010, applicable au litige. Moyen produit au pourvoi incident par Me Ridoux, avocat aux Conseils, pour la société Institut de recherche biologique (IRB).
La société IRB FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré irrecevables :
- ses demandes contenues dans l'assignation du 8 août 2013 et maintenues depuis, et relatives à des colis déposés avant le 7 mars 2012 pour les envois relevant de la prescription d'un an, et avant le 7 septembre 2012 pour les envois relevant d'une prescription de six mois ;
- ses demandes formées en première instance par conclusions du 25 janvier 2017 et 22 février 2017 pour des colis envoyés entre le 9 janvier 2012 et le 30 juin 2014, dès lors qu'elles ne portent pas sur des colis visés dans l'assignation du 8 août 2013 ;
- et ses demandes d'indemnisation formulées en appel concernant des colis envoyés entre le 2 juillet 2012 et le 1er juillet 2019 pour lesquels aucune demande d'indemnisation n'a été formée en première instance ;
1°) ALORS, d'une part, QUE la prescription d'un an prévue à l'article 10 du code des postes et des communications électroniques ne s'applique, s'agissant des retards de livraison, qu'aux actions engagées dans le cadre de l'article 8 du même code, à savoir aux actions en indemnisation des dommages directs causés par le retard dans la distribution d'un envoi postal ; que la clause pénale revêt le caractère d'une pénalité conventionnelle et forfaitaire qui n'a pas pour objet d'indemniser seulement des « dommages directs » mais englobe tous les préjudices consécutifs à l'inexécution contractuelle, y compris ceux qui ne seraient pas la suite immédiate et directe du contrat tel la perte de bénéfice, la perte d'exploitation, la perte de marché, la perte de commande, l'impact résultant du cumul et de la répétition des retards ; qu'en décidant au contraire que la prescription extinctive d'un an s'appliquait à la mise en oeuvre de la clause pénale, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1152 du code civil dans sa rédaction issue de la loi n° 85-1097 du 11 octobre 1985 ainsi que, par fausse application, les articles 8 et 10 du code des postes et des communications électroniques ;
2°) ALORS, d'autre part, QUE les parties peuvent ajouter, en appel, aux prétentions soumises au premier juge, toutes les demandes qui tendent aux mêmes fins d'indemnisation des préjudices causés par des manquements contractuels identiques entre les mêmes parties, ou qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré irrecevables comme nouvelles en cause d'appel, un ensemble de demandes d'indemnisation formulées en appel par la société IRB au titre des mêmes manquements contractuels, sur le même fondement, et entre les mêmes parties, que les demandes qu'elle avait expressément formulées en première instance (arrêt attaqué, p. 12 § 7) ; qu'en statuant ainsi, quand ces demandes tendaient aux mêmes fins que les demandes formées en première instance et en constituaient le complément, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 565 et 566 du code de procédure civile. | La mise en place d'un médiateur par une société en son sein caractérise sa volonté de recourir, par principe, dans l'hypothèse d'un litige, à la médiation, de sorte qu'en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, la saisine de son médiateur par lettre d'un cocontractant formalise l'accord écrit prévu à l'article 2238 du code civil |
7,765 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 288 F-B
Pourvoi n° X 19-22.015
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022
La société Bois & matériaux, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 19-22.015 contre l'arrêt rendu le 24 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 , chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Econocom France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société Bois & matériaux, de la SARL Corlay, avocat de la société Econocom France, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mai 2019), la société Bois & matériaux, qui a pour objet la distribution de bois et de matériaux de construction en France, a, le 1er janvier 2004, conclu pour elle et ses filiales un contrat de location d'équipements informatiques auprès de la société Econocom France (la société Econocom).
2. Ce contrat a été modifié le 7 octobre 2005, pour devenir un contrat de location qualifié d'« évolutif », et s'est matérialisé par l'acceptation d'une offre dite « option d'échange technologique » ou encore « TRO », acronyme de « Technology Refresh Option », s'insérant dans un ensemble contractuel comportant les conditions générales de location, les conditions applicables à l'option TRO et une annexe TRO définissant les conditions particulières de location et chiffrant les différentes variables, outre un contrat de gestion du TRO par équipement.
3. Cet ensemble a été renouvelé le 1er février 2007 et les parties se sont alors engagées, aux termes de l'annexe TRO en vigueur, pour une durée de location de 42 mois, au lieu de 36 mois précédemment. Cette annexe TRO a été remplacée par huit annexes TRO successives, à chaque modification du parc d'équipements informatiques, dont la dernière, datée du 1er août 2013, prévoyait une nouvelle durée de 42 mois expirant le 31 janvier 2017.
4. Par lettre du 27 décembre 2013, la société Econocom a signifié à la société Bois & matériaux la résiliation de l'option d'échange en cours sur le fondement de l'article 10 c) des conditions TRO pour risques avérés que le locataire ne puisse faire face à ses engagements financiers. Cette résiliation a eu pour effet de mettre fin à l'exercice de l'option d'échange prévue au contrat tandis que l'annexe TRO continuait à se poursuivre jusqu'à son terme au 31 janvier 2017.
5. La société Bois & matériaux a alors tenté de négocier la rupture anticipée de l'ensemble contractuel, ce que la société Econocom a refusé. C'est dans ces circonstances que la première a assigné la seconde en demandant que soit prononcée la nullité de l'annexe TRO du 1er août 2013 pour cause de perpétuité et d'illégalité de la fixation du prix des loyers, que soit constatée l'illicéité de certaines clauses de l'annexe TRO du 1er février 2007 ou des conditions générales de location du 1er janvier 2004 et qu'elles soient déclarées réputées non écrites sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 1° et 2° du code de commerce. Elle demandait encore que la société Econocom soit condamnée à lui restituer le montant des loyers indûment perçus à compter du 1er août 2013 et à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de conseil.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La société Bois & matériaux fait grief à l'arrêt de juger que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était entachée d'aucun vice de perpétuité, alors « qu'en se fondant, pour juger que le contrat n'était pas affecté d'un vice de perpétuité, sur la circonstance inopérante que le locataire pouvait y mettre un terme en ne faisant pas usage de l'option d'échange au cours de la totalité de la durée d'utilisation (article 5 de l'annexe TRO du 1er août 2013) ou en usant de la faculté de résiliation unilatérale de l'option d'échange moyennant le respect d'un préavis de 9 mois (article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007), ce qui, en raison de ce qu'il était ainsi exigé du locataire qu'il renonce, préalablement au terme du contrat, à une prestation essentielle de celui-ci, n'était pas de nature à permettre d'écarter l'existence d'un vice de perpétuité, la cour d'appel a violé l'article 1709 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1709 du code civil :
8. Il résulte de ce texte que le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.
9. Pour juger que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était entachée d'aucun vice de perpétuité, l'arrêt relève que la société Bois & matériaux a fait le choix d'un contrat de location évolutive avec une option d'échange, par laquelle elle disposait tous les 6 mois, d'une part, de la faculté d'échanger, dans certaines limites, une partie de ses équipements contre de nouveaux matériels, sans augmentation de loyer, d'autre part, de procéder à de nouveaux investissements, enfin, de restituer une partie des équipements sans procéder à leur remplacement, ceci moyennant le renouvellement du contrat pour une nouvelle période de 42 mois sur la totalité du matériel. Il relève que l'annexe TRO du 1er août 2013 est assortie d'un terme, l'article 5 stipulant que celle-ci prend fin à l'issue de la durée d'utilisation de 42 mois si le locataire ne fait pas usage des options d'échange, au cours de la totalité de la durée d'utilisation, et les dispositions de l'article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007 prévoyant que chaque partie peut résilier unilatéralement l'option d'échange en respectant une durée de préavis de 9 mois au moins avant l'arrivée du terme de la durée initiale de location. Il en déduit que contrairement à ce qu'elle soutient, la société Bois & matériaux n'est nullement contrainte à renoncer à toute modification de son installation informatique et à se priver de toute possibilité d'adapter celle-ci aux besoins qu'elle devait satisfaire.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, s'agissant d'un contrat évolutif de location de matériels informatiques, dont chaque modification relative aux matériels loués avait pour effet de reconduire la durée du contrat pour une période de 42 mois, l'impossibilité de faire usage des options d'échange pendant la totalité de cette même durée, prévue par l'article 5 de l'annexe TRO du 1er août 2013, ou bien pendant la durée de préavis de 9 mois prévue par l'article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007, n'était pas de nature à priver la société Bois & matériaux de la possibilité d'adapter son matériel aux besoins de son exploitation et donc d'une caractéristique substantielle du contrat, sauf à accepter la reconduction systématique du contrat, la soumettant ainsi à une obligation infinie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile.
12. La cassation prononcée entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif statuant sur les demandes au titre du déséquilibre significatif dont l'appréciation pourrait être influencée par la décision que prendra la juridiction de renvoi sur les prétentions au titre de la constitution d'un engagement perpétuel.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant partiellement le jugement entrepris, il le confirme en ce que celui-ci disait que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était pas entachée d'un vice de perpétuité, et en ce que, statuant à nouveau sur les autres chefs, il rejette les demandes de la société Bois & matériaux fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 1° et 2° et L. 442-6, III, du code de commerce, ainsi qu'en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Econocom France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Econocom France et la condamne à payer à la société Bois & matériaux la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour la société Bois & matériaux.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Bois & Matériaux fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était entachée d'aucun vice de perpétuité ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il convient de relever comme l'ont fait les premiers juges que la société Bois & Matériaux a fait le choix d'un contrat de location évolutive avec une option d'échange, disposant tous les 6 mois de la faculté d'échanger, dans certaines limites, une partie de ses équipements contre de nouveaux matériels - sans augmentation de loyer- de procéder à de nouveaux investissements, de restituer une partie des équipements sans procéder à leur remplacement, ce moyennant le renouvellement du contrat pour une nouvelle période de 42 mois sur la totalité du matériel ; que ce faisant l'annexe TRO du 1er août 2013 est assortie d'un terme, l'article 5 stipulant que l'annexe prend fin à l'issue de la durée d'utilisation de 42 mois si le locataire ne fait pas usage des options d'échange, au cours de la totalité de la durée d'utilisation et les dispositions de l'article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007 prévoient que chaque partie peut résilier unilatéralement l'option d'échange en respectant une durée de 9 mois au moins avant l'arrivée du terme de la durée initiale de location ; que la société Bois & Matériaux ne peut être suivie lorsqu'elle affirme que la dénonciation de l'option d'échange la prive de la possibilité de renouveler son équipement informatique et la contraint à poursuivre la location d'un matériel obsolète d'une valeur quasi nulle pour un loyer exorbitant ce jusqu'au terme de l'annexe TRO, alors que l'article 8 de l'avenant 1 du 1er février 2007 prévoit la mise à disposition gratuite du matériel dont la mise à disposition excède une durée de 42 mois ; qu'en outre, la société locataire n'est liée à aucune clause d'exclusivité avec la société Econocom qui la contraindrait à renouveler son matériel informatique auprès de ce prestataire informatique et a ainsi le choix de modifier le contrat de location pour renouveler le matériel et de poursuivre le contrat, la société Bois & Matériaux disposant à cet égard d'un pouvoir de négociation comme en témoignent les avenants modificatifs conclus le 1er février 2007 ou de recourir à une société concurrente ; qu'ainsi contrairement à ce qu'elle prétend, elle n'est nullement contrainte à renoncer à toute modification de son installation informatique et à se priver de toute possibilité d'adapter celle-ci aux besoins qu'elle devait satisfaire ; qu'en conséquence, outre que la société Bois & Matériaux se borne à solliciter l'infirmation du jugement déféré, mais ne demande pas dans le dispositif de ses écritures la nullité de l'annexe TRO du 1er août 2013, la cour ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif en application de l'article 954 du code de procédure civile, il résulte de ce qui précède que le contrat en cause n'est entaché d'aucun vice de perpétuité ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE la société locataire bénéficie d'un contrat de location évolutive avec une option d'échange et dispose tous les 6 mois de la faculté d'échanger, dans certaines limites, une partie de ses équipements contre de nouveaux matériels - sans augmentation de loyer- de procéder à de nouveaux investissements, de restituer une partie des équipements sans procéder à leur remplacement, de solliciter une mise à disposition gratuite des équipements dont la durée d'utilisation excède une durée de 42 mois (article 8 de l'avenant n°1 aux conditions applicables à l'option d'échange technologique en date du 1er février 2007) ; que cette dernière disposition écarte la possibilité pour la société locataire de continuer à payer un loyer sur un bien dont Econocom France aurait été complètement remboursée (le loyer mensuel de 2.76372 % sur 42 mois permet bien évidemment le remboursement du financement de l'investissement par Econocom et lui assure un taux interne de rentabilité de 8,55 %) et qu'en conséquence, Bois & Matériaux ne peut prétendre qu'elle est contrainte à renouveler perpétuellement ses engagements puisque le loyer qui sera mis à sa charge correspond à des investissements ou des renouvellements qui n'auront pas atteint 42 mois de présence dans le parc d'équipements dont elle dispose ; que de plus l'article 5 du contrat TRO stipule que si le locataire n'utilise aucune des options d'échange au cours de la totalité de la durée initiale d'utilisation de l'annexe TRO, l'annexe prendra fin à l'issue de la durée d'utilisation de 42 mois
et que Bois & Matériaux a la possibilité, contre le paiement de pénalités, de mettre un terme au contrat TRO, en respectant un préavis de 9 mis avant l'expiration de la durée initiale d'utilisation de 42 mois ; qu'enfin Bois & Matériaux ne peut raisonnablement soutenir, à l'appui du vice de perpétuité, que pour exercer cette faculté de résiliation, il lui faudrait renoncer à la conclusion d'une nouvelle annexe TRO et par conséquent renoncer à toute modification de son parc d'équipements, car cela relève de son libre choix ; que le tribunal dira que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'est entachée d'aucun vice de perpétuité puisque les conditions TRO et les conditions générales de location prévoient la possibilité pour chacune des parties de mettre un terme au contrat TRO à l'expiration de la période initiale de 42 mois ;
1°) ALORS QUE le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps ; qu'en jugeant que le contrat n'était pas affecté d'un vice de perpétuité après avoir pourtant relevé qu'à chaque nouvel investissement, restitution ou remplacement de matériel par la société locataire, le contrat de bail était renouvelé pour une nouvelle période de 42 mois pour la totalité du matériel, ce dont il résultait que le contrat était affecté d'un vice de perpétuité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1709 du code civil ;
2°) ALORS QU'en se fondant, pour juger que le contrat n'était pas affecté d'un vice de perpétuité, sur la circonstance inopérante que le locataire pouvait y mettre un terme en ne faisant pas usage de l'option d'échange au cours de la totalité de la durée d'utilisation (article 5 de l'annexe TRO du 1er août 2013) ou en usant de la faculté de résiliation unilatérale de l'option d'échange moyennant le respect d'un préavis de 9 mois (article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007), ce qui, en raison de ce qu'il était ainsi exigé du locataire qu'il renonce, préalablement au terme du contrat, à une prestation essentielle de celui-ci, n'était pas de nature à permettre d'écarter l'existence d'un vice de perpétuité, la cour d'appel a violé l'article 1709 du code civil ;
3°) ALORS QU'en se bornant encore, pour écarter le vice de perpétuité, à relever que l'article 8 de l'avenant n° 1 du 1er février 2007 prévoyait la mise à disposition gratuite du matériel dont la mise à disposition excédait 42 mois, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cet article ne stipulait pas qu'en cas d'exercice de cette faculté de mise à disposition gratuite « les parties résilieront l'annexe TRO en cours, à l'issue de la Période d'Echange et signeront une nouvelle annexe TRO » pour une nouvelle « durée initiale de quarante-deux mois », de sorte que cette stipulation n'était pas de nature à écarter le vice de perpétuité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1709 du code civil ;
4°) ALORS QU'en se fondant, pour statuer comme elle l'a fait, sur les circonstances inopérantes que la société locataire n'était liée par aucune clause d'exclusivité, disposait d'un pouvoir de négociation avec le bailleur et avait la faculté de recourir à une société concurrente, ce qui était sans incidence sur la durée du contrat et l'existence d'un vice de perpétuité, la cour d'appel a violé l'article 1709 du code civil ;
5°) ALORS QUE dans les conclusions d'appel les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour statue sur les prétentions énoncées au dispositif ; que le chef de dispositif des conclusions de la société Bois & Matériaux qui demandait « l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit et jugé que l'annexe TRO en date du 1er août 2013 n'est entachée d'aucun vice de perpétuité », comprenait la demande de nullité de l'annexe TRO, de sorte qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Bois & Matériaux fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé non recevable, comme prescrite, l'action en nullité de la clause de fixation et d'indexation des loyers ;
AUX MOTIFS QUE l'action en nullité d'une clause d'indexation est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil ; que la prescription commence à courir à compter du jour où l'acte irrégulier a été passé ; qu'il ressort des éléments versés aux débats et des explications des parties que la clause de fixation et d'indexation des loyers critiquée est prévue à l'article 11 des conditions TRO du 1er février 2007 ; que la société Bois & Matériaux n'invoque pas utilement l'annexe TRO du 1er février 2013 comme point de départ de la prescription, étant stipulé en préambule de cette annexe qu'elle est établie conformément aux dispositions des conditions générales de location en date du 1er janvier 2004 et des conditions TRO du 1er février 2007 dont les termes et conditions font partie des présentes ; que l'annexe TRO du 1er février 2013 ne modifiant pas la clause de fixation et d'indexation des loyers prévue à l'article 11 des conditions TRO du 1er février 2007, et ce faisant ne produisant pas d'effet novatoire, la prescription quinquennale court au jour du contrat d'origine soit les conditions TRO du 1er février 2007, ce quand bien même ces contrats formeraient un tout indivisible; que l'action en nullité de la clause de fixation et d'indexation des loyers et partant de l'ensemble contractuel, introduite le 19 novembre 2014 date de la délivrance de l'assignation devant le tribunal de commerce de Nanterre, soit postérieurement à l'expiration du délai de prescription de cinq ans au 31 janvier 2012, doit être considérée comme irrecevable ;
ALORS QUE la demande tendant à voir écarter une clause d'indexation ne constitue pas une demande de nullité, de sorte qu'elle n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en retenant, pour la déclarer irrecevable, que la demande tendant à voir écarter la clause de fixation et d'indexation des loyers était soumise à la prescription quinquennale, la cour d'appel a violé les articles L. 112-1 et L. 112-2 du code monétaire et financier et 2224 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Bois & Matériaux fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes fondées sur les dispositions des articles L. 442-6 I 1° et 2° et L 442-6 III du code de commerce ;
AUX MOTIFS QUE selon les dispositions de l'article L. 442-6-I 1° et 2° du code de commerce « I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...)1°D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu (...) ; 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que la société Econocom critique le jugement déféré en ce qu'il a considéré qu'elle a tenté de soumettre la société Bois & Matériaux à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en se basant sur la clause de résiliation prévue à l'article 14 des conditions générales de location pour cause de détérioration financière du locataire et sur les conditions de dénonciation unilatérale de l'option d'échange par le loueur pour défaut de garantie financière du locataire, prévues aux articles 5 et 10 c des conditions TRO ; qu'elle soutient en substance que ces clauses ne sont pas sans contrepartie, expliquant qu'elle acquiert le matériel mis en location procédant ainsi à de lourds investissements qu'elle doit garantir, ce dont avait conscience la société locataire dont le consentement était pleinement éclairé lors de la conclusion des contrats ; que la société Bois & Matériaux fait valoir que le déséquilibre résulte des stipulations la contraignant à un renouvellement perpétuel de ses engagements, des conditions de résiliation unilatérale de plein droit du contrat dont dispose la société Econocom du fait du moindre manquement de sa part à « une seule de ses obligations légales ou contractuelles », d'un retard de paiement de loyer ou de la crainte d'un défaut de l'exécution du contrat (article 14 des conditions générales de location) ainsi que des conditions de dénonciation de l'option d'échange permettant au loueur de remettre en cause de façon potestative l'option d'échange qui se situe au coeur de l'économie du contrat (articles 5 et 10 c des conditions TRO) ; que la société Bois & Matériaux invoque indifféremment les dispositions des 1° et 2° de l'article L. 442-6 I du code de commerce tout en invoquant exclusivement le déséquilibre significatif, qui peut être un déséquilibre financier, dans les droits et obligations des parties créées par les clauses du contrat à son préjudice prévu à l'article L. 442-6 I 2° dudit code ; que cette notion de déséquilibre significatif, inspirée du droit de la consommation, conduit à sanctionner par la responsabilité de son auteur, le fait pour un opérateur économique d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne ; qu'à supposer que la société Bois & Matériaux puisse être considérée comme un partenaire commercial au sens des dispositions précitées, avec lequel la société Econocom entretient des relations commerciales pour conduire une action quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans les activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus étroite de contractant, partenariat qui ne ressort pas à l'évidence du contrat de location conclut entre les parties, ce quand bien même les relations sont empruntes d'une certaine longévité et continuité, il doit également être caractérisé une soumission ou une tentative de soumission dudit partenaire commercial, l'article L. 442-6 I 2° ne sanctionnant pas tant le déséquilibre contractuel que le comportement qui consiste à y soumettre ou tenter d'y soumettre un partenaire commercial ; que l'élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l'absence de négociation effective, l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation impliquant cette absence de négociation effective ; qu'il ne peut être inféré comme l'ont fait les premiers juges, du seul contenu des clauses, la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par le législateur ; que selon les éléments versés au débat, les relations entre les parties ont débuté le 1er janvier 2004 par la conclusion par la société PBM conseil aux droits de laquelle vient la société Bois & Matériaux, en son nom et celui de ses filiales, d'un contrat-cadre de location d'équipements informatiques d'une durée de 36 mois complétées de conditions générales de location n° 411003518 ; que ces relations se sont poursuivies à compter du 1er août 2005 par un contrat de location d'équipements informatiques évolutif prévoyant une option d'échange technologique, l'ensemble contractuel étant composé des conditions générales de location n° 411003518 initiales, des « conditions applicables à l'option d'échange technologique - TRO », d'un « avenant aux conditions applicables à l'option d'échange technologique - TRO », d'une « Annexe initiale TRO n° 300.278 », d'un avenant à cette annexe initiale, auxquels s'ajoutait un contrat de gestion du TRO par équipement en application duquel la société Bois & Matériaux dispose d'un accès aux systèmes d'information de la société Econocom pour lui permettre de procéder notamment au calcul individuel du loyer par équipement et à la répartition du loyer global par localisation, puis à compter du 1er février 2007, par un second ensemble TRO portant la durée initiale d'utilisation de 36 à 42 mois, les conditions générales TRO du 1er janvier 2004 d'origine étant alors complétées par les nouvelles conditions applicables à l'option d'échange technologique (conditions TRO 2007), une annexe TRO 2007 définissant les conditions particulières et chiffrant les différentes variables, complétées par deux avenants aux conditions TRO, outre le contrat de gestion du TRO par équipement ; qu'il s'infère de l'évolution des dispositions contractuelles au cours des trois premières années des relations entre les parties et des avenants dérogeant aux conditions TRO convenues en faveur du locataire, que ce dernier a usé d'un pouvoir de négociation effectif de l'ensemble contractuel, aucune dépendance contractuelle et économique du locataire n'étant établie, celui-ci ayant en outre l'initiative de la modification du contrat ; que la société Bois & Matériaux, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une société de taille importante, a ainsi librement consenti aux conditions de renouvellement des annexes TRO dont il a été précédemment démontré qu'elle disposait d'une faculté de résiliation unilatérale excluant tout vice de perpétuité ; que de même, elle a accepté les conditions de résiliation et de dénonciation unilatérale stipulées au bénéfice du loueur en cas de défaillance du locataire ou de risque de défaillance de ce dernier, dispositions justifiées par l'obligation du bailleur de délivrance du matériel loué et renouvelé tous les six mois au profit du locataire, obligation instantanée nécessitant des investissements importants de sa part, alors que l'obligation du locataire de payer mensuellement les loyers durant une période convenue est une obligation à exécution successive ; qu'il est en outre relevé que la société Bois & Matériaux ne démontre pas avoir contesté ou tenté en vain de renégocier les dispositions qu'elle dénonce désormais en suite de la résiliation par la société Econocom de l'option d'échange en cours ; qu'en conséquence, aucune soumission ou tentative de soumission n'étant caractérisée, la société Bois et matériau échoue à démontrer le déséquilibre significatif qui lui a été imposé ; qu'elle est déboutée de l'ensemble de ses demandes à ce titre en ce compris de sa demande de publication judiciaire ; que le jugement entrepris est infirmé en ce qu'il a dit que la société Econocom a tenté de soumettre la société Bois & Matériaux à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et condamné en conséquence la société Econocom à restituer à la société Bois & Matériaux les loyers perçus à compter du 1er août 2013 ;
1°) ALORS QUE le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant, sans provoquer les observations de parties, que la notion de partenariat ne ressortait pas à l'évidence du contrat de location conclu, la cour d'appel a relevé d'office un moyen non invoqué par les parties, fondé sur un fait dont ne se prévalaient ni la société Bois & Matériaux ni la société Econocom et a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en relevant, sans provoquer les observations de parties, que l'élément de soumission ou de tentative de soumission impliquait l'absence de négociation effective, l'usage de menace ou de mesure de rétorsion visant à forcer l'acception impliquant une absence de négociation effective, la cour d'appel a relevé d'office un moyen non invoqué par les parties, fondé sur un fait, la possibilité ou non de négocier, dont ne se prévalaient ni la société Bois & Matériaux ni la société Econocom et a ainsi violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, subsidiairement, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en se bornant, pour écarter l'existence d'un déséquilibre significatif, à énumérer les contrats successifs conclus, sans rechercher si les clauses dénoncées par la société locataire comme créant un déséquilibre significatif avaient pu faire l'objet d'une réelle négociation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce ;
4°) ALORS QU'en se bornant encore à relever, pour écarter l'existence d'un déséquilibre significatif, qu'il existait une faculté de résiliation unilatérale excluant le vice de perpétuité, sans rechercher, in concreto, si la société locataire avait pu effectivement négocier les clauses qu'elle dénonçait comme créant un déséquilibre significatif la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce ;
5°) ALORS QU'en se fondant, pour statuer comme elle l'a fait, sur la circonstance inopérante que la société locataire avait accepté et consenti aux conditions du contrat, ce qui était sans incidence sur l'existence d'un déséquilibre significatif, lequel n'est pas subordonné à l'absence de consentement, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce ;
6°) ALORS QUE la société locataire avait contesté et tenté de renégocier, en vain, les stipulations contractuelles qu'elle a dénoncées au cours de la procédure judiciaire en adressant notamment le 19 février 2014 un courrier à la société Econocom dénonçant les clauses du contrat qui créaient un déséquilibre significatif, le vice de perpétuité, la clause d'indexation ; qu'en énonçant, pour écarter l'existence d'un déséquilibre significatif, que la société Bois & Matériaux n'avait pas contesté ou essayer de négocier les dispositions qu'elle dénonçait, la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. | Il résulte de l'article 1709 du code civil que le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.
Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui écarte le vice de perpétuité affectant un contrat évolutif de location de matériels informatiques sans rechercher si les stipulations de ce contrat relatives à la modification des matériels loués n'étaient pas de nature à priver le preneur de la possibilité d'adapter son matériel aux besoins de son exploitation, et donc d'une caractéristique substantielle du contrat, sauf à accepter la reconduction systématique du contrat, le soumettant ainsi à une obligation infinie |
7,766 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 295 FS+B
Pourvoi n° U 19-22.242
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022
La société GE Energy Products France (GEEPF), société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 19-22.242 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant au ministre de l'économie et des finances, domicilié [Adresse 3], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société GE Energy Products France, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du ministre de l'économie et des finances, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Michel-Amsellem, conseillers, M. Blanc, Mmes Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 juin 2019), la société GE Energy Products France (la société GEEPF) conçoit, fabrique et commercialise des turbines à gaz destinées à la production d'énergie. A compter de l'année 2012, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené dans différentes régions, auprès de plusieurs fournisseurs de la société GEEPF, des enquêtes, portant sur les clauses contractuelles, dont l'une dite « programme TPS », figurant dans les conditions générales d'achat (CGA), les contrats de fourniture de matériel, intitulés contrats SA, et les contrats de prestations de services types, dénommés MSA, de la société GEEPF.
2. A la suite de l'enquête, le ministre chargé de l'économie a, le 1er septembre 2015, assigné la société GEEPF sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur, en cessation de certaines pratiques et en paiement d'une amende civile.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société GEEPF fait grief à l'arrêt de dire que les auditions anonymisées versées aux débats par le ministre chargé de l'économie ne portent pas atteinte à ses droits de la défense, alors « que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ; qu'en fondant de manière déterminante sa décision sur des déclarations anonymes produites par le ministre de l'économie et des finances, la cour d'appel a violé l'article 6 §1 et §3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Le ministre chargé de l'économie conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la société GEEPF invoque pour la première fois devant la Cour de cassation les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas discuté devant les juges du fond la conformité des preuves produites à l'article 6§1 et §3 de cette convention.
5. Cependant, il résulte des conclusions de la société GEEPF que celle-ci invoquait la violation du principe de la contradiction et des droits de la défense ainsi que l'atteinte au principe de la loyauté et à l'équité des débats résultant de la production, dans l'instance d'appel, de déclarations anonymisées, par le ministre, au soutien de la démonstration de la condition de soumission ou tentative de soumission de ses cocontractants. Si elle ne s'est pas expressément prévalue des dispositions de l'article 6§1 et §3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les principes invoqués, qui sont au nombre de ceux garantis par ces textes, étaient dans le débat.
6. Le moyen n'est donc pas nouveau et est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 6§1 et §3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Il résulte de ce texte qu'au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
8. Pour écarter les conclusions de la société GEEPF, qui faisait valoir que les auditions anonymisées versées aux débats par le ministre chargé de l'économie portaient une atteinte disproportionnée à ses droits de la défense en la privant de la possibilité de vérifier et contredire, le cas échéant, les faits rapportés, puis déclarer établies les pratiques restrictives de concurrence reprochées et prononcer une sanction à son égard, l'arrêt, après avoir reproduit des extraits des déclarations recueillies, par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, de personnes présentées comme des fournisseurs de la société poursuivie, dont l'identité, l'activité et le chiffre d'affaires qu'elles réalisaient avec elle n'étaient pas mentionnés, relève que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux en ce qu'ils font état de ce que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle. Ayant relevé encore que ces déclarations font référence aux clauses contractuelles litigieuses, qui se retrouvent dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants, il en déduit que ces références confirment la crédibilité des procès-verbaux, dressés par des agents assermentés. Il estime, en conséquence, que ces déclarations des cocontractants établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme d'acceptation des CGA.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve de l'existence d'une soumission des fournisseurs aux clauses contractuelles en cause, a méconnu les exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne le ministre chargé de l'économie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le ministre chargé de l'économie et le condamne à payer à la société GE Energy Products France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société GE Energy Products France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION (Sur la prise en compte des pièces anonymisées)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les auditions anonymisées versées aux débats par le Ministre ne portaient pas atteinte aux droits de la défense de la société GEEPF ;
AUX MOTIFS QUE «Sur les pièces anonymisées : à titre liminaire, la cour relève que la société GEEPF ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour, l'irrecevabilité des pièces anonymisées telle qu'elle la formule en pages 51 et suivantes du corps de ses conclusions, de sorte que la cour n'est pas saisie de la demande d'irrecevabilité de ces pièces ; que ces pièces doivent donc être considérées comme étant dans le débat, ayant été communiquées contradictoirement à la société GEEPF, figurant dans le bordereau de communication de pièces ; que c'est donc uniquement sous l'angle de la valeur probante de ces pièces que la cour examinera les 28 procès-verbaux anonymisés, au regard de ce qui a été donné à la connaissance de la société GEEPF ; [
] ; qu'il convient de relever ensuite que le Ministre peut parfaitement communiquer pour la première fois en cause d'appel de nouvelles pièces au soutien de ses demandes et qu'il est libre de communiquer les pièces de son choix, le présent litige étant la chose des parties et chacune d'elles étant libre de communiquer les pièces nécessaires, selon elle, au soutien de ses prétentions ; que la société GEEPF reconnaît que les informations que le Ministre a unilatéralement anonymisées sont, pour l'essentiel :
- le nom du fournisseur et de la personne auditionnée,
- l'activité de la société et toute information relative au marché sur lequel elle opère,
- les éléments relatifs à son chiffre d'affaires passé et futur ainsi que la part de chiffre d'affaires qu'elle réalise avec elle ;
que la société GEEPF fait d'abord valoir que ces pièces portent atteinte à ses droits de la défense ; que le Ministre réplique qu'un équilibre doit être assuré entre une possible atteinte aux droits de la défense et les nécessités de l'enquête qui vise à la détection de quasi-délits civils et dont le succès est, en l'espèce, subordonné à l'anonymisation des fournisseurs interrogés ; que le Ministre, dans le cadre de sa mission de protection de l'ordre public économique, tel que définie par les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, a la charge de la preuve des pratiques qu'il soumet à l'appréciation des juridictions commerciales spécialisées ; qu'il utilise à cette fin ses pouvoirs d'enquête, et, notamment, ses pouvoirs d'audition, pour démontrer les éléments constitutifs de ces pratiques ; que la nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l'absence de négociation effective entre les parties le conduit à préserver l'anonymat des fournisseurs victimes en occultant certaines mentions des procès-verbaux permettant leur identification, afin que ces procès-verbaux puissent être versés aux débats, ce qui est fréquemment revendiqué par les entreprises mises en cause, sans pour autant risquer de provoquer des représailles à leur encontre ; que le procédé ainsi mis en oeuvre dans ce dossier ne porte pas une atteinte excessive aux droits de la défense de la société GEEPF, la communication de procès-verbaux anonymisés ne causant pas, au regard des circonstances très particulières de l'espèce, une atteinte disproportionnée au principe du contradictoire au motif que :
- ils sont dressés par des agents assermentés ;
- ils portent sur des questions dont la société GEEPF a connaissance et auxquelles elle peut répondre en produisant des pièces destinées à démontrer le contraire ;
- la société GEEPF peut débattre contradictoirement du fond des pièces et de la portée des auditions dont le contenu n'est pas anonymisé ;
- seules les informations empêchant toute réidentification de l'identité du déposant ont été tronquées, dans le seul but de préserver l'identité des déposants et l'efficacité de ces enquêtes et procédures destinées à protéger l'ordre public économique, puisqu'en cas contraire, le Ministre ne pourrait pas apporter de preuve relative aux griefs allégués, ou à tout le moins très difficilement ;
que par ailleurs, il convient de relever qu'il n'est pas démontré que ces témoignages aient été obtenus déloyalement par les services de la DIRECCTE ; qu'au surplus, il sera vu infra, dans l'appréciation des critères de la pratique restrictive, que ces nombreuses déclarations, toutes concordantes, sont confortées par d'autres éléments du dossier et ne constituent par les seuls éléments de preuve ; qu'il convient donc d'examiner les différents éléments de preuve soumis à la cour pour apprécier s'ils sont suffisants pour caractériser la première condition imposée par le texte précité ; [
] ;
Sur les modalités de négociation : que la distinction juridique entre les différents cocontractants de la société GEEPF, qu'ils soient fournisseurs ou sous-traitants, est indifférente dans la mesure où ces sociétés cocontractantes de la société GEEPF ont accepté les clauses insérées dans les trois types de contrats litigieux :
*les conditions générales d'achat applicables pour l'achat de produits ou équipements. Ces conditions générales d'achat sont également accessibles depuis les bons de commande adressés par la société GEEPF à ses fournisseurs,
*le modèle-type de contrat de fourniture de matériel (contrat SA), correspondant à un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur, *le contrat de prestations de services type dénommé MSA "Master Service Agreement" (contrat MSA), pour la commande de prestations de services de la part de ses fournisseurs par la société GEEPF ;
qu'il ressort des déclarations de différents fournisseurs ou sous-traitants devant les agents de la DIRECCTE que :
* pièce n° 103-1 anonymisée "Vous nous demandez si nous avons contesté ces conditions d'escompte par écrit. Nous avons effectivement négocié, sans succès. En effet ces modalités ont été décidées par GE USA" ;
* pièce n° 103-2 anonymisée "L'accès même aux enchères oblige à valider préalablement les CGA (
) les acheteurs s'abritent derrière le service juridique (cas de GENERAL ELECTRIC) et déclarent ne pas avoir de pouvoir de négociation sur les CGA (
) GENERAL ELECTRIC pratique l'escompte anticipé sans notre accord, à un taux abusif" ;
* pièce anonymisée n° 103-3 : "la négociation avec GE est quasiment impossible (...) GE nous impose un escompte abusif depuis plusieurs années. Nous avons reçu en 2009 un courrier de GE nous informant que nous bénéficions du programme de paiement accéléré. GE déduit de notre facture unilatéralement le montant de l'escompte "dû" selon leur méthode de calcul figurant sur leurs CGA. Il n'est pas aisé de procéder à la vérification du taux d'escompte appliqué par GE" ;
* pièce anonymisée n° 103-4 : « En ce qui concerne GE, j'ai dû signer il y a quelques années des conditions qui prévoient un escompte fixé (en fonction du coût de l'argent) unilatéralement par GE pour règlement anticipé inférieur à 30 jours. Je n'ai pas eu le choix si je souhaitais conserver les marchés avec ce client (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-5 : "Le système de paiement anticipé qui y figure [dans les CGA] et existe depuis plusieurs années nous est imposé. (...) Le système de paiement anticipé est coûteux mais il est mis en place par GE au niveau mondial et fait courir le risque de cessation des relations commerciales pour les entreprises qui s'y opposeraient" ; si la société déposant s'est ensuite rétractée par courrier, ces déclarations étant corroborées par ailleurs par d'autres cocontractants de la société GEEPF et compte-tenu du contexte de risque de perte de relations commerciales avec cette dernière, qui peut expliquer cette rétractation, cet état de fait ne peut enlever tout caractère probant à cette première déclaration ;
* pièce anonymisée n° 103-6 : "Nous avons par contre un problème avec GE lié à leurs conditions d'achat et leur système d'escompte imposé (
). Pour palier et contourner ce système nous avons il y a un an et demi envoyé un certain nombre de factures après leur date d'échéance soit 60 jours afin de ne pas subir de frais financiers. Mais nous avons été rappelés oralement et sévèrement à l'ordre par GE et nous avons été obligés d'envoyer nos factures dès leur édition et subissons de nouveau ces escomptes. Nous avons essayé de négocier ces taux sans succès (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-7 : "le montant de l'escompte a été négocié entre 2003 et 2009. En 2009 le taux nous a été indiqué dans le contrat sans que cela puisse devenir un sujet de négociation. Cette pratique d'escompte de GE est mondiale (
). Nous avons essayé de négocier le taux d'escompte mais GE nous a précisé que la stratégie globale de GE était de pratiquer cet escompte auprès de tous ses fournisseurs mondiaux. Nous avons accepté le contrat GE avec les taux d'escompte proposés en tenant compte de la place importante de GE dans notre activité (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-8 : "Dans ce courrier [courrier en pièce n° 103-8b] (
) j'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (
) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un escompte à hauteur de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-9 : "Dans notre relation commerciale avec GE, ce sont leurs conditions générales d'achat qui s'appliquent au détriment de nos conditions générales de vente. C'est un point qui n'est pas négociable avec cette entreprise (...) Pour ma part j'assimile ce procédé à une prise d'escompte de la part de General Electric. Ce mécanisme est bien supérieur au taux que nous octroyons dans nos conditions générales de vente qui est de 1 % pour un paiement comptant. Nous n'avons pas été en mesure de négocier ce programme de paiement anticipé avec General Electric. (...) Le programme de paiement anticipé de GE ne présente pas d'intérêt particulier pour notre entreprise dans la mesure où nous possédons une trésorerie saine" ;
* pièce anonymisée n° 103-10 : "Nous avons tenté à maintes reprises de refuser ce système. Nous avons essayé la dernière fois d'évoquer le sujet avec General Electric en 2010 et ce sans résultat. Nous n'avons pas souhaité refuser ce système par écrit par crainte d'un arrêt des relations commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-11 : "Le système d'escompte (programme VMF) a été mis en place en 2003. Nous avons essayé de dénoncer en 2007-2008 car nous avions un volume d'affaires important à cette époque mais nous avons reçu une fin de non-recevoir. Nous avions un contrat VMF en 2007 que nous avions refusé de signer car nous n'avions pas de problème de trésorerie. Ces modalités d'escompte ont ensuite été intégrées dans leur CGA que nous n'avons pas accepté non plus. Néanmoins le système est appliqué à la discrétion de l'acheteur et malgré nos tentatives nous n'avons pas réussi à passer outre (
). Lorsque nous négocions un contrat de fourniture, nous essayons de négocier un certain nombre de points par mail ;
concernant l'escompte, il nous a toujours été répondu que ce point n'était pas négociable (...). L'escompte et l'exclusion des immatériels ne sont absolument pas négociables avec GE. Nous avons essayé plusieurs fois de rejeter le système d'escompte, en vain. C'est le seul client qui fonctionne de cette manière. C'est GE qui décide de le mettre en oeuvre (...). Nous ne sommes pas maîtres du déclenchement, ce qui est délicat en matière de prévision de trésorerie (
)". Par courriel de l'année 2007, la société GEEPF a répondu à ce cocontractant suite à ses remarques sur le système d'escompte que "chapitre 2, discount 0,033 n'est pas négociable et fait partie des exigences fixées dans le cahier des charges" ;
* pièce anonymisée n° 103-12 : "Le contrat de prestation comporte des dispositions financières par lesquelles GE nous applique des paiements anticipés à 15 jours contre escompte. Ce système nous assure des paiements rapides, mais nous coûte X € par an. (
) Lors de la mise en place de ce système en 2004, nous avons refusé l'application de ce programme de paiement anticipé, n'ayant pas à cette époque de problème de trésorerie, mais nous n'avons pas pu nous en dégager (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-13 : "Le TPS est notre autre sujet de préoccupation avec GE. (
) c'est en 2008 que nous avons été contraints d'y adhérer (
) nous avons augmenté nos prix de 3 % pour compenser le TPS" ;
* pièce anonymisée n° 103-17 : "Nous ne concédons pas d'escompte, sauf avec le client GE et les sociétés de ce groupe (
) Vous nous demandez pour quelle raison un escompte est attribué au client GENERAL ELECTRIC ENERGY / GE POWER and WATER. Pour être référencé comme fournisseur de GE, nous devons signer leurs conditions générales d'achat. Aucune relation commerciale ne peut exister sans l'acceptation de cet accord. Leur application prévaut sur nos conditions générales de vente. (...) Vous nous demandez si le barème applicable a déjà pu être modifié suite à nos négociations. Dans le contrat de [
], qui prévoyait une évolution du taux à 15 jours de [
] % (2007) à [
] % (2008), nous avons obtenu qu'il soit fixé à [
] %" ;
* pièce anonymisée n° 103-27 : "GE nous impose ses conditions d'escompte que nous n'avons jamais remises en question. Pour autant, cette question est prise en compte dans la définition des tarifs que nous élaborons dans le cadre de nos propositions commerciales (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-20 : « De notre côté nous précisons que nous n'accordons aucun escompte pour paiement anticipé. Cependant nous n'avons pas refusé leurs conditions d'escompte qui nous ont été présentées comme étant une règle non négociable de l'entreprise (
) Pour nous l'imposition du taux d'escompte n'a pas eu d'impact sur notre trésorerie. Nous avons inclus dans le calcul de notre prix de revient le risque d'être payé plus tôt. Nous l'avons intégré comme un coût potentiel. Pour nous cette pratique de l'escompte ne nous semble pas abusive ; Nos relations avec GE sont bonnes et c'est un groupe avec lequel nous pouvons discuter" ;
* pièce anonymisée n° 103-22 : "En 2004, le système TPS a été instauré par General Electric (
) Le taux était à cette époque négociable. Il ne l'est plus depuis environ 3 ans. (
) Sur le plan financier c'est pénalisant pour nous puisqu'un escompte est appliqué (
) Nous adaptons de toute façon notre prix de vente à ces conditions particulières d'escompte (
) Nos CGV ne sont pas prises en compte par General Electric (
) L'acceptation du système est un critère d'évaluation du fournisseur d'après ce qui nous a été dit, et fait partie de leur propre évaluation interne (
) Ce système ne nous est pas imposé mais fortement suggéré ; il ne nous est toutefois pas globalement défavorable, avec du recul (
) nous préférerions maîtriser le délai de paiement (
) Lors de l'instauration de TPS, nous avons fait valider leurs conditions par notre avocat, qui les trouvaient sur certains aspects quelque peu abusives. Toutefois nous les avons acceptées en connaissance de cause, préférant préserver nos commandes avec eux, et nous avons de bonnes relations commerciales avec General Electric. A l'heure actuelle, si la question nous était posée, nous préférerions continuer à travailler avec le système TPS car il nous permet de récupérer de l'argent rapidement en cas de besoin" ;
qu'il convient de relever que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux, mais aussi que ces déclarations font références aux clauses contractuelles litigieuses, de sorte que ces références confirment la crédibilité de ces procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, et notamment le fait qu'elle fasse primer contractuellement ses CGA sur les CGV de ses cocontractants. Ces clauses se retrouvent en effet, sans que cela ne soit contesté, dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants ; que l'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF ; que par ailleurs, les courriers envoyés ultérieurement par cette dernière à ses cocontractants relatifs à la présentation plus précise du programme TPS sont sans incidence sur la soumission ou la tentative de soumission, en ce que l'acceptation de l'adhésion au programme TPS a déjà été formalisée par le cocontractant ; qu'en outre, la cour constate que les contrats proposés sont des contrats-types, y compris dans le cadre des appels d'offres, l'acceptation préalable des conditions générales d'achat de la société GEEPF apparaissant une condition au dépôt de la candidature ; que toutefois, la société GEEPF produit des contrats signés avec certains de ses cocontractants qui démontrent que « l'adhésion » au programme TPS a été négociée et a fait l'objet d'une suppression à la demande du cocontractant sur la période considérée pour 14 cas ; qu'il ressort des conclusions du rapport Sorgem, produit par la société GEEPF (pièces n°s 20 et 36), dont les chiffres sont proches de ceux invoqués par le Ministre, que 60 % des fournisseurs de la société GEEPF ont accepté le programme TPS et que ces fournisseurs représentent 72 % du volume d'affaires de la société GEEPF ; qu'ainsi, si la société GEEPF communique des pièces afin de démontrer que ces clauses sont négociables, il convient toutefois de relever qu'elles ne concernent pratiquement pas la clause TPS (14 exemples), qu'un nombre conséquent de ces contrats porte sur des activités qui ne concernent pas directement des prestations de services ou de fournitures dans le domaine de la fabrication de turbines : en effet des prestations plus complexes, telles que celles relatives à des questions de propriété intellectuelles, impliquent nécessairement la signature de contrats spécifiques, de sorte que la société GEEPF ne démontre pas que ces clauses sont parfaitement négociables par l'ensemble de ses fournisseurs ou sous-traitants, la preuve de réelle négociation n'étant pas rapportée : le seul fait que 40 % de ses interlocuteurs ne bénéficient pas du programme TPS ne démontre pas en soi que cette clause n'est pas imposée à un nombre important de ses cocontractants, la société GEEPF indiquant clairement à ces sociétés que ces clauses ne sont pas négociables ; que par ailleurs, la négociation du taux appliqué au programme TPS ne peut à elle seule démontrer que ces dispositions sont négociables pour l'ensemble des cocontractants, ces baisses apparaissant marginales et le principe de la souscription à ces clauses apparaissant imposée à un nombre conséquent de cocontractants ; que ces 14 cas de retrait de la clause litigieuse relative au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF démontrent uniquement que cette dernière accepte de négocier ces points avec certains de ses cocontractants mais, au regard des déclarations de 17 autres cocontractants reproduites ci-dessus, il apparaît que d'autres se voient imposer ces clauses, celles-ci étant présentées comme non négociables ;
Sur la clause de primauté des CGA de la société GEEPF : que la clause de primauté des CGA de la société GEEPF précitée traduit, comme le soutient le Ministre, une absence manifeste d'ouverture d'une possible négociation, sa rédaction ne permettant pas au fournisseur de proposer facilement de contre-proposition pour négocier des clauses acceptables, l'acceptation de la contre-proposition relevant de la seule volonté de la société GEEPF ; que par ailleurs cette clause est contraire au principe posé par la loi LME qui est de faire primer les CGV comme base de négociation et non l'inverse ; qu'en outre, la preuve que la clause TPS peut être négociée et refusée n'est pas rapportée dans le contrat-type ; qu'aucune ouverture à la négociation n'est donc démontrée par la société GEEPF, alors que les auditions des fournisseurs reproduites ci-dessus démontrent que la primauté des CGA de la société GEEPF n'est pas négociable avec cette dernière ; qu'en conclusion de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société GEEPF ne négocie pas de manière effective ses conditions générales d'achat et de paiement avec un nombre conséquent de ses cocontractants, les clauses litigieuses figurant dans l'ensemble des trois contrats-types contestés ; que par ailleurs, ces cocontractants, ayant déclaré ne pas avoir le choix d'accepter ou de refuser les conditions de la société GEEPF, au regard de la position de celle-ci sur le secteur de la fabrication des turbines puissantes en France, et des modalités de souscriptions aux CGA, comme étant un préalable à toute poursuite de relation commerciale, sont soumis par elle dans le cadre de leurs rapports commerciaux ; que compte-tenu de l'ensemble des éléments évoqués ci-dessus, et notamment la part des cocontractants adhérant au programme TPS à hauteur de 60 %, les 17 cocontractants ayant déclaré à la DIRECCTE s'être vu imposer ces clauses, et au silence de 6 fournisseurs sur le programme TPS, il y a lieu de considérer que 50 % des fournisseurs de la société GEEPF se voient imposer l'acceptation au programme TPS par la société GEEPF, les CGA étant donc intangibles pour 50 % d'entre eux ;
Sur le déséquilibre significatif : [
]
Sur la primauté des CGA : qu'il est constant que la clause relative aux CGA de la société GEEPF fait primer les CGA de celle-ci sur les CGV de ses cocontractants ; que les CGA sont établies à partir de médailles soumis au débat, identiques selon l'un des trois types de contrats évoqués ci-dessus ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 3 du code de commerce "les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale. Dans le cadre de cette négociation, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa" ; que les déclarations de cocontractants reproduites supra ainsi que les dispositions de l'article 1 des CGA démontrent que les relations entre la société GEEPF et 50 % de ses cocontractants sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, contrairement aux exigences de l'article L. 441-6 du code de commerce, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation ;
Le programme TPS : que l'article 4 relatif au paiement des factures, reproduit ci-dessus, prévoit la rémunération par la société GEEPF dans l'hypothèse d'un paiement anticipé par elle de la facture de son fournisseur ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 4 et 5 du code de commerce "sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties" ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ; que les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent ; qu'ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai ; que des accords peuvent être "conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs" ; que les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et réduisent de fait le prix de revient effectif des achats et créent un risque économique et financier pour le fournisseur partenaire ; que les délais de paiement accordés aux clients par les fournisseurs ou sous-traitants pèsent sur la trésorerie de ceux-ci ; que dès lors, le besoin de financement du fournisseur ainsi créé est couvert par l'endettement bancaire, direct ou indirect ; qu'ainsi, le respect des délais de paiement doit être apprécié comme un des éléments de la relation commerciale loyale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques ; que le programme TPS de la société GEEPF propose de payer les factures dues à ses cocontractants ayant signé un contrat les liant incluant ladite clause moyennant rémunération, à savoir "[Le] montant [de cette rémunération] sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ; qu'il convient donc de déterminer si la rémunération de la société GEEPF pour payer ses factures avant le délai de 50 jours constitue un surcoût excessif pour les fournisseurs par rapport aux coûts des financements des fournisseurs pour compenser leur besoin de trésorerie dans l'attente du paiement de leurs factures ; que la société GEEPF explique que la contrepartie à la rémunération du paiement anticipé de la facture est justement le paiement anticipé évitant au fournisseur d'avoir recours à d'autres solutions de crédit afin d'assurer sa trésorerie, alors que le Ministre conteste l'avantage donné, soutenant que la société GEEPF ne fait qu'application de la loi ; qu'il convient à titre liminaire de relever que le législateur a donné un délai maximum de paiement des factures, à savoir soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, la date de paiement de la facture étant de trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée, et qu'en tout état de cause, ce délai ne peut dépasser soixante jours ; qu'une facture émise doit être acquittée par le fournisseur au plus vite, et au maximum dans les délais légaux fixés par le législateur, dont l'objectif est de réduire les délais de paiement prolongés qui portent atteinte à l'économie, beaucoup de fournisseurs ayant de ce fait des difficultés de trésorerie ; que cette législation ne délimite qu'une tolérance à la pratique des crédits fournisseurs en fixant des délais maxima et aucune contrepartie financière ne peut être demandée par l'acheteur ; que si le Ministre ne reproche pas à la société GEEPF cette clause en tant que telle, il lui reproche son coût très élevé et l'absence de contrepartie comme de rééquilibrage ; que le paiement à 15 jours de la date de la facture est rémunéré à 2,5 % du montant TTC de celle-ci, ce montant étant encore réduit de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai inférieur à 15 jours et est augmenté de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai supérieur à 15 jours ; que cette rémunération par la société GEEPF correspond à une baisse non négligeable du montant de la facture du fournisseur, alors qu'aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur ; qu'en effet, aucune clause contractuelle ne rééquilibre les droits et obligations des parties, ce que ne soutient d'ailleurs pas la société GEEPF ; qu'il convient en outre de relever que la date de paiement est à la seule discrétion de la société GEEPF qui ne démontre pas assurer un service à ses fournisseurs, s'agissant de la gestion courante des factures entre acteurs économiques ; que de même, le cocontractant ne peut savoir au final quelle sera sa réelle rémunération sur la prestation ou la fourniture réalisée pour la société GEEPF, ne sachant pas à quelle date il serait payé et en conséquence quel taux de réduction lui serait imputé par la société GEEPF sur sa facture ; que dès lors, quelle que soit la qualification de cette pratique, d'escompte commercial ou d'escompte bancaire, les fournisseurs choisissant de financer leur trésorerie avec les différents outils de leurs choix quand ils le souhaitent et les moins coûteux, étant par ailleurs relevé que certains n'ont pas de besoin en trésorerie et donc ne font pas appel à des services financiers de ce type, il apparaît que les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs qui se sont vus imposer cette clause sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans que le cocontractant ait une visibilité claire du montant final qui lui sera versé ; qu'en outre, 40 % des cocontractants de la société GEEPF ont refusé, lorsqu'ils le pouvaient, d'avoir recours à ce système, ce qui démontre par ailleurs que ses bénéfices ne sont pas perçus comme effectifs par ceux-ci ; qu'en l'espèce, la plupart des fournisseurs dont les déclarations sont reproduites ci-dessus expliquent que les taux pratiqués par la société GEEPF sont abusifs. Il est notamment indiqué que :
- "Les taux d'escompte appliqués sont élevés et ont eu tendance à augmenter dans le temps alors que les conditions d'escompte bancaires sont nettement plus intéressantes. Le système GE correspond à 0,0333 % par jour et à un taux annuel de 12,15 % contre 4 % dans le monde bancaire (...) Le système de paiement anticipé est coûteux" (pièce n° 103-5),
- "Cet escompte correspond à un taux annuel d'environ 18 %/an à comparer au taux bancaire d'emprunt de l'ordre de 3 % actuellement" (pièce n° 103-6),
- "Le taux proposé par GE est plus important que les taux bancaires pratiqués actuellement qui sont de l'ordre de 3,5 % annuel soit 0,0097 % en taux journalier" (pièce n° 103-7),
- "J'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (
) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un financement à 45 jours à un taux annuel de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure, sans compensation en prix de vente" (pièce n° 103-8a) ;
qu'il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement ; qu'ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS ; que dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations » ;
1°/ ALORS QUE le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes ; qu'en fondant de manière déterminante sa décision sur des déclarations anonymes produites par le Ministre de l'Economie et des Finances, la cour d'appel a violé l'article 6 §1 et §3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ ALORS QUE toute mesure restreignant les droits de la défense doit être proportionnée au but légitime poursuivi, c'est-à-dire rendue nécessaire dans une société démocratique par un besoin social impérieux ; que la condition de nécessité n'est remplie que lorsqu'il n'existe aucune mesure alternative moins attentatoire aux droits de la défense permettant d'atteindre l'objectif poursuivi ; que pour retenir que la production, par le Ministre de l'Economie et des Finances, de procès-verbaux anonymisés ne portait pas une atteinte « excessive » aux droits de la défense de la société GEEPF, la Cour d'appel a affirmé que ce procédé était justifié par la « nécessité de démontrer, dans la présente espèce, l'absence de négociation effective entre les parties », (cf. arrêt p. 9, §4) ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer en quoi cette démonstration, qui pouvait être faite par tout moyen de preuve, commandait nécessairement la production de déclarations anonymes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 §1 et §3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3°/ ALORS QUE, tenus de motiver leur décision, les juges du fond ne peuvent statuer par voie d'affirmations générales ; que pour retenir que la production, par le Ministre de l'Economie et des Finances, de procès-verbaux anonymisés ne portait pas une atteinte « excessive »
aux droits de la défense de la société GEEPF, la Cour d'appel a affirmé que la préservation de l'anonymat des déclarants – improprement qualifiés de « victimes » – visait à éviter le risque de « représailles » à leur encontre ; qu'en statuant ainsi, par une référence générale à un hypothétique risque de représailles qu'elle n'a nullement caractérisé, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (Sur les conditions d'application de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF et la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF [en réalité la seule clause 1 « Acceptation de la commande », présente dans les Conditions Générales d'Achat (CGA) de la société GEEPF] ainsi rédigée :
« Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions »,
Ainsi que les clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat-type de prestation de services « MSA » et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat-type de fourniture, prévoyant l'obligation à la charge des fournisseurs de payer une rémunération pour paiement anticipé, ainsi rédigées [en réalité il s'agit des clauses présentes à l'article 4.1 (b) « Rémunération » du contrat-type de prestation de services « MSA », de la clause 2.2 (b) « Paiement » des CGA de la société GEEPF et de l'article 2 « Prix et paiement » du contrat-type de fourniture lequel renvoie à la Section 2 « Prix et paiements » des CGA de la société GEEPF] :
« L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture »,
créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et condamné, en conséquence, la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et enjoint cette dernière de cesser les pratiques incriminées à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats lesdites clauses ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la structure du marché et la place de la société GEEPF : que le Ministre soutient que le marché à retenir est celui de la vente et de la maintenance des turbines gaz à grande puissance, qui est oligopolistique avec des fournisseurs ou sous-traitants atomisés, ce que conteste la société GEEPF ; qu'il convient d'abord de relever avec le Ministre que le recours à la notion de marché pertinent au sens des pratiques anticoncurrentielles n'est pas utile en l'espèce, la seule question étant de déterminer la place de la société GEEPF sur le marché pour définir, d'une part, sa puissance de négociation avec des fournisseurs ou sous-traitants et, d'autre part, le rapport de force contractuel entre ceux-ci ; que la société GEEPF fabrique des turbines destinées au secteur de l'énergie ; que si la société GEEPF commercialise ses produits au niveau international, il convient d'examiner la place de la société GEEPF à l'égard de ses fournisseurs français ; qu'il ressort des rapports des commissaires aux comptes de la société GEEPF que son chiffre d'affaires annuel s'est élevé à 1.499 millions d'euros en 2011, à 1.546 millions d'euros en 2012 (sur 13 mois) et à 898 millions d'euros en 2013, (pièces n°s 15 et 16 du Ministre) et les parties conviennent qu'elle compte plus de mille fournisseurs ; que la société GEEPF se présente dans sa plaquette de présentation datée du 6 décembre 2012 comme étant le seul producteur de turbine à gaz de grande puissance en France et comme étant le moteur de la "vallée de l'énergie" à [Localité 2] qui concentre les industries et les services dans le secteur de l'industrie (pièce n° 59 du Ministre) ; que c'est donc le rapport de force entre les fournisseurs et sous-traitants de la société GEEPF sur le territoire français, dans le secteur de la fabrication de ces produits très spécifiques à très haute technologie qui doit être examiné par la cour ; qu'il ressort des éléments du dossier que la société GEEPF est la société la plus importante en France dans ce secteur d'activité de la fabrication de la turbine puissante et fait partie des 5 leaders mondiaux (pièce n° 62 fiche Xerfi du mois de novembre 2014 relative au secteur économique de la fabrication des turbines et moteurs) ; que cette étude Xerfi, non contestée par la société GEEPF, explique dans le chapitre relatif aux "Forces en présence – Panorama des groupes et entreprises leaders" et intitulé "Domination de grands groupes étrangers dans le secteur" que "la fabrication de moteurs et turbines en France est dominée par les leaders mondiaux du secteur, aux capitaux principalement étrangers. Ainsi, sur les dix premiers acteurs présents industriellement dans l'Hexagone, un seul (Alstom) était d'origine française en 2013. Disposant de 9 sites en France, dont 4 consacrés à la conception de turbines (à gaz et à vapeur), General Electric fait figure de leader incontesté grâce à ses entités General Electric Energy Product France et Thermodyn. Légèrement en retrait, [P] [C] intervient sur le territoire par le biais de sa filiale éponyme, qui détient une unité de production dédiée aux moteurs diesels. Ces deux groupes ont réalisé plus de la moitié du chiffre d'affaires du secteur en 2013" et il apparaît aussi que c'est la société GEEPF qui réalise de loin en France le plus important chiffre d'affaires des entreprises du secteur ; que dès lors, les cocontractants français de la société GEEPF ne peuvent se passer d'un fabriquant ayant cette puissance au regard du secteur d'activité très particulier de l'industrie haute technologie de l'énergie, de son chiffre d'affaires et de sa place dans le commerce international ;
Sur les modalités de négociation : que la distinction juridique entre les différents cocontractants de la société GEEPF, qu'ils soient fournisseurs ou sous-traitants, est indifférente dans la mesure où ces sociétés cocontractantes de la société GEEPF ont accepté les clauses insérées dans les trois types de contrats litigieux :
* les conditions générales d'achat applicables pour l'achat de produits ou équipements. Ces conditions générales d'achat sont également accessibles depuis les bons de commande adressés par la société GEEPF à ses fournisseurs,
* le modèle-type de contrat de fourniture de matériel (contrat SA), correspondant à un accord-cadre d'achat de matériel avec un fournisseur, * le contrat de prestations de services type dénommé MSA "Master Service Agreement" (contrat MSA), pour la commande de prestations de services de la part de ses fournisseurs par la société GEEPF ;
qu'il ressort des déclarations de différents fournisseurs ou sous-traitants devant les agents de la DIRECCTE que :
* pièce n° 103-1 anonymisée "Vous nous demandez si nous avons contesté ces conditions d'escompte par écrit. Nous avons effectivement négocié, sans succès. En effet ces modalités ont été décidées par GE USA" ;
* pièce n° 103-2 anonymisée "L'accès même aux enchères oblige à valider préalablement les CGA (
) les acheteurs s'abritent derrière le service juridique (cas de GENERAL ELECTRIC) et déclarent ne pas avoir de pouvoir de négociation sur les CGA (
) GENERAL ELECTRIC pratique l'escompte anticipé sans notre accord, à un taux abusif" ;
* pièce anonymisée n° 103-3 : "la négociation avec GE est quasiment impossible (...) GE nous impose un escompte abusif depuis plusieurs années. Nous avons reçu en 2009 un courrier de GE nous informant que nous bénéficions du programme de paiement accéléré. GE déduit de notre facture unilatéralement le montant de l'escompte "dû" selon leur méthode de calcul figurant sur leurs CGA. Il n'est pas aisé de procéder à la vérification du taux d'escompte appliqué par GE" ;
* pièce anonymisée n° 103-4 : « En ce qui concerne GE, j'ai dû signer il y a quelques années des conditions qui prévoient un escompte fixé (en fonction du coût de l'argent) unilatéralement par GE pour règlement anticipé inférieur à 30 jours. Je n'ai pas eu le choix si je souhaitais conserver les marchés avec ce client (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-5 : "Le système de paiement anticipé qui y figure [dans les CGA] et existe depuis plusieurs années nous est imposé. (...) Le système de paiement anticipé est coûteux mais il est mis en place par GE au niveau mondial et fait courir le risque de cessation des relations commerciales pour les entreprises qui s'y opposeraient" ; si la société déposant s'est ensuite rétractée par courrier, ces déclarations étant corroborées par ailleurs par d'autres cocontractants de la société GEEPF et compte-tenu du contexte de risque de perte de relations commerciales avec cette dernière, qui peut expliquer cette rétractation, cet état de fait ne peut enlever tout caractère probant à cette première déclaration ;
* pièce anonymisée n° 103-6 : "Nous avons par contre un problème avec GE lié à leurs conditions d'achat et leur système d'escompte imposé (
). Pour palier et contourner ce système nous avons il y a un an et demi envoyé un certain nombre de factures après leur date d'échéance soit 60 jours afin de ne pas subir de frais financiers. Mais nous avons été rappelés oralement et sévèrement à l'ordre par GE et nous avons été obligés d'envoyer nos factures dès leur édition et subissons de nouveau ces escomptes. Nous avons essayé de négocier ces taux sans succès (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-7 : "le montant de l'escompte a été négocié entre 2003 et 2009. En 2009 le taux nous a été indiqué dans le contrat sans que cela puisse devenir un sujet de négociation. Cette pratique d'escompte de GE est mondiale (
). Nous avons essayé de négocier le taux d'escompte mais GE nous a précisé que la stratégie globale de GE était de pratiquer cet escompte auprès de tous ses fournisseurs mondiaux. Nous avons accepté le contrat GE avec les taux d'escompte proposés en tenant compte de la place importante de GE dans notre activité (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-8 : "Dans ce courrier [courrier en pièce n° 103-8b] (
) j'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (
) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un escompte à hauteur de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-9 : "Dans notre relation commerciale avec GE, ce sont leurs conditions générales d'achat qui s'appliquent au détriment de nos conditions générales de vente. C'est un point qui n'est pas négociable avec cette entreprise (...) Pour ma part j'assimile ce procédé à une prise d'escompte de la part de General Electric. Ce mécanisme est bien supérieur au taux que nous octroyons dans nos conditions générales de vente qui est de 1 % pour un paiement comptant. Nous n'avons pas été en mesure de négocier ce programme de paiement anticipé avec General Electric. (...) Le programme de paiement anticipé de GE ne présente pas d'intérêt particulier pour notre entreprise dans la mesure où nous possédons une trésorerie saine" ;
* pièce anonymisée n° 103-10 : "Nous avons tenté à maintes reprises de refuser ce système. Nous avons essayé la dernière fois d'évoquer le sujet avec General Electric en 2010 et ce sans résultat. Nous n'avons pas souhaité refuser ce système par écrit par crainte d'un arrêt des relations commerciales (...)" ;
* pièce anonymisée n° 103-11 : "Le système d'escompte (programme VMF) a été mis en place en 2003. Nous avons essayé de dénoncer en 2007-2008 car nous avions un volume d'affaires important à cette époque mais nous avons reçu une fin de non-recevoir. Nous avions un contrat VMF en 2007 que nous avions refusé de signer car nous n'avions pas de problème de trésorerie. Ces modalités d'escompte ont ensuite été intégrées dans leur CGA que nous n'avons pas accepté non plus. Néanmoins le système est appliqué à la discrétion de l'acheteur et malgré nos tentatives nous n'avons pas réussi à passer outre (
). Lorsque nous négocions un contrat de fourniture, nous essayons de négocier un certain nombre de points par mail ; concernant l'escompte, il nous a toujours été répondu que ce point n'était pas négociable (...). L'escompte et l'exclusion des immatériels ne sont absolument pas négociables avec GE. Nous avons essayé plusieurs fois de rejeter le système d'escompte, en vain. C'est le seul client qui fonctionne de cette manière. C'est GE qui décide de le mettre en oeuvre (...). Nous ne sommes pas maîtres du déclenchement, ce qui est délicat en matière de prévision de trésorerie (
)". Par courriel de l'année 2007, la société GEEPF a répondu à ce cocontractant suite à ses remarques sur le système d'escompte que "chapitre 2, discount 0,033 n'est pas négociable et fait partie des exigences fixées dans le cahier des charges" ;
* pièce anonymisée n° 103-12 : "Le contrat de prestation comporte des dispositions financières par lesquelles GE nous applique des paiements anticipés à 15 jours contre escompte. Ce système nous assure des paiements rapides, mais nous coûte X € par an. (
) Lors de la mise en place de ce système en 2004, nous avons refusé l'application de ce programme de paiement anticipé, n'ayant pas à cette époque de problème de trésorerie, mais nous n'avons pas pu nous en dégager (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-13 : "Le TPS est notre autre sujet de préoccupation avec GE. (
) c'est en 2008 que nous avons été contraints d'y adhérer (
) nous avons augmenté nos prix de 3 % pour compenser le TPS" ;
* pièce anonymisée n° 103-17 : "Nous ne concédons pas d'escompte, sauf avec le client GE et les sociétés de ce groupe (
) Vous nous demandez pour quelle raison un escompte est attribué au client GENERAL ELECTRIC ENERGY / GE POWER and WATER. Pour être référencé comme fournisseur de GE, nous devons signer leurs conditions générales d'achat. Aucune relation commerciale ne peut exister sans l'acceptation de cet accord. Leur application prévaut sur nos conditions générales de vente. (...) Vous nous demandez si le barème applicable a déjà pu être modifié suite à nos négociations. Dans le contrat de [
], qui prévoyait une évolution du taux à 15 jours de [
] % (2007) à [
] % (2008), nous avons obtenu qu'il soit fixé à [
] %" ;
* pièce anonymisée n° 103-27 : "GE nous impose ses conditions d'escompte que nous n'avons jamais remises en question. Pour autant, cette question est prise en compte dans la définition des tarifs que nous élaborons dans le cadre de nos propositions commerciales (
)" ;
* pièce anonymisée n° 103-20 : « De notre côté nous précisons que nous n'accordons aucun escompte pour paiement anticipé. Cependant nous n'avons pas refusé leurs conditions d'escompte qui nous ont été présentées comme étant une règle non négociable de l'entreprise (
) Pour nous l'imposition du taux d'escompte n'a pas eu d'impact sur notre trésorerie. Nous avons inclus dans le calcul de notre prix de revient le risque d'être payé plus tôt. Nous l'avons intégré comme un coût potentiel. Pour nous cette pratique de l'escompte ne nous semble pas abusive ; Nos relations avec GE sont bonnes et c'est un groupe avec lequel nous pouvons discuter" ;
* pièce anonymisée n° 103-22 : "En 2004, le système TPS a été instauré par General Electric (
) Le taux était à cette époque négociable. Il ne l'est plus depuis environ 3 ans. (
) Sur le plan financier c'est pénalisant pour nous puisqu'un escompte est appliqué (
) Nous adaptons de toute façon notre prix de vente à ces conditions particulières d'escompte (
) Nos CGV ne sont pas prises en compte par General Electric (
) L'acceptation du système est un critère d'évaluation du fournisseur d'après ce qui nous a été dit, et fait partie de leur propre évaluation interne (
) Ce système ne nous est pas imposé mais fortement suggéré ; il ne nous est toutefois pas globalement défavorable, avec du recul (
) nous préférerions maîtriser le délai de paiement (
) Lors de l'instauration de TPS, nous avons fait valider leurs conditions par notre avocat, qui les trouvaient sur certains aspects quelque peu abusives. Toutefois nous les avons acceptées en connaissance de cause, préférant préserver nos commandes avec eux, et nous avons de bonnes relations commerciales avec General Electric. A l'heure actuelle, si la question nous était posée, nous préférerions continuer à travailler avec le système TPS car il nous permet de récupérer de l'argent rapidement en cas de besoin" ;
qu'il convient de relever que tous les témoignages, au nombre de 17, se corroborent entre eux, mais aussi que ces déclarations font références aux clauses contractuelles litigieuses, de sorte que ces références confirment la crédibilité de ces procès-verbaux, dressés par des agents assermentés, et notamment le fait qu'elle fasse primer contractuellement ses CGA sur les CGV de ses cocontractants. Ces clauses se retrouvent en effet, sans que cela ne soit contesté, dans la majorité des contrats liant la société GEEPF à ses fournisseurs ou sous-traitants ; que l'ensemble de ces déclarations et pièces concordantes démontrent que les fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ne peuvent négocier les clauses litigieuses avec elle, ces clauses inscrites dans les CGA étant présentées comme non négociables par cette dernière à un nombre certain de ses interlocuteurs, le nombre de cocontractants entendus étant significatifs pour être considéré comme probant, ce d'autant que les parties s'accordent sur le fait que 60 % environ des fournisseurs ou sous-traitants de la société GEEPF ont « souscrit » au programme TPS. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société GEEPF, les déclarations de ses cocontractants reprises ci-dessus établissent que des fournisseurs de la société GEEPF sont dans l'impossibilité juridique, technique et commerciale de travailler avec celle-ci en cas de refus d'adhésion au programme TPS comme à l'acceptation des CGA : en effet, ces clauses sont présentées comme étant non négociables et leur acceptation constitue un préalable à un échange commercial avec la société GEEPF ; que par ailleurs, les courriers envoyés ultérieurement par cette dernière à ses cocontractants relatifs à la présentation plus précise du programme TPS sont sans incidence sur la soumission ou la tentative de soumission, en ce que l'acceptation de l'adhésion au programme TPS a déjà été formalisée par le cocontractant ; qu'en outre, la cour constate que les contrats proposés sont des contrats-types, y compris dans le cadre des appels d'offres, l'acceptation préalable des conditions générales d'achat de la société GEEPF apparaissant une condition au dépôt de la candidature ; que toutefois, la société GEEPF produit des contrats signés avec certains de ses cocontractants qui démontrent que « l'adhésion » au programme TPS a été négociée et a fait l'objet d'une suppression à la demande du cocontractant sur la période considérée pour 14 cas ; qu'il ressort des conclusions du rapport Sorgem, produit par la société GEEPF (pièces n°s 20 et 36), dont les chiffres sont proches de ceux invoqués par le Ministre, que 60 % des fournisseurs de la société GEEPF ont accepté le programme TPS et que ces fournisseurs représentent 72 % du volume d'affaires de la société GEEPF ; qu'ainsi, si la société GEEPF communique des pièces afin de démontrer que ces clauses sont négociables, il convient toutefois de relever qu'elles ne concernent pratiquement pas la clause TPS (14 exemples), qu'un nombre conséquent de ces contrats porte sur des activités qui ne concernent pas directement des prestations de services ou de fournitures dans le domaine de la fabrication de turbines : en effet des prestations plus complexes, telles que celles relatives à des questions de propriété intellectuelles, impliquent nécessairement la signature de contrats spécifiques, de sorte que la société GEEPF ne démontre pas que ces clauses sont parfaitement négociables par l'ensemble de ses fournisseurs ou sous-traitants, la preuve de réelle négociation n'étant pas rapportée : le seul fait que 40 % de ses interlocuteurs ne bénéficient pas du programme TPS ne démontre pas en soi que cette clause n'est pas imposée à un nombre important de ses cocontractants, la société GEEPF indiquant clairement à ces sociétés que ces clauses ne sont pas négociables ; que par ailleurs, la négociation du taux appliqué au programme TPS ne peut à elle seule démontrer que ces dispositions sont négociables pour l'ensemble des cocontractants, ces baisses apparaissant marginales et le principe de la souscription à ces clauses apparaissant imposée à un nombre conséquent de cocontractants ; que ces 14 cas de retrait de la clause litigieuse relative au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF démontrent uniquement que cette dernière accepte de négocier ces points avec certains de ses cocontractants mais, au regard des déclarations de 17 autres cocontractants reproduites ci-dessus, il apparaît que d'autres se voient imposer ces clauses, celles-ci étant présentées comme non négociables ;
Sur la clause de primauté des CGA de la société GEEPF : que la clause de primauté des CGA de la société GEEPF précitée traduit, comme le soutient le Ministre, une absence manifeste d'ouverture d'une possible négociation, sa rédaction ne permettant pas au fournisseur de proposer facilement de contre-proposition pour négocier des clauses acceptables, l'acceptation de la contre-proposition relevant de la seule volonté de la société GEEPF ; que par ailleurs cette clause est contraire au principe posé par la loi LME qui est de faire primer les CGV comme base de négociation et non l'inverse ; qu'en outre, la preuve que la clause TPS peut être négociée et refusée n'est pas rapportée dans le contrat-type ; qu'aucune ouverture à la négociation n'est donc démontrée par la société GEEPF, alors que les auditions des fournisseurs reproduites ci-dessus démontrent que la primauté des CGA de la société GEEPF n'est pas négociable avec cette dernière ; qu'en conclusion de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la société GEEPF ne négocie pas de manière effective ses conditions générales d'achat et de paiement avec un nombre conséquent de ses cocontractants, les clauses litigieuses figurant dans l'ensemble des trois contrats-types contestés ; que par ailleurs, ces cocontractants, ayant déclaré ne pas avoir le choix d'accepter ou de refuser les conditions de la société GEEPF, au regard de la position de celle-ci sur le secteur de la fabrication des turbines puissantes en France, et des modalités de souscriptions aux CGA, comme étant un préalable à toute poursuite de relation commerciale, sont soumis par elle dans le cadre de leurs rapports commerciaux ; que compte-tenu de l'ensemble des éléments évoqués ci-dessus, et notamment la part des cocontractants adhérant au programme TPS à hauteur de 60 %, les 17 cocontractants ayant déclaré à la DIRECCTE s'être vu imposer ces clauses, et au silence de 6 fournisseurs sur le programme TPS, il y a lieu de considérer que 50 % des fournisseurs de la société GEEPF se voient imposer l'acceptation au programme TPS par la société GEEPF, les CGA étant donc intangibles pour 50 % d'entre eux ;
Sur le déséquilibre significatif : [
]
Sur la primauté des CGA : qu'il est constant que la clause relative aux CGA de la société GEEPF fait primer les CGA de celle-ci sur les CGV de ses cocontractants ; que les CGA sont établies à partir de médailles soumis au débat, identiques selon l'un des trois types de contrats évoqués ci-dessus ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 3 du code de commerce "les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale. Dans le cadre de cette négociation, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l'obligation de communication prescrite au premier alinéa" ; que les déclarations de cocontractants reproduites supra ainsi que les dispositions de l'article 1 des CGA démontrent que les relations entre la société GEEPF et 50 % de ses cocontractants sont établies à partir de l'offre de la société GEEPF et non à partir de celle du fournisseur, contrairement aux exigences de l'article L. 441-6 du code de commerce, de sorte que l'initiative de la négociation prévue par l'article L. 441-6 du code de commerce est inversée, à partir d'un modèle-type, figurant dans chacun des contrats, faisant ainsi ressortir que la société GEEPF a imposé ses conditions d'achat à ses fournisseurs, sans possibilité de négociation ;
Le programme TPS : que l'article 4 relatif au paiement des factures, reproduit ci-dessus, prévoit la rémunération par la société GEEPF dans l'hypothèse d'un paiement anticipé par elle de la facture de son fournisseur ; qu'aux termes de l'article L. 441-6, I al. 4 et 5 du code de commerce "sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties" ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture ; que les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent ; qu'ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai ; que des accords peuvent être "conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs" ; que les délais de paiement représentent un avantage financier pour l'acheteur, qui n'a pas à payer comptant, et réduisent de fait le prix de revient effectif des achats et créent un risque économique et financier pour le fournisseur partenaire ; que les délais de paiement accordés aux clients par les fournisseurs ou sous-traitants pèsent sur la trésorerie de ceux-ci ; que dès-lors, le besoin de financement du fournisseur ainsi créé est couvert par l'endettement bancaire, direct ou indirect ; qu'ainsi, le respect des délais de paiement doit être apprécié comme un des éléments de la relation commerciale loyale entre entreprises, qui doit résulter du libre jeu de la concurrence dans le respect des prescriptions légales qui s'imposent aux acteurs économiques ; que le programme TPS de la société GEEPF propose de payer les factures dues à ses cocontractants ayant signé un contrat les liant incluant ladite clause moyennant rémunération, à savoir "[Le] montant [de cette rémunération] sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ; qu'il convient donc de déterminer si la rémunération de la société GEEPF pour payer ses factures avant le délai de 50 jours constitue un surcoût excessif pour les fournisseurs par rapport aux coûts des financements des fournisseurs pour compenser leur besoin de trésorerie dans l'attente du paiement de leurs factures ; que la société GEEPF explique que la contrepartie à la rémunération du paiement anticipé de la facture est justement le paiement anticipé évitant au fournisseur d'avoir recours à d'autres solutions de crédit afin d'assurer sa trésorerie, alors que le Ministre conteste l'avantage donné, soutenant que la société GEEPF ne fait qu'application de la loi ; qu'il convient à titre liminaire de relever que le législateur a donné un délai maximum de paiement des factures, à savoir soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, la date de paiement de la facture étant de trente jours suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée, et qu'en tout état de cause, ce délai ne peut dépasser soixante jours ; qu'une facture émise doit être acquittée par le fournisseur au plus vite, et au maximum dans les délais légaux fixés par le législateur, dont l'objectif est de réduire les délais de paiement prolongés qui portent atteinte à l'économie, beaucoup de fournisseurs ayant de ce fait des difficultés de trésorerie ; que cette législation ne délimite qu'une tolérance à la pratique des crédits fournisseurs en fixant des délais maxima et aucune contrepartie financière ne peut être demandée par l'acheteur ; que si le Ministre ne reproche pas à la société GEEPF cette clause en tant que telle, il lui reproche son coût très élevé et l'absence de contrepartie comme de rééquilibrage ; que le paiement à 15 jours de la date de la facture est rémunéré à 2,5 % du montant TTC de celle-ci, ce montant étant encore réduit de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai inférieur à 15 jours et est augmenté de 0,0333 % par jour si le paiement intervient dans un délai supérieur à 15 jours ; que cette rémunération par la société GEEPF correspond à une baisse non négligeable du montant de la facture du fournisseur, alors qu'aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur ; qu'en effet, aucune clause contractuelle ne rééquilibre les droits et obligations des parties, ce que ne soutient d'ailleurs pas la société GEEPF ; qu'il convient en outre de relever que la date de paiement est à la seule discrétion de la société GEEPF qui ne démontre pas assurer un service à ses fournisseurs, s'agissant de la gestion courante des factures entre acteurs économiques ; que de même, le cocontractant ne peut savoir au final quelle sera sa réelle rémunération sur la prestation ou la fourniture réalisée pour la société GEEPF, ne sachant pas à quelle date il serait payé et en conséquence quel taux de réduction lui serait imputé par la société GEEPF sur sa facture ; que dès lors, quelle que soit la qualification de cette pratique, d'escompte commercial ou d'escompte bancaire, les fournisseurs choisissant de financer leur trésorerie avec les différents outils de leurs choix quand ils le souhaitent et les moins coûteux, étant par ailleurs relevé que certains n'ont pas de besoin en trésorerie et donc ne font pas appel à des services financiers de ce type, il apparaît que les taux pratiqués réduisent de manière conséquente le montant final de la facture des fournisseurs qui se sont vus imposer cette clause sans que cette réduction ne correspondent à une prestation quelconque de la société GEEPF et sans que le cocontractant ait une visibilité claire du montant final qui lui sera versé ; qu'en outre, 40 % des cocontractants de la société GEEPF ont refusé, lorsqu'ils le pouvaient, d'avoir recours à ce système, ce qui démontre par ailleurs que ses bénéfices ne sont pas perçus comme effectifs par ceux-ci ; qu'en l'espèce, la plupart des fournisseurs dont les déclarations sont reproduites ci-dessus expliquent que les taux pratiqués par la société GEEPF sont abusifs. Il est notamment indiqué que :
- "Les taux d'escompte appliqués sont élevés et ont eu tendance à augmenter dans le temps alors que les conditions d'escompte bancaires sont nettement plus intéressantes. Le système GE correspond à 0,0333 %
par jour et à un taux annuel de 12,15 % contre 4 % dans le monde bancaire (...) Le système de paiement anticipé est coûteux" (pièce n° 103-5),
- "Cet escompte correspond à un taux annuel d'environ 18 %/an à comparer au taux bancaire d'emprunt de l'ordre de 3 % actuellement" (pièce n° 103-6),
- "Le taux proposé par GE est plus important que les taux bancaires pratiqués actuellement qui sont de l'ordre de 3,5 % annuel soit 0,0097 % en taux journalier" (pièce n° 103-7),
- "J'explique les raisons de mon refus d'adhésion aux conditions du programme TPS (
) moyennant un escompte à hauteur de 2,5 %, impliquant un financement à 45 jours à un taux annuel de 20 %, qui dépasse largement le taux d'usure, sans compensation en prix de vente" (pièce n° 103-8a) ;
qu'il apparaît donc que les déclarations des cocontractants et leurs calculs relatifs au financement dont ils auraient bénéficié auprès des banques, s'ils les avaient sollicitées, sans être contredites par la société GEEPF sur les chiffres avancés, démontrent que les taux pratiqués sont nettement supérieurs aux autres systèmes auxquels ils peuvent avoir droit pour faire face à leurs besoins de trésorerie au regard des délais de paiement ; qu'ainsi, la société GEEPF ne prouve pas que son système est avantageux pour ses fournisseurs ni qu'elle fournit des contreparties concrètes et supplémentaires à ses cocontractants, dans le cadre du système TPS ; que dans ces conditions, la réduction conséquente de la facture du cocontractant sans contrepartie et sans qu'un rééquilibrage ne soit opéré par d'autres clauses du contrat caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la société GEEPF a soumis ou tenté de soumettre 50 % de ses cocontractants à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations » ;
1°/ ALORS QUE la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen de cassation entraînera, par voie de conséquence, la cassation des chefs de l'arrêt visés par le deuxième moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que si la puissance de négociation d'un contractant, liée à sa position économique dans un secteur d'activité particulier, peut constituer un indice permettant d'apprécier l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission de ses partenaires commerciaux, encore faut-il que ce déséquilibre structurel soit examiné par référence au marché sur lequel la puissance d'achat est susceptible de s'exercer ; qu'en l'espèce, la société GEEPF faisait valoir que le marché de référence était non pas celui de la fabrication de turbines à gaz dans lequel elle occupait une position de leader, mais le marché d'approvisionnement situé en amont, dans lequel ses fournisseurs disposaient de nombreux débouchés pour les biens et services fournis, lesquels n'étaient pas exclusivement destinés à la fabrication de turbines à gaz (cf. conclusions p. 39 et 40) ; qu'en affirmant que le rapport de force entre les fournisseurs et sous-traitants de la société GEEPF sur le territoire français devait être examiné au regard du secteur d'activité très particulier de la fabrication de la turbine à gaz à grande puissance (cf. arrêt p. 10 § 5 et dernier §), sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée, si le marché de référence n'était pas celui situé en amont, concernant l'écoulement de l'ensemble des produits et services offerts par ses fournisseurs, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°/ ALORS QUE l'existence d'une possibilité de négociation exclut nécessairement l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission au sens de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, quand bien-même l'ensemble des partenaires commerciaux n'aurait pas usé de cette faculté ; qu'après avoir relevé 14 cas de retraits de la clause litigieuse au programme TPS dans les contrats signés par la société GEEPF (cf. arrêt p. 14, § 4 et dernier §), ce dont il résultait l'existence d'une possibilité de négociation effective, la cour d'appel ne pouvait retenir qu' « aucune ouverture à la négociation » n'était établie par la société GEEPF (cf. arrêt p. 15, §3), sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
4°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s'apprécie au regard du contenu du contrat ; qu'en retenant que la clause dite de primauté des conditions générales d'achat de la société GEEPF créait un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, sans nullement caractériser l'existence d'un tel déséquilibre au regard du contenu même de ces conditions générales d'achat, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
5°/ ALORS QUE l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, ne fait pas obstacle à ce que des conditions générales d'achat puissent constituer le socle de base des négociations entre les parties ; qu'en retenant le contraire (cf. arrêt p. 16, dernier §), la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;
6°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que pour retenir que la clause relative au programme TPS créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la cour d'appel a affirmé que la société GEEPF ne prouvait pas que le système mis en place par le programme TPS était « avantageux » pour ses fournisseurs ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'absence d'avantage – à la supposer même établie –n'implique pas l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
7°/ ALORS QUE l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 applicable à la cause, sanctionne le fait «de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que pour retenir que la clause relative au programme TPS – prévoyant une réduction du prix des factures au bénéfice de la société GEEPF en cas de paiement anticipé – créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la cour d'appel a affirmé qu' « aucune contrepartie n'est fournie au fournisseur par la société GEEPF qui est tenue de payer ses factures dans le délai maximum fixé par le législateur » (cf. arrêt p. 18, §5, v. aussi p. 19, §4) ; qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de la contrepartie représentée par un paiement plus rapide que les exigences légales, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce ;
8°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant que le programme TPS ne fournissait « aucune contrepartie » au fournisseur par la société GEEPF (cf. arrêt p. 18, §5, v. aussi p. 19, §4), sans répondre au moyen de cette dernière faisant valoir qu'outre un délai de paiement moyen de 22 jours, ce programme permettait à ses fournisseurs de bénéficier d'autres contreparties tels des paiements quotidiens et non hebdomadaires, une détection accélérée des litiges factures, un traitement prioritaire des factures, la transmission d'avis de paiement détaillés, un site internet permettant de connaître en temps réel l'état des paiements de leurs factures ainsi qu'un service clientèle dédié (cf. conclusions p. 118), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (Sur l'amende civile)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros ;
AUX MOTIFS QUE «l'amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, mais lucratives en matière commerciale ; que la gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent être pris en compte ; que c'est en raison des atteintes portées aux entreprises, et, notamment aux PME, par les retards de paiement que le législateur est intervenu pour limiter les délais de paiement, ayant d'ailleurs sanctionné par une amende civile le non-respect de ceux-ci dans les conditions imposées par l'article L. 441-6 [en réalité L. 442-6] du code de commerce, dans le but d'améliorer la trésorerie des entreprises ; que la clause prévoyant une rémunération pour l'acheteur qui se contente de respecter la loi porte une atteinte grave à l'ordre public économique ; que par ailleurs, l'impossibilité pour les fournisseurs de négocier sur la base de leurs CGV, les CGA de la société GEEPF leur étant imposées, constitue également une atteinte importante à l'ordre public économique ; que la situation d'acteur majeur de la société GEEPF sur son marché contribue à accentuer la gravité des faits qui lui sont reprochés, du fait de son devoir d'exemplarité ; que la rémunération exigée par la société GEEPF au détriment de 50 % de ses cocontractants français, dans les conditions précitées pendant les années 2009 à 2012, a coûté plus de 18 millions d'euros aux fournisseurs français, chiffre non contesté utilement, qui ont été soumis à ces clauses, ce qui atteste l'effet conséquent de ces pratiques ; que dès lors, compte-tenu de la gravité des faits, de leur durée et de leur ampleur mais aussi de la fonction dissuasive de l'amende, il y a lieu de condamner la société GEEPF à une amende de 2 millions d'euros et d'enjoindre à la société GEEPF de cesser les pratiques incriminées, à savoir de cesser d'insérer dans ses contrats les clauses suivantes :
"Sont également inopposables à l'acheteur et réputées non écrites les conditions générales de vente accompagnant ou figurant au verso des différents documents et factures du vendeur. Tous commentaires, ajouts, remarques, corrections, réserves ou suppressions émanant du vendeur au moment de son acceptation, postérieurement à cette acceptation ou en cours d'exécution de la commande ne seront opposables à l'acheteur que si ce dernier y a expressément consenti par écrit dans un délai de dix (10) jours à compter de leur réception. A défaut d'un tel accord exprès dans ce délai, et l'Acheteur est réputé avoir rejeté ces commentaires, ajouts, observations, remarques, corrections, réserves ou suppressions",
et
"L'acheteur est autorisé à déduire, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une société apparentée (telle que définie ci-après), une somme à titre de rémunération pour paiement anticipé. Ce montant sera de 2,5 % du montant TTC de la facture si le paiement intervient le 15ème jour suivant l'émission de la facture. En cas de paiement effectué avant ce 15ème jour, une somme supplémentaire correspondant à 0,0333 % sera prélevée par jour précédant ce 15ème jour. Si le paiement est effectué après le 15ème jour, le montant perçu à titre de paiement anticipé sera réduit de 0,0333 % par jour suivant ce 15ème jour. Aucun montant ne sera perçu si le règlement intervient le 50ème jour ou après le 50 % jour à compter de la date de la facture" ;
1°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « la clause prévoyant une rémunération pour l'acheteur qui se contente de respecter la loi porte une atteinte grave à l'ordre public économique » (cf. arrêt p. 20, §1) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la clause conditionnait la rémunération pour l'acheteur à un paiement anticipé des factures, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
2°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « l'impossibilité pour les fournisseurs de négocier sur la base des leurs CGV, les CGA de la société GEEPF leur étant imposées, constitue également une atteinte importante à l'ordre public économique » (cf. arrêt p. 20, §1) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la pratique consistant à choisir les conditions générales d'achat comme socle de base de la négociation n'est nullement prohibée, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°/ ALORS QUE pour condamner la société GEEPF à une amende civile de 2 millions d'euros, la cour d'appel a affirmé que « la situation d'acteur majeur de la société GEEPF sur son marché contribue à accentuer la gravité des faits qui lui sont reprochés, du fait de son devoir d'exemplarité » (cf. arrêt p. 20, §2) ; qu'en mettant ainsi à la charge de l'exposante un « devoir d'exemplarité » qui ne repose sur aucun fondement juridique, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 III, b) du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause. | Il résulte de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'au regard des exigences du procès équitable, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des déclarations anonymes.
Méconnaît les exigences de ce texte la cour d'appel qui se fonde, de façon déterminante, sur des déclarations recueillies anonymement pour estimer rapportée la preuve d'une soumission des fournisseurs d'une société aux clauses contractuelles déterminées par cette dernière et, en conséquence, déclarer établie cette condition de caractérisation de la pratique restrictive visée à l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, alors en vigueur |
7,767 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 296 FS-B
Pourvoi n° Y 19-24.270
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2022
La société Bâtiment mayennais, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], exerçant sous l'enseigne Lucas construction, a formé le pourvoi n° Y 19-24.270 contre l'ordonnance (en la forme des référés) rendue le 25 octobre 2019 par le président du tribunal de grande instance de Rennes, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Méduane habitat, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Karaca construction, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation et un moyen unique additionnel annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Bâtiment mayennais, exerçant sous l'enseigne Lucas construction, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société Karaca construction, de la SCP Richard, avocat de la société Méduane habitat, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, M. Blanc, Mmes Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal de grande instance de Rennes, 25 octobre 2019), la société d'habitation à loyer modéré Méduane habitat (la société Méduane habitat) a lancé une procédure d'appel à concurrence, dite adaptée, destinée à l'édification de trente-six logements sociaux, pour laquelle la société Bâtiment mayennais a présenté une offre relative au lot n° 1.
2. Soutenant que le marché de ce lot avait été attribué à la société Karaca construction en violation des règles de la commande publique relatives à la publicité et à la mise en concurrence, la société Bâtiment mayennais a saisi le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés (le juge des référés), en demandant l'annulation du marché litigieux.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen présenté par le mémoire ampliatif additionnel
Enoncé du moyen
3. Par son premier moyen la société Bâtiment mayennais fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions et notamment sa demande tendant, avant dire droit, à la suspension de l'exécution du marché conclu entre la société Méduane habitat et la société Karaca construction et de sa demande au fond tendant à la nullité de ce marché, alors :
« 1°/ que les dispositions des articles 11 à 20 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique sont susceptibles d'être interprétées par la Cour de cassation comme faisant obstacle à ce que les concurrents évincés des contrats de droit privé de la commande publique puissent invoquer, au soutien de leur recours en référé contractuel, des irrégularités autres que celles qui sont énumérées à l'article 16 de cette ordonnance et comme n'instituant pas un recours utile à leur profit ; que par un mémoire distinct et motivé, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à ces articles ; que l'inconstitutionnalité qui sera prononcée entraînera l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique, et ce en application de l'article 61-1 de la Constitution. »
4. Par son second moyen, la société Bâtiment mayennais fait le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions des articles 11 à 20 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique sont susceptibles d'être interprétées par la Cour de cassation comme faisant obstacle à ce que les concurrents évincés des contrats de droit privé de la commande publique puissent invoquer, au soutien de leur recours en référé contractuel, des irrégularités autres que celles qui sont énumérées à l'article 16 de cette ordonnance et comme n'instituant pas un recours utile à leur profit ; que par un mémoire distinct et motivé n° 2, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à ces articles ; que l'inconstitutionnalité qui sera prononcée entraînera l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique, et ce en application de l'article 61-1 de la Constitution. »
Réponse de la Cour
5. La Cour de cassation a, par un arrêt n° 174 du 8 juillet 2019, renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 11 à 20 de l'ordonnance n° 2009- 515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009), présentée par la société Bâtiment mayennais.
6. Par décision 2019-857 QPC du 17 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a décidé que l'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 était conforme à la Constitution.
7. Le moyen est donc sans portée.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
8. La société Bâtiment mayennais fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que l'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ne dresse pas de façon limitative la liste des irrégularités susceptibles d'être invoquées par les concurrents évincés à l'appui de leur référé contractuel ; qu'en décidant le contraire, le juge des référés a violé cette disposition de l'ordonnance ;
3°/ que le référé contractuel devant être assimilé à un recours en contestation de la validité du contrat pour l'application des articles 11 et suivants de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, les concurrents évincés peuvent invoquer à l'appui de leur référé contractuel tout vice en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent comme l'ensemble des vices qui en raison de leur particulière gravité doivent être relevés d'office par le juge ; qu'en déboutant la société Bâtiment mayennais de sa demande sans rechercher si les irrégularités dont elle se prévalait étaient en rapport direct avec son intérêt lésé ou d'une gravité telle qu'elles auraient dû être relevés d'office, le juge des référés a privé sa décision de base légale au regard de l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;
4°/ que le juge doit trancher le litige dont il est saisi et ne peut se dessaisir de ses attributions ; qu'en retenant qu'il appartiendra au seul juge du droit, et non à lui-même, de dire si les pouvoirs du juge du référé contractuel peuvent être étendus au-delà des prévisions de cet article de loi et sur quel fondement, et en refusant ainsi d'exercer son office, le juge des référés a violé l'article 4 du code civil ;
5°/ que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'à l'appui de son recours, la société Bâtiment mayennais soutenait qu'interpréter les dispositions de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 comme privant les concurrents évincés de la possibilité d'invoquer des irrégularités non énumérées à l'article 16 serait contraire au droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en énonçant que la conventionnalité de cet article n'était pas remise en cause par la société Bâtiment mayennais, le juge des référés a dénaturé les conclusions dont il était saisi et a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Aux termes de l'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 « Est nul tout contrat conclu lorsque aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.
Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique.
Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article 4 ou à l'article 8 ci-dessus si, en outre, deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d'exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. »
10. Ces dispositions, qui énumèrent les cas dans lesquels la nullité du contrat de commande publique doit être prononcée par le juge des référés saisi d'un recours contractuel, réservent cette sanction aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence.
11. En procédant de la sorte, le législateur a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur conclusion et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles, ainsi que la confiance dans les relations économiques. Il a ainsi poursuivi un but légitime.
12. Par ailleurs, cette restriction s'inscrit dans un mécanisme par lequel les candidats à un appel d'offres ont, en amont de la conclusion du contrat, la possibilité de saisir le juge des référés précontractuel de tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, afin que soit ordonné le respect de ces obligations ou, le cas échéant, que soit prononcée l'annulation de la procédure. Cette possibilité est aussi ouverte aux candidats évincés après l'annonce de l'attributaire des offres et jusqu'à la conclusion du contrat.
13. Si pour certains marchés, comme les marchés à procédure adaptée, le pouvoir adjudicateur ou l'autorité adjudicatrice peuvent être dispensés de communiquer la décision d'attribution du contrat aux candidats non retenus et d'observer un délai avant de conclure le contrat, les candidats évincés ne sont pas pour autant privés de faire valoir leurs droits, dès lors que les dispositions contestées ne font pas obstacle à ce qu'un candidat irrégulièrement évincé exerce une action en responsabilité contre la personne responsable du manquement et obtienne ainsi réparation du préjudice qui en est résulté pour lui. Il s'en déduit que la limitation des cas dans lesquels les candidats à un marché privé de la commande publique évincés peuvent agir en référé contractuel ne porte pas atteinte à la substance de leur droit à un recours effectif et qu'elle est proportionnée au but légitime poursuivi.
14. Dès lors, c'est à bon droit qu'ayant retenu que l'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 prévoit que le juge du référé contractuel n'a le pouvoir de prononcer la nullité d'un contrat privé relevant de la commande publique que dans les cas qu'il énumère précisément, ce dont il a déduit que la demanderesse soutenait, à tort, que cette liste n'était pas limitative, le juge des référés, sans être tenu de procéder à la recherche invoquée à la troisième branche et sans qu'importe le motif erroné mais devenu inopérant, critiqué par la cinquième branche, a, par ces seuls motifs et abstraction faite de celui, surabondant, critiqué par la quatrième branche, légalement justifié sa décision.
15. Pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bâtiment mayennais aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bâtiment mayennais et la condamne à payer à la société Karaca construction et à la société Méduane habitat, chacune, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Bâtiment mayennais, exerçant sous l'enseigne «Lucas construction».
Le pourvoi fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR débouté la société Bâtiment mayennais de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions, et notamment de sa demande tendant, avant dire droit, à la suspension de l'exécution du marché conclu la société Méduane habitat et la société Karaca construction pour les prestations de terrassement et de gros oeuvre d'une opération de construction de 36 logements collectifs locatifs sociaux dénommés « [Adresse 3], et de sa demande au fond tendant à la nullité de ce marché ;
AUX MOTIFS QUE : « [
] L'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 07 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique dispose que : « Est nul tout contrat conclu lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article 4 ou à l'article 8 ci-dessus si, en outre, deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d'exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ». / Ni la conventionnalité, ni la constitutionnalité de cet article ne sont remises en cause par la société demanderesse. / Il résulte de ces dispositions que le juge du référé contractuel n'a donc le pouvoir de prononcer la nullité d'un contrat, relevant de la commande publique, que dans quatre hypothèses, précisément énumérées et définies. C'est à tort, en effet, que la demanderesse soutient que cette liste ne serait pas limitative dans la mesure où si tel n'était pas le cas, le législateur aurait pris alors le soin d'y adjoindre l'adverbe « notamment » ou tout autre vocable de même effet. De plus, on peine à imaginer quelle serait l'utilité de cet article 16 de l'ordonnance si le candidat évincé à un marché public pouvait invoquer, devant le juge du référé contractuel, tout manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence. Enfin, il appartiendra au seul juge du droit, et non au rédacteur de la présente, de dire si les pouvoirs du juge du référé contractuel peuvent être étendus au-delà des prévisions de cet article de loi et sur un fondement qui reste, à ce jour, à déterminer. / Enfin, comme l'indique lui-même le conseil de la société évincée, dans ses dernières écritures soutenues à la barre (en page 15), « si aucune décision de la Cour de cassation ne confirme cette approche – à savoir l'inopérance des moyens en annulation dirigés contre un marché public qui n'entrent pas dans l'une des quatre situations prévues par cet article 16, NDR – aucune ne l'informe non plus », la pertinence de ce constat rendant, en conséquence, sans intérêt toute discussion sur le sens et la portée qu'il conviendrait d'accorder aux deux décisions, non publiées au bulletin et donc d'espèce, de la Chambre commerciale de cette juridiction, en date des 14 mai 2013 et 05 juin 2019, évoquées par ledit conseil à l'appui de ses demandes. / Ce dernier ayant pris le soin de préciser (ibid., page 12) qu'il n'était pas « discuté (
) que les faits de l'espèce ne correspondent à aucune des hypothèses recensées à l'article 16 de l'ordonnance du 7 mai 2009 », sa demande visant à ce [que] soit prononcée la nullité du marché de travaux litigieux, dès lors mal fondée, ne pourra qu'être rejetée [
] » ;
1) – ALORS QUE les dispositions des articles 11 à 20 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique sont susceptibles d'être interprétées par la Cour de cassation comme faisant obstacle à ce que les concurrents évincés des contrats de droit privé de la commande publique puissent invoquer, au soutien de leur recours en référé contractuel, des irrégularités autres que celles qui sont énumérées à l'article 16 de cette ordonnance et comme n'instituant pas un recours utile à leur profit ; que par un mémoire distinct et motivé, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à ces articles ; que l'inconstitutionnalité qui sera prononcée entraînera l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique, et ce en application de l'article 61-1 de la Constitution ;
SUBSIDIAIREMENT :
2) – ALORS QUE l'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ne dresse pas de façon limitative la liste des irrégularités susceptibles d'être invoquées par les concurrents évincés à l'appui de leur référé contractuel ; qu'en décidant le contraire, le juge des référés a violé cette disposition de l'ordonnance ;
3) – ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE le référé contractuel devant être assimilé à un recours en contestation de la validité du contrat pour l'application des articles 11 et suivants de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, les concurrents évincés peuvent invoquer à l'appui de leur référé contractuel tout vice en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent comme l'ensemble des vices qui en raison de leur particulière gravité doivent être relevés d'office par le juge ; qu'en déboutant la société Bâtiment mayennais de sa demande sans rechercher si les irrégularités dont elle se prévalait étaient en rapport direct avec son intérêt lésé ou d'une gravité telle qu'elles auraient dû être relevés d'office, le juge des référés a privé sa décision de base légale au regard de l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;
4) – ALORS QUE le juge doit trancher le litige dont il est saisi et ne peut se dessaisir de ses attributions ; qu'en retenant qu'il appartiendra au seul juge du droit, et non à lui-même, de dire si les pouvoirs du juge du référé contractuel peuvent être étendus au-delà des prévisions de cet article de loi et sur quel fondement, et en refusant ainsi d'exercer son office, le juge des référés a violé l'article 4 du code civil ;
5) – ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'à l'appui de son recours, la société Bâtiment mayennais soutenait qu'interpréter les dispositions de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 comme privant les concurrents évincés de la possibilité d'invoquer des irrégularités non énumérées à l'article 16 serait contraire au droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (conclusions, p. 15, §3 ; v. égal. : p. 13, §4) ; qu'en énonçant que la conventionnalité de cet article n'était pas remise en cause par la société Bâtiment mayennais, le juge des référés a dénaturé les conclusions dont il était saisi et a violé l'article 4 du code de procédure civile. MOYEN ADDITIONNEL
Le pourvoi fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR débouté la société Bâtiment mayennais de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions, et notamment de sa demande tendant, avant dire droit, à la suspension de l'exécution du marché conclu la société Méduane habitat et la société Karaca construction pour les prestations de terrassement et de gros oeuvre d'une opération de construction de 36 logements collectifs locatifs sociaux dénommés « [Adresse 3], et de sa demande au fond tendant à la nullité de ce marché ;
AUX MOTIFS QUE : « [
] L'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 07 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique dispose que : « Est nul tout contrat conclu lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / Est également nul tout contrat conclu en méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce de même la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article 4 ou à l'article 8 ci-dessus si, en outre, deux conditions sont réunies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur du droit d'exercer le recours prévu par les articles 2 et 5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ». / Ni la conventionnalité, ni la constitutionnalité de cet article ne sont remises en cause par la société demanderesse. / Il résulte de ces dispositions que le juge du référé contractuel n'a donc le pouvoir de prononcer la nullité d'un contrat, relevant de la commande publique, que dans quatre hypothèses, précisément énumérées et définies. C'est à tort, en effet, que la demanderesse soutient que cette liste ne serait pas limitative dans la mesure où si tel n'était pas le cas, le législateur aurait pris alors le soin d'y adjoindre l'adverbe « notamment » ou tout autre vocable de même effet. De plus, on peine à imaginer quelle serait l'utilité de cet article 16 de l'ordonnance si le candidat évincé à un marché public pouvait invoquer, devant le juge du référé contractuel, tout manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence. Enfin, il appartiendra au seul juge du droit, et non au rédacteur de la présente, de dire si les pouvoirs du juge du référé contractuel peuvent être étendus au-delà des prévisions de cet article de loi et sur un fondement qui reste, à ce jour, à déterminer. / Enfin, comme l'indique lui-même le conseil de la société évincée, dans ses dernières écritures soutenues à la barre (en page 15), « si aucune décision de la Cour de cassation ne confirme cette approche – à savoir l'inopérance des moyens en annulation dirigés contre un marché public qui n'entrent pas dans l'une des quatre situations prévues par cet article 16, NDR – aucune ne l'informe non plus », la pertinence de ce constat rendant, en conséquence, sans intérêt toute discussion sur le sens et la portée qu'il conviendrait d'accorder aux deux décisions, non publiées au bulletin et donc d'espèce, de la Chambre commerciale de cette juridiction, en date des 14 mai 2013 et 05 juin 2019, évoquées par ledit conseil à l'appui de ses demandes. / Ce dernier ayant pris le soin de préciser (ibid., page 12) qu'il n'était pas « discuté (
) que les faits de l'espèce ne correspondent à aucune des hypothèses recensées à l'article 16 de l'ordonnance du 7 mai 2009 », sa demande visant à ce [que] soit prononcée la nullité du marché de travaux litigieux, dès lors mal fondée, ne pourra qu'être rejetée [
] » ;
ALORS QUE les dispositions des articles 11 à 20 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique sont susceptibles d'être interprétées par la Cour de cassation comme faisant obstacle à ce que les concurrents évincés des contrats de droit privé de la commande publique puissent invoquer, au soutien de leur recours en référé contractuel, des irrégularités autres que celles qui sont énumérées à l'article 16 de cette ordonnance et comme n'instituant pas un recours utile à leur profit ; que par un mémoire distinct et motivé n° 2, il est demandé à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à ces articles ; que l'inconstitutionnalité qui sera prononcée entraînera l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique, et ce en application de l'article 61-1 de la Constitution. | L'article 16 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 prévoit que le juge du référé contractuel n'a le pouvoir de prononcer la nullité d'un contrat privé relevant de la commande publique que dans les cas qu'il énumère précisément, cette liste étant limitative.
En réservant cette sanction aux violations les plus graves des obligations de publicité et de mise en concurrence, le législateur, qui a entendu éviter une remise en cause trop fréquente de ces contrats après leur conclusion et assurer la sécurité juridique des relations contractuelles, ainsi que la confiance dans les relations économiques, a poursuivi un but légitime.
Compte tenu des recours ouverts aux candidats à un marché privé de la commande publique évincés et notamment, à tout le moins, de la possibilité d'agir en responsabilité contre l'auteur d'un manquement entachant la procédure d'appel d'offres, cette limitation des cas dans lesquels ces candidats peuvent agir en référé contractuel ne porte pas atteinte à la substance de leur droit à un recours effectif et elle est proportionnée au but légitime poursuivi |
7,768 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 545 FS-B
Pourvoi n° P 20-14.421
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
M. [V] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-14.421 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Sapeso Sud-Ouest, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Sapeso Sud-Ouest, a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [J], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Sapeso Sud-Ouest, et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, conseillers doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mmes Lecaplain-Morel, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Valéry, Thomas-Davost, Pecqueur, Techer, Laplume, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 421-4-2 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 30 janvier 2020), M. [J], exerçant la profession de photographe, a travaillé pour le compte de la société de Presse et d'édition du Sud-Ouest (la société) du 27 février 2001 au 1er avril 2004 en qualité de correspondant local de presse, puis, à compter du 1er juin 2004 comme journaliste pigiste. Il a ensuite travaillé suivant contrats à durée déterminée du 5 août au 3 septembre 2008 puis du 1er au 31 août 2009, en remplacement d'un salarié absent, avant de reprendre une activité de pigiste jusqu'au mois de mai 2015.
2. Le 20 juillet 2016, M. [J] a saisi la juridiction prud'homale afin que soit constatée l'existence d'un contrat de travail et que lui soient allouées diverses sommes à titre de rappels de salaires et en conséquence d'une rupture illicite.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident éventuel, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :
5. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Selon le second, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
7. Il résulte de leur combinaison que l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.
8. La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit.
9. Pour dire que les demandes sont irrecevables, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, retient que ces dispositions ont institué une prescription biennale en lieu et place de la prescription quinquennale qui s'appliquait antérieurement.
10. L'arrêt constate que M. [J], après avoir exercé en tant que correspondant local de presse, puis de pigiste à compter de l'année 2004 et après avoir conclu deux contrats à durée déterminée de remplacement du 5 août au 3 septembre 2008 puis du 1er au 31 août 2009, a repris une activité de pigiste jusqu'au mois de mai 2015.
11. L'arrêt retient que l'intéressé était en mesure de connaître, au moins au terme de son dernier contrat de travail à durée déterminée, les faits qui lui permettaient d'exercer ses droits en vue d'une requalification de la relation contractuelle. A cet égard, il précise que M. [J] avait sollicité, par courrier du 13 octobre 2010, la prise en charge d'un congé paternité et que celle-ci lui avait été refusée par la société suivant courrier du 25 octobre 2010 qui lui déniait la qualité de salarié. L'arrêt en déduit que compte tenu de la prescription quinquennale qui était alors applicable et qui a été réduite à deux ans à compter du 17 juin 2013, sans toutefois que la durée totale puisse excéder cinq ans, l'action en requalification pouvait être exercée jusqu'au 25 octobre 2015.
12. Relevant que l'intéressé avait saisi la juridiction prud'homale le 20 juillet 2016, il en conclut que son action est prescrite.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident éventuel ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [J] irrecevable en toutes ses demandes et le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 30 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société de Presse et d'édition du Sud-Ouest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société de Presse et d'édition du Sud-Ouest et la condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [J] demandeur au pourvoi principal
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré M. [J] irrecevable en toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE "sur la prescription : aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et dans sa version en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017 "toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit" ;
Que ces dispositions ont institué une prescription biennale en lieu et place de la prescription quinquennale qui s'appliquait antérieurement ;
Qu'en l'espèce, M. [J] exerce une action en requalification de la relation contractuelle avec la Sapeso en contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet depuis le premier jour travaillé
Qu'il est constant qu'il exerce sous le statut de journaliste pigiste depuis juin 2004 après avoir exercé en tant que correspondant de presse et qu'après son embauche suivant contrat à durée déterminée du 5 août au 3 septembre 2008 puis du 1er août au 31 août 2009, il a repris l'activité de pigiste jusqu'au mois de mai 2015 ;
Qu'il était dès lors en mesure de connaître au moins au terme de son dernier contrat de travail à durée déterminée les faits qui lui permettaient d'exercer ses droits en vue d'une requalification de la relation contractuelle ;
Qu'il sera particulièrement relevé que M. [J] avait sollicité par courrier du 13 octobre 2010 la prise en charge d'un congé paternité et que celle-ci lui a été refusée par la Sapeso suivant courrier du 25 octobre 2010 qui lui déniait la qualité de salarié ;
Que compte tenu de la prescription quinquennale qui était alors applicable et qui a été réduite à deux ans à compter du 17 juin 2013 sans toutefois que la durée totale puisse excéder cinq ans, l'action en requalification pouvait être exercée jusqu'au 25 octobre 2015 ;
Qu'or, M. [J] n'a introduit son action devant la juridiction prud'homale que le 20 juillet 2016 ;
Que l'action se trouve dès lors prescrite et le jugement sera dès lors infirmé de ce chef ;
Que de plus, M. [J] étant irrecevable à voir reconnaître que la relation contractuelle constitue un contrat de travail, il est également irrecevable à solliciter des sommes à titre de rappels de salaires ainsi qu'à se prévaloir de ce que la rupture du contrat constitue un licenciement abusif et à obtenir les indemnités subséquentes ;
Que ses demandes seront par conséquence déclarées irrecevables par réformation du jugement entrepris".
1/ ALORS QU'aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, le délai de prescription est de deux ans pour toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail ; que si la prescription commence en principe à courir "à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit", le délai de prescription d'une action en requalification d'une relation contractuelle a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats, le terme du dernier contrat ; que M. [J] ayant réclamé en l'espèce la requalification de l'intégralité de la période comprise entre le 27 février 2001 et le 30 mai 2015 en un seul et même contrat dès lors qu'il avait, sous des statuts différents, effectué en réalité le même travail correspondant à un besoin constant de l'entreprise, la recevabilité de ses demandes devait donc s'apprécier à compter du terme de la dernière pige conclue entre les parties ; qu'en retenant, pour déclarer ses demandes irrecevables, qu'il aurait été en mesure de connaître au terme de son dernier contrat de travail à durée déterminée, le 31 septembre 2009, les faits qui lui permettaient d'exercer ses droits en vue d'une requalification de la relation contractuelle, la cour d'appel a d'ores et déjà violé l'article susvisé dans sa rédaction applicable au litige ;
2/ ALORS QU'aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, "l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense (
)" ; que le juge méconnaît en conséquence les termes du litige lorsqu'il déclare contester un fait dont l'exactitude n'est pas discutée ou qu'il introduit dans le litige des moyens que les parties n'avaient pas invoqués ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevables les demandes de M. [J], qu'il aurait connu, au terme de son dernier contrat à durée déterminée, les faits lui permettant de solliciter la requalification de la relation contractuelle, quand il ressortait de l'exposé des prétentions du salarié qu'il avait réclamé la requalification de l'intégralité de la période comprise entre le 27 février 2001 et le 31 mai 2015 dont il demandait qu'elle soit considérée comme un seul et même contrat et non la requalification des seuls contrats à durée déterminée conclus respectivement le 5 août 2008 et le 1er août 2009, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
Moyen produit par de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Sapeso Sud-Ouest demanderesse au pourvoi incident éventuel
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société SAPESO
AUX MOTIFS PROPRES QUE « En application de l'article L 1411- 1 du code du travail : « le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti »
Aux termes l'article L 7112-1 du même code: « Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties. »
Selon l'article L 7111-3 : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, est un journaliste professionnel s'il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa. »
Un journaliste pigiste bénéficie de la présomption de contrat de travail instituée par l'article L 7112-1 du code du travail dès lors qu'il satisfait à la définition de l'article L 71111-3 et qu'il collabore de façon régulière au journal d'une entreprise de presse.
En l'espèce, M. [J] se prévaut de la présomption de contrat de travail tandis que la SAPESO la conteste.
L'appelante fait valoir :
- que M. [J] n'a jamais exprimé le souhait de changer de statut et de devenir salarié ;
- qu'il ne collabore pas exclusivement avec le journal Sud-Ouest ;
- qu'il était libre d'organiser son emploi du temps et ne recevait aucune directive quant au contenu de ses photographies ;
- qu'il n'appartenait pas à un service organisé, ne figurant pas sur l'annuaire de la SAPESO, conservant à sa charge ses outils de travail et ne disposant d'aucun bureau ;
- qu'il n'y avait pas de régularité dans son volume de travail et par voie de conséquence aucune régularité dans les revenus que M. [J] pouvait percevoir mensuellement.
Cependant, la SAPESO indique elle-même dans ses écritures que « M. [J], excellent photographe , collaborait avec le journal Sud-Ouest de manière régulière mais avec un volume de collaborations variable », et que « à deux reprises en 2008 et 2009, M. [J] était amené à conclure un contrat de travail déterminée pour remplacer un salarié absent ».
Les premiers juges ont pu relever à juste titre que M. [J] a perçu des sommes d'un montant important, à savoir : 21.974,06 euros bruts en 2012 ; 22.951,22 euros bruts en 2013 ; 25.784,03 euros bruts en 2014 ; 11.309,76 euros bruts de janvier à mai 2015 ; sommes qui étaient soumises à l'impôt sur le revenu et qui représentaient l'essentiel de ses ressources.
Ils ont également retenu que M. [J] figurait sur les plannings mensuels de la SAPESO et que, le 23 août 2004, il lui avait été remis une copie de l'accord signé entre la direction du journal Sud-Ouest et le Syndicat National des Journalistes.
M. [J] est donc bien fondé à se prévaloir du bénéfice du statut de journaliste professionnel et de la présomption de salariat qui lui est attachée.
La collaboration occasionnelle de l'intéressé avec plusieurs autres organes ou agences de presse n'est pas de nature à détruire la présomption de salariat à l'égard de celle avec laquelle le pigiste collabore de manière régulière.
Par ailleurs, si l'appelante soutient que M. [J] était libre de son temps et dans la composition de ses photographies, elle reconnaît dans ses écritures que « le choix des reportages photographiques était le plus souvent proposé par le chef d'agence », ce dont il résulte que le pigiste ne traitait pas les sujets de son choix et qu'au moins des orientations lui étaient données par la société de presse.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que les parties étaient liées par un contrat de travail.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SAPESO »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Il résulte des dispositions de l'article L 761-2 alinéa 4 devenu L 7112-1 du Code du travail que toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumé être un contrat de travail.
Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Ainsi la fourniture régulière de travail à un journaliste professionnel, même pigiste, pendant une longue période, fait de lui un collaborateur régulier qui doit bénéficier de ces dispositions légales.
En l'espèce, Monsieur [V] [J] fournit des bulletins d'attestations de piges qui montrent que depuis 2009 il ne s'est pas passé de mois sans paiement d'indemnité par la S.A.P.E.S.O. Par ailleurs, le montant des indemnités versées est important puisqu'on relève les montant suivants :
- 2012 : 21 974.06 € brut
- 2013 : 22951.22 € brut
- 2014 : 25 784.03 € brut
- janvier à mai 2015 : 11 309.76 € brut
Le Conseil note également que Monsieur [V] [J] figure sur les plannings mensuels de la S.A.P.E.S.O. D'autre part, on relève que le 23 août 2004, il a été remis à Monsieur [V] [J] une copie de l'accord signé entre la Direction de SUD OUEST et le Syndicat National des Journalistes. De même les relevés mensuels d'attestation de pige montrent que Monsieur [V] [J] était soumis comme tout salarié à l'impôt sur le revenu et que les revenus déclarés représentent l'essentiel de ses ressources.
Monsieur [V] [J] doit donc bénéficier de la présomption légale de salariat, et il appartient à la S.A.P.E.S.O. de démontrer l'existence d'éléments permettant d'écarter cette présomption. Les éléments fournis par la défense ne sont pas de nature à contredire ceux de Monsieur [V] [J]. En particulier, le refus de demande de congés de paternité auquel il a été répondu "vous n'y avez pas droit car vous êtes pigiste" ne signifiait pas qu'il n'existait pas de contrat de travail.
L'inexistence de tout lien de subordination n'est pas mis en évidence par un quelconque élément permettant de retenir l'indépendance totale de Monsieur [V] [J]. Dès lors le statut de journaliste salarié doit être reconnu à Monsieur [V] [J] et le Conseil de Prud'hommes est donc compétent pour statuer sur le litige. (
)
La date de début du contrat de travail est fixée au 1er mars 2001 date de la 1ère collaboration avec la S.A.P.E.S.O. »
1/ ALORS QUE la présomption de salariat édictée par l'article L 7112-1 du code du travail au profit des journalistes qui collaborent de manière principale, régulière et rétribuée à une entreprise de presse, est une présomption simple que l'employeur peut renverser en établissant l'absence de tout lien de subordination ; qu'en l'espèce, la société SAPESO faisait valoir et offrait de prouver que M. [J] était totalement libre dans l'organisation de son emploi du temps, n'étant pas tenu de justifier de ses absences ainsi que le lui avait rappelé la société et pouvant librement refuser d'effectuer les reportages qui lui étaient proposés sans que la société en tire la moindre conséquence, ce qu'il faisait en raison de ses autres activités professionnelles ; qu'elle ajoutait qu'il n'était pas davantage intégré dans un service organisé, communiquant avec la société au moyen de son adresse mail personnelle, utilisant son propre matériel photographique, ne figurant pas dans l'annuaire de la société et ne disposant ni d'un véhicule ni d'un téléphone, ni d'un ordinateur ni d'un bureau fourni par cette dernière (conclusions d'appel de l'exposante p 11-12) ; qu'en se bornant à relever que M. [J] figurait sur les plannings mensuels de la SAPESO, que lui avait été remise une copie de l'accord signé entre la direction du journal Sud-Ouest et le Syndicat National des Journalistes, que la collaboration occasionnelle de l'intéressé avec plusieurs autres organes ou agences de presse n'était pas de nature à détruire la présomption de salariat à l'égard de la société SAPESO avec laquelle il collaborait de manière régulière, et que le choix des reportages photographiques était le plus souvent proposé par le chef d'agence, pour en déduire que la présomption de salariat n'était pas renversée, sans rechercher comme elle y était invitée si M. [J] à qui étaient « proposés » des reportages, n'était pas libre de les accepter ou de les refuser en fonction de sa propre organisation de travail dont il avait seul la maitrise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 7111-2 et L 1221-1 du code du travail ;
2/ ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ni rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour établir que M. [J] était totalement libre dans l'organisation de son travail auprès de la société SAPESO, cette dernière versait aux débats plusieurs courriers émanant de chacune des parties (courrier de la société du 25 octobre 2010 dans lequel cette dernière reconnaissait à M. [J] toute liberté dans l'organisation de son travail, courriel du 9 juin 2014 de M. [J] refusant un reportage) ainsi que l'attestation de M. [X], chef de l'agence de [Localité 3], confirmant cette liberté de refuser des reportages ; qu'en affirmant, par motifs adoptés des premiers juges, que l'inexistence de tout lien de subordination n'est pas mise en évidence par un quelconque élément permettant de retenir l'indépendance totale de Monsieur [V] [J], sans examiner aucune de ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3/ ALORS QUE les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société SAPESO faisait valoir que le fait qu'ait été remis à M. [J] l'accord relatif aux droits d'utilisation des contributions journalistiques n'impliquait nullement une reconnaissance de sa qualité de salarié dans la mesure où cet accord fixant la rémunération des droits d'auteurs des journalistes concernait également les journalistes indépendants (conclusions d'appel de l'exposante p 12) ; qu'en retenant qu'il avait été remis à M. [J] le 23 août 2004 une copie de l'accord signé entre la direction du journal Sud-Ouest et le Syndicat National des Journalistes pour en déduire que la présomption de salariat n'était pas renversée, sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4/ ALORS QUE le correspondant de presse n'est réputé journaliste professionnel qu'à la double condition de recevoir des appointements fixes et de tirer de son activité, exercée à titre d'occupation principale et régulière, l'essentiel de ses ressources ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [J] avait collaboré auprès de la société SAPESO en qualité de correspondant local de presse du 27 février 2001 au 1er avril 2004 ; qu'en retenant l'existence d'un contrat de travail depuis le 1er mars 2001, sans caractériser qu'il avait perçu des appointements fixes et qu'il avait tiré l'essentiel de ses revenus au titre de cette activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 7111-3 du code du travail. | Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.
La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit |
7,769 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 546 FS-B
Pourvoi n° V 20-18.084
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
Mme [N] [Z], épouse [D], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-18.084 contre la rendue le par la cour d'appel de Versailles, dans le litige l'opposant à la société MACSF prévoyance, société d'assurance mutuelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [Z], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société MACSF prévoyance, et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, conseillers doyens, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mmes Lecaplain-Morel, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Pecqueur, Techer, Laplume, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 421-4-2 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 mai 2020), la société MACSF prévoyance (la société) a engagé Mme [Z] le 1er avril 1992 pour exercer les fonctions de médecin-conseil.
2. La salariée a été licenciée le 4 mai 2018.
3. Estimant que la relation de travail avait en réalité commencé dès le 1er février 1984, elle a saisi la juridiction prud'homale le 24 septembre 2014 de demandes de régularisation de cotisations sociales et de dommages-intérêts pour perte de droits à la retraite.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de dire ses demandes irrecevables, alors :
« 1°/ que le délai de prescription d'une action en reconnaissance d'une relation de travail à durée indéterminée a pour point de départ le terme de celle-ci ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir et offrait de prouver que si elle avait conclu un contrat de travail à durée indéterminée le 1er avril 1992 avec la société, rompu le 4 mai 2018, la relation de travail avait en réalité débuté dès le 1er février 1984 ; que pour dire prescrites les demandes de la salariée relatives à l'existence d'un contrat de travail depuis le 1er février 1984 et à la régularisation des cotisations sociales auprès des caisses de retraite de base et de retraite complémentaire présentées le 24 septembre 2014, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la salariée avait été informée le 20 mars 1992 du fait que son activité professionnelle auprès de la société du 1er février 1984 au 31 mars 1992 s'exerçait à titre libéral, que le litige ne portait pas sur la nature du contrat de travail conclu le 1er avril 1992 et que son action pouvait s'exercer sans attendre la rupture de ses liens avec la société ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser la prescription de la demande visant à voir constater l'existence d'une relation de travail à durée indéterminée depuis le 1er février 1984, prescription qui n'avait pas couru avant le terme de cette relation de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2262, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du code civil ;
2°/ que la prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que le préjudice né de la perte des droits correspondant aux cotisations non versées ne se réalise qu'au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pensions ; qu'en l'espèce, la salariée sollicitait à titre subsidiaire la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte des droits à retraite de base et complémentaire et soulignait qu'elle avait constaté que son employeur n'avait jamais régularisé sa situation au regard des cotisations sociales au moment de l'édition de son relevé de carrière en 2013 ; qu'en disant que la demande de la salariée en réparation du préjudice né de la perte des droits correspondant à des cotisations non versées formée le 24 septembre 2014 était prescrite, au prétexte qu'elle avait été informée le 20 mars 1992 du fait que son activité professionnelle auprès de la société du 1er février 1984 au 31 mars 1992 s'exerçait à titre libéral, la cour d'appel a violé les articles 2262, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle, qui relève de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.
8. La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit.
9. La cour d'appel, ayant constaté que la relation contractuelle dont la qualification en contrat de travail était sollicitée avait pris fin le 31 mars 1992, et qu'à cette date Mme [Z] disposait de tous les éléments lui permettant d'exercer son droit, en a exactement déduit que l'intéressée avait disposé d'un délai pour agir jusqu'au 19 juin 2013, de sorte que son action intentée le 24 septembre 2014 était prescrite.
10. Le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'elle suppose préalablement établie l'existence d'un contrat de travail, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [Z], épouse [D], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour Mme [Z]
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement ayant dit que les demandes de la salariée étaient irrecevables,
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée par Mme [D] :
Qu'aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ;
Qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions issues de la loi du 14 juin 2013, la prescription était celle de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil aux termes duquel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » ;
Qu'en l'espèce, le litige porte sur l'existence d'une relation de travail durant la période du 1er février 1984 au 31 mars 1992 antérieurement à la conclusion d'un contrat de travail le 1er avril 1992 et les conséquences financières en résultant ;
Que, selon Mme [D], elle ne pouvait exercer son droit avant le 28 mai 2013, date à laquelle elle a demandé à la MACSF de lui reconnaître le statut salarié pour la période du 1er janvier 1984 au 31 mars 1992 ;
Cependant qu'il ressort clairement des propres écritures et pièces fournies par l'intéressée qu'elle avait connaissance du fait que la société MACSF Prévoyance considérait que son activité antérieure au 1er avril 1992 avait été exercée à titre libéral ;
Qu'ainsi figure dans ses productions une lettre de la société MACSF Prévoyance en date du 20 mars 1992 confirmant à l'intéresse que les activités exercées jusqu'alors au sein de la société sont de nature strictement libérale et qu'elle n'était soumise à aucune convention ou règlement s'appliquant aux membres du personnel ;
Qu'il est également justifié que dès le 17 décembre 1985, elle avait été alertée par l'URSSAF de Paris du refus de son inscription en qualité de travailleur indépendant ;
Qu'elle savait donc dès cette époque qu'il existait une divergence d'interprétation sur la nature libérale ou salariée de l'activité médicale exercée pour le compte de la société MACSF Prévoyance et elle avait la possibilité d'agir dès cette date pour voir reconnaître le caractère salarial de sa collaboration avec la mutuelle d'assurance ;
Que l'intéressée soutient que le point de départ de l'action en requalification ne commence à courir qu'à compter de la rupture des relations entre les parties mais le litige ne portait pas sur la nature du contrat de travail rompu par son licenciement mais sur celle de la période antérieure au 1er avril 1992 ;
Que Mme [D] a d'ailleurs saisi le conseil de prud'hommes dès le 23 septembre 2014, bien avant le terme de son contrat de travail survenu le 4 mai 2018, ce qui démontre bien que son action pouvait s'exercer sans attendre la rupture de ses liens avec la société MACSF Prévoyance ;
Ensuite que l'appelante fait observer que le préjudice né de la perte des droits correspondants aux cotisations éludées ne devient certain qu'au moment de la liquidation des droits à pension et qu'elle n'a appris le montant de la retraite auquel elle pouvait prétendre qu'à la date du 14 avril 2013 où la caisse lui a communiqué un relevé excluant de sa carrière la période du 1er février 1984 au 31 mars 1992 ;
Cependant que durant toute cette période, Mme [D] était rémunérée à la vacation sous forme d'honoraires et était parfaitement informée du fait que la société MACSF Prévoyance considérait que son activité médicale s'exerçait uniquement à titre libéral ; qu'elle adonc su aussitôt qu'aucun droit ne lui était ouvert au titre du régime général des travailleurs salariés et a fait des démarches pour s'immatriculer à l'URSSAF en qualité de travailleur indépendant ;
Qu'il lui appartenait donc d'agir dès cette époque ;
Que, selon l'article 2222, alinéa 2, du code civil, en cas de réduction de la durée de prescription, ce nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ;
Qu'en l'espèce, le délai de prescription de cinq ans prévue par la loi du 17 juin 2008 expirait le 19 juin 2013 ;
Que dans ces conditions, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu que l'intéressée connaissait les faits lui permettant d'exercer son droit dès le 20 mars 1992 au moins alors qu'elle a attendu le 24 septembre 2014 pour saisir cette juridiction et a déclaré en conséquence son action irrecevable comme prescrite ;
Que le jugement sera purement et simplement confirmée de ce chef »,
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Le Conseil décide de ne pas joindre l'incident au fond.
La loi du 17 juin 2008 a substitué l'article 2224 à l'article 2262 du code civil en réduisant à cinq ans le délai de prescription.
L'article 2222 du code civil dispose qu'en cas de réduction de la durée de prescription, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En l'espèce, Mme [N] [D] a saisi le conseil de prud'hommes le 24 septembre 2014 de sorte que son action serait susceptible d'être prescrite en application des dispositions précitées.
Toutefois, la prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu connaissance précédemment.
En l'espèce, par lettre du 20 mars 1992, le Directeur Général de la société MACSF confirme à Mme [D] qu'à la demande formulée par son association de gestion agréée (AGA) ses activités sont de nature strictement libérale, qu'elle ne dispose d'aucun contrat avec le groupe et qu'elle n'est soumise à aucun règlement ni convention s'appliquant aux membres du personnel.
Mme [D] était donc informée que son activité ne relevait pas du salariat et c'est donc à partir de cette date qu'il y a lieu de faire partie le délai de prescription.
En application du texte de loi Mme [D] avait donc jusqu'au 14 juin 2013 pour saisir le conseil de prud'hommes, ce qu'elle n'a fait que le 24 septembre 2014.
Son action est donc prescrite et ses demandes sont en conséquence irrecevables »,
1°) ALORS QUE le délai de prescription d'une action en reconnaissance d'une relation de travail à durée indéterminée a pour point de départ le terme de celle-ci ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir et offrait de prouver que si elle avait conclu un contrat de travail à durée indéterminée le 1er avril 1992 avec la société MACSF Prévoyance, rompu le 4 mai 2018, la relation de travail avait en réalité débuté dès le 1er février 1984 (conclusions d'appel p. 11 et p.14 ; productions n°4 à 16) ; que pour dire prescrites les demandes de la salariée relatives à l'existence d'un contrat de travail depuis le 1er février 1984 et à la régularisation des cotisations sociales auprès des caisses de retraite de base et de retraite complémentaire présentées le 24 septembre 2014, la cour d'appel s'est bornée à affirmer que la salariée avait été informée le 20 mars 1992 du fait que son activité professionnelle auprès de la société MACSF Prévoyance du 1er février 1984 au 31 mars 1992 s'exerçait à titre libéral, que le litige ne portait pas sur la nature du contrat de travail conclu le 1er avril 1992 et que son action pouvait s'exercer sans attendre la rupture de ses liens avec la société MACSF Prévoyance ; qu'en statuant par de tels motifs impropres à caractériser la prescription de la demande visant à voir constater l'existence d'une relation de travail à durée indéterminée depuis le 1er février 1984, prescription qui n'avait pas couru avant le terme de cette relation de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2262, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du code civil ;
2°) ALORS, à tout le moins, QUE la prescription d'une action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; que le préjudice né de la perte des droits correspondant aux cotisations non versées ne se réalise qu'au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pensions ; qu'en l'espèce, la salariée sollicitait à titre subsidiaire la condamnation de l'employeur au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte des droits à retraite de base et complémentaire et soulignait qu'elle avait constaté que son employeur n'avait jamais régularisé sa situation au regard des cotisations sociales au moment de l'édition de son relevé de carrière en 2013 (conclusions d'appel p.10) ; qu'en disant que la demande de la salariée en réparation du préjudice né de la perte des droits correspondant à des cotisations non versées formée le 24 septembre 2014 était prescrite, au prétexte qu'elle avait été informée le 20 mars 1992 du fait que son activité professionnelle auprès de la société MACSF Prévoyance du 1er février 1984 au 31 mars 1992 s'exerçait à titre libéral, la cour d'appel a violé les articles 2262, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du code civil. | Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil.
La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit |
7,770 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 548 FS-B
Pourvoi n° B 20-21.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
La société Fives Stein, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 20-21.103 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [L] [W], veuve [C],
2°/ à M. [Y] [C],
3°/ à M. [T] [C],
tous trois domicilés, [Adresse 3], et pris en leur qualité d'ayants droit d'[R] [C] décédé,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Fives Stein, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [C], MM. [Y] et [T] [C], et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 10 septembre 2020), [R] [C] a été engagé par la société Stein Heurtey à compter du 23 janvier 2006 et a conclu un avenant de détachement avec la société Fives Stein.
2. Les parties ont signé une convention de rupture le 11 septembre 2015, fixant la date de la rupture au 21 octobre 2015.
3. L'autorité administrative a homologué la convention le 9 octobre 2015.
4. [R] [C] est décédé le [Date décès 2] 2015.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [C], conjoint survivant, MM. [Y] et [T] [C], enfants du défunt, en leur qualité d'ayants droit d'[R] [C], une somme à titre d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, avec intérêts au taux légal partant de la réception par l'employeur de sa convocation en bureau de conciliation, et d'ordonner la remise aux ayants droit [C] de tous documents sociaux utiles et conformes à l'arrêt, alors « que d'une part, la convention de rupture conventionnelle fixe la date de rupture et que d'autre part, le contrat de travail est rompu par le décès du salarié ; qu'en condamnant la société Fives Stein à payer l'indemnité de rupture conventionnelle aux ayants droit du salarié décédé d'un accident du travail avant la date de rupture stipulée dans la convention de rupture, aux motifs inopérants qu'elle avait été homologuée et que le formulaire de demande d'homologation évoque une ''date envisagée'' de rupture de contrat, de sorte que celle stipulée n'aurait été que ''purement indicative'' et ''théorique'', la cour d'appel a violé les articles L. 1237-13 et L. 1221-1 du code du travail, ensemble les articles 1134 devenu 1103 et 1148, devenu 1218, du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 1237-11 du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties. Elle résulte d'une convention signée par les parties au contrat.
7. Aux termes de l'article L. 1237-13 du même code, la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut pas être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9. Elle fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation.
8. Selon l'article L. 1237-14 du même code, la validité de la convention est subordonnée à son homologation.
9. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la créance d'indemnité de rupture conventionnelle, si elle n'est exigible qu'à la date fixée par la rupture, naît dès l'homologation de la convention.
10. La cour d'appel, qui a constaté que la convention de rupture, conclue le 11 septembre 2015, avait été homologuée le 9 octobre 2015, en a exactement déduit que la créance d'indemnité de rupture conventionnelle était entrée dans le patrimoine antérieurement au décès du salarié survenu le [Date décès 2] 2015, de sorte que ses ayants droit étaient fondés à en réclamer le paiement.
11. Le moyen n'est en conséquence pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fives Stein aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fives Stein et la condamne à payer à Mme [C], MM. [Y] et [T] [C], ès qualitès, la somme globale de 3 000 euros ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fives Stein aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fives Stein et la condamne à payer à Mme [C], MM. [Y] et [T] [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour la société Fives Stein
La société Fives Stein fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [L] [C], conjoint survivant, MM. [Y] et [T] [C], enfants du défunt, en leur qualité d'ayants droit de M. [R] [C], la somme de 98 875 € brut à titre d'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, avec intérêts au taux légal partant de la réception par l'employeur de sa convocation en bureau de conciliation ; et d'avoir ordonné la remise aux ayants droit [C] de tous documents sociaux utiles et conformes à l'arrêt ;
ALORS QUE d'une part, la convention de rupture conventionnelle fixe la date de rupture et que d'autre part, le contrat de travail est rompu par le décès du salarié ; qu'en condamnant la société Fives Stein à payer l'indemnité de rupture conventionnelle aux ayants droit du salarié décédé d'un accident du travail avant la date de rupture stipulée dans la convention de rupture, aux motifs inopérants qu'elle avait été homologuée et que le formulaire de demande d'homologation évoque une « date envisagée » de rupture de contrat, de sorte que celle stipulée n'aurait été que « purement indicative » et « théorique » (arrêt, p. 5, 2e §), la cour d'appel a violé les articles L 1237-13 et L 1221-1 du code du travail, ensemble les articles 1134 devenu 1103 et 1148, devenu 1218, du code civil | Il résulte des articles L. 1237-11, L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail que la créance d'indemnité de rupture conventionnelle, si elle n'est exigible qu'à la date fixée par la rupture, naît dès l'homologation de la convention |
7,771 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 550 FS-B
Pourvoi n° H 20-20.717
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
M. [M] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 20-20.717 contre l'arrêt rendu le 15 juillet 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société SNCF Réseau, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. [K], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société SNCF Réseau, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 15 juillet 2020), M. [K], engagé le 10 décembre 2013 par la société SNCF réseau en qualité d'opérateur de production de voies, a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue de deux examens des 15 et 29 février 2016.
2. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 septembre 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et septième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016–1088 du 8 août 2016, depuis le 1er janvier 2017, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; cette proposition prend en compte, ''après avis des délégués du personnel'' lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; que la consultation des délégués du personnel s'impose même si l'inaptitude a été déclarée avant le 1er janvier 2017, pour toutes les recherches de reclassement entreprises à compter de cette date, dès lors que le licenciement est notifié postérieurement ; qu'en l'espèce, il est constant, comme le concluait d'ailleurs l'Epic SNCF Réseau, que de nombreuses démarches de reclassement et propositions de postes sont intervenues après le 1er janvier 2017, en particulier un poste d'opérateur de maintenance mécanique au sein du technicentre de [Localité 3], consécutif à la journée découverte du 8 mars 2017, un poste d'opérateur logistique industriel au sein du technicentre de [Localité 4] le 14 avril 2017 ; qu'en retenant, motif pris que M. [K] avait été déclaré inapte avant le 1er janvier 2017, que la consultation des délégués du personnel n'était pas nécessaire, cependant qu'ils devaient être consultés sur les recherches de reclassement accomplies après le 1er janvier 2017 qui devaient être poursuivies jusqu'au licenciement notifié le 18 septembre 2017, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 ;
2°/ que selon l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, depuis le 1er janvier 2017, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, ''le médecin du travail formule des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté'' ; que l'obligation pour l'employeur de solliciter le médecin du travail s'impose même si l'inaptitude a été déclarée avant le 1er janvier 2017, dès lors que les recherches de reclassement se poursuivent jusqu'au licenciement, notifié postérieurement ; qu'en l'espèce, en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, selon lesquelles ''le médecin du travail n'a pas formulé d'indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté'', et en retenant, motif pris que les avis d'inaptitude étaient antérieurs au 1er janvier 2017, que ''rien n'obligeait l'employeur à consulter le médecin du travail sur ce point'', cependant que les recherches de reclassement devaient être poursuivies jusqu'au licenciement notifié le 18 septembre 2017 et que le médecin du travail devait donc être consulté, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 4624-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail, qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste, déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur.
6. L'article L. 1226-2 du même code, dans sa rédaction issue de cette loi, dispose que lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
7. L'obligation qui pèse sur l'employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment naît à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail.
8. Le salarié ayant été déclaré inapte le 29 février 2016, et l'inaptitude n'ayant pas été constatée en application de l'article L. 4624-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, entrée en vigueur postérieurement à l'avis d'inaptitude, la cour d'appel a décidé à bon droit que les dispositions antérieures s'appliquaient.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait à l'arrêt le même grief, alors :
« 5°/ que selon l'article L. 5211-1 du code du travail, le reclassement des travailleurs handicapés comporte la réadaptation fonctionnelle, complétée éventuellement par un ré-entraînement à l'effort, l'orientation, la rééducation ou la formation professionnelle pouvant inclure un ré-entraînement scolaire, le placement ; que selon l'article R. 5213-9 du même code, l'éducation fonctionnelle ou la rééducation professionnelle des travailleurs handicapés est assurée par, notamment, les employeurs au titre d'actions d'éducation ou de rééducation professionnelle ; que la cour d'appel a retenu qu'il ''ne peut être reproché à l'employeur aucun manquement à cet égard puisque par contrat du 1er février 2010 renouvelé par la suite, il a confié à l'ADAPT...centre de rééducation professionnelle, la charge d'assurer la reconversion professionnelle du salarié'' ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée par M. [K], qui faisait valoir que l'ADAPT avait indiqué qu'il avait fait part d'une ''amélioration notable de son appareillage'', que ses ''compétences pratiques ne sont pas dégradées. Les évaluations en particulier en électricité démontrent un savoir-faire pratique'' et que pour son reclassement, il ''doit être évalué sur le terrain et sur une période plus longue. L'évaluation interne à la SNCF (5 missions temporaires) regroupe nos propres observations mais sur une durée trop courte. Une véritable alternance sur une période plus longue, soit à la SNCF, soit dans une entreprise du même secteur d'activité et de taille comparable, nous permettrait de préparer la transition professionnelle de Monsieur [K] dans les meilleures conditions'' ''le détachement sur un poste SNCF à pourvoir, en maintenance par exemple, comportant quelques missions en extérieur, permettrait une véritable évaluation de sa posture professionnelle au long cours et constituerait une bonne préparation à son intégration définitive sur un autre poste'', si l'employeur avait tenu compte de ces éléments dans le cadre de ses tentatives de reclassement, la cour d'appel a violé les articles L. 5211-1, R. 5213-9 et L. 1226-2 du code du travail ;
6°/ que selon l'article R. 5213-12 du code du travail, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées donne son avis sur la nature, les modalités et la durée de la réadaptation, rééducation ou formation professionnelle appropriée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que ''la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées n'a pas été saisie pour avis'' ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées n'avait pas été invitée à donner son avis sur la nature et modalités et la durée de la formation professionnelle appropriée, la cour d'appel a violé les articles R. 5213-12 et L. 1226-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
11. D'abord, la cour d'appel, qui a constaté que, dès février 2016, l'employeur avait mis en oeuvre la cellule de maintien dans l'emploi prévu au statut, ce qui avait permis au salarié d'effectuer diverses missions dans le cadre d'une mise en situation afin d'envisager un éventuel reclassement, qu'en novembre 2016, le salarié avait fait l'objet d'un accompagnement professionnel renouvelé en 2017, qu'un contrat avait été signé entre l'employeur et l'Adapt, centre de rééducation professionnelle, établissement reconnu d'utilité publique, en vue d'une reconversion professionnelle, que de nombreux échanges de courriels montraient les efforts de l'employeur, qui avait mis en oeuvre les moyens pour assurer la réadaptation fonctionnelle du travailleur handicapé, pour trouver un poste adapté, a pu en déduire, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que l'employeur justifiait avoir pris des mesures appropriées au handicap du salarié.
12. Ensuite, dans le cadre de la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement prévue par l'article L. 1226-2 du code du travail, l'employeur n'est pas tenu de recueillir l'avis de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour M. [K]
M. [M] [K] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté toutes ses demandes ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE selon l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016–188 du 8 août 2016, depuis le 1er janvier 2017, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; cette proposition prend en compte, « après avis des délégués du personnel » lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; que la consultation des délégués du personnel s'impose même si l'inaptitude a été déclarée avant le 1er janvier 2017, pour toutes les recherches de reclassement entreprises à compter de cette date, dès lors que le licenciement est notifié postérieurement ; qu'en l'espèce, il est constant, comme le concluait d'ailleurs l'Epic SNCF Réseau, que de nombreuses démarches de reclassement et propositions de postes sont intervenues après le 1er janvier 2017, en particulier un poste d'opérateur de maintenance mécanique au sein du technicentre de [Localité 3], consécutif à la journée découverte du 8 mars 2017, un poste d'opérateur logistique industriel au sein du technicentre de [Localité 4] le 14 avril 2017 ; qu'en retenant, motif pris que M. [K] avait été déclaré inapte avant le 1er janvier 2017, que la consultation des délégués du personnel n'était pas nécessaire, cependant qu'ils devaient être consultés sur les recherches de reclassement accomplies après le 1er janvier 2017 qui devaient être poursuivies jusqu'au licenciement notifié le 18 septembre 2017, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE selon l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, depuis le 1er janvier 2017, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, « le médecin du travail formule des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté » ; que l'obligation pour l'employeur de solliciter le médecin du travail s'impose même si l'inaptitude a été déclarée avant le 1er janvier 2017, dès lors que les recherches de reclassement se poursuivent jusqu'au licenciement, notifié postérieurement ; qu'en l'espèce, en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, selon lesquelles « le médecin du travail n'a pas formulé d'indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté » (p. 5 dernier §), et en retenant, motif pris que les avis d'inaptitude étaient antérieurs au 1er janvier 2017, que « rien n'obligeait l'employeur à consulter le médecin du travail sur ce point » (p. 6, 1er §), cependant que les recherches de reclassement devaient être poursuivies jusqu'au licenciement notifié le 18 septembre 2017 et que le médecin du travail devait donc être consulté, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 ;
ALORS, DE TROISIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE l'employeur doit solliciter le médecin du travail afin d'obtenir des précisions sur les possibilités d'aménager ou d'adapter un poste afin qu'il corresponde à un environnement conforme aux aptitudes du salarié et le consulter avant de formuler ses propositions de reclassement ; qu'en l'espèce, en statuant sans avoir constaté que l'employeur aurait respecté ces obligations, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du code du travail ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QUE le refus par le salarié inapte de propositions de reclassement n'implique pas le respect de l'obligation de reclassement de l'employeur qui doit établir qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement de temps de travail, reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses aptitudes et compétences ; que la cour d'appel a relevé que l'employeur avait fait des « efforts » pour trouver un poste adapté à l'état de santé du salarié, que « de nombreux postes proposés ont été refusés, à raison par le salarié, dans la mesure où ils ne correspondaient pas à ses compétences ou
l'exposait au bruit », que toutefois, le 12 octobre 2016 un poste de maintenance LTV a été proposé, sans que la fiche de poste fasse apparaître d'exposition au bruit, et que le salarié l'a refusé sans arguer d'incompatibilité médicale (arrêt p. 5) ; qu'en ne caractérisant pas en quoi la SNCF Réseau rapportait la preuve que tout reclassement était impossible et qu'elle avait satisfait à son obligation avant le licenciement du 18 septembre 2017, et sans avoir constaté l'absence de postes disponibles de la même catégorie ou d'une catégorie inférieure, autres que celui proposé au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-2 du code du travail ;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE selon l'article L. 5211-1 du code du travail, le reclassement des travailleurs handicapés comporte la réadaptation fonctionnelle, complétée éventuellement par un ré-entraînement à l'effort, l'orientation, la rééducation ou la formation professionnelle pouvant inclure un ré-entraînement scolaire, le placement ; que selon l'article R 5213-9 du même code, l'éducation fonctionnelle ou la rééducation professionnelle des travailleurs handicapés est assurée par, notamment, les employeurs au titre d'actions d'éducation ou de rééducation professionnelle ; que la cour d'appel a retenu qu'il « ne peut être reproché à l'employeur aucun manquement à cet égard puisque par contrat du 1er février 2010 renouvelé par la suite, il a confié à l'ADAPT...centre de rééducation professionnelle, la charge d'assurer la reconversion professionnelle du salarié » (p. 5 avant-dernier §) ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée par M. [K], qui faisait valoir que l'ADAPT avait indiqué qu'il avait fait part d'une « amélioration notable de son appareillage », que ses « compétences pratiques ne sont pas dégradées. Les évaluations en particulier en électricité démontrent un savoir-faire pratique » et que pour son reclassement, il « doit être évalué sur le terrain et sur une période plus longue. L'évaluation interne à la SNCF (5 missions temporaires) regroupe nos propres observations mais sur une durée trop courte. Une véritable alternance sur une période plus longue, soit à la SNCF, soit dans une entreprise du même secteur d'activité et de taille comparable, nous permettrait de préparer la transition professionnelle de Monsieur [K] dans les meilleures conditions » « le détachement sur un poste SNCF à pourvoir, en maintenance par exemple, comportant quelques missions en extérieur, permettrait une véritable évaluation de sa posture professionnelle au long cours et constituerait une bonne préparation à son intégration définitive sur un autre poste », si l'employeur avait tenu compte de ces éléments dans le cadre de ses tentatives de reclassement, la cour d'appel a violé les articles L. 5211-1, R. 5213-9 et L. 1226-2 du code du travail ;
ALORS, DE SIXIEME PART, QUE selon l'article R. 5213-12 du code du travail, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées donne son avis sur la nature, les modalités et la durée de la réadaptation, rééducation ou formation professionnelle appropriée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées n'a pas été saisie pour avis » (p.5, avant-dernier §) ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que la commission des droits de l'autonomie des personnes handicapées n'avait pas été invitée à donner son avis sur la nature et modalités et la durée de la formation professionnelle appropriée, la cour d'appel a violé les articles R. 5213-12 et L. 1226-2 du code du travail ;
ALORS, DE SEPTIEME PART, QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est « consulté sur les mesures prises » en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils et des travailleurs handicapés, « notamment » sur l'aménagement des postes de travail ; qu'il en résulte que l'obligation de consultation n'est pas limitative et cantonnée aux propositions de poste ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée par M. [K] (conclusions p. 10), s'il n'appartenait pas à l'Epic SNCF Réseau de consulter le CHSCT sur le contrat d'accompagnement professionnel soumis à M. [K], ce qu'elle n'avait pas fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4612-11 et L. 1226-2 du code du travail. | L'obligation qui pèse sur l'employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment naît à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail.
Dès lors que l'inaptitude n'a pas été constatée en application de l'article L. 4624-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, entrée en vigueur postérieurement à l'avis d'inaptitude, une cour d'appel décide à bon droit que les dispositions antérieures à l'entrée en vigueur de cette loi s'appliquent |
7,772 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 568 FS-B
Pourvoi n° U 21-10.083
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
Le Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC (SNEC CFE-CGC), dont le siège est [Adresse 5], [Localité 4], a formé le pourvoi n° U 21-10.083 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat UNSA Printemps, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3],
2°/ à la société Printemps, société par actions simplifiée, dont le siège est 102 rue de Provence, [Localité 3],
3°/ à la Fédération des services CFDT, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 6],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat du Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Printemps, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2020), la société Printemps (la société) et les syndicats CFDT, CFE-CGC, UNSA Printemps ont conclu, le 30 décembre 2016, un accord collectif relatif au travail dominical.
2. Un différend a opposé le Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC, l'UNSA Printemps, et la société Printemps concernant le périmètre d'application de cet accord, plus particulièrement son article 2.1.
3. Le Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC (le syndicat) a saisi un tribunal de grande instance aux fins de voir ordonner à la société Printemps d'appliquer les dispositions de l'article 2.1 aux salariés des établissements ouverts le dimanche sur autorisation du maire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le syndicat fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société d'appliquer les dispositions de l'article 2.1 de l'accord relatif au travail dominical du 30 décembre 2016 aux magasins ouverts le dimanche par application des dispositions des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail sous astreinte de 20 000 euros par infraction, alors « qu'aux termes de l'article L. 2222-1 du code du travail, les conventions et accords collectifs de travail déterminent leur champ d'application territorial et professionnel et qu'en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2222-3-3 du même code, la convention ou l'accord collectif contient un préambule présentant de manière succincte ses objectifs et son contenu ; qu'en l'espèce, l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps SAS du 30 décembre 2016 énonce en son préambule que si la société Printemps a souhaité engager des négociations avec ses organisations syndicales représentatives en application des articles L. 3132-24, L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-3 et L. 3132-25-6 du code du travail, c'est à la demande des organisations syndicales la négociation a également porté sur la situation des salariés amenés à travailler le dimanche en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail, visant les dérogations au repos dominical accordées par le maire, de sorte que l'article 1.1.2 du protocole relatif au périmètre de l'accord énonce qu'il s'applique à l'ensemble des établissements du Printemps, sans restriction, et que l'article 1.1.2 du protocole relatif au périmètre de l'accord et aux salariés concernés, prévoit que le présent accord s'applique à l'ensemble des salariés de l'entreprise Printemps SAS travaillant dans un établissement ouvert le dimanche en application des dérogations géographiques, ou d'une dérogation accordée par le maire en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail", et ce sans aucune restriction quant à l'application des règles ensuite édictées par le protocole d'accord au bénéfice de l'ensemble des salariés conduits à travailler le dimanche ; que la stipulation incidente, figurant à l'articles 5.2.1 spécifique à l'application des autorisations dérogatoires au repos dominical accordées par le maire, était impropre à caractériser une exclusion de l'application de l'ensemble des autres dispositions de l'accord, et en particulier de son article 2.1, aux salariés pouvant bénéficier de dérogations d'ouverture dominicale accordées par le maire ; que la limite maximale de douze dimanches susceptibles d'être accordés par le maire en vertu de l'article L. 3132-26 du code du travail était compatible avec l'application de l'article 2.1 de l'accord, par lequel l'employeur s'engageait à autoriser les salariés le souhaitant à travailler six dimanches au maximum, cette garantie pouvant être réduite à due concurrence du nombre de dimanches effectivement autorisés par le maire en dessous de la limite de douze ; qu'en retenant néanmoins que la société Printemps avait fait une exacte application des stipulations de l'article 2.1 de l'accord du 30 décembre 2016, parce que ne s'appliquant pas aux salariés, dont la fonction n'est pas nécessaire à l'ouverture du magasin et dont le dimanche n'est pas un jour habituel de travail dans les zones de dérogations municipales visées à l'article L. 3132-26 du code du travail, la Cour d'appel de Paris a méconnu les dispositions susvisées du code du travail et celles des articles 1.1.2 et 2.1 de l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps SAS. »
Réponse de la Cour
5. Selon le préambule de l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps du 30 décembre 2016, la société a souhaité engager des négociations avec les organisations syndicales représentatives en application des articles L. 3132-24, L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-3 et L. 3132-25-6 du code du travail issus de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, autorisant l'ouverture dominicale des établissements de commerce de détail qui mettent à disposition des biens et des services, situés dans les zones touristiques internationales, les zones touristiques, les zones commerciales et les gares à condition que les contreparties et les garanties pour les salariés en soient fixées par un accord collectif. Il ajoute que, par ailleurs, à la demande des organisations syndicales, la négociation a également porté sur la situation des salariés amenés à travailler le dimanche en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail, visant les dimanches du maire.
6. Concernant le périmètre de l'accord, l'article 1.1.1 se rapportant aux établissements concernés indique qu'il est rappelé qu'antérieurement à la loi précitée, les établissements de [Localité 7] et de [Localité 8], situés respectivement en zone touristique internationale et zone touristique au sens de la loi nouvelle, étaient déjà ouverts le dimanche au titre de l'ancien article L. 3132-25 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi du 6 août 2015, que par arrêtés ministériels d'autres zones telles que visées par la loi précitée ont également été créées. Il ajoute que le présent accord s'appliquera à l'ensemble des établissements de la société répondant aux critères de la loi susvisée. Par ailleurs, l'article 1.1.2 intitulé « salariés concernés » stipule que, le présent accord s'applique à l'ensemble des salariés de l'entreprise Printemps SAS travaillant dans un établissement ouvert le dimanche en application d'une dérogation géographique, ou d'une dérogation accordée par le maire en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail.
7. Selon l'article 1.4 intitulé « aide à la garde d'enfants », de façon plus favorable que les dispositions législatives, la société a répondu aux demandes des organisations syndicales visant à étendre cette aide à la garde d'enfants aux salariés travaillant le dimanche sous le régime de l'article L. 3132-26 du code du travail relatif aux « dimanches du maire », en sorte que ceux-ci en bénéficieront dans les mêmes conditions.
8. Concernant la date d'entrée en vigueur des dispositions conventionnelles, après avoir précisé les modalités d'entrée en vigueur de ces dispositions dans les établissements non encore ouverts le dimanche, l'article 5.2 de l'accord précise que, pour les établissements concernés uniquement par l'aide à la garde d'enfants (douze dimanches du maire), l'octroi de l'aide prévue dans les conditions de l'article 1.4 du présent accord sera effectif dès l'entrée en vigueur de l'accord.
9. L'article 2.1 de l'accord, intitulé « nombre de dimanches réalisés en plus du temps de travail », stipule que, les salariés dont le dimanche n'est pas un jour habituel de travail, ont la possibilité de travailler douze dimanches au maximum en plus de leur temps de travail habituellement planifié du lundi au samedi. Il est convenu que chaque salarié -à l'exclusion des salariés dont la fonction n'est pas nécessaire à l'ouverture du magasin- ayant émis le souhait de travailler de un à douze dimanches, se voit garantir jusqu'à six dimanches à des dates proposées par la direction sur la période de référence courant de juin N à mai N+1.
10. Il résulte de ces dispositions que l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps du 30 décembre 2016 a été conclu afin de rendre possible l'ouverture d'établissements bénéficiant de dérogations sur un fondement géographique en sorte qu'il est applicable aux salariés de ces établissements et que seules certaines de ses dispositions sont, dès lors qu'il existe une mention expresse en ce sens, applicables aux salariés travaillant le dimanche en vertu d'une dérogation accordée par le maire.
11. La cour d'appel qui a, tant par motifs propres, qu'adoptés, retenu que, si les dispositions de l'article 1.4 de l'accord relatives à la garde d'enfants bénéficiaient aux salariés travaillant le dimanche sous le régime des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail, l'article 2.1 de l'accord concernant le nombre de dimanches réalisés en plus du temps de travail, ne s'appliquait pas aux salariés travaillant le dimanche en vertu d'une dérogation accordée par le maire, a fait une exacte application de ces dispositions.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour le Syndicat national de l'encadrement du commerce CFE-CGC
Le Syndicat National de l'Encadrement du Commerce CFE-CGC (SNEC CFE-CGC) fait grief à l'arrêt confirmatif déféré d'avoir rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société Printemps d'appliquer les dispositions de l'article 2.1 de l'accord relatif au travail dominical du 30 décembre 2016 aux magasins ouverts le dimanche par application des dispositions des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail et ce, sous astreinte de 20.000 euros par infraction constatée,
Alors qu'aux termes de l'article L. 2222-1 du code du travail, les conventions et accords collectifs de travail déterminent leur champ d'application territorial et professionnel et qu'en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2222-3-3 du même code, la convention ou l'accord collectif contient un préambule présentant de manière succincte ses objectifs et son contenu ; qu'en l'espèce, l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps SAS du 30 décembre 2016 énonce en son préambule que si la société Printemps a souhaité engager des négociations avec ses organisations syndicales représentatives en application des articles L. 3132-24, L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-3 et L. 3132-25-6 du code du travail, c'est à la demande des organisations syndicales la négociation a également porté sur la situation des salariés amenés à travailler le dimanche en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail, visant les dérogations au repos dominical accordées par le maire, de sorte que l'article 1.1.2 du protocole relatif au périmètre de l'accord énonce qu'il s'applique à l'ensemble des établissements du Printemps, sans restriction, et que l'article 1.1.2 du protocole relatif au périmètre de l'accord et aux salariés concernés, prévoit que « le présent accord s'applique à l'ensemble des salariés de l'entreprise Printemps SAS travaillant dans un établissement ouvert le dimanche en application des dérogations géographiques, ou d'une dérogation accordée par le maire en application des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail », et ce sans aucune restriction quant à l'application des règles ensuite édictées par le protocole d'accord au bénéfice de l'ensemble des salariés conduits à travailler le dimanche ; que la stipulation incidente, figurant à l'articles 5.2.1 spécifique à l'application des autorisations dérogatoires au repos dominical accordées par le maire, était impropre à caractériser une exclusion de l'application de l'ensemble des autres dispositions de l'accord, et en particulier de son article 2.1, aux salariés pouvant bénéficier de dérogations d'ouverture dominicale accordées par le maire ; que la limite maximale de douze dimanches susceptibles d'être accordés par le maire en vertu de l'article L. 3132-26 du code du travail était compatible avec l'application de l'article 2.1 de l'accord, par lequel l'employeur s'engageait à autoriser les salariés le souhaitant à travailler six dimanches au maximum, cette garantie pouvant être réduite à due concurrence du nombre de dimanches effectivement autorisés par le maire en dessous de la limite de douze ; qu'en retenant néanmoins que la société Printemps avait fait une exacte application des stipulations de l'article 2.1 de l'accord du 30 décembre 2016, parce que ne s'appliquant pas aux salariés, dont la fonction n'est pas nécessaire à l'ouverture du magasin et dont le dimanche n'est pas un jour habituel de travail dans les zones de dérogations municipales visées à l'article L. 3132-26 du code du travail, la Cour d'appel de Paris a méconnu les dispositions susvisées du code du travail et celles des articles 1.1.2 et 2.1 de l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps SAS. | Il résulte de la combinaison du préambule de l'accord relatif au travail dominical au sein de l'entreprise Printemps du 30 décembre 2016, des articles 1.1.1, 1.1.2, 1.4, 5.2 et 2.1 de ce même accord que les dispositions de l'accord sont applicables aux salariés des établissements bénéficiant de dérogations sur un fondement géographique régies par les articles L. 3132-24 et suivants du code du travail et que seules certaines de ses dispositions sont, dès lors qu'il existe une mention expresse en ce sens, applicables aux salariés travaillant le dimanche en vertu d'une dérogation accordée par le maire en application des articles L. 3132-26 et suivants du code du travail.
Doit être approuvée, une cour d'appel qui a retenu que, si les dispositions de l'article 1.4 de l'accord relatives à la garde d'enfants bénéficiaient aux salariés travaillant le dimanche sous le régime des articles L. 3132-26 et L. 3132-27 du code du travail, celles de l'article 2.1 de l'accord concernant le nombre de dimanches réalisés en plus du temps de travail, ne s'appliquaient pas aux salariés travaillant le dimanche en vertu d'une dérogation accordée par le maire |
7,773 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 569 FS-B
Pourvoi n° B 21-11.240
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
1°/ la société La Romainville, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ M. [X] [U], domicilié [Adresse 3], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société La Romainville,
ont formé le pourvoi n° B 21-11.240 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [W] [S], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à l'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF-Est, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société La Romainville et de M. [X] [U], ès qualités, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistements partiels
1. Il est donné acte à M. [U], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société La Romainville, du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [Z] et l'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF-EST.
2. Il est donné acte à la société La Romainville du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF-EST.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2020), Mme [Z] a été engagée le 15 février 1988 par la société La Romainville.
4. Par lettre circulaire du 12 février 1992, l'employeur a informé les salariés de la mise en oeuvre d'une nouvelle méthode de calcul des salaires introduisant la notion, d'une part, de prime de production et, d'autre part, de gratification annuelle, remplaçant l'ancien système basé sur la prime d'ancienneté et la prime annuelle. La prime de production a été supprimée par l'employeur par courrier du 8 décembre 1999.
5. À compter du mois de juillet 2010 et avec effet rétroactif au mois de mars 2010, une prime d'assiduité a été mise en place.
6. La salariée a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement d'un rappel de la prime de production depuis janvier 2011 outre congés payés afférents.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de remboursement de la prime d'assiduité, alors « qu'en cas de concours de stipulations contractuelles et de dispositions conventionnelles, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne se cumulent pas, seul le plus favorable d'entre eux pouvant être accordé, cette comparaison devant être opérée globalement ; qu'il en résulte que sauf dispositions contraires, lorsque l'accord collectif et le contrat de travail prévoient chacun, selon des modalités différentes, une prime destinée à récompenser le salarié de sa présence effective à son poste de travail, celui-ci ne saurait bénéficier d'une application cumulative de ces dispositions et ne peut prétendre qu'au régime globalement le plus avantageux, après comparaison, notamment, des modalités d'octroi ou de calcul applicables ; qu'au cas présent, la société La Romainville faisait valoir, avec offre de preuves, que Mme [I] ne pouvait pas bénéficier du cumul de la prime de production et de la prime d'assiduité instaurée par accord collectif du 1er aout 2010, puisque ces deux primes, qui visaient toutes deux à encourager et récompenser la présence effective du salarié à son poste de travail, présentaient ainsi le même objet et la même cause ; que la société La Romainville sollicitait alors, à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la cour d'appel considérerait que la prime de production présentait un caractère contractuel et allouerait à ce titre un rappel de salaire à Mme [Z], le remboursement par cette dernière de la prime d'assiduité qu'elle avait perçue durant toute la période concernée ; que pour débouter la société La Romainville de sa demande, la cour d'appel a énoncé que la prime de production qui est une prime forfaitaire journalière basée sur la présence du salarié à son poste de travail, concernant tous les salariés ayant plus d'un an d'ancienneté et dont le montant dépend du niveau et de l'échelon ainsi que de la gratification annuelle, pouvant varier en fonction de la valeur du salarié, appréciée par le responsable d'exploitation selon certains critères, n'a pas le même objet que la prime d'assiduité versée par la société La Romainville à ses salariés dont Mme [Z] à partir du mois de juillet 2010, fondée sur la présence du salarié à son poste et ne peut dès lors comme le soutient l'employeur se substituer à elle" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la prime de production et la prime d'assiduité avaient pour même objet de récompenser la présence effective du salarié à son poste de travail, de sorte qu'elles ne pouvaient pas se cumuler et que Mme [Z] ne pouvait prétendre qu'au régime le plus avantageux, après comparaison des modalités d'octroi et de calcul desdites primes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 2254-1 du code du travail, ensemble le principe fondamental en droit du travail selon lequel en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2254-1 du code du travail :
9. Selon ce texte, lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables.
10. En cas de concours entre les stipulations contractuelles et les dispositions conventionnelles, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé.
11. Pour débouter l'employeur de sa demande de remboursement de la prime d'assiduité, l'arrêt retient que, la prime de production, qui est une prime forfaitaire journalière basée sur la présence du salarié à son poste de travail, concernant tous les salariés ayant plus d'un an d'ancienneté et dont le montant dépend du niveau et de l'échelon ainsi que de la gratification annuelle, pouvant varier en fonction de la valeur du salarié, appréciée par le responsable d'exploitation selon certains critères, n'a pas le même objet que la prime d'assiduité versée par l'employeur à partir du mois de juillet 2010, fondée sur la présence du salarié à son poste qui ne peut dès lors, comme le soutient l'employeur, se substituer à elle. L'arrêt en déduit que l'employeur qui échoue à rapporter la preuve que la prime d'assiduité a le même objet que la prime de production ne peut en réclamer le remboursement.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que les primes de production et d'assiduité n'ont pas le même objet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation prononcée sur le second moyen se rapportant au rejet de la demande de remboursement de prime d'assiduité, n'emporte pas cassation des chefs de dispositif qui condamnent l'employeur à verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens, justifiés par d'autres condamnations non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société La Romainville de sa demande de remboursement de prime d'assiduité, l'arrêt rendu le 25 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne Mme [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Romainville ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société La Romainville
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société La Romainville fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la société La Romainville, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à Mme [Z] les sommes de 10.995,84 € à titre de rappel de salaire concernant la prime de production et de 1.099,58 € de congés payés y afférents ;
1. ALORS QUE l'avantage litigieux résultant d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur n'est pas incorporé au contrat de travail et ne peut changer de nature par l'effet de la recherche par l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que « en premier lieu, par courrier du 12 février 1992 (
) l'employeur a informé chacun des salariés de la mise en place de la prime de production dont il décrivait le mécanisme en sollicitant son accord, en précisant cependant que l'absence de réponse valait accord tacite » pour en déduire que la prime de production aurait été incorporée au contrat de travail de Mme [Z], de sorte qu'elle ne pouvait plus être unilatéralement supprimée par la société La Romainville ; qu'en statuant ainsi, cependant que la seule recherche par l'employeur de l'adhésion de son personnel sur la mise en place, par sa seule volonté, d'une prime de production ne pouvait suffire à en faire un élément contractuel, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause devenu les articles 1103 et 1104 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2. ALORS QUE le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord exprès de ce dernier, peu important que le nouveau mode proposé par l'employeur soit plus avantageux ; que l'acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié ne se présume pas et ne peut résulter de la seule poursuite par ce dernier de l'exécution du contrat de travail dans ses nouvelles conditions ; qu'il en résulte qu'une prime versée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur ne peut s'incorporer au contrat de travail que si le salarié y a expressément consenti ; qu'au cas présent, pour juger que la suppression par la société La Romainville de la prime de production à compter du 1er janvier 2000 devait s'analyser, non comme la dénonciation d'un engagement unilatéral de l'employeur, mais comme une modification du contrat de travail soumise à l'accord préalable de Mme [Z], la cour d'appel a affirmé que la société La Romainville « ne pouvait ignorer la nature salariale de cet avantage et son incorporation au contrat de travail. Elle a d'ailleurs demandé à Mme [Z] et à ses collègues d'accepter cette modification en précisant expressément que l'absence de réponse valait acceptation » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la prime de production avait été instaurée unilatéralement par la société La Romainville, indépendamment de l'accord exprès exprimé ou non par le salarié, de sorte qu'elle ne pouvait pas s'être incorporée au contrat de travail et que la société La Romainville était fondée à la supprimer unilatéralement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause devenu les articles 1103 et 1104 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;
3. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans l'accord exprès de ce dernier, peu important que le nouveau mode proposé par l'employeur soit plus avantageux ; que l'acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié ne se présume pas et ne peut résulter de la seule poursuite par ce dernier de l'exécution du contrat de travail dans ses nouvelles conditions ; qu'il en résulte qu'une prime versée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur ne peut s'incorporer au contrat de travail que si le salarié y a expressément consenti ; qu'au cas présent, la société La Romainville faisait valoir que Mme [I] n'avait jamais accepté, ni même signé cette lettre et qu'elle en avait tout de même bénéficié, ce dont il résultait que la prime de production mise en place par lettre circulaire du 12 février 1992 provenait bien d'un engagement unilatéral de l'employeur (conclusions, p. 8, al. 1) ; qu'en jugeant néanmoins que cette prime de production s'était incorporée au contrat de travail de la salariée au motif que l'exposante avait « demandé à Mme [Z] et à ses collègues d'accepter cette modification en précisant expressément que l'absence de réponse valait acceptation », sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si Mme [Z] avait expressément donné son accord à l'instauration de ladite prime, qui seul aurait été de nature à l'incorporer à son contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause devenu les articles 1103 et 1104 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;
4. ALORS QUE la prime versée en exécution d'un engagement unilatéral de l'employeur ne s'incorpore pas au contrat de travail et peut être unilatéralement supprimée par l'employeur sous réserve de respecter les règles de la dénonciation ; que dans cette hypothèse, la prime n'en constitue pas moins un élément du salaire et présente un caractère obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement, peu important son caractère variable ; qu'il en résulte que la nature salariale ou non d'un avantage octroyé par l'employeur au salarié ne suffit pas à lui conférer un caractère contractuel ; qu'au cas présent, pour juger que la prime de production mise en place par la société La Romainville par lettre circulaire du 12 février 1992 se serait incorporée au contrat de travail de Mme [Z], la cour d'appel a encore affirmé que « la société La Romainville qui revendiquait l'instauration d'une nouvelle méthode de calcul de salaires, ne pouvait ignorer la nature salariale de cet avantage » (arrêt, p. 5, al. 7) et que « la prime de production formait avec le salaire de base un des éléments composant le salaire brut » (arrêt, p. 5, al. 8) ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, cependant que la nature salariale ou non d'un avantage octroyé par l'employeur au salarié ne préjuge pas de son caractère contractuel, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause devenu les articles 1103 et 1104 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article L. 1221-1 du code du travail ;
5. ALORS QUE tout jugement doit être motivé et que les juges du fond doivent viser les pièces sur lesquelles ils se fondent ; qu'au cas présent, pour juger que la prime de production instaurée par la société La Romainville par lettre circulaire du 12 février 1992 se serait incorporée au contrat de travail de Mme [Z], la cour d'appel a encore affirmé que la société La Romainville aurait remplacé « par la prime de production deux primes antérieures, elles-mêmes intégrées à la rémunération du salarié » ; qu'en statuant ainsi, par voie d'affirmations générales, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait pour affirmer péremptoirement que ces primes antérieures, intitulées prime d'ancienneté et prime annuelle et supprimées en 1987 et 1989, auraient été intégrées à la rémunération du salarié, la cour d'appel n'a pas mis en la Cour de cassation d'exercer son contrôle et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION SUBSIDIAIRE
La société La Romainville fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société La Romainville de sa demande de remboursement de la prime d'assiduité ;
ALORS QUE qu'en cas de concours de stipulations contractuelles et de dispositions conventionnelles, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne se cumulent pas, seul le plus favorable d'entre eux pouvant être accordé, cette comparaison devant être opérée globalement ; qu'il en résulte que sauf dispositions contraires, lorsque l'accord collectif et le contrat de travail prévoient chacun, selon des modalités différentes, une prime destinée à récompenser le salarié de sa présence effective à son poste de travail, celui-ci ne saurait bénéficier d'une application cumulative de ces dispositions et ne peut prétendre qu'au régime globalement le plus avantageux, après comparaison, notamment, des modalités d'octroi ou de calcul applicables ; qu'au cas présent, la société La Romainville faisait valoir, avec offre de preuves, que Mme [I] ne pouvait pas bénéficier du cumul de la prime de production et de la prime d'assiduité instaurée par accord collectif du 1er aout 2010, puisque ces deux primes, qui visaient toutes deux à encourager et récompenser la présence effective du salarié à son poste de travail, présentaient ainsi le même objet et la même cause ; que la société La Romainville sollicitait alors, à titre subsidiaire dans l'hypothèse où la cour d'appel considérerait que la prime de production présentait un caractère contractuel et allouerait à ce titre un rappel de salaire à Mme [Z], le remboursement par cette dernière de la prime d'assiduité qu'elle avait perçue durant toute la période concernée ; que pour débouter la société La Romainville de sa demande, la cour d'appel a énoncé que « la prime de production qui est une prime forfaitaire journalière basée sur la présence du salarié à son poste de travail, concernant tous les salariés ayant plus d'un an d'ancienneté et dont le montant dépend du niveau et de l'échelon ainsi que de la gratification annuelle, pouvant varier en fonction de la valeur du salarié, appréciée par le responsable d'exploitation selon certains critères, n'a pas le même objet que la prime d'assiduité versée par la société La Romainville à ses salariés dont Mme [Z] à partir du mois de juillet 2010, fondée sur la présence du salarié à son poste et ne peut dès lors comme le soutient l'employeur se substituer à elle » (arrêt, p. 5, dernier alinéa) ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la prime de production et la prime d'assiduité avaient pour même objet de récompenser la présence effective du salarié à son poste de travail, de sorte qu'elles ne pouvaient pas se cumuler et que Mme [Z] ne pouvait prétendre qu'au régime le plus avantageux, après comparaison des modalités d'octroi et de calcul desdites primes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé l'article L. 2254-1 du code du travail, ensemble le principe fondamental en droit du travail selon lequel en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application. | En cas de concours entre les stipulations contractuelles et les dispositions conventionnelles, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé.
Doit être censuré l'arrêt qui, pour écarter l'existence d'un cumul d'avantages se détermine par des motifs insuffisants à caractériser que les avantages en cause n'ont pas le même objet |
7,774 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 570 FS-B
Pourvoi n° B 20-12.271
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
La société Robot coupe technologies, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 20-12.271 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [Y] [K], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Robot coupe technologies, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [K], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 5 décembre 2019), Mme [K] a été engagée par la société Manpower (entreprise de travail temporaire) et mise à disposition de la société Robot coupe technologies (entreprise utilisatrice) à compter du 7 janvier 2013 selon plusieurs contrats de mission, dont le dernier a pris fin le 26 février 2016.
2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 18 juillet 2016, afin de solliciter la requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l'encontre des sociétés de travail temporaire et utilisatrice et de les condamner à lui verser diverses sommes au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'entreprise utilisatrice fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription, alors :
« 1°/ que le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; qu'en appliquant à l'action en requalification du salarié la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail ;
2°/ que le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; que le délai dans lequel le salarié intérimaire peut engager une telle action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice, dans l'hypothèse où les contrats conclus ne se succèdent pas strictement mais comportent entre eux des périodes d'inactivité, est décompté contrat par contrat au regard de la date de saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en l'espèce, l'existence de périodes d'inactivité entre les contrats de travail n'était pas contestée ; que la société Robot Coupe Technologie avait fait valoir que les effets éventuels d'une requalification, compte-tenu d'une saisine de la juridiction prud'homale le 18 juillet 2016, ne pouvaient être reportés antérieurement au 18 juillet 2014 ; qu'en se fondant sur un contrat qui arrivait à échéance le 19 juillet 2013 et qui avait été suivi d'une période d'inactivité, pour accueillir l'action en requalification à une date à laquelle la prescription était acquise, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1, L. 1245-1 et L. 1251-40 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
6. Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
7. Selon l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d'une action en requalification d'une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.
9. La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription.
10. La cour d'appel a constaté que le terme du dernier contrat de mission de l'intéressée au sein de l'entreprise utilisatrice était le 26 février 2016. Elle a relevé que la salariée avait introduit, le 18 juillet 2016, une action en requalification des contrats de mission souscrits à compter du 7 janvier 2013 en un contrat à durée indéterminée, en soutenant que la conclusion successive de contrats de mission avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
11. Il en résulte que l'action de la salariée n'était pas prescrite.
12. Par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Robot coupe technologies aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Robot coupe technologies et la condamne à payer à Mme [K] la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Robot coupe technologies
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir de la SNC Robot Coupe Technologie fondée sur la prescription ;
AUX MOTIFS QUE la SNC Robot Coupe Technologie soutient que les effets éventuels d'une requalification ne pourraient porter antérieurement à la date du 18 juillet 2014 ;
Qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1245-2 du code du travail, 2224 du code civil et 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile que :
- d'une part que l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée n'a pas la nature d'un salaire mais celle de dommages-intérêts,
- d'autre part, que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent désormais par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;
Que selon l'article L. 1251-40 du code du travail, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ;
Qu'il en résulte que le délai de prescription prévu par l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 ne court qu'à compter du terme du dernier contrat de mission ;
Que l'action en requalification engagée par Mme [K] le 18 juillet 2016 n'est donc pas atteinte par la prescription ;
Que l'indemnité de préavis et l'indemnité de congés payés afférents, fussent-elles dues à la suite d'une requalification de contrats en contrat à durée indéterminée, ont un caractère de salaire ;
Que selon l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ; que selon le deuxième de ces textes, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans ; que la demande d'indemnité compensatrice de préavis n'est donc pas davantage susceptible d'être atteinte par la prescription ;
[
] ; - du 28 mai au 19 juillet 2013 : besoin ponctuel Lié à la finition Stator moteurs, délais à respecter,
- du 20 août au 4 octobre 2013 : commandes Robot Coupe Russie / USA + MAG IMD ( UK/Israël + appareils J80/J100) [
] ; Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré et de requalifier les contrats de mission en contrat à durée indéterminée ; que les effets de cette requalification doivent remonter au premier jour de la première mission irrégulière effectuée par la salariée, soit le 28 mai 2013 ;
1) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; qu'en appliquant à l'action en requalification du salarié la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; que le délai dans lequel le salarié intérimaire peut engager une telle action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice, dans l'hypothèse où les contrats conclus ne se succèdent pas strictement mais comportent entre eux des périodes d'inactivité, est décompté contrat par contrat au regard de la date de saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en l'espèce, l'existence de périodes d'inactivité entre les contrats de travail n'était pas contestée ; que la société Robot Coupe Technologie avait fait valoir que les effets éventuels d'une requalification, compte-tenu d'une saisine de la juridiction prud'homale le 18 juillet 2016, ne pouvaient être reportés antérieurement au 18 juillet 2014 ; qu'en se fondant sur un contrat qui arrivait à échéance le 19 juillet 2013 et qui avait été suivi d'une période d'inactivité, pour accueillir l'action en requalification à une date à laquelle la prescription était acquise, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1, L. 1245-1 et L. 1251-40 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir requalifié en contrat à durée indéterminée, à compter du 28 mai 2013, les contrats de mission conclus entre Mme [K] et la SNC Robot coupe technologies, condamnant cette dernière à payer à Mme [K] les sommes de 1 341,45 euros à titre d'indemnité de requalification, de 699,42 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 2 623,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 262,35 euros pour les congés payés afférents et de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par la rupture de la relation de travail, analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QU' aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;
Que les contrats précités renvoient précisément, lorsqu'ils visent un accroissement temporaire d'activité, aux commandes de certains clients dénommés et aux appareils en cause :
- du 28 mai au 19 juillet 2013 : besoin ponctuel Lié à la finition Stator moteurs, délais à respecter,
- du 20 août au 4 octobre 2013 : commandes Robot Coupe Russie / USA + MAG IMD ( UK/Israël + appareils J80/J100)
- du 9 au 20 décembre 2013 : besoin ponctuel lié à la commande Robot Coupe Russie / USA + MAG IMIX UK/Israël + appareils J80/.1100),
- du 10 mars au 30 avril 2014 : QVC MGIS UK 4 à terminer dans les délais imposés,
- du 5 mai au 30 juin : même tâche,
- du 26 août au 31 octobre 2014 : commande Magimix UK Israël, délais à respecter,
- du 14 au 23 décembre 2015 : besoin ponctuel lié au surcroît moteur J80/.1100 et CL50 ;
Que les tableaux et ordres de commandes présentées par la société Robot Coupe Technologie ne font état de commandes exceptionnelles qu'à partir du 11 juin 2013 et ne peuvent donc pas concerner la tâche de finition de stators (parties fixes d'un moteur électrique) à laquelle Mme [K] a été occupée à partir du 28 mai 2013 ; que cette société ne démontre pas que cette tâche répondait à un besoin ponctuel et correspondait à la nécessité de faire face à des problèmes de délais ;
Que les analyses du commissaire aux comptes relatives à la variation dans le temps des activités commerciales Magimix et Robot Coupe ne sont pas susceptibles d'apporter cette preuve ;
Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré et de requalifier les contrats de mission en contrat à durée indéterminée ; que les effets de cette requalification doivent remonter au premier jour de la première mission irrégulière effectuée par la salariée, soit le 28 mai 2013 ;
1) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer en méconnaissance des termes du litige ; que dans ses conclusions Mme [K] ne remettait pas en cause le bien-fondé des contrats de mission dont le motif de recours relevait d'un accroissement temporaire d'activité, qu'elle critiquait seulement les contrats dont le motif de recours était tiré d'un remplacement de salarié ; qu'il ne résultait pas des conclusions de Mme [K] qu'elle contestait que le contrat conclu à partir du 28 mai 2013 relevait d'un surcroît temporaire d'activité ; qu'en se fondant cependant sur ce contrat, motivé par un surcroît temporaire d'activité non contesté, pour décider de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE subsidiairement, la juridiction qui prononce la requalification de plusieurs contrats à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée, doit constater que le contrat imposant une requalification a eu pour objet et pour effet de pourvoir de façon durable à un emploi lié à l'activité normale et permanente de la société utilisatrice et préciser la dénomination et la nature de l'emploi concerné ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 1242-1 du code du travail. | Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
Selon l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d'une action en requalification d'une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.
La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription |
7,775 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 573 FS-B sur la deuxième branche du moyen
Pourvoi n° J 20-15.797
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
La Société de production pharmaceutique et d'hygiène (SPPH), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 1], a formé le pourvoi n° J 20-15.797 contre l'arrêt rendu le 19 mars 2020 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [U] [B], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société de production pharmaceutique et d'hygiène, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 19 mars 2020), M. [B] a été engagé le 17 septembre 2003 par la Société de production pharmaceutique et d'hygiène (SPPH), en qualité de presseur, puis promu aux fonctions de préparateur le 1er décembre 2003.
2. Le salarié a démissionné le 28 avril 2008.
3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 17 septembre 2008, afin d'obtenir notamment le paiement de rappels de salaire pour travail de nuit et au titre du temps de pause.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des rappels de salaire au titre du travail de nuit et de la demi-heure quotidienne de pause, outre congés payés afférents, alors :
« 1°/ que selon l'article 22,8°, e) de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique, applicable au salarié en travail posté, ''lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée'' ; que selon ce texte le droit conventionnel au paiement d'une pause payée d'une demi-heure est conditionné au travail du salarié posté pendant au moins six heures ininterrompues ; qu'il s'en induit, tel que soutenu par la société SPPH dans ses conclusions d'appel, que le salarié bénéficiant d'une pause avant que six heures de travail ne se sont écoulées ne travaille pas six heures ininterrompues et ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier du droit au paiement de la pause conventionnelle d'une demi-heure ; qu'en retenant néanmoins que le droit au paiement de la pause supplémentaire conventionnelle d'une demi-heure n'était pas conditionné au travail pendant au moins six heures ininterrompues et à l'absence de prise de pause pendant cette durée de six heures, la cour d'appel a violé l'article 22,8°, e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;
2°/ que l'avenant modificatif d'une convention collective n'a pas de caractère rétroactif ; qu'aux termes de l'article 5.2 5° de la convention des collective de l'industrie pharmaceutique ''lorsque la commission [paritaire permanente de négociation] donnera un avis à l'unanimité des organisations signataires représentées, le texte de cet avis, signé par ces organisations, aura la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et sera annexé à cette convention'' ; que l'annexion à la convention collective de l'industrie pharmaceutique, en vertu de ce texte, d'un avis unanime de la commission paritaire permanente de négociation ayant une valeur d'avenant ne saurait avoir d'effet rétroactif ; que si par un avis unanime du 23 novembre 2017, étendu par arrêté du 27 mars 2019, la commission paritaire permanente de négociation de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique a considéré que la demi-heure de repos payée prévue par l'article 22,8°, e) de la convention pouvait être accordée avant que six heures de travail ne se soient écoulées, cet avis -ayant la valeur d'un avenant modificatif ajoutant au droit préexistant- n'avait pas d'effet rétroactif ; qu'en considérant néanmoins qu'elle était liée par cet avis de la commission paritaire -dont elle a considéré les règles ; ''applicables en l'espèce''- pour en déduire que le salarié avait droit au paiement de la pause d'une demi-heure prévue par l'article 22,8°, e) de la Convention collective en dépit de son absence de travail ininterrompu pendant au moins six heures, alors que cet avis non rétroactif de la commission paritaire ayant la valeur d'avenant modificatif n'était pas applicable au litige qui est antérieur au mois d'avril 2008, la cour d'appel a violé les articles 5.2 5° et 22,8°, e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;
3°/ subsidiairement, qu'en cas de concours de conventions ou d'accords collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, les plus favorables d'entre eux pouvant seuls être accordés ; que par un accord d'entreprise du 28 avril 2000 la société SPPH a institué une prime d'équipe visant à compenser le travail posté des salariés pendant six heures, sans conditionner pour sa part ce droit à l'ininterruption du travail pendant cette durée ; que cette prime d'équipe accordée aux salariés de la société SPPH a la même cause et le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévu par l'article 22,8°, e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique en cas de travail posté ininterrompu ; qu'en décidant néanmoins que la prime d'équipe prévue par l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 n'avait pas le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévue par la convention collective et que ces deux avantages conventionnels pouvaient en conséquence se cumuler, la cour d'appel a violé les articles 3 et 4 de l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 et l'article 22,8°, e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique, ensemble le principe de faveur. »
Réponse de la Cour
5. D'abord, l'avis d'une commission d'interprétation instituée par un accord collectif ne s'impose au juge que si l'accord lui donne la valeur d'un avenant.
6. Ensuite, un avenant ne peut être considéré comme interprétatif qu'autant qu'il se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse.
7. Selon l'article 22,8°,e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, qui se rapporte aux majorations de salaire dues à l'organisation et à la durée du temps de travail, on appelle travail par poste l'organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d'une seule traite. Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée.
8. Après avoir relevé qu'était en litige l'application de l'article 22, 8°,e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, la cour d'appel a constaté que, par un avis rendu le 23 novembre 2017, sur le moment de la pause payée telle que prévue à l'article précité, la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, instituée par l'article 5 de la convention collective, avait décidé, à l'unanimité des organisations syndicales représentées, que « Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste en travail d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée. Cette demi-heure de repos peut-être accordée avant que les six heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces six heures. », que cet avis aurait la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et qu'il serait annexé à cette convention. Elle a constaté que cet avis avait été étendu par arrêté du 27 mars 2019.
9. Cet avis d'interprétation ayant la valeur d'un avenant et se bornant à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite avait rendu susceptible de controverse, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il était applicable aux demandes du salarié. Elle en a exactement déduit que le fait que la pause de trente minutes, accordée au salarié, n'ait pas été placée à la suite de la période de travail de six heures était sans incidence sur son droit à la rémunération de son temps de pause.
10. Enfin, en cas de concours d'instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé.
11. Ayant, d'une part, relevé que l'accord d'entreprise de mise en oeuvre de la loi Aubry sur la réduction, l'organisation et l'aménagement du temps de travail, du 28 avril 2000, n'envisageait pas expressément la rémunération du temps de repos des salariés travaillant en équipe et, d'autre part, retenu que la prime d'équipe, stipulée à l'article 4 de cet accord d'entreprise, qui était fixée uniformément à une certaine somme pour tous les membres de l'équipe, quels que soient leur emploi et leur coefficient de rémunération respectifs, était une contrepartie accordée aux salariés pour le passage en travail en équipes alternatives, la cour d'appel a pu en déduire que cet avantage avait un objet distinct de la rémunération de la demi-heure de repos prévue par l'article 22, 8°,e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 et que ces deux avantages conventionnels pouvaient se cumuler.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société de production pharmaceutique et d'hygiène aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société de production pharmaceutique et d'hygiène ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Société de production pharmaceutique et d'hygiène
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la SOCIETE DE PRODUCTION PHARMACEUTIQUE ET D'HYGIENE à payer à Monsieur [B] les sommes de 1.455,55 € à titre de rappels de salaires sur travail de nuit, outre 145,55 € de congés payés afférents, et de 5.819,52 € à titre de rappel de salaire sur la demi-heure quotidienne de pause, outre 581,95 euros de congés payés afférents ;
AUX MOTIFS QUE : « l'article 5 de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 a instauré une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation chargée notamment, selon l'article 5.2, de rendre des avis sur son interprétation ; que ce texte précise que lorsque la commission donnera un avis à l'unanimité des organisations signataires représentées, le texte de cet avis, signé par ces organisations, aura la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et sera annexé à cette convention ; Attendu qu'est en litige l'application de la majoration de salaire stipulée en ces termes à l'article 22 8º e) de la convention collective précitée : « e) On appelle travail par poste l'organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d'une seule traite. Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée. Dans les travaux continus, la continuité du poste doit être assurée. Le salarié doit attendre l'arrivée de son remplaçant et assurer le service au cas où celui-ci ne se présente pas. Les cas de prolongation exceptionnelle du travail demandée à un salarié pour assurer le service incombant à un salarié ne s'étant pas présenté à la relève du poste seront réglés dans le cadre de l'entreprise, l'employeur devant prendre sans délai toute mesure pour que la durée de cette prolongation exceptionnelle sauf accord du salarié, ne soit pas excessive » ; que par un avis d'interprétation, donné le 23 novembre 2017 à l'unanimité des organisations syndicales représentées et étendu par arrêté du 27 mars 2019, la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation a estimé que : « Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste en travail d'une durée supérieure à 6 heures, il leur sera attribué 1 demi-heure de repos payée. Cette demi-heure de repos peut être accordée avant que les 6 heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces 6 heures » ; que la commission a en outre rappelé que son avis aurait la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et serait annexé à cette convention ; Attendu que ces règles sont applicables en l'espèce dès lors que M. [B] travaillait, conformément à son contrat de travail et à l'article 3 de l'accord d'entreprise du 28 juillet 2000 : - une semaine sur deux le matin de 6 heures à 13 heures 30 avec une pause de 30 minutes fixée entre 9 heures 30 et 12 heures, - l'autre semaine l'après-midi de 13 heures 30 à 21 heures avec une pause de 30 minutes placée entre 17 heures et 17 heures 30 ; qu'il résulte en effet de l'avis d'interprétation ayant valeur contractuelle qu'est sans incidence le fait que la pause n'ait pas été placée à la suite de la période de travail de six heures ; Attendu que l'accord d'entreprise du 28 avril 2000, qui a introduit un « aménagement du temps de travail organisé sous forme de deux équipes alternatives », stipule également, dans son article 4 relatif au contrôle des horaires collectifs, sous un sous-titre intitulé « Rémunération », l'octroi de l'avantage suivant : - au 1er janvier 2001, hausse de 2 % appliquée à l'ensemble des salariés, - à compter de la même date, élévation de la prime d'équipe de 300 à 500 francs, ces dispositions valant pour les années 2000 et 2001 au regard de la négociation annuelle obligatoire ; que le contrat de travail de M. [B] prévoit le paiement d'une prime d'équipe mensuelle de 85 euros par mois, pour autant qu'il travaillera en équipe ; Attendu que les parties s'opposent sur l'objet même de la prime d'équipe ; que l'employeur soutient qu'à l'époque de l'accord d'entreprise, la rémunération de la demi-heure de pause n'était pas considérée comme applicable du fait qu'elle était prise au cours de la période de travail de six heures, que les parties à cet accord ont cependant décidé de manière volontaire l'octroi du temps de pause et que la prime d'équipe était entendue comme une indemnisation de ce temps, compte tenu des sujétions particulières de la nouvelle organisation du travail ; qu'il en déduit que la prime d'équipe ne peut pas se cumuler avec une autre rémunération du temps de pause dès lors qu'elles ont le même objet et la même cause ; que M. [B] prétend au contraire que la prime d'équipe n'a été qu'une concession de l'employeur uniquement liée à la mise en oeuvre du travail en équipe ; Attendu que si, en cas de concours de conventions ou accords collectifs de travail, les avantages ne peuvent se cumuler s'ils portent sur le même objet, deux accords collectifs peuvent se cumuler si leur objet est distinct ; Attendu que les précédentes décisions rendues par la cour d'appel de Dijon au sujet de l'objet de la prime d'équipe ne sont pas revêtues de l'autorité de la chose jugée à l'égard de M. [B] dès lors qu'elles ont été prononcées dans le cadre d'instances opposant l'employeur à d'autres salariés et qu'il n'y a donc pas identité de parties au sens de l'article 1355 du code civil ; Attendu que lors d'une réunion extraordinaire du comité social économique de l'entreprise tenue le 6 mars 2019, le représentant de l'employeur (M. [P]) et divers représentants du personnel, dont M. [X], signataire en son temps de l'accord d'entreprise, ont discuté du litige relatif au paiement des 30 minutes de pause ; qu'alors que M. [P] soutenait que la prime de pause correspondait à cette rémunération, M. [X] a immédiatement répondu que cette prime n'était pas la « pause payée » (page 4) ; que plus tard (page 8), M. [P] a déclaré « à l'époque on était tous d'accord car c'était 7h de travail en continu, voir les anciens PV de CE », ce à quoi M. [X] a répondu « oui mais c'est très important que l'on réexplique » ; que ces propos ne peuvent pas être considérés comme la reconnaissance par M. [X] de ce que, dans l'esprit des parties à l'accord d'entreprise du 28 avril 2000, la prime d'équipe avait pour objet de rémunérer les 30 minutes de pause alors que : - M. [P] parlait en réalité, en évoquant un temps de travail de sept heures, du fait que, selon l'interprétation de l'époque, les dispositions de la convention collective relatives à la rémunération du temps de pause n'étaient pas applicables, - M. [X] a ensuite précisé (page 15) qu'au moment de la signature de l'accord collectif, il n'était délégué syndical que depuis 15 jours, il avait pris le relais d'un délégué qui avait démissionné brutalement, il n'avait pas « la science infuse » ; Attendu qu'en l'absence d'autre pièce utile, la cour ne peut se fonder que sur les termes même de l'accord et les bulletins de paie pour interpréter la stipulation litigieuse ; que l'accord souligne en préambule l'effort consenti par les salariés dans le cadre du travail en équipe et n'envisage pas expressément la rémunération du temps de repos, non prévue alors que selon l'interprétation faite à l'époque par l'entreprise, l'article 22 8 e de la convention collective n'était pas applicable à l'organisation qu'elle entendait mettre en place ; que la prime d'équipe n'a pas été stipulée dans l'article relatif à la modalité d'organisation de la réduction du temps de travail, mais dans l'article 4 relatif au contrôle des horaires collectifs ; que le montant initial de la prime d'équipe était fixé uniformément à 300 francs pour tous les membres de l'équipe, quels que soient leur emploi et leur coefficient de rémunération respectifs alors que selon l'accord du 6 juillet 1998 relatif aux salaires alors applicable, les salaires minima mensuels allaient de 6.699 francs pour la catégorie de base 1A à 7.242 francs pour la catégorie 2B à laquelle sera ultérieurement embauché M. [B], 7.966 francs pour la catégorie 3B à laquelle il a accédé au cours de sa carrière, 9.143 francs pour la catégorie 4B correspondant à des fonctions d'encadrement ; que ce montant de 300 francs était largement inférieur à la rémunération du temps de repos, soit 12 heures par mois, qui aurait été égale à 530,02 francs pour la catégorie 1A, 572,98 francs pour la catégorie 2B, 630 francs pour la catégorie 3B ; que son élévation à 500 francs à compter du 1er janvier 2001 n'a pas pu modifier la nature de la prime et a laissé son montant inférieur à celui de la rémunération du temps de repos ; que lors de son embauche le 17 septembre 2003, M. [B] a été recruté au niveau 2B pour un salaire net de 1.115 euros, soit à peu près le salaire minimal de 1.112,16 euros prévu par l'accord du 10 avril 2002 relatif aux salaires ; que sa prime d'équipe a été fixée à 85 euros alors que 12 heures de travail représentaient 88,22 euros ; que cependant ses bulletins de paie font apparaître dès l'origine un montant de 95 euros qui est demeuré inchangé même quand le salaire de base a augmenté (1.200 euros en décembre 2003, 1.283,69 en mars 2004) ; que la prime n'est passée à 96,90 euros qu'en janvier 2005 quand le salaire de base a été élevé à 1.347,63 euros ; que ces faits font présumer que la prime d'équipe avait, lors de son instauration, un objet distinct de la rémunération des temps de repos et n'a été qu'une contrepartie au passage en travail en équipes alternatives ; qu'ils n'établissent pas que cette prime aurait changé de nature au cours de l'exécution du contrat de travail de M. [B] ; Attendu que M. [B] est donc en droit d'obtenir les rappels de salaires correspondant à la rémunération des temps de repos conformément à l'article 22 de la convention collective ; que cependant, ce rappel doit être calculé sur la base de 12 heures par mois, et non de 21,65 heures comme il le soutient ; que la formule proposée par le salarié dans les motifs de ses conclusions (page 6) n'est d'ailleurs pas cohérent avec leur dispositif puisque cette formule aboutirait à un total de 11.639,04 euros alors que le jugement dont il demande la confirmation lui a alloué 5.819,52 euros ; qu'il y a lieu de tenir compte de la variation du salaire de base telle qu'elle est révélée par les bulletins de paie ; que le calcul effectué par la cour parvient à un total de 6.255,78 euros si on retient 12 heures de repos à rémunérer chaque mois ; que le montant de 5.819,52 euros alloué par le conseil de prud'hommes n'excède pas les droits de M. [B] de sorte que son jugement doit être confirmé » ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES EN LES SUPPOSANT ADOPTES QUE « les horaires de Monsieur [B] étaient fixés en alternance, une semaine sur deux de 6 heures à 13 heures 30 et de 13 heures 30 à 21 heures ; Attendu que l'article 22 de la Convention Collective de l'Industrie Pharmaceutique prévoit dans son paragraphe 8, des majorations de salaires dues à l'organisation et la durée du travail ; Que lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompues dans un poste d'une durée supérieures à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de pause payée. Que la SAS SPPH ne fournit aucun accord d'entreprise, différent quoique aussi favorable que la Convention Collective ; En conséquence, le conseil de prud'hommes fait droit à la demande de Monsieur [B] à la hauteur de 5 819.52 euros à titre de rappel de salaire sur la demi-heure quotidienne de pause, outre 581.95 euros de congés payés. Attendu que Monsieur [B] travaillait de 6 heures à 13 heures 30 et de 13 heures 30 à 21 heures en alternance, que l'accord d'entreprise du 12 novembre 2002 prévoit qu'est considéré comme travail de nuit, tout travail effectué entre 22 heures et 7 heures, que son article 5 dispose que les heures de nuit donnent lieu à une majoration de 25 % appliquée au salaire mensuel brut à la prime d'équipe ; Attendu que Monsieur [B] a travaillé de 6 heures à 7 heures tous les jours une semaine sur deux ; En conséquence, le conseil de prud'hommes fait droit à la demande de rappel de salaire à la hauteur de 1 455.55 euros au titre de cette majoration, outre 145.55 euros de congés payés afférents » ;
1. ALORS QUE selon l'article 22-8 e) de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique, applicable au salarié en travail posté, « lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée » ; que selon ce texte le droit conventionnel au paiement d'un pause payée d'une demi-heure est conditionné au travail du salarié posté pendant au moins six heures ininterrompues ; qu'il s'en induit, tel que soutenu par la société SPPH dans ses conclusions d'appel, que le salarié bénéficiant d'une pause avant que six heures de travail ne se sont écoulées ne travaille pas six heures ininterrompues et ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier du droit au paiement de la pause conventionnelle d'une demi-heure ; qu'en retenant néanmoins que le droit au paiement de la pause supplémentaire conventionnelle d'une demi-heure n'était pas conditionné au travail pendant au moins six heures ininterrompues et à l'absence de prise de pause pendant cette durée de six heures (arrêt p. 5 § 6), la cour d'appel a violé l'article 22-8 e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;
2. ALORS QUE l'avenant modificatif d'une convention collective n'a pas de caractère rétroactif ; qu'aux termes de l'article 5.2 5° de la convention des collective de l'industrie pharmaceutique « lorsque la commission [paritaire permanente de négociation] donnera un avis à l'unanimité des organisations signataires représentées, le texte de cet avis, signé par ces organisations, aura la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et sera annexé à cette convention » ; que l'annexion à la convention collective de l'industrie pharmaceutique, en vertu de ce texte, d'un avis unanime de la commission paritaire permanente de négociation ayant une valeur d'avenant ne saurait avoir d'effet rétroactif ; que si par un avis unanime du 23 novembre 2017, étendu par arrêté du 27 mars 2019, la commission paritaire permanente de négociation de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique a considéré que la demi-heure de repos payée prévue par l'article 22-8 e) de la convention pouvait être accordée avant que six heures de travail ne se soient écoulées, cet avis -ayant la valeur d'un avenant modificatif ajoutant au droit préexistant- n'avait pas d'effet rétroactif ; qu'en considérant néanmoins qu'elle était liée par cet avis de la commission paritaire -dont elle a considéré les règles « applicables en l'espèce » (arrêt p. 5 § 5)- pour en déduire que le salarié avait droit au paiement de la pause d'une demi-heure prévue par l'article 22-8 e) de la Convention collective en dépit de son absence de travail ininterrompu pendant au moins six heures, alors que cet avis non rétroactif de la commission paritaire ayant la valeur d'avenant modificatif n'était pas applicable au litige qui est antérieur au mois d'avril 2008, la cour d'appel a violé les articles 5.2 5° et 22-8 e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;
3. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en cas de concours de conventions ou d'accords collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, les plus favorables d'entre eux pouvant seuls être accordés ; que par un accord d'entreprise du 28 avril 2000 la société SPPH a institué une prime d'équipe visant à compenser le travail posté des salariés pendant six heures, sans conditionner pour sa part ce droit à l'ininterruption du travail pendant cette durée ; que cette prime d'équipe accordée aux salariés de la société SPPH a la même cause et le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévu par l'article 22-8 e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique en cas de travail posté ininterrompu ; qu'en décidant néanmoins que la prime d'équipe prévue par l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 n'avait pas le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévue par la convention collective et que ces deux avantages conventionnels pouvaient en conséquence se cumuler, la cour d'appel a violé les articles 3 et 4 de l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 et l'article 22-8 e) de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique, ensemble le principe de faveur. | L'avis rendu le 23 novembre 2017, par la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, sur le moment de la pause payée telle que prévue à l'article 22, 8°, e), de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, ayant la valeur d'un avenant et se bornant à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite avait rendu susceptible de controverse, s'impose avec effet rétroactif à la date d'entrée en vigueur de cette convention collective, aussi bien à l'employeur et aux salariés qu'au juge qui ne peut en écarter l'application |
7,776 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 654 FP-B+R
Pourvoi n° J 21-14.490
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
La société Pleyel centre de santé mutualiste, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° J 21-14.490 contre l'arrêt (n° RG : 19/08721) rendu le 16 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [M] [E], domiciliée [Adresse 8],
2°/ à Pôle emploi de Paris 7, 8 et 9e arrondissements, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Parties intervenant volontairement :
1°/ le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), dont le siège est [Adresse 7],
2°/ la Confédération française démocratique du travail (CFDT), dont le siège est [Adresse 6],
3°/ le Syndicat des avocats de France (SAF), dont le siège est [Adresse 5],
4°/ la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO), dont le siège est [Adresse 1],
5°/ le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial), dont le siège est [Adresse 2].
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, et de Mme Prache, conseiller référendaire, assistés de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Pleyel centre de santé mutualiste, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [E] et de la CFDT, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat du MEDEF, de la SCP Zribi et Texier, avocat du Syndicat des avocats de France (SAF), de Me Haas, avocat de la CGT-FO, de Me Ridoux, avocat du syndicat Avosial, les plaidoiries de Me Pinatel pour la société Pleyel centre de santé mutualiste, de Me Grévy pour Mme [E] et la CFDT, de Me Grévy substituant Me Haas pour la CGT-FO, de Me Rebeyrol pour le MEDEF, de Me Zribi pour le SAF et celles de Me Ridoux pour le syndicat Avosial, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Barincou, conseiller corapporteur, Mme Prache, conseiller référendaire corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Monge, Ott, conseillers, Mmes Ala, Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Examen d'office de la recevabilité des interventions volontaires, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code du procédure civile
1. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
2. Le Syndicat des avocats de France (SAF) et le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, leurs interventions volontaires ne sont pas recevables.
3. Il est donné acte à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), au Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et à la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) de leur intervention volontaire.
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2021), Mme [E] a été engagée en qualité de coordinatrice, à compter du 2 septembre 2013, par la société Pleyel centre de santé mutualiste. En dernier lieu, elle percevait un salaire moyen de 4 403,75 euros bruts.
5. Par lettre du 12 septembre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique. Elle a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 4 octobre 2017 puis, par lettre du 6 octobre 2017, son employeur lui a notifié la rupture de son contrat de travail pour motif économique à compter du 13 octobre 2017.
6. Contestant cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée la somme de 32 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1° / que la loi, qui est l'expression de la volonté générale, est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; que la cour d'appel, qui a écarté l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail au motif que celui-ci, déclaré conforme à l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT par deux avis de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 juillet 2019, ne le serait pas en l'occurrence, en raison des circonstances particulières de l'espèce et qu'il serait dès lors possible de l'écarter dans le cas particulier de la salariée, a violé les principes constitutionnels de sécurité juridique et d'égalité des citoyens devant la loi, ensemble les articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et L. 1235-3 du code du travail.
2°/ qu'en n'appliquant pas le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail quand la salariée n'entrait dans aucune des exceptions prévues par ce texte qui permettaient de ne pas en faire application, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer la loi, a méconnu son office au regard de l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, et l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur :
9. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
10. En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.
11. Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (l'OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
12. Les stipulations de cet article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne (voir également : Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011). En effet, la Convention n° 158 de l'OIT précise dans son article 1er : « Pour autant que l'application de la présente convention n'est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l'être par voie de législation nationale. »
13. Selon la décision du Conseil d'administration de l'Organisation internationale du travail, ayant adopté en 1997 le rapport du Comité désigné pour examiner une réclamation présentée en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT par plusieurs organisations syndicales alléguant l'inexécution par le Venezuela de la Convention n° 158, le terme « adéquat » visé à l'article 10 de la Convention signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.
14. A cet égard, il convient de relever qu'aux termes de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 de ce code n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d'une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
15. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la qualification de liberté fondamentale est reconnue à la liberté syndicale, en vertu de l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (Soc., 2 juin 2010, pourvoi n° 08-43.277 ; Soc., 9 juillet 2014, pourvois n° 13-16.434, 13-16.805, Bull. 2014, V, n° 186), au droit de grève protégé par l'alinéa 7 du même Préambule (Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-20.527, Bull. 2015, V, n° 236), au droit à la protection de la santé visé par l'alinéa 11 du même Préambule (Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-15.905, Bull. 2012, V, n° 218 ; Soc., 29 mai 2013, pourvoi n° 11-28.734, Bull. 2013, V, n° 136), au principe d'égalité des droits entre l'homme et la femme institué à l'alinéa 3 du même Préambule (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-21.862, publié), au droit à un recours juridictionnel en vertu de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, publié), à la liberté d'expression, protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140 ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.057, publié).
16. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l'objet d'une discrimination en raison de son origine, de son sexe, de ses murs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.
17. Les protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13 du code du travail concernent la protection de la grossesse et de la maternité, la prise d'un congé d'adoption, d'un congé de paternité, d'un congé parental, d'un congé pour maladie d'un enfant et la protection des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
18. Par ailleurs, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
19. Il en résulte, d'une part, que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.
20. Il en résulte, d'autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.
21. Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.
22. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
23. Pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, l'arrêt constate, d'une part, que ce texte prévoit, pour une ancienneté inférieure à 4 ans, une indemnité de licenciement injustifié comprise entre 13 211 et 17 615 euros, et, d'autre part, que la salariée justifie, en raison de sa qualité de demandeur d'emploi jusqu'en août 2019 et déduction faite des revenus perçus de Pôle emploi, d'une perte supérieure à 32 000 euros. L'arrêt retient que ce montant représente à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières de la salariée et ne permet donc pas, compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, âgée de 53 ans à la date de la rupture, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.
24. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE IRRECEVABLES les interventions volontaires du Syndicat des avocats de France (SAF) et du syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Pleyel centre de santé mutualiste à payer à Mme [E] la somme de 32 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 16 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Pleyel centre de santé mutualiste
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [M] [E] les sommes de 32 000 € à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse et 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et d'AVOIR ordonné le remboursement par la Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste à Pôle Emploi des indemnités chômage versées à Mme [M] [E] dans la limite de six mois d'indemnités ;
1°) ALORS QUE la cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient ; que selon l'article L. 1233-3 du code du travail, le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est celui formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ; que dans ses conclusions d'appel (cf. p. 4), la Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste (société Pleyel) soutenait qu'elle ne formait pas un groupe avec la Mutuelle Intergroupes Poliet et Ciments Français (MIPCF) dès lors qu'il n'existait aucun lien capitalistique entre elles au sens des dispositions précitées du code de commerce ; que la cour d'appel, qui a affirmé que la Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste formait un groupe avec la Mutuelle Intergroupes Poliet et Ciments Français (MIPCF) sans constater qu'il existait entre les deux entités un lien conforme aux prévisions des articles L. 233-1, L. 233-3 I et II et L. 233-16 du code de commerce, a privé sa décision de base légale au regard de ces articles, ensemble l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en cas de groupe, l'appréciation des difficultés économiques s'effectue au niveau secteur d'activité auquel appartient l'entreprise ; que la cour d'appel, qui n'a pas exposé en quoi un groupe existait, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que l'appréciation des difficultés économiques avait eu lieu au niveau du secteur d'activité et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;
3°) ALORS QUE pour l'application de l'obligation de reclassement, le périmètre du groupe à prendre en considération est le même que celui dans lequel s'apprécient les difficultés économiques, limité aux entreprises du groupe dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent d'assurer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en reprochant à la Mutuelle Pleyel Centre de Santé Mutualiste de ne pas avoir recherché de reclassement au sein de la MIPCF sans avoir vérifié, ainsi que cela lui avait été demandé, si cette dernière formait avec elle un groupe dans les conditions prévues aux articles L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (Subsidiaire)
La Mutuelle Pleyel fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [M] [E] les sommes de 32 000 € à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse
1°) ALORS QUE la loi, qui est l'expression de la volonté générale, est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; que la cour d'appel, qui a écarté l'application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail au motif que celui-ci, déclaré conforme à l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT par deux avis de l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 17 juillet 2019, ne le serait pas en l'occurrence, en raison des circonstances particulières de l'espèce et qu'il serait dès lors possible de l'écarter dans le cas particulier de Mme [E], a violé les principes constitutionnels de sécurité juridique et d'égalité des citoyens devant la loi, ensemble les articles 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et L. 1235-3 du code du travail.
2°) ALORS, en tout état de cause, QU'en n'appliquant pas le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail quand la salariée n'entrait dans aucune des exceptions prévues par ce texte qui permettaient de ne pas en faire application, la cour d'appel, qui a refusé d'appliquer la loi, a méconnu son office au regard de l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail. | Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne.
Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'article L. 1235-3 précité, retient que ce montant ne permet pas, compte tenu de la situation concrète et particulière du salarié, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, alors qu'il lui appartenait seulement d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail |
7,777 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mai 2022
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 655 FP-B+R
Pourvoi n° H 21-15.247
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022
La société FSM, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée Fives Stein Manufacturing, a formé le pourvoi n° H 21-15.247 contre l'arrêt rendu le 15 février 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [C] [O], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à Pôle emploi de [Localité 6], dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Parties intervenant volontairement :
1°/ le Syndicat des avocats de France (SAF), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial), dont le siège est [Adresse 1].
Mme [O] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, et de Mme Prache, conseiller référendaire, assistés de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société FSM, de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [O], de la SCP Zribi et Texier, avocat du Syndicat des avocats de France (SAF), de Me Ridoux, avocat du syndicat Avosial, les plaidoiries de Me Célice pour la société FSM, de Me Didier pour Mme [O], de Me Zribi pour le SAF et celles de Me Ridoux pour le syndicat Avosial, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Barincou, conseiller corapporteur, Mme Prache, conseiller référendaire corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Monge, Ott, conseillers, Mmes Ala, Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Examen d'office de la recevabilité des interventions volontaires, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code du procédure civile
1. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
2. Le Syndicat des avocats de France (SAF) et le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, leurs interventions volontaires ne sont pas recevables.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 février 2021), Mme [O] a été engagée par la société Fives Stein Manufacturing, aux droits de laquelle se trouve la société FSM, à compter du 15 septembre 1981 en qualité de secrétaire.
4. Un projet de restructuration et de réduction des effectifs, emportant la suppression de sept postes, a été mis en oeuvre à compter du 27 mars 2017.
5. Par lettre du 18 septembre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, fixé au 2 octobre 2017, puis licenciée pour motif économique par lettre du 13 octobre 2017. La salariée a adhéré au congé de reclassement qui a débuté le 14 octobre 2017 pour s'achever le 22 septembre 2018.
6. Le 2 octobre 2018, la salariée a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que l'article L. 1235-3 du code du travail n'est pas contraire à l'article 24 de la Charte sociale européenne et, en conséquence, de limiter à la somme de 48 000 euros le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'article 24 de la Charte sociale européenne dispose qu' ‘‘en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître (
) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée'' ; que ce texte est d'effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers pour accorder un droit aux individus et ne requérir l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire effet à l'égard des autres particuliers ; qu'en jugeant au contraire, pour faire application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et, ainsi, limiter l'indemnisation accordée aux salariés, qu' ‘‘eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de l'article 24 de la Charte sociale, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers'‘, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°/ que lorsqu'un acte du droit de l'Union appelle des mesures nationales de mise en oeuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d'appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu'interprétée par la Cour, ni la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union ; qu'ainsi, la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par l'article 24 de la Charte n'implique pas le droit pour elles de déroger aux exigences minimales de ce texte ; que le mécanisme d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable d'une législation nationale n'est conforme à ce texte qu'à la condition qu'il prévoie le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours, la possibilité de réintégration du salarié et/ou des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ; qu'il s'ensuit que le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 -en ce qu'il prévoit l'allocation d'une indemnité compensatoire plafonnée ne couvrant pas les pertes financières effectivement encourues par le salarié depuis la date du licenciement et n'ayant pas de véritable effet dissuasif pour l'employeur dans la mesure où l'indemnisation ne peut excéder un montant prédéfini et que la compensation octroyée au salarié devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi- ne permet pas au salarié licencié sans motif valable d'obtenir réparation adéquate, proportionnée au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux et contrevient ainsi aux dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand la marge de manoeuvre laissée aux États contractants n'autorisait pas l'État français à s'affranchir des exigences minimales fixées par l'article 24 de la charte sociale européenne révisée relatives aux modalités d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable, par la fixation d'un barème d'indemnisation uniquement fonction de l'ancienneté du travailleur et des effectifs dans l'entreprise, la cour d'appel a derechef violé ce texte, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
9. D'une part, aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.
10. Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
11. D'autre part, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
12. Selon l'article 24 de cette même Charte, « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
13. L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
14. L'article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu'elle contient.
15. Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s'engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d'articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu'elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés. »
16. Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l'approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d'être liée par l'ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
17. L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en uvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en uvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d'autres moyens appropriés. »
18. Enfin, l'annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
19. Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
20. Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 (Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011 ; 1re Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 19-15.890, publié).
21. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que, les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'il convenait d'allouer en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
22. La Charte sociale européenne ayant été adoptée par les Etats membres du Conseil de l'Europe, la seconde branche du moyen, fondée sur des principes tirés du droit de l'Union européenne, est inopérante.
23. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE IRRECEVABLES les interventions volontaires du Syndicat des avocats de France (SAF) et du syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ;
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société FSM, demanderesse au pourvoi principal
La société Fives Stein Manufacturing (aujourd'hui dénommée FSM SASU) fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement de Mme [O] était sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Fives Stein Manufacturing à payer à Mme [O] 48.000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné des indemnités de chômage effectivement payées à la salariée à la suite de son licenciement sans la limite de six mois ;
ALORS QU'il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement lorsque l'employeur justifie de l'absence de poste disponible compatible avec les compétences du salarié à l'époque du licenciement dans l'entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient ; qu'en l'espèce, la société Fives Stein Manufacturing soutenait qu'en dépit des recherches personnalisées et répétées effectuées en son sein et auprès des autres entreprises du groupe, elle n'avait pu identifier aucun poste compatible avec les qualifications de Mme [O] ; qu'en conséquence, elle lui avait adressé, par courrier du 11 juillet 2017, la liste de l'ensemble des postes disponibles dans le groupe, en lui laissant la faculté de déposer sa candidature si elle estimait que l'un de ces postes était susceptible de lui convenir ; qu'en retenant, pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, que le courrier adressé à Mme [O], le 11 juillet 2017, comportait un tableau répertoriant les 15 postes disponibles dans différentes filiales du groupe, sans autre précision que leur intitulé, ce qui ne constituait pas une offre précise, concrète et personnalisée, sans rechercher si un seul des postes disponibles dans le groupe à la date du licenciement était compatible avec les compétences de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [O], demanderesse au pourvoi incident
Mme [C] [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'article L. 1235-2 [lire, « 1235-3 »] du code du travail n'est pas contraire à l'article 24 de la Charte sociale européenne et, en conséquence, d'AVOIR limité le montant des dommages-intérêts dus par la société FSM à Mme [C] [O] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 48.000 € ;
1°) ALORS QUE l'article 24 de la Charte sociale européenne dispose qu' « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » ; que ce texte est d'effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers pour accorder un droit aux individus et ne requérir l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire effet à l'égard des autres particuliers ; qu'en jugeant au contraire, pour faire application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et, ainsi, limiter l'indemnisation accordée Mme [O] qu' « eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de l'article 24 de la Charte sociale, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers » , la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°) ET ALORS, subsidiairement, QUE, lorsqu'un acte du droit de l'Union appelle des mesures nationales de mise en oeuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d'appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu'interprétée par la Cour, ni la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union ; qu'ainsi, la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par l'article 24 de la Charte n'implique pas le droit pour elles de déroger aux exigences minimales de ce texte ; que le mécanisme d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable d'une législation nationale n'est conforme à ce texte qu'à la condition qu'il prévoie le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours, la possibilité de réintégration du salarié et/ou des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ; qu'il s'ensuit que le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 -en ce qu'il prévoit l'allocation d'une indemnité compensatoire plafonnée ne couvrant pas les pertes financières effectivement encourues par le salarié depuis la date du licenciement et n'ayant pas de véritable effet dissuasif pour l'employeur dans la mesure où l'indemnisation ne peut excéder un montant prédéfini et que la compensation octroyée au salarié devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi- ne permet pas au salarié licencié sans motif valable d'obtenir réparation adéquate, proportionnée au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux et contrevient ainsi aux dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand la marge de manoeuvre laissée aux États contractants n'autorisait pas l'État français à s'affranchir des exigences minimales fixées par l'article 24 de la charte sociale européenne révisée relatives aux modalités d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable, par la fixation d'un barème d'indemnisation uniquement fonction de l'ancienneté du travailleur et des effectifs dans l'entreprise, la cour d'appel a derechef violé ce texte, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. | Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 |
7,778 | N° H 21-85.420 F-B
N° 00544
ECF
11 MAI 2022
CASSATION PAR VOIE DE RETRANCHEMENT SANS RENVOI
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 9 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre M. [S] [V] des chefs d'escroquerie en bande organisée, transport, détention et mise en circulation de monnaie ayant cours légal contrefaisante ou falsifiée et association de malfaiteurs, a infirmé l'ordonnance de remise à l'AGRASC rendue par le juge d'instruction et ordonné la restitution.
Par ordonnance en date du 30 novembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 30 mars 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Ascensi, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt et des pièce de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 3 mai 2021, le juge d'instruction a ordonné la remise à l'AGRASC aux fins d'affectation à la direction territoriale de la police judiciaire de [Localité 1] d'un véhicule automobile Volvo V40 et de ses accessoires appartenant à M. [S] [V].
3. L'avocat de ce dernier a interjeté appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le moyen soulevé d'office et mis dans le débat
Vu les articles 99 et 99-2 du code de procédure pénale :
4. Il résulte du second de ces textes que les décisions de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendues par le juge d'instruction, sont notifiées au ministère public, aux parties intéressées et, s'ils sont connus, au propriétaire ainsi qu'aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent les déférer à la chambre de l'instruction dans les conditions prévues aux cinquième et sixième alinéas de l'article 99.
5. Ce texte ne prévoit pas, contrairement à l'article 41-5 du code de procédure pénale applicable pendant l'enquête ou lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur le sort des scellés, qu'à l'occasion de leur recours ces personnes peuvent demander la restitution des biens saisis ni que la chambre de l'instruction peut en ordonner d'office la restitution.
6. Par ailleurs, le deuxième alinéa du premier de ces textes donne compétence à la chambre de l'instruction pour directement statuer sur les requêtes en restitution seulement lorsque la requête a été formée conformément à l'avant-dernier alinéa de l'article 81 du même code et que le juge d'instruction s'est abstenu de statuer dans le délai d'un mois, le requérant pouvant alors saisir directement le président de la chambre de l'instruction qui statue conformément aux trois derniers alinéas de l'article 186-1 de ce code.
7. Enfin, interpréter l'article 99-2 du code de procédure pénale comme permettant à l'appelant des décisions de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendues par le juge d'instruction, de saisir la chambre de l'instruction d'une demande de restitution des biens objet de ces décisions, porterait atteinte aux droits des parties intéressées, lesquelles s'entendent des personnes à qui la restitution est susceptible de faire grief (Crim., 8 juillet 1997, pourvoi n° 96-84.306, Bull. crim. 1997, n° 268), à qui les décisions de restitution rendues par le juge d'instruction doivent être notifiées et qu'elles peuvent déférer à la chambre de l'instruction en application de l'article 99 du code de procédure pénale.
8. Il s'en déduit qu'en cas d'appel de l'ordonnance de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions.
9. En l'espèce, après avoir infirmé l'ordonnance de remise à l'AGRASC rendue par le juge d'instruction en raison de l'atteinte disproportionnée portée au droit de propriété de M. [V], l'arrêt retient qu'il convient d'en ordonner la restitution à l'intéressé.
10. En se déterminant ainsi, alors que, saisie de l'unique objet du recours formé contre une ordonnance de remise à l'AGRASC aux fins d'affectation, elle ne pouvait pas prononcer sur la demande de restitution dont l'avait saisie le demandeur, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 9 septembre 2021, en ses seules dispositions ayant ordonné la restitution du véhicule Volvo V40 et de ses accessoires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille vingt-deux. | En cas d'appel de l'ordonnance de destruction, ou de remise à l'AGRASC aux fins d'aliénation ou d'affectation de biens meubles placés sous main de justice, rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir de statuer sur la restitution des biens objet de ces décisions.
Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, après avoir infirmé l'ordonnance rendue par le juge d'instruction de remise d'un véhicule automobile à l'AGRASC aux fins d'affectation à un service de police judiciaire, en ordonne la restitution à l'appelant |
7,779 | N° N 20-86.594 F-B
N° 00551
ECF
11 MAI 2022
CASSATION
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 2 juillet 2020, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, l'a condamnée à des amendes et pénalités fiscales et au paiement des droits fraudés.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des douanes et droits indirects de Bourgogne, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 30 mars 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Pichon, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 23 juin 2011, l'administration des douanes et des droits indirects a initié un contrôle sur le fondement de l'article L. 34 du livre des procédures fiscales dans les locaux de la société [1], spécialisée dans la fabrication et le commerce de boissons alcoolisées, entrepositaire agréé au sens de l'article 302 G du code général des impôts.
3. Le 10 septembre 2013, un procès-verbal d'infraction à la réglementation sur les contributions indirectes a été établi et la société [1] a été citée devant le tribunal correctionnel pour avoir en 2008, 2009, 2010 et 2011, procédé à la tenue irrégulière de sa comptabilité matières, liquidé de manière non conforme les droits d'accises et fait circuler des produits ou biens relevant de la législation des contributions indirectes sans documents d'accompagnement ou marque fiscale conforme.
4. Par jugement en date du 25 octobre 2018, le tribunal correctionnel a constaté la prescription de l'ensemble des faits de la prévention antérieurs au 10 septembre 2010, relaxé partiellement la société pour les faits de circulation de produits ou biens relevant de la législation des contributions indirectes sans documents d'accompagnement ou marque fiscale conforme et pour certains des manquements relatifs à la tenue de la comptabilité matières, déclaré la prévenue coupable pour le surplus de la prévention et condamné celle-ci au paiement de six amendes fiscales d'un montant unitaire de 15 euros et à deux pénalités fiscales d'un montant unitaire de 530 432 euros.
5. La direction générale des douanes et droits indirects et la prévenue ont formé appel principal de cette décision, le procureur de la République, appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à retenir la prescription pour l'ensemble des infractions visées par la prévention, a déclaré la société [1] coupable du chef de liquidation non conforme d'impôts et de taxes : accises sur l'alcool, boisson ou produit alcoolique pour l'ensemble de la période de prévention soit pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011 et l'a condamnée au paiement de la somme de 1 334 664 euros au titre de la pénalité fiscale et au paiement de la somme de 1 334 664 euros au titre des droits fraudés, alors « que l'action fiscale en matière de contributions indirectes devant le juge pénal se prescrit par un délai de trois ans, lequel est susceptible d'être interrompu par tout acte d'instruction ou de poursuite ; que tel n'est pas le cas du procès-verbal d'intervention visé par l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, applicable en l'absence de tout soupçon de fraude, qui se borne à constater la remise des documents permettant l'exercice du contrôle ; qu'en retenant que le procès-verbal du 23 juin 2011 constatant la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle prévu par l'article L. 34 du livre des procédures fiscales était un acte interruptif de la prescription de l'action fiscale, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235, et L. 236 du livre des procédures fiscales, 7 et 8 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits :
8. Il résulte de ce texte que seul peut être regardé comme un acte d'instruction ou de poursuite le procès-verbal dressé par les agents de l'administration des douanes dans l'exercice de leurs attributions de police judiciaire et à l'effet de constater les infractions, à l'exclusion des actes de l'enquête administrative qui en ont constitué le prélude.
9. Pour rejeter l'exception de prescription soulevée par la prévenue, l'arrêt attaqué retient que l'action fiscale ayant le caractère d'une action publique son régime obéit à celui de cette dernière chaque fois qu'il n'y est pas dérogé, l'action publique et l'action fiscale se prescrivant en principe conformément au droit commun.
10. Après avoir indiqué que le délai de prescription est susceptible d'être interrompu par tout acte d'instruction ou de poursuite, il énonce que sont interruptifs de prescription les procès-verbaux de constat établis par l'administration des douanes dans la mesure où ils visent à établir l'existence d'une infraction et asseoir l'assiette des droits à recouvrer.
11. Les juges ajoutent qu'il en va ainsi également de tous les procès-verbaux portant saisies de documents et auditions de sachant dès lors qu'ils émanent d'agents compétents et qu'en application de ces principes, sont interruptifs de prescription les procès-verbaux d'intervention, d'audition et de réception de documents qui ont été notifiés et remis en copie au cours du contrôle.
12. Ils en déduisent qu'en l'espèce le procès-verbal du 23 juin 2011 d'audition et d'intervention qui constate la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle est un acte interruptif de prescription et que par suite la période de prévention qui sera examinée pour statuer sur l'éventuelle culpabilité de la prévenue concernera bien les années 2008, 2009, 2010 et 2011.
13. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu le texte précité et le principe susvisé.
14. En effet, le procès-verbal d'intervention établi par les agents des services des douanes, qui ne constatait aucune infraction, ni ne relatait aucun acte d'enquête portant sur une infraction préalablement révélée, n'était pas interruptif de prescription.
15. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 2 juillet 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille vingt-deux. | Il résulte de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, que seul peut être regardé comme un acte d'instruction ou de poursuite le procès-verbal dressé par les agents de l'administration des douanes dans l'exercice de leurs attributions de police judiciaire et à l'effet de constater les infractions, à l'exclusion des actes de l'enquête administrative qui en ont constitué le prélude.
Encourt la censure l'arrêt de la cour d'appel qui énonce que le procès-verbal d'intervention et d'audition établi par les agents des douanes, qui constate la remise par le prévenu de différents documents permettant l'exercice du contrôle, est un acte interruptif de prescription, alors que ce document ne constatait aucune infraction, ni ne relatait aucun acte d'enquête portant sur une infraction préalablement révélée |
7,780 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Irrecevabilité
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 467 F-B
Pourvoi n° K 20-22.606
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
M. [G] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 20-22.606 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre, sécurité sociale), dans le litige l'opposant à M. [K] [I], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [I] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [C], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [I], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Recevabilité du pourvoi principal examinée d'office
Vu les articles 615, alinéa 2, du code de procédure civile, L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale :
1. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des textes susvisés.
2. Selon le premier de ces textes, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, le pourvoi formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
3. Selon les deuxième et troisième de ces textes, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la caisse primaire d'assurance maladie verse à la victime les compléments de rente et indemnités qu'elle récupère ensuite auprès de l'employeur.
4. Aux termes du quatrième, à défaut d'accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d'une part, et l'employeur d'autre part, sur l'existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d'assurance maladie, d'en décider. La victime ou ses ayants droit doivent appeler la caisse en déclaration de jugement commun ou réciproquement.
5. La décision attaquée a été rendue dans un litige en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur opposant M. [C] (la victime) à M. [I] (l'employeur) et la caisse de mutualité sociale agricole des portes de Bretagne (la caisse). Il existe un lien d'indivisibilité entre les parties en ce qu'il résulte des trois derniers textes visés ci-dessus que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, formée par la victime ou ses ayants droit, doit nécessairement être dirigée contre l'employeur de celle-ci, en présence de la caisse de sécurité sociale.
6. En conséquence, le pourvoi principal formé par la victime, qui est seulement dirigé contre l'employeur mais non contre la caisse, n'est pas recevable.
Sur le pourvoi incident éventuel
7. L'irrecevabilité du pourvoi principal prive de tout objet le pourvoi incident éventuel formé par l'employeur.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi principal ;
CONSTATE que le pourvoi incident éventuel est privé d'objet ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. | En application des articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-4 du code de la sécurité sociale, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, formée par la victime ou ses ayants droit, doit être nécessairement dirigée contre l'employeur de celle-ci, en présence de la caisse de sécurité sociale. Il en résulte qu'il existe un lien d'indivisibilité entre les parties.
Par suite, est irrecevable en application de l'article 615, alinéa 2, du code de procédure civile, le pourvoi formé par la victime dirigé seulement contre l'employeur mais non contre la caisse de sécurité sociale |
7,781 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 468 F-B
Pourvoi n° R 20-14.607
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-14.607 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Centre de néphrologie Les Fleurs, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Centre de néphrologie Les Fleurs, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 janvier 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2011 à 2013, l'URSSAF a notifié à la société Centre de néphrologie Les Fleurs (la société) un redressement portant notamment sur la réintégration, dans l'assiette de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et du forfait social, des sommes versées au titre du régime de prévoyance complémentaire pour le financement du maintien des salaires.
3. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur premier moyen
Enoncé du moyen
5. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du redressement pris en son point n° 1 portant sur la CSG-CRDS sur la part patronale des sommes versées au titre du régime de prévoyance complémentaire, alors :
« 1°/ que seules les contributions patronales versées en vue d'assumer l'obligation de maintenir le salaire en cas d'arrêt de travail sur une durée déterminée, lorsque cette obligation résulte de la loi de mensualisation ou d'une disposition d'un accord collectif ayant le même objet, sont exonérées de la CSG-CRDS ; qu'en revanche, ne constituant pas une obligation personnelle de l'employeur, les contributions patronales finançant des allocations complémentaires aux indemnités journalières, hors le cadre du maintien de salaire, mais en vertu d'un régime de prévoyance institué par accord collectif, entrent dans le champ d'application desdites contributions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, en son article 84, institue un régime de prévoyance collective obligatoire couvrant, notamment, le risque incapacité temporaire de travail, lequel régime de prévoyance envisage une indemnisation complémentaire aux indemnités journalières ; que, de fait, les termes clairs et précis de cette convention excluent qu'un tel système procède d'une simple extension de l'obligation légale de maintien de salaire ; que le redressement décidé par l'URSSAF procédait précisément de cette distinction de l'obligation légale de maintien de salaire et du système de prévoyance institué par la norme conventionnelle, l'inspecteur ayant reproché à la société contrôlée de ne pas préciser la partie de la contribution versée à l'assureur correspondant à une externalisation facultative de son obligation légale de maintien de salaire pour la distinguer de la partie de cette contribution correspondant au financement du système de prévoyance instituée par la convention collective ; qu'en occultant cependant cette distinction et en procédant d'emblée à une mise en perspective des garanties offertes par le contrat d'assurance souscrit et de celles instituées par voie conventionnelle comme s'il était acquis que la norme conventionnelle instituait une simple obligation personnelle de maintien de salaire poursuivant celle instituée par la loi, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé les articles L. 136-2, II, 4°, et L. 242-1 du code de la sécurité sociale, 14.I de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, et les articles 84 et 85.1 de la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 ;
2°/ que la cour d'appel a expressément constaté que le contrat de prévoyance litigieux ne prévoyait aucune limite, en fonction de la durée de l'incapacité du salarié, au maintien de salaire ; qu'en affirmant que le contrat litigieux n'était qu'une modalité de maintien du salaire ne permettant pas d'aller au-delà du minimum fixé par le code du travail ou la convention collective, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1134 devenu 1103 et 1104 du code civil et les articles 84 et 85.1 de la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 136-2, II, 4°, et L. 242-1 du code de la sécurité sociale, 14.1 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, dans leur rédaction applicable au litige, et les articles 84 et 85.1 de la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 :
6. Selon les premier et troisième de ces textes, sont incluses dans l'assiette de la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement perçue au titre de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance, à l'exception de celles visées au cinquième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de celles destinées au financement des régimes de retraite visés au I de l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale.
7. Pour décider que les sommes versées par l'employeur, au titre de la contribution patronale de prévoyance complémentaire, n'étaient pas assujetties à la CSG et à la CRDS, l'arrêt relève que la clinique entrait dans le champ d'application de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, qui prévoit, notamment en son article 84, une garantie de ressources en cas d'incapacité temporaire de travail et invalidité permanente-décès, applicable à tous les salariés non-cadres et cadres, sans condition d'ancienneté, chaque arrêt de travail pour maladie devant être indemnisé à l'issue d'un délai de carence de 3 jours pour les salariés non-cadres, sans délai de carence pour les cadres, pendant 90 jours consécutifs ou non par année civile dans la limite de 100 % de la rémunération nette qu'aurait perçue le salarié s'il avait travaillé pendant la période d'incapacité de travail et, au-delà de 90 jours, à hauteur de 80 % de la rémunération brute pendant toute la durée de l'indemnisation par la sécurité sociale.
8. L'arrêt ajoute que la clinique a conclu deux contrats (cadres / non-cadres) pour garantir les ressources de ses salariés en application de l'article 84 précité, prévoyant que ses salariés percevront 100 % de la rémunération nette qu'ils auraient perçue s'ils avaient travaillé pendant la période d'incapacité de travail et pendant toute la durée de l'indemnisation de la sécurité sociale, sous réserve d'une franchise de 90 jours pour les cadres et que les pièces du dossier permettent de constater que les prestations garanties par ces contrats conclus avec l'institution de prévoyance ne vont pas au-delà du minimum fixé par le code du travail ou par la convention collective nationale et que les seules limites à la garantie de maintien de salaire sont la durée d'indemnisation par la sécurité sociale et le montant des ressources, qui doit correspondre à la rémunération nette qu'aurait perçue le salarié s'il avait travaillé.
9. L'arrêt en déduit que les primes versées par l'employeur ne peuvent pas être considérées comme finançant une opération de prévoyance complémentaire.
10. En statuant ainsi, sans distinguer les contributions de l'employeur finançant l'indemnisation des arrêts de travail de ses salariés résultant de son obligation personnelle légale de maintien du salaire prévue par les articles L. 1226-1 et D. 1226-1 du code du travail, exonérées de CSG et de CRDS, et celles finançant les prestations complémentaires de prévoyance, soumises à la CSG et à la CRDS, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
12. L'arrêt énonce que l'annulation décidée du premier chef du redressement relatif aux contributions versées par l'employeur en vue d'assumer l'obligation de maintenir les salaires en cas d'arrêt de travail pour maladie ou accident, telle qu'elle résultait de la convention collective entraîne l'annulation du deuxième chef du redressement concernant le forfait social prévoyance.
13. La cassation du chef du dispositif attaqué par le premier moyen entraîne
la cassation par voie de conséquence du chef du dispositif attaqué par le deuxième qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule le point n° 4 de la lettre d'observations et le redressement s'y rapportant, l'arrêt rendu le 8 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Centre de néphrologie Les Fleurs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Centre de néphrologie Les Fleurs et la condamne à payer à l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du redressement pris en son point n° 1 portant sur la CSG-CRDS sur la part patronale des sommes versées au titre du régime de prévoyance complémentaire ;
AUX MOTIFS PROPRES ET SUBSTITUES QUE « au moment du contrôle, l'inspecteur de l'urssaf qui disposait des contrats de prévoyance (mention faite dans la lettre d'observations) a constaté que l'employeur avait exclu de la CSG-CRDS la totalité du financement du maintien de salaire, alors que, selon lui, seule la partie correspondant à son obligation légale de maintien de salaire résultant de la loi de mensualisation du 19 janvier 1978 pouvait l'être. Il aurait demandé à l'employeur une attestation de l'organisme de prévoyance faisait apparaître « la décomposition précise du taux de cotisation », mais ne l'aurait pas obtenue. Il avait alors procédé au redressement sur la totalité du financement du maintien de salaire, en se fondant sur l'article L. 136-2 II 4° du code de la sécurité sociale renvoyant à l'article L. 242-1 du même code. Devant la cour, pour justifier le redressement, l'urssaf a maintenu que la seule partie susceptible d'être exonérée des CSG-CRDS devait correspondre à la période de l'obligation légale du maintien de salaire, et que la partie qui allait au-delà de cette période devait être soumise aux CSG-CRDS car il s'agissait du financement de la garantie supplémentaire. Son inspecteur n'ayant pas été en mesure de faire la distinction entre « d'une part la période pendant laquelle l'employeur est tenu de maintenir le salaire en application de la loi sur la mensualisation et d'autre part au-delà de cette période », le redressement était donc justifié. Le Centre de Néphrologie Les Fleurs fait valoir que les cotisations versées au régime de prévoyance avaient pour but d'assumer son obligation légale et conventionnelle de maintien de salaire et qu'à ce titre, elles étaient exonérées de CSG-CRDS, comme le prévoyaient les articles L. 136-2 II 4° et L. 242-1 du code de la sécurité sociale. Il résulte des articles L. 1226-1 et D 1226-1 et suivants du code du travail (en vigueur à partir du 1er juin 2008 suite à l'abrogation de la loi 78-49 du 19 janvier 1978 par l'article 12-11° de l'ordonnance 2007-329 du 12 mars 2007) que tout salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise, qui se trouve dans l'incapacité de travailler en raison d'une maladie ou d'un accident (non professionnels) bénéficie d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière prévue à l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, puisque celle-ci ne lui garantit pas la totalité de ses salaires. Il résulte des dispositions combinées des articles L. 242-1 alinéa 6 en vigueur à partir de 2011 et L. 911-1 du code de la sécurité sociale que les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance versées au bénéfice de leurs salariés, anciens salariés et de leurs ayants droit par les organismes régis par les titres III et IV du livre IX (les institutions de prévoyance) sont exclues de l'assiette des cotisations, lorsque ces garanties sont déterminées notamment par voie de conventions ou d'accords collectifs, qu'elles revêtent un caractère obligatoire ou qu'elles bénéficient à titre collectif à l'ensemble des salariés, comme en l'espèce. Le Centre de Néphrologie entre dans le champ d'application de la Convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, qui prévoit, notamment en son article 84, une « Garantie de ressources en cas d'incapacité temporaire de travail et invalidité permanente-décès » : « il est institué un régime de prévoyance collective obligatoire couvrant les risques incapacité-invalidité et décès applicable à tous les salariés non sacres et cadres, sans condition d'ancienneté, (
) » Chaque arrêt de travail pour maladie doit être indemnisé à l'issue d'un délai de carence de 3 jours pour les salariés non cadres, sans délai de carence pour les cadres, pendant 90 jours consécutifs ou non par année civile dans la limite de 100% de la rémunération nette qu'aurait perçue le salarié s'il avait travaillé pendant la période d'incapacité de travail et, au-delà de 90 jours, à hauteur de 80% de la rémunération brute pendant toute la durée de l'indemnisation par la sécurité sociale. Le 30 septembre 2010, la société Centre de Néphrologie a conclu, par l'intermédiaire du Groupe Malakoff Médéric, deux contrats (cadres et non-cadres) pour garantir les ressources de ses salariés en application de l'article 84 précité, et qui prévoyaient que ses salariés percevront 100% de la rémunération nette qu'ils auraient perçue s'ils avaient travaillé pendant la période d'incapacité de travail et pendant toute la durée de l'indemnisation de la sécurité sociale, sous réserve d'une franchise de 90 jours pour les cadres. Pour chaque prestation garantie, les taux de cotisations étaient fixés par tranche de salaire et par catégorie de salariés (cadres/non-cadres). La cour rappelle que les primes versées à un organisme assureur (sociétés d'assurance, institutions de prévoyance ou mutuelles) pour financer le maintien du salaire dû par l'employeur au titre d'une obligation légale ou conventionnelle de maintien de salaire en cas de maladie ou d'accident des salariés ne sont pas considérées comme finançant une opération de prévoyance complémentaire. Les institutions de prévoyance sont des sociétés de droit privé, à but non lucratif, qui gèrent des contrats collectifs d'assurance de personnes couvrant les risques de maladie, incapacité de travail, invalidité, dépendance et décès. Les pièces du dossier permettent de constater que les prestations garanties par les contrats conclus avec l'institution de prévoyance ne vont pas au-delà du minimum fixé par le code du travail ou par la convention collective nationale. En ce cas, les primes versées par l'employeur ne peuvent pas être considérées comme finançant une opération de prévoyance complémentaire. Les seules limites à la garantie de maintien de salaire sont la durée d'indemnisation par la sécurité sociale et le montant des ressources, qui doit correspondre à la rémunération nette qu'aurait perçue le salarié s'il avait travaillé. Ces conditions sont réunies dans le cas d'espèce. Par application des textes susvisés du code de la sécurité sociale, les primes et/ou contributions destinées au financement du maintien des salaires dans le cadre d'un régime de prévoyance, collectif et rendu obligatoire par la convention collective, n'ont pas à être assujetties à cotisations sociales, ni, à plus forte raison, aux contributions dites CSG-CRDS. D'après les documents contractuels communiqués devant la cour, les taux de cotisation mentionnés ne servaient qu'au calcul des cotisations « incapacité », par tranche de salaires et par catégorie de salariés et non pas à la répartition entre les périodes d'indemnisation, comme l'avait considéré le tribunal. Le motif retenu en première instance devient donc inopérant. La cour, par motifs substitués à ceux du tribunal, confirme le jugement sur ce premier point. »
1) ALORS QUE seules les contributions patronales versées en vue d'assumer l'obligation de maintenir le salaire en cas d'arrêt de travail sur une durée déterminée, lorsque cette obligation résulte de la loi de mensualisation ou d'une disposition d'un accord collectif ayant le même objet, sont exonérées de la CSG-CRDS ; qu'en revanche, ne constituant pas une obligation personnelle de l'employeur, les contributions patronales finançant des allocations complémentaires aux indemnités journalières, hors le cadre du maintien de salaire, mais en vertu d'un régime de prévoyance institué par accord collectif, entrent dans le champ d'application desdites contributions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, en son article 84, institue un régime de prévoyance collective obligatoire couvrant, notamment, le risque incapacité temporaire de travail, lequel régime de prévoyance envisage une indemnisation complémentaire aux indemnités journalières ; que, de fait, les termes clairs et précis de cette convention excluent qu'un tel système procède d'une simple extension de l'obligation légale de maintien de salaire ; que le redressement décidé par l'urssaf paca procédait précisément de cette distinction de l'obligation légale de maintien de salaire et du système de prévoyance institué par la norme conventionnelle, l'inspecteur ayant reproché à la société contrôlée de ne pas préciser la partie de la contribution versée à l'assureur correspondant à une externalisation facultative de son obligation légale de maintien de salaire pour la distinguer de la partie de cette contribution correspondant au financement du système de prévoyance instituée par la convention collective ; qu'en occultant cependant cette distinction et en procédant d'emblée à une mise en perspective des garanties offertes par le contrat d'assurance souscrit et de celles instituées par voie conventionnelle comme s'il était acquis que la norme conventionnelle instituait une simple obligation personnelle de maintien de salaire poursuivant celle instituée par la loi, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé les articles L. 136-2, II, 4° et L. 242-1 du code de la sécurité sociale, 14.I de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, et les articles 84 et 85.1 de la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002.
2) ALORS QUE la Cour d'appel a expressément constaté que le contrat de prévoyance litigieux ne prévoyait aucune limite, en fonction de la durée de l'incapacité du salarié, au maintien de salaire ; qu'en affirmant que le contrat litigieux n'était qu'une modalité de maintien du salaire ne permettant pas d'aller au-delà du minimum fixé par le code du travail ou la convention collective, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé l'article 1134 devenu 1103 et 1104 du Code Civil et les articles 84 et 85.1 de la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé le point n° 2 de la lettre d'observations - forfait social sur participation patronale aux régimes de prévoyance - et le redressement s'y rapportant ;
AUX MOTIFS QUE « concernant le point 5 : forfait social/prévoyance (11 330 euros) Ce point du redressement concerne le forfait social applicable, à partir du 1er janvier 2012, sur les contributions de l'employeur au financement du régime de prévoyance sauf s'il s'agit de maintenir le salaire en cas d'arrêt de travail par application d'une convention collective. Il résulte des textes susvisés du code du travail que les primes et/ou contributions destinées au financement du régime de prévoyance, collectif et rendu obligatoire par la convention collective, n'ont pas à être assujetties à la taxe dite « forfait social ». L'annulation qui vient d'être décidée du premier chef du redressement relatif aux contributions versées par l'employeur en vue d'assumer l'obligation de maintenir les salaires en cas d'arrêt de travail pour maladie ou accident telle qu'elle résultait de la convention collective précitée entraîne l'annulation de ce cinquième chef du redressement. »
ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que, pour annuler le chef n° 2 concernant le forfait social au titre de la prévoyance, la cour d'appel a renvoyé à ses motifs relatifs à la CSG-CRDS ; qu'elle a dès lors établi un lien de dépendance nécessaire entre les deux questions, de sorte que la cassation du chef de dispositif attaqué par le premier moyen justifiera la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l'article 624 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé le point 4 de la lettre d'observations du 25 novembre 2014 (cotisations/allocations complémentaires aux indemnités journalières) et le redressement s'y rapportant ;
AUX MOTIFS QUE « l'urssaf a fait valoir que la clinique avait pris en charge 100% des contributions au régime de prévoyance mais n'avait intégré dans l'assiette des cotisations sociales que la part de 60% prévue par la convention collective. La convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 a prévu en ses articles 85-2 et 85-3 que : Article 85.2 : « Cotisations des non-cadres Les cotisations aux régimes de prévoyance prévues au présent titre sont réparties à raison de 60% à la charge de l'employeur et 40% à la charge du salarié, sans que la cotisation salariale puisse dépasser 0,96% sur la tranche A et la tranche B pour un total de cotisations de 2,40% sur la tranche A et la tranche B. » Article 85.3 : « Cotisations des cadres Les cotisations aux régimes de prévoyance prévues au présent titre sont réparties à raison de 60% à la charge de l'employeur et 40% à la charge du salarié, sans que la cotisation salariale puisse dépasser 1,16% sur la tranche A et 2,06 sur la tranche B pour un total de cotisations de 2,90% sur la tranche A et 5,16% sur la tranche B. La répartition des cotisations des cadres devra respecter, en ce qui concerne la tranche A des salaires, les dispositions de la convention collective du 14 mars 1947. » L'inspecteur de l'urssaf qui avait à sa disposition la convention collective, les bulletins de paie et le Livre de paie (voir sa lettre d'observations), n'a pas pris la peine de vérifier si les taux mentionnés ci-dessus étaient ou non atteints, alors qu'un dépassement aurait justifié le report d'une partie de la cotisation salariale sur l'employeur, le portant donc à plus de 60%. Il résulte des articles L. 1226-1 et D 1226-1 et suivants du code du travail (en vigueur à partir du 1er juin 2008 suite à l'abrogation de la loi 78-49 du 19 janvier 1978 par l'article 12-11° de l'ordonnance 2007-329 du 12 mars 2007) que tout salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise, qui se trouve dans l'incapacité de travailler en raison d'une maladie ou d'un accident (non professionnels) bénéficie d'une indemnité complémentaire à l'allocation journalière prévue à l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale ; pendant les trente premiers jours, il a droit à 90% de la rémunération brute qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler ; pendant les trente jours suivants, il a droit aux deux tiers de cette même rémunération ; la durée d'indemnisation est augmentée de dix jours par période entière de cinq ans d'ancienneté, sans que chaque période puisse dépasser quatre-vingt-dix jours. Les indemnités journalières de la sécurité sociale et les allocations des régimes complémentaires de prévoyance résultant des contrats conclus par l'employeur sont déduites de cette indemnité légale. Le code du travail n'impose donc aucune répartition entre employeur et salariés, ce que l'urssaf, même devant la cour, ne pouvait ignorer. En conséquence, la cour considère inopérant et infondé l'argument selon lequel si le régime de prévoyance est plus favorable, il se substitue à la loi sur la mensualisation, et que, dans le cas contraire, « la totalité des allocations complémentaires devra être soumise à cotisations de sécurité sociale. » Enfin, l'agent de l'urssaf a considéré que « l'examen des documents de paie fait apparaître que l'obligation de maintien de salaire est financé exclusivement par l'employeur au lieu d'un financement mixte 60% employeur et 40% à la charge du salarié. » La société a affirmé que, pour certains salariés, la participation de l'employeur avait bien été conforme à la convention collective et elle a produit, pour étayer cette affirmation, les bulletins de salaires de six salariés datant de 2011 (année non critiquée), 2012 et 2013 (pièces 6 à 11). L'année 2011 n'ayant pas été critiquée par l'agent contrôleur, la société a entendu se prévaloir d'un accord tacite par extension de l'article R. 243-59 alinéa 9 du code de la sécurité sociale, à tout le moins d'une validation de la pratique suivie en 2011 qui rend incompréhensible le redressement qui n'affectait que 2012 et 2013. Concernant l'année 2011, l'urssaf a contesté l'application de l'article R. 243-59 précité et n'a fait aucun commentaire supplémentaire, après avoir fait valoir, en première instance, que l'année 2011 aurait été prescrite ; cet argument était peu sérieux puisque le contrôle avait été réalisé courant novembre 2014. Devant la cour, l'urssaf n'a pas commenté les pièces 6 à 11 qui viennent contredire les constatations de son inspecteur. L'absence de redressement pour l'année 2011 pourrait d'interpréter comme une validation de la pratique suivie en 2011 qui rendrait alors incompréhensible voire même infondé le redressement pour 2012 et 2013. Ce point qui n'a pas été sérieusement expliqué par l'urssaf, ni au moment du contrôle ni devant la cour constitue, à tout le moins, une négligence caractérisée de l‘agent contrôleur, à moins qu'aucun salarié n'ait été en arrêt de travail pour maladie en 2011. Pour le surplus, la cour rappelle que les constatations de l'urssaf ne font foi que jusqu'à preuve du contraire. La preuve a été rapportée que les éléments de fait ayant servi de base au redressement appliqué sur la totalité des allocations versées aux salariés étaient erronés. La lettre d'observations prend pour base de calcul la somme de 10 706 euros pour 2012 et la somme de 12 787 euros pour 2013, sans autre précision, notamment quant au nombre et à la catégorie des salariés concernés. La cour rappelle que l'urssaf doit donner suffisamment d'éléments pour permettre au cotisant mais également à la juridiction de sécurité sociale saisie d'une contestation, de comprendre les bases du redressement. En dépit des réserves écrites de la société Centre de Néphrologie Les Fleurs, l'urssaf, qui est pourtant appelante, n'a présenté aucune démonstration précise dans ses conclusions pour justifier cette partie du redressement qu'elle entend maintenir, se contentant de contester l'application de la notion d' « accord tacite » prévu par l'article R 243-59 précité. »
1°) ALORS QUE tenu de respecter l'objet du litige, tel que déterminé par les écritures des parties, le juge de la sécurité sociale ne peut, en lieu et place du cotisant contrôlé, mettre en doute la réalité de l'irrégularité constatée ; qu'en l'espèce, ayant pleinement reconnu que la répartition 60%/40% envisagée par la convention collective pour le financement de la prévoyance n'avait pas été respectée sans que cela n'ait été corrigé pour le personnel non-cadre, la société contrôlée n'a pas cherché à justifier cette situation par un report d'une partie de la cotisation salariale sur l'employeur de nature à la porter à plus de 60% notamment en raison d'un dépassement des divers taux mentionnés aux articles 85.2 et 85.3 de la convention ; qu'en relevant d'emblée que l'inspecteur n'avait pas pris la peine de vérifier si ces taux étaient ou non atteints tandis qu'un dépassement de ceux-ci aurait pu justifier le report d'une partie de la cotisation salariale sur celle de l'employeur, portant de ce fait cette dernière à plus de 60%, la cour d'appel, qui a ainsi tenté de justifier la situation déplorée en lieu et place du cotisant contrôlé, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE tenu de respecter lui-même le principe du contradictoire, le juge du fond ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, ayant pleinement reconnu que la répartition 60%/40% envisagée par la convention collective pour le financement de la prévoyance n'avait pas été respectée, sans que cela n'ait été corrigé pour le personnel non-cadre, la société contrôlée n'a pas cherché à justifier cette situation par un report d'une partie de la cotisation salariale sur l'employeur de nature à la porter à plus de 60% notamment en raison d'un dépassement des divers taux mentionnés aux articles 85.2 et 85.3 de la convention ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que l'inspecteur n'avait pas pris la peine de vérifier si ces taux étaient ou non atteints tandis qu'un dépassement de ceux-ci aurait pu justifier le report d'une partie de la cotisation salariale sur celle de l'employeur, portant de ce fait cette dernière à plus de 60%, sans inviter l'urssaf à présenter ses observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS de même QUE tenu de respecter lui-même le principe du contradictoire, le juge du fond ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que le code du travail n'impose aucune répartition entre employeurs et salariés quant au financement de l'obligation personnelle de maintien de salaire, la cour d'appel, qui n'a pas invité l'urssaf à présenter ses observations sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE le régime de prévoyance institué par accord collectif et assurant un complément aux indemnités journalières se distingue de l'obligation personnelle de maintien de salaire ; qu'en conséquence, les règles afférentes au financement d'un tel régime diffèrent de celles afférentes au financement de ladite obligation ; qu'elles peuvent notamment envisager une règle de répartition du financement entre l'employeur et le salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la question en litige portait sur la prise en charge à 100% des contributions au régime de prévoyance institué par la convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002, en ses articles 85.2 et 85.3 ; qu'en retenant que le code du travail, en ses articles L1226-1 et D1226-1 et suivants, n'envisage aucune répartition entre employeurs et salarié afin de financer l'obligation personnelle de maintien de salaire quand, de son propre constat, la question en litige portait sur le financement d'un régime de prévoyance institué par la norme conventionnelle, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences s'en évinçant, a violé les articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale et 85.2 et 85.3 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée ;
5°) ALORS QUE le motif dubitatif équivaut à une absence de motif ; qu'en retenant, pour annuler le redressement opéré au titre des années 2012 et 2013 que l'absence de redressement pour l'année 2011 « pourrait » s'interpréter comme une validation de la pratique suivie en 2011 qui « rendrait » alors incompréhensible voire même infondé le redressement au titre de 2012 et 2013, « à moins qu'aucun salarié n'ait été en arrêt de travail pour maladie en 2011 », quand le redressement opéré devait être présumé régulier sauf preuve contraire et certaine, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE un redressement décidé à l'issue d'un contrôle, au titre de certaines seulement des années faisant l'objet de celui-ci, ne peut être annulé au seul constat de l'absence de redressement au titre d'une autre desdites années, et ce même si les circonstances étaient identiques au cours de l'ensemble de la période ; qu'en retenant que l'absence de justification de l'absence de redressement au titre de l'année 2011 devait à elle-seule entraîner l'annulation du redressement décidé au titre des années 2012 et 2013, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale ;
7°) ALORS QUE le contrôleur n'est pas tenu de donner, dans la lettre d'observations, les indications détaillées sur chacun des chefs de redressement ou sur le mode de calcul pour les chiffres, qu'il n'a pas davantage à joindre une liste nominative des salariés concernés ; qu'en retenant que la lettre d'observations prenait pour base de calcul la somme de 10 706 euros pour 2012 et de 12 787 euros pour 2013, sans autre précision quant au nombre et à la catégorie des salariés concernés, la cour d'appel a violé l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale ;
8°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en retenant d'une part que la lettre d'observations ne renseignait ni le nombre ni la catégorie des salariés concernés par le redressement, d'autre part que les pièces 6 à 11, desquelles il s'évinçait que la réintégration décidée ne pouvait valoir que pour les salariés non-cadres, venaient contredire les constatations de l'inspecteur, et en en déduisant que la preuve était ainsi rapportée que les éléments de fait ayant servi de base au redressement appliqué sur la totalité des allocations versées aux salariés étaient erronés, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
9 °) ALORS QUE l'urssaf était appelante du jugement entrepris en ce que celui-ci avait annulé les chefs de redressement n° 1 et 2 se rapportant au financement de la prévoyance ; que le premier juge ayant validé le redressement pris en son chef n° 4 afférent à la répartition du financement des allocations complémentaires aux indemnités journalières, seule la société contrôlée avait formé appel incident de ce chef ; qu'en retenant que l'urssaf, bien qu'appelante, n'avait pas fourni d'explications à hauteur d'appel, la cour a ignoré la qualité en laquelle l'urssaf intervenait en cause d'appel et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
10°) ALORS subsidiairement QUE le cotisant admettait que la réintégration était justifiée pour le personnel non-cadre dans la mesure où la réintégration du complément aux indemnités journalières n'avait été effectuée qu'à hauteur de 60% ; qu'en annulant purement et simplement le redressement opéré au motif qu'il n'était pas possible de déterminer s'il l'avait été pour les seuls salariés non-cadres, quand il lui appartenait de valider le redressement en son principe tout en invitant seulement l'urssaf à vérifier son calcul en fonction de la distinction des salariés cadres et non cadres et à ne procéder à la réintégration que pour les seuls cas concernés par un irrespect de la règle de répartition, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. | Selon les articles L. 136-2, II, 4° et 14.1 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, dans leur rédaction applicable au litige, sont incluses dans l'assiette de la contribution sur les revenus d'activité et de remplacement perçue au titre de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance, à l'exception de celles visées au cinquième alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de celles destinées au financement des régimes de retraite visés au I de l'article L. 137-11 du code de la sécurité sociale.
Viole ces textes, la cour d'appel qui décide que les primes versées par l'employeur pour la mise en oeuvre des articles 84 et 85.1 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 ne peuvent pas être considérées comme finançant une opération de prévoyance complémentaire, sans distinguer les contributions de l'employeur finançant l'indemnisation des arrêts de travail de ses salariés résultant de son obligation personnelle légale de maintien du salaire, prévue par les articles L. 1226-1 et D. 1226-1 du code du travail, exonérées de CSG et de CRDS, et celles finançant les prestations complémentaires de prévoyance, soumises à la CSG et à la CRDS |
7,782 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 471 F-B
Pourvoi n° A 20-22.367
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
La société [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 20-22.367 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2020 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Haute-Normandie, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Haute-Normandie, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 21 octobre 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2014 et 2015, l'URSSAF de Haute-Normandie (l'URSSAF) a notifié à la société [4] (la société), le 20 mai 2016, une lettre d'observations visant plusieurs chefs de redressement, suivie d'une mise en demeure. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 3314-4 du code du travail « pour ouvrir droit aux exonérations (
), l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet » ; qu'en vertu de ce texte, l'accord d'intéressement conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet ouvre droit aux exonérations de cotisations sociales ; que le dépôt tardif auprès de la [2] d'un accord d'intéressement régulièrement conclu n'est pas de nature à emporter la perte des droits à exonération, ce de plus fort lorsque l'exercice en cours n'est pas clos au jour de ce dépôt ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que l'accord d'intéressement conclu le 23 septembre 2014 par la société, dont la prise d'effet a été fixée au 1er avril 2014, a bien été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet, c'est-à-dire avant le 1er octobre 2014 ; que la société remplissait en conséquence les conditions pour se voir appliquer les exonérations de cotisations sociales sur intéressement ; que le simple retard de dépôt de cet accord auprès de la [2] ne pouvait à lui seul entraîner la perte de ces droits à exonération ; que pour décider néanmoins que le dépôt de cet accord auprès de la [2] le 15 octobre 2014 privait la société des droits à exonération au titre des exercices en cours, la cour d'appel a considéré que la déclaration tardive de l'accord d'intéressement auprès de la [2] retardait le droit à l'exonération par l'effet de la loi, que l'accord du 23 septembre 2014 était distinct du précédent accord d'intéressement et devait faire l'objet d'un nouveau dépôt, que la jurisprudence citée par la société ne correspondait pas à la situation d'espèce, que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti constituait une condition de fond au bénéfice immédiat de l'exonération, que cette privation du droit à exonération ne constituait pas une mesure de sanction ou de punition, qu'il était indifférent que le retard résulte d'une erreur ou d'une négligence, que la perte du droit à exonération n'était pas définitive et enfin que la position distincte d'autres URSSAF était sans incidence ; qu'en statuant par de tels motifs insusceptibles de justifier la suppression des droits à exonération au titre de l'accord d'intéressement du 23 septembre 2014 dès lors que ce dernier a été conclu par la société dans les délais légaux et a bien fait l'objet d'un dépôt auprès de la [2] au cours de l'exercice en cours, ce qui était de nature à régulariser la situation, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige ;
2°/ qu'en se fondant sur les motifs selon lesquels « il ressort clairement des articles D. 3313-1 et L. 3315-5 précités [du code du travail] que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti pour ce faire est une condition de fond du bénéfice immédiat de l'exonération », cependant que l'article D. 3313-1, qui précise les conditions de dépôt de l'accord d'intéressement, ne fait pas de cet acte une condition d'accès aux exonérations de cotisations et contributions sociales, pas plus que l'article L. 3315-5 du code du travail qui ne porte que sur les droits à exonération au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu et des bénéfices industriels et commerciaux, mais ne porte pas sur les droits à exonération des cotisations et contributions sociales prévus à l'article L. 3312-4 du même code, la cour d'appel a violé les articles D. 3313-1, L. 3315-5, L. 3312-4 et L. 3314-4 du code du travail et l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;
3°/ que selon l'article L. 3315-5 du code du travail « lorsqu'un accord, valide (...) a été conclu ou déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt » ; qu'en application de ce texte, à supposer même que l'absence de dépôt de l'accord d'intéressement dans les délais légaux puisse avoir une incidence sur les droits à exonération de l'intéressement versé, ce droit à exonération est en toute hypothèse ouvert postérieurement à ce dépôt ; qu'en conséquence pour l'exercice allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 le droit à exonération s'appliquait à tout le moins à compter du dépôt de l'accord le 12 novembre 2014 ; qu'en décidant néanmoins de valider le redressement infligé à la société emportant suppression de ses droits à exonération pour l'intégralité de l'exercice courant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et non au titre de la seule période antérieure au dépôt soit du 1er avril au 12 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3315-5, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
3. Il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale, L. 3312-4, L. 3313-3, L. 3314-4, L. 3315-5 et D. 3313-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que pour ouvrir droit aux exonérations de cotisations sur les sommes versées aux salariés à titre d'intéressement, l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet et déposé dans les quinze jours à compter de cette date limite à la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi. Lorsqu'il est déposé hors délai, l'accord n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt.
4. L'arrêt relève que la société a un exercice comptable qui court du 1er avril d'une année au 31 mars de l'année suivante, qu'un accord d'intéressement a été conclu le 14 septembre 2011 couvrant la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014, que le 23 septembre 2014, un nouvel accord d'intéressement a été conclu pour la période allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2017 et qu'en vertu de l'article 2 de cet accord, la période de calcul correspond à l'exercice comptable. Il ajoute que le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet fixée au 1er avril 2014, étant le 1er octobre 2014, l'accord aurait dû être déposé à la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi au plus tard le 15 octobre 2014 alors qu'il ne l'a été que le 12 novembre 2014.
5. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que l'accord n'ouvrait droit aux exonérations de cotisations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt, soit les exercices ouverts à compter du 1er avril 2015, et non pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et que le redressement devait être validé.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et la condamne à payer à l'URSSAF de Haute-Normandie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [4]
La Société [4] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé la décision rendue par la commission de recours amiable le 29 novembre 2017, d'AVOIR confirmé les redressements opérés par l'URSSAF au titre de l'intéressement à hauteur de 367.861 € en cotisations, de l'AVOIR condamnée à payer à l'URSSAF de Haute Normandie les sommes de 367.861 € de cotisations et 39.162 € de majorations de retard au titre des chefs de redressement contestés, et de l'AVOIR déboutée de ses demandes ;
1. ALORS QUE selon l'article L 3314-4 du code du travail « pour ouvrir droit aux exonérations (
), l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet » ; qu'en vertu de ce texte, l'accord d'intéressement conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet ouvre droit aux exonérations de cotisations sociales ; que le dépôt tardif auprès de la [2] d'un accord d'intéressement régulièrement conclu n'est pas de nature à emporter la perte des droits à exonération, ce de plus fort lorsque l'exercice en cours n'est pas clos au jour de ce dépôt ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que l'accord d'intéressement conclu le 23 septembre 2014 par la Société [4], dont la prise d'effet a été fixée au 1er avril 2014, a bien été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet, c'est à dire avant le 1er octobre 2014 ; que la Société [4] remplissait en conséquence les conditions pour se voir appliquer les exonérations de cotisations sociales sur intéressement ; que le simple retard de dépôt de cet accord auprès de la [2] ne pouvait à lui seul entraîner la perte de ces droits à exonération ; que pour décider néanmoins que le dépôt de cet accord auprès de la [2] le 15 octobre 2014 privait la société des droits à exonération au titre des exercices en cours, la cour d'appel a considéré que la déclaration tardive de l'accord d'intéressement auprès de la [2] retardait le droit à l'exonération par l'effet de la loi, que l'accord du 23 septembre 2014 était distinct du précédent accord d'intéressement et devait faire l'objet d'un nouveau dépôt, que la jurisprudence citée par la société ne correspondait pas à la situation d'espèce, que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti constituait une condition de fond au bénéfice immédiat de l'exonération, que cette privation du droit à exonération ne constituait pas une mesure de sanction ou de punition, qu'il était indifférent que le retard résulte d'une erreur ou d'une négligence, que la perte du droit à exonération n'était pas définitive et enfin que la position distincte d'autres URSSAF était sans incidence (arrêt p. 4 et 5) ; qu'en statuant par de tels motifs insusceptibles de justifier la suppression des droits à exonération au titre de l'accord d'intéressement du 23 septembre 2014 dès lors que ce dernier a été conclu par la société [4] dans les délais légaux et a bien fait l'objet d'un dépôt auprès de la [2] au cours de l'exercice en cours, ce qui était de nature à régulariser la situation, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige ;
2. ALORS QU'en se fondant sur les motifs selon lesquels « il ressort clairement des articles D. 3313-1 et L. 3315-5 précités [du code du travail] que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti pour ce faire est une condition de fond du bénéfice immédiat de l'exonération » (arrêt p. 5 § 2), cependant que l'article D. 3313-1, qui précise les conditions de dépôt de l'accord d'intéressement, ne fait pas de cet acte une condition d'accès aux exonérations de cotisations et contributions sociales, pas plus que l'article L. 3315-5 du code du travail qui ne porte que sur les droits à exonération au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu et des bénéfices industriels et commerciaux, mais ne porte pas sur les droits à exonération des cotisations et contributions sociales prévus à l'article L. 3312-4 du même code, la cour d'appel a violé les articles D. 3313-1, L. 3315-5, L. 3312-4 et L. 3314-4 du code du travail et l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;
3. ALORS ET A TITRE SUBSIDIAIRE QUE selon l'article L. 3315-5 du code du travail « Lorsqu'un accord, valide (...) a été conclu ou déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt » ; qu'en application de ce texte, à supposer même que l'absence de dépôt de l'accord d'intéressement dans les délais légaux puisse avoir une incidence sur les droits à exonération de l'intéressement versé, ce droit à exonération est en toute hypothèse ouvert postérieurement à ce dépôt ; qu'en conséquence pour l'exercice allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 le droit à exonération s'appliquait à tout le moins à compter du dépôt de l'accord le 12 novembre 2014 ; qu'en décidant néanmoins de valider le redressement infligé à la société emportant suppression de ses droits à exonération pour l'intégralité de l'exercice courant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et non au titre de la seule période antérieure au dépôt soit du 1er avril au 12 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3315-5, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige. | Il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale, L. 3312-4, L. 3313-3, L. 3314-4, L. 3315-5 et D. 3313-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que pour ouvrir droit aux exonérations de cotisations sur les sommes versées aux salariés à titre d'intéressement, l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet et déposé dans les quinze jours à compter de cette date limite à la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi. Lorsqu'il est déposé hors délai, l'accord n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt |
7,783 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 479 F-B
Pourvoi n° N 20-18.077
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
La société [5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 20-18.077 contre l'arrêt n° RG : 17/01841 rendu le 25 mai 2020 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
L'URSSAF d'Aquitaine a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [5], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 mai 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2007 à 2009, l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF) a notifié à la société [5] (la société) une lettre d'observations du 6 septembre 2010 comportant 14 chefs de redressement, suivie d'une mise en demeure.
2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle et l'irrégularité de la mise en demeure ainsi que la contestation portant sur le poste numéro 2 intitulé « contribution sur les indemnités de mise à la retraite d'office », alors :
« 3°/ que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable – et l'inobservation de la formalité de l'avis préalable de contrôle prévue par l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale entraîne la nullité du contrôle et du redressement subséquent sans que soit exigée la preuve d'un préjudice (Civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25.781) ; qu'en estimant que, devant la commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien-fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
4°/ que le cotisant qui a saisi la commission de recours amiable de contestations relatives au bien-fondé d'un redressement notifié par une mise en demeure, est recevable à invoquer ultérieurement, devant la juridiction de sécurité sociale, la nullité de cette mise en demeure, peu important qu'il ne l'ait pas soulevée à l'occasion du recours amiable (Civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-10.919, Bull. n° 235) ; qu'en effet, la nullité d'une mise en demeure, pour absence de ses mentions obligatoires concernant les cotisations réclamées, constitue une défense au fond et peut être proposée en tout état de cause, conformément à l'article 72 du code de procédure civile (Soc., 5 décembre 1996, n° 95-10.567, Bull. n° 428) ; qu'en estimant que, devant la commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien-fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'URSSAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec la thèse antérieurement soutenue par la société qui avait prétendu, devant les juges du fond, qu'elle était recevable à invoquer la nullité de la mise en demeure dont elle avait déjà contesté la régularité devant la commission de recours amiable.
6. Cependant le moyen tiré de la violation des articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale n'est pas incompatible avec la thèse antérieurement soutenue par la société.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, dès lors qu'ils concernent les chefs de redressement préalablement contestés.
9. Pour rejeter la demande d'annulation du redressement, l'arrêt relève que sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable et que tel est le cas des contestations de forme portant sur l'envoi préalable d'un avis de contrôle et la régularité de la mise en demeure. Il précise aussi que le recours amiable de la société portait exclusivement sur la prescription des réclamations concernant l'année 2007 et sur le bien-fondé du chef de redressement portant le numéro 11 intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victime de l'amiante) » pour en déduire que la contestation du chef de redressement numéro 2 intitulé « contribution sur les indemnités à la retraite d'office », qui portait sur l'année 2007, est irrecevable pour ne pas avoir été soumise à la commission de recours amiable.
10. En statuant ainsi, alors que la société, qui n'avait pas limité son recours amiable au seul chef de redressement numéro 11 mais contestait aussi les chefs de redressement susceptibles d'être atteints par la prescription, était recevable à invoquer ultérieurement devant la juridiction de sécurité sociale l'inobservation de la formalité de l'avis préalable et la nullité de la mise en demeure au soutien de sa contestation de ces mêmes chefs de redressement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation du chef du dispositif de l'arrêt critiqué par le second moyen qui valide le redressement opéré par l'URSSAF, sous le numéro 11 intitulé « CSG et CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante) », lequel s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande d'annulation des chefs de redressement antérieurement contestés devant la commission de recours amiable fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle et l'irrégularité de la mise en demeure ainsi que la contestation portant sur le poste numéro 2 intitulé « contribution sur les indemnités de mise à la retraite d'office » et valide le redressement opéré par l'URSSAF, sous le numéro 11 intitulé « CSG et CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante) », l'arrêt rendu le 25 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne l'URSSAF d'Aquitaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF d'Aquitaine et la condamne à payer à la société [5] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société [5]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la demande de la société [5], d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle, et l'irrégularité de la mise en demeure et d'AVOIR déclaré irrecevable la contestation formée par la société [5] portant sur le poste numéro 2 de la lettre de redressement, intitulé « contribution sur les indemnités de mise à la retraite d'office » ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur les contestations de forme Pour la première fois devant la cour, la société contrôlée, pour conclure à l'annulation du redressement, conteste la régularité du contrôle, qu'il s'agisse de l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle, ou de la régularité de la mise en demeure. Les parties sont en désaccord à la fois sur la recevabilité de ces moyens, et sur leur bien fondé. Sur la recevabilité de la contestation du contrôle en la forme Au visa des dispositions de l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale, et de décisions de jurisprudence, l'URSSAF estime la contestation irrecevable, faute d'avoir été soumise à la commission de recours amiable, observant que les seules contestations formées par la société contrôlée devant cette commission, portaient sur : – la prescription des réclamations pour l'année 2007, – le chef de redressement numéro 11 dans la lettre d'observations, intitulé « CSG CRDS sur les revenus de l'amiante ». Au contraire, la société contrôlée renvoie à la lecture de la lettre de réclamation portée devant la commission de recours amiable, soutenant que les mentions qu'elle contient, notamment en ce qu'elles visent les mises en demeure, sont de nature à établir que son recours portait réclamation à l'encontre des mises en demeure, sans qu'elle n'ait à développer ses moyens de contestation du redressement. Par ailleurs, elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'admission des moyens développés après la saisine de la commission de recours amiable. Il convient de statuer. La commission de recours amiable a été saisie le 2 mars 2011. Il résulte des dispositions de l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige (en vigueur du 14 décembre 2006 au 10 septembre 2012), que : « Les réclamations relevant de l'article L. 142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme (
) ». Il n'est ni contesté ni contestable, ainsi que s'en prévaut l'appelante, que l'étendue de la saisine de la commission de recours amiable, se détermine au regard du contenu de la lettre de réclamation, même en l'absence de motivation de la réclamation. De même, il est admis que les moyens nouveaux qui n'auraient pas été développés devant la commission de recours amiable, mais qui viendraient au soutien de la réclamation, sont recevables. En revanche, sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable (étant observé que les deux décisions jurisprudentielles contraires, datées de 2006, et produites par l'appelante, ne reflètent pas l'état actuel de la jurisprudence). Tel est le cas des présentes contestations de forme, portant sur l'envoi préalable d'un avis de contrôle, et la régularité de la mise en demeure. En effet, la lecture de la lettre de réclamation présentée par la société contrôlée à la commission de recours amiable, permet d'affirmer que, si elle fait référence à la mise en demeure qui lui a été adressée, ce n'est pas pour en contester la régularité, mais simplement pour définir le cadre du contrôle, la contestation portait exclusivement sur : > la prescription des réclamations concernant l'année 2007, > le chef de redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
» > s'agissant du point numéro 11 de la lettre d'observations, lequel était exclusivement contesté au fond. Tout autre lecture, et notamment celle qu'en fait l'appelante, reviendrait à dénaturer les termes et le contenu de la lettre de réclamation présentée à la commission de recours amiable. La demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF, et l'irrégularité de la mise en demeure, seront déclarées irrecevables, sans examen au fond. S'agissant de la contestation du poste numéro 2 de la lettre de redressement, intitulé « contribution sur les indemnités de mise à la retraite d'office » L'URSSAF soulève l'irrecevabilité de cette contestation, faute d'avoir été soumise à la commission de recours amiable, et observe en outre à juste titre, qu'une telle contestation est sans objet, dès lors que ce chef de redressement portait seulement sur l'année 2007, les réclamations à ce titre ayant été jugé prescrites. Il est renvoyé aux développements du paragraphe précédent, pour juger cette demande irrecevable, dès lors que cette contestation n'a pas été soumise à la commission de recours amiable » ;
1) ALORS QUE l'évolution de la jurisprudence (CE 21 mars 2007 n° 284586 [J]) conduit à retenir que le cotisant ou l'assuré social qui entend contester une décision prise par un organisme social peut invoquer devant la juridiction de sécurité sociale tout moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours devant la Commission de recours amiable, dès lors que ce moyen est relatif au même litige que celui dont avait été saisie la Commission de recours amiable ; que la cour d'appel a retenu que « sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable – tel est le cas des présentes contestations de forme, portant sur l'envoi préalable d'un avis de contrôle, et la régularité de la mise en demeure – en effet, la lecture de la lettre de réclamation présentée par la société contrôlée à la commission de recours amiable, permet d'affirmer que, si elle fait référence à la mise en demeure qui lui a été adressée, ce n'est pas pour en contester la régularité, mais simplement pour définir le cadre du contrôle, la contestation portait exclusivement sur la prescription des réclamations concernant l'année 2007, le chef de redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
» s'agissant du point numéro 11 de la lettre d'observations, lequel était exclusivement contesté au fond » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
2) ALORS QUE le cotisant ou l'assuré social peuvent invoquer devant la juridiction de sécurité sociale d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, tant qu'il n'en résulte pas une modification de l'objet du litige ; que la demande d'annulation d'un redressement, fondée sur l'absence d'envoi d'un avis préalable de contrôle par l'URSSAF, et celle fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure, présentées pour la première fois devant la juridiction de sécurité sociale, ne modifient pas l'objet du litige qui s'était noué devant la Commission de recours amiable et qui portait déjà sur le bien-fondé du redressement ou de certains chefs de redressement ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour en déduire qu'il serait irrecevable à solliciter devant le juge l'annulation du redressement pour absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF ou en raison de l'irrégularité de la mise en demeure ou pour un autre chef du redressement, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS subsidiairement QUE le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable – et l'inobservation de la formalité de l'avis préalable de contrôle prévue par l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale entraîne la nullité du contrôle et du redressement subséquent sans que soit exigée la preuve d'un préjudice (Civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25.781) ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
4) ALORS QUE le cotisant qui a saisi la commission de recours amiable de contestations relatives au bien-fondé d'un redressement notifié par une mise en demeure, est recevable à invoquer ultérieurement, devant la juridiction de sécurité sociale, la nullité de cette mise en demeure, peu important qu'il ne l'ait pas soulevée à l'occasion du recours amiable (Civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-10.919, Bull. n° 235) ; qu'en effet, la nullité d'une mise en demeure, pour absence de ses mentions obligatoires concernant les cotisations réclamées, constitue une défense au fond et peut être proposée en tout état de cause, conformément à l'article 72 du code de procédure civile (Soc., 5 décembre 1996, n° 95-10.567, Bull. n° 428) ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
5) ALORS QUE l'étendue de la saisine de la commission de recours amiable d'un organisme de sécurité sociale se détermine au regard du contenu de la lettre de réclamation ; que la commission de recours amiable est saisie de la contestation portant sur le bien-fondé d'un redressement, même en l'absence de motivation de la réclamation ; qu'à plus forte raison, elle est saisie de la contestation portant sur le bien-fondé d'un redressement, lorsque la réclamation est motivée, ne serait-ce que sur certains chefs de redressement ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF » ainsi que celle portant sur un autre chef du redressement, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
6) ALORS QUE le droit d'accès à un tribunal doit être concret et effectif ; que la Commission de recours amiable n'est pas une juridiction et ses décisions sont dépourvues de tout caractère juridictionnel ; qu'ainsi elle n'est pas tenue de rendre une décision – son silence gardé deux mois équivaut une décision implicite de rejet – et lorsqu'elle prend une décision, elle n'est pas tenue de respecter le contradictoire, ni même de répondre à toute les demandes dont elle est saisie par le cotisant ou l'assuré social ; qu'en conséquence, le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable ; que la cour d'appel retient que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que la prescription des réclamations concernant 2007 et le bien fondé d'un chef du redressement intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante)
», pour en déduire qu'il serait irrecevable à solliciter devant le juge l'annulation du redressement pour absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF ou en raison de l'irrégularité de la mise en demeure et qu'il serait également irrecevable à contester le bien-fondé d'un autre chef du redressement intitulé « contribution sur les indemnités de mise à la retraite d'office » ; qu'en érigeant ainsi une barrière procédurale et un formalisme excessif privant le cotisant d'un accès concret et effectif à la juridiction de sécurité sociale – d'autant que le cotisant n'a jamais été préalablement informé de l'irrecevabilité de ses demandes devant la juridiction de sécurité sociale, faute d'avoir été préalablement soutenues devant la Commission de recours amiable – la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
7) ALORS en tout état de cause QUE la Commission de recours amiable a été saisie par une lettre stipulant « J'ai l'honneur de saisir votre Commission de Recours Amiable dans l'intérêt de la société [5] (RCS 409 160 117) pour la mise en demeure adressée selon courrier en date du 2 février 2011 et faisant référence à deux mises en demeure, jointes audit courrier, datées l'une et l'autre du 17 décembre 2010 sous les numéros de créances : 002110777 et 002110778 pour des montants en principal de 810.424 € et 44.533 € ... » ; que, dans la première partie de cette lettre, le cotisant contestait avoir reçu les deux mises en demeure du 17 décembre 2010 ; qu'en estimant que le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement devant la Commission de recours amiable et que, si elle fait référence à la mise en demeure qui lui a été adressée, ce n'est pas pour en contester la régularité, la cour d'appel a méconnu l'interdiction pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé justifié et validé pour les années 2008 et 2009, le redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 11, intitulé « CSG et CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante) », mais seulement à concurrence de la somme totale 118 554 € ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Sur le poste intitulé « CSG-CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante) », figurant à la lettre d'observations sous le numéro 11 Il est expressément renvoyé à la lettre d'observations, par laquelle, au visa des textes applicables, l'URSSAF rappelle notamment que les avantages que l'employeur peut être amené à verser ou à maintenir aux salariés en situation de préretraite, avantages pouvant prendre diverses formes (allocation et/ou prise en charge par l'employeur de certaines cotisations dues par le préretraité), présentent la même nature que le revenu principal qu'ils viennent compléter, et sont : > soumis à ce titre à la CSG et à la CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal, > soumis à une cotisation d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès à la charge exclusive du bénéficiaire, dont la prise en charge par l'employeur donne lieu à l'application d'un taux de cotisation variable ainsi qu'il suit : >> avantages servis en application de dispositions conventionnelles : taux de 1,70 %, porté à 4,90 % pour les personnes fiscalement domiciliées lors de France, >> avantages servis en vertu d'une décision unilatérale : taux de 1 %, > soumis à une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité, prévue par l'article L 137-10 II modifié à compter du 11 octobre 2007, par l'article 16 de la loi du 19 décembre 2007, et en conséquence applicable aux salariés dont la préretraite ou la cessation anticipée d'activité, est effective à compter du 11 octobre 2007, et dont le taux de contribution à la charge de l'employeur est fixé à 50 % Les inspecteurs du recouvrement ont constaté : qu'un plan social et un protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie, conclus en octobre 2000, permettaient l'adhésion à un dispositif de préretraite : > des salariés répondant à certaines conditions, en vue d'un départ au plus tard le 30 juin 2003, > d'autres salariés, volontaires âgés de 52 ans révolus au 30 juin 2003, justifiant d'au moins 10 années d'ancienneté dans le groupe [6], sous réserve de certaines conditions, que le protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie prévoyait expressément la prise en charge par l'employeur de la totalité des cotisations (parts ouvrières et parts patronales) à : - l'assurance volontaire, invalidité vieillesse, veuvage, - au régime de retraite [4] et [3], - au régime de prévoyance. Or, ils ont constaté que ces prises en charge par l'employeur n'avaient pas été soumises aux contributions CSG/CRDS, cotisations maladie et contributions patronales sur les allocations de préretraite. C'est au cas par cas, selon la date de départ des salariés concernés, de l'assiette de la contribution et du taux applicable, qu'ils déclarent avoir procédé au redressement réclamé pour les sommes suivantes : 186 621 € pour l'année 2008, 152 101 € pour l'année 2009. La société contrôlée, appelante, ne conteste pas que la part salariale de 0 à 65 % (correspondant au pourcentage du salaire reçu par le salarié pendant sa préretraite), prise en charge par l'employeur, constitue un avantage de préretraite soumis à cotisations, et soutient qu'elle s'en est acquittée. En revanche, elle estime que la portion de 65 à 100 % de la part salariale prise en charge par l'employeur, est une mesure à caractère indemnitaire prise dans le cadre d'un plan social, afin de compenser la perte de droits à la retraite complémentaire pour le salarié, et à ce titre, ne doit pas entrer dans l'assiette des cotisations. Ainsi, pour contester le redressement litigieux, elle soutient que : a - les inspecteurs du recouvrement ont à tort intégré dans l'assiette des cotisations, la part supplémentaire des cotisations prises en charge par l'employeur de 65 à 100 %, b - ils n'ont pas tenu compte des cotisations spontanément acquittées par l'employeur, sur la part de 0 à 65 % des cotisations prises en charge, c - ils n'ont en tout état de cause, pas donné à l'employeur, les éléments nécessaires et suffisants à lui permettre d'opérer les vérifications qui s'imposaient sur le redressement lequel comportait en toute hypothèse des taux inappropriés, d - le dispositif critiqué par application des dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, créerait en outre une atteinte au principe de sécurité juridique, devant être censuré, conformément à la décision du conseil constitutionnel, numéro 2015-498 du 20 novembre 2015, ayant pour partie censuré les dispositions de l'article L 137-11 du code de la sécurité sociale telles qu'issues de l'article 17 de la loi du 22 décembre 2014 L'URSSAF s'y oppose par des conclusions au détail desquelles il est renvoyé. a - sur l'assiette des cotisations Le redressement est opéré, tout particulièrement en application des dispositions de l'article L 132-10 du code de la sécurité sociale, dont la rédaction a évolué dans le temps ainsi qu'il suit : > la version originelle créée par la loi numéro 2003-775 du 21 août 2003, article 17, prévoit notamment que : « I. - Il est institué, à la charge des employeurs et au profit du Fonds de solidarité vieillesse mentionné à l'article L. 135-1, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité versés, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers, en vertu d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. II. - Le taux de cette contribution est égal à la somme des taux des cotisations, à la charge de l'employeur et du salarié, prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 241-3 du présent code ou au II de l'article L. 741-9 du code rural pour les employeurs relevant du régime agricole et du taux de cotisation, à la charge de l'employeur et du salarié, sous plafond du régime complémentaire conventionnel légalement obligatoire régi par le livre IX. III... IV.... » et que les dispositions du I du présent article étaient applicables aux avantages versés en vertu soit d'une convention, d'un accord collectif ou de toute autre stipulation contractuelle conclu après le 27 mai 2003, soit d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date. > La version issue de la loi numéro 2007-1786 du 19 décembre 2007, article 16, prévoit que : « l. - Il est institué, à la charge des employeurs et au profit de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité versés, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers, en vertu d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. II. - Le taux de cette contribution est fixé à 50 %. III... IV.... ». La société contrôlée ne conteste pas que la contribution qu'elle verse sur les avantages de préretraite pour la part de 0 à 65 %, doit être comprise dans l'assiette de calcul des cotisations réclamées par l'URSSAF. Pour le surplus, elle estime que sa contribution ne doit pas être comprise dans l'assiette de calcul des cotisations réclamées par l'URSSAF, au motif que les sommes ainsi versées auraient une nature indemnitaire. Cette analyse n'est pas conforme aux éléments du dossier. En effet, une indemnité, consiste à réparer purement et simplement un préjudice. Il n'est ni contesté ni contestable, que dès lors que le salarié préretraité ne perçoit plus que 65 % de son salaire, il ne cotise que sur cette fraction de salaire, ce qui minore d'autant ses droits à retraite. Cependant, la prise en charge par l'employeur, des cotisations salariales et patronales, sur la part de salaire qui n'est plus versée au salarié préretraité (35 %), ne vient nullement réparer la perte de ses droits à la retraite. Il n'est pas davantage soutenu ou démontré, qu'elle viendrait réparer la cessation d'activité, la baisse de rémunération, ou un quelconque autre préjudice. Il s'agit en réalité d'un mécanisme non indemnitaire, pris en charge par l'employeur, destiné à permettre au salarié préretraité, nonobstant sa cessation d'activité, et sa baisse de rémunération, de financer les cotisations qu'il aurait dû verser s'il avait poursuivi son activité, pour le financement de ses droits à retraite, alors même que ces droits à retraite « différentielle », dont il n'est ni soutenu ni démontré qu'ils se confondraient avec les cotisations prises en charge par l'employeur, ne seront liquides qu'ultérieurement et par un tiers. Il s'agit donc bien d'une forme d'avantages de préretraite versés à d'anciens salariés par l'employeur, et soumise en tant que telle à la contribution prévue par l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale. Il s'en déduit que la prise en charge par l'employeur des cotisations litigieuses, n'a pas une nature indemnitaire, et qu'en conséquence, la contestation de la société contrôlée n'est pas fondée, étant en outre observé que les décisions jurisprudentielles produites par la société contrôlée, et prétendument destinées à asseoir sa position, sont totalement indifférentes à la solution du présent litige, et ne viennent aucunement contredire la présente analyse. b-Sur le montant des sommes réclamées L'employeur soutient que le redressement opéré, porte sur la totalité de sa contribution, alors qu'il s'est déjà acquitté de ses cotisations pour la part de sa contribution de 0 à 65 %. L'URSSAF, par ses dernières conclusions (page 16), ne le conteste pas, puisqu'elle fait valoir que l'inspecteur de l'URSSAF aurait bien pris en considération le fait que « l'employeur avait déjà pris en charge les cotisations qui lui revenaient, sur la part patronale comprise entre 0 et 65 % de l'allocation », soutenant que les régularisations opérées ne reprennent pas ces rubriques. Cette explication de l'URSSAF ne coïncide pas avec les éléments du dossier, puisqu'en effet, la lettre d'observations relève que l'employeur a pris à sa charge la totalité des cotisations, qu'il s'agisse de la part salariale de la part de l'employeur, si bien que le redressement doit porter sur la totalité, et non seulement sur la « part patronale », contrairement à ce qu'expose URSSAF dans ses conclusions. Par ailleurs, force est de constater, que ni la lettre d'observations, ni la réponse apportée par l'URSSAF à la société contrôlée le 18 octobre 2010, ni les décomptes produits sous sa pièce numéro 10, prétendument destinés à éclairer ce point de contestation, ne permettent de déterminer quelles sont les « cotisations déclarées par l'employeur », sur la base desquelles le redressement a été opéré par l'URSSAF. Il s'en déduit, que le redressement, ne sera jugé justifié, qu'à concurrence des sommes chiffrées par l'employeur, de façon détaillée aux pièces de son dossier, et ce sans observation de la part de l'URSSAF, soit la sonline de 118 554 €, décomposée ainsi : - année 2008 : 65 318 € (22 240 € (part salariale) plus 43 078 € (part patronale)), - année 2009 : 53 236 € (17 316 € (part salariale) + 35 920 € (part patronale)). 3 - Sur la rupture d'égalité dans les charges publiques L'appelante se prévaut d'une décision numéro 2015-498 du 20 novembre 2015 du conseil constitutionnel relative à l'article L 137-11 du code de la sécurité sociale, pour soutenir que le chef de redressement devrait être annulé, en ce que ses dispositions créeraient « une rupture caractérisée de l'égalité dans les charges publiques ». L'article L 137-11 du code de la sécurité sociale, n'a pas été appliqué à la cause. Il n'est pas davantage explicité en quoi les dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale appliqué à la cause, créeraient une rupture caractérisée de l'égalité dans les charges publiques, ni à quel titre la présente juridiction, en l'absence de saisine d'une question prioritaire de constitutionnalité, pourrait statuer à cet égard. Il s'en déduit que ce moyen est inopérant » ;
AUX MOTIFS à les supposer ADOPTÉS QUE : « la loi du 21 août 2003 a institué à la charge des employeurs, une contribution assise sur les avantages de préretraite versées dans le cadre de dispositifs mis en place en application d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. Qu'au sein de la SOCIETE [5], un plan social établi courant 2000 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2001, 2002 et du 1er semestre 2003. Que cet accord en ce qu'il était antérieur au 27 mai 2003 ne rentrait pas dans le champ d'application des nouvelles dispositions de l'article L 137-10 du Code de la Sécurité Sociale. Que cependant le champ d'application de la contribution patronale en ce qu'il a été étendu par l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale du 19 décembre 2007, aux avantages de préretraite d'entreprise versés à compter du 11 octobre 2007, en application d'une convention ou d'un accord conclu avant le 28 mai 2003 avec un taux porté à 50 %, à vocation à s'appliquer pour les avantages qui en relèvent. Que de même il a été aussi constaté alors que la SOCIETE [5] relève à compter du 1er janvier 2007 de l'article L.137-10 du Code de la Sécurité Sociale eu égard au chef de redressement précédent que ces mêmes prises en charge n'ont pas été soumises à contributions patronales sur l'allocation de préretraite alors que ladite contribution comme l'a tranché la Cour de Cassation en son arrêt du 10 juillet 2014 vise l'ensemble des avantages de préretraite versés par l'employeur, soit non seulement l'avantage principal de préretraite (allocation) mais également les avantages accessoires que représentent la prise en charge par l'employeur des cotisations dues par ses anciens salariés. Que ce faisant, le redressement opéré au titre de l'année 2008 et 2009 sera déclaré régulier au titre de la contribution patronale particulière aux préretraites d'entreprise compte tenu aussi de l'exacte application des taux qui, en fonction des dates auxquelles les avantages ont été servis aux anciens salariés, ont été retenus par l'URSSAF. Attendu que lors du contrôle, il a été également constaté que dans le cadre du plan social établi, l'employeur prenait en charge la totalité (parts ouvrières et patronales) des cotisations relatives à l'assurance volontaire, invalidité, vieillesse et veuvage, aux régimes de retraites [4] et [3], aux régimes de prévoyance. Que ces prises en charge n'ont pas été soumises notamment aux contributions CSG/CRDS et cotisations maladies alors qu'elles présentent la même nature que le revenu principal qu'elles viennent compléter et sont soumises à ce titre à la CSG et CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal ainsi qu'il en résulte des dispositions des articles L.131-2 alinéa 2 et L.138-2 du Code de la Sécurité Sociale et de l'arrêt de la Cour de Cassation du 19 juin 2008, étant précisé que les arrêts versés par la SOCIETE [5] ne peuvent être retenus comme relevant de situations autres que celle en la cause. Que par ailleurs s'agissant du montant, il est relevé que pour chacune des cotisations appelées, maladie, CSG/CRDS, contribution préretraite, il a été appliqué selon les périodes de versement et allocation et des dates de départ en retraite des salariés, les taux de cotisations et les assiettes correspondants comme il a été distingué entre les rubriques de paie où la société avait déjà acquitté la contribution de préretraite de celle où elle ne l'avait pas été de sorte que sur le principe comme sur le montant, ce chef de redressement sera validé. Qu'en son principe, le redressement dont s'agit est donc validé » ;
1) ALORS QUE, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef ayant déclaré irrecevable la demande de la société [5], d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle, et l'irrégularité de la mise en demeure, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef ayant jugé justifié et validé pour les années 2008 et 2009, le redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 11, intitulé « CSG et CRDS sur les revenus de remplacement (hors victimes de l'amiante) », mais seulement à concurrence de la somme totale 118 554 € ;
2) ALORS QUE durant l'exécution du contrat de travail, l'employeur, tenu de verser sa contribution et de précompter celle du salarié, est seul redevable des cotisations et, sous sa responsabilité personnelle, de leur versement à l'organisme social ; que, si durant l'exécution du contrat de travail, le salarié n'a pas la qualité de cotisant, il ne l'acquiert pas d'avantage, après la rupture de son contrat de travail, lorsque l'employeur continue de verser aux organismes sociaux les cotisations sociales assises sur une préretraite d'entreprise ; que celui-ci demeure seul redevable des cotisations et de leur versement à l'organisme social et ces cotisations sociales ne constituent donc pas un « avantage de préretraite » au sens de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale ; qu'en effet, elles ne sont pas « versées au salarié directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; qu'en outre, elles permettent au salarié de se constituer des droits sociaux, en particulier des droits à retraite dont il ne bénéficiera qu'au moment de la liquidation de celle-ci, c'est-à-dire une fois que sera achevée sa préretraite ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituaient un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte ;
3) ALORS QUE « l'avantage de préretraite » de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale est « versé, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; que les cotisations sociales versées par l'employeur aux organismes sociaux sur la préretraite servie au salarié ne constituent pas un « avantage de préretraite » ; que le salarié serait même irrecevable – pour défaut de qualité – à réclamer à son employeur ou à l'organisme social que ceux-ci lui restituent ces cotisations sociales qui ne sont jamais entrées dans son patrimoine ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituent un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF d'Aquitaine
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté l'URSSAF AQUITAINE de sa demande de condamnation de la société [5] au paiement du solde de ses cotisations ;
ALORS QUE, tenus par les termes du litige, les juges doivent tenir pour constant un fait non contesté par la partie adverse ; qu'en retenant que l'URSSAF réclamait la condamnation de la société au paiement d'un solde mais qu'à défaut pour sa demande d'être justifiée il ne pouvait y faire droit quand l'existence de ce solde n'était pas contesté par la société, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, dès lors qu'ils concernent des chefs de redressement préalablement contestés.
Le cotisant qui n'a pas limité son recours amiable au seul chef de redressement examiné par la cour d'appel mais contestait aussi les chefs de redressement susceptibles d'être atteints par la prescription, était recevable à invoquer ultérieurement devant la juridiction de sécurité sociale, l'inobservation de la formalité de l'avis préalable et la nullité de la mise en demeure au soutien de sa contestation de ces mêmes chefs de redressement |
7,784 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 480 F-B
Pourvoi n° P 20-18.078
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
La société [6], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-18.078 contre l'arrêt n° RG : 17/01840 rendu le 25 mai 2020 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [6], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 mai 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2007 à 2009, l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF) a notifié à la société [6] (la société) une lettre d'observations comportant plusieurs chefs de redressement, suivie d'une mise en demeure.
2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle et l'irrégularité de la mise en demeure, alors :
« 3°/ que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable – et l'inobservation de la formalité de l'avis préalable de contrôle prévue par l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale entraîne la nullité du contrôle et du redressement subséquent sans que soit exigée la preuve d'un préjudice (Civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25.781) ; qu'en estimant que, devant la commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien-fondé de deux chefs de redressement, pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
4°/ que le cotisant qui a saisi la commission de recours amiable de contestations relatives au bien-fondé d'un redressement notifié par une mise en demeure, est recevable à invoquer ultérieurement, devant la juridiction de sécurité sociale, la nullité de cette mise en demeure, peu important qu'il ne l'ait pas soulevée à l'occasion du recours amiable (Civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-10.919, Bull. n° 235) ; qu'en effet, la nullité d'une mise en demeure, pour absence de ses mentions obligatoires concernant les cotisations réclamées, constitue une défense au fond et peut être proposée en tout état de cause, conformément à l'article 72 du code de procédure civile (Soc., 5 décembre 1996, n° 95-10.567, Bull. n° 428) ; qu'en estimant que, devant la commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien-fondé de deux chefs de redressement, pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. L'URSSAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec la thèse antérieurement soutenue par la société qui avait prétendu, devant les juges du fond, qu'elle était recevable à invoquer la nullité de la mise en demeure dont elle avait déjà contesté la régularité devant la commission de recours amiable.
5. Cependant le moyen tiré de la violation des articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale n'est pas incompatible avec la thèse antérieurement soutenue par la société.
6. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, dès lors qu'ils concernent les chefs de redressement préalablement contestés.
8. Lorsque le cotisant invoque des moyens de nullité susceptibles d'affecter le redressement dans son entier alors qu'il avait limité sa contestation devant la commission de recours amiable à certains chefs seulement, le litige ne peut être étendu aux autres chefs mais il appartient au juge d'examiner la pertinence de ces moyens de nullité au regard des chefs de redressement déjà contestés.
9. Pour rejeter la demande d'annulation du redressement fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle de l'URSSAF et l'irrégularité de la mise en demeure, l'arrêt relève que sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable et que tel est le cas des contestations de forme portant sur ces points.
10. En statuant ainsi, alors que la société était recevable à invoquer devant la juridiction de sécurité sociale, l'inobservation de la formalité de l'avis préalable et la nullité de la mise en demeure au soutien de sa contestation des chefs de redressement déjà soumise à la commission de recours amiable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt critiqué par les deuxième et troisième moyens qui valident le redressement opéré par l'URSSAF, sous les numéros 9 intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité » et 10, intitulé « avantages de préretraite octroyés par l'employeur », lesquels s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne l'URSSAF d'Aquitaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF d'Aquitaine et la condamne à payer à la société [6] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société [6]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable la demande de la société [6], d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle, et l'irrégularité de la mise en demeure ;
AUX MOTIFS QUE : « Sur les contestations de forme Pour la première fois devant la cour, la société contrôlée, pour conclure à l'annulation du redressement, conteste la régularité du contrôle, qu'il s'agisse de l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle, ou de la régularité de la mise en demeure. Les parties sont en désaccord à la fois sur la recevabilité de ces moyens, et sur leur bien fondé. Sur la recevabilité de la contestation du contrôle en la forme Au visa des dispositions de l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale, et de décisions de jurisprudence, l'URSSAF estime la contestation irrecevable, faute d'avoir été soumise à la commission de recours amiable, observant que les seules contestations formées par la société contrôlée devant cette commission, portaient sur : – le chef de redressement numéro 10 dans la lettre d'observations, intitulé « avantages de préretraite octroyés par l'employeur », – le chef de redressement numéro 9 dans la lettre d'observations, intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité ». Au contraire, la société contrôlée renvoie à la lecture de la lettre de réclamation portée devant la commission de recours amiable, soutenant que les mentions qu'elle contient, notamment en ce qu'elles visent la mise en demeure, sont de nature à établir que son recours portait réclamation à l'encontre de la mise en demeure, sans qu'elle n'ait à développer ses moyens de contestation du redressement. Par ailleurs, elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'admission des moyens développés après la saisine de la commission de recours amiable. Il convient de statuer. Il sera rappelé qu'en application des dispositions de l'article 123 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, constitue une fin de non-recevoir, pouvant être proposée en tout état de cause, si bien qu'il est indifférent que l'URSSAF ne se soit pas prévalue de ce moyen devant le premier juge. La commission de recours amiable a été saisie le 2 décembre 2010. Il résulte des dispositions de l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige (en vigueur du 14 décembre 2006 au 10 septembre 2012), que : « Les réclamations relevant de l'article L. 142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme. Il n'est ni contesté ni contestable, ainsi que s'en prévaut l'appelante, que l'étendue de la saisine de la commission de recours amiable, se détermine au regard du contenu de la lettre de réclamation, même en l'absence de motivation de la réclamation. De même, il est admis que les moyens nouveaux qui n'auraient pas été développés devant la commission de recours amiable, mais qui viendraient au soutien de la réclamation, sont recevables. En revanche, sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable (étant observé que les deux décisions jurisprudentielles contraires, datées de 2006, et produites par l'appelante, ne reflètent pas l'état actuel de la jurisprudence). Tel est le cas des présentes contestations de forme, portant sur l'envoi préalable d'un avis de contrôle, et la régularité de la mise en demeure. En effet, la lecture de la lettre de réclamation présentée par la société contrôlée à la commission de recours amiable, permet d'affirmer que les contestations ne portaient que sur le fond du redressement, et nullement sur la forme. Ainsi, : – si elle fait référence à la mise en demeure qui lui a été adressée, ce n'est pas pour en contester la régularité, mais simplement pour définir le cadre du contrôle, – la contestation portait exclusivement sur : > le chef de redressement numéro 10 dans la lettre d'observations, intitulé « avantages de préretraite octroyés par l'employeur », > le chef de redressement numéro 9 dans la lettre d'observations, intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité ». Le fait que par une formule de style, il ait été écrit en introduction de la réclamation, après avoir rappelé la mise en demeure destinée à poser le cadre dans lequel le contrôle a été effectué, « cette mise en demeure est principalement contestée sur deux chefs de redressement
», n'est pas de nature à permettre de retenir une quelconque réclamation de forme de l'employeur, relative à la régularité de la mise en demeure. Tout autre lecture, et notamment celle qu'en fait l'appelante, reviendrait à dénaturer le contenu de la réclamation présentée à la commission de recours amiable. La demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF, et l'irrégularité de la mise en demeure, seront déclarées irrecevables, sans examen au fond. » ;
1) ALORS QUE l'évolution de la jurisprudence (CE 21 mars 2007 n° 284586 [K]) conduit à retenir que le cotisant ou l'assuré social qui entend contester une décision prise par un organisme social peut invoquer devant la juridiction de sécurité sociale tout moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours devant la Commission de recours amiable, dès lors que ce moyen est relatif au même litige que celui dont avait été saisie la Commission de recours amiable ; que la cour d'appel a retenu que « sont irrecevables les contestations qui n'ont pas été soumises à la commission de recours amiable – tel est le cas des présentes contestations de forme, portant sur l'envoi préalable d'un avis de contrôle, et la régularité de la mise en demeure – en effet, la lecture de la lettre de réclamation présentée par la société contrôlée à la commission de recours amiable, permet d'affirmer que les contestations ne portaient que sur le fond du redressement, et nullement sur la forme » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
2) ALORS QUE le cotisant ou l'assuré social peuvent invoquer devant la juridiction de sécurité sociale d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, tant qu'il n'en résulte pas une modification de l'objet du litige ; que la demande d'annulation d'un redressement, fondée sur l'absence d'envoi d'un avis préalable de contrôle par l'URSSAF, et celle fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure, présentées pour la première fois devant la juridiction de sécurité sociale, ne modifient pas l'objet du litige qui s'était noué devant la Commission de recours amiable et qui portait déjà sur le bien fondé du redressement ou de certains chefs de redressement ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement, pour en déduire qu'il serait irrecevable à solliciter devant le juge l'annulation du redressement pour absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF ou en raison de l'irrégularité de la mise en demeure, la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS subsidiairement QUE le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable – et l'inobservation de la formalité de l'avis préalable de contrôle prévue par l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale entraîne la nullité du contrôle et du redressement subséquent sans que soit exigée la preuve d'un préjudice (Civ. 2, 30 novembre 2017, n° 16-25.781) ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement, pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
4) ALORS QUE le cotisant qui a saisi la commission de recours amiable de contestations relatives au bien-fondé d'un redressement notifié par une mise en demeure, est recevable à invoquer ultérieurement, devant la juridiction de sécurité sociale, la nullité de cette mise en demeure, peu important qu'il ne l'ait pas soulevée à l'occasion du recours amiable (Civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-10.919, Bull. n° 235) ; qu'en effet, la nullité d'une mise en demeure, pour absence de ses mentions obligatoires concernant les cotisations réclamées, constitue une défense au fond et peut être proposée en tout état de cause, conformément à l'article 72 du code de procédure civile (Soc., 5 décembre 1996, n° 95-10.567, Bull. n° 428) ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement, pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'irrégularité de la mise en demeure », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
5) ALORS QUE l'étendue de la saisine de la commission de recours amiable d'un organisme de sécurité sociale se détermine au regard du contenu de la lettre de réclamation ; que la commission de recours amiable est saisie de la contestation portant sur le bien-fondé d'un redressement, même en l'absence de motivation de la réclamation ; qu'à plus forte raison, elle est saisie de la contestation portant sur le bien-fondé d'un redressement, lorsque la réclamation est motivée, ne serait-ce que sur certains chefs de redressement ; qu'en estimant que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement, pour déclarer « irrecevable, sans examen au fond, la demande d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF », la cour d'appel a violé les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
6) ALORS QUE le droit d'accès à un tribunal doit être concret et effectif ; que la Commission de recours amiable n'est pas une juridiction et ses décisions sont dépourvues de tout caractère juridictionnel ; qu'ainsi elle n'est pas tenue de rendre une décision – son silence passé deux mois équivaut une décision implicite de rejet – et lorsqu'elle le fait, elle n'est pas tenue de respecter le contradictoire, ni même de répondre à toute les demandes dont elle est saisie par le cotisant ou l'assuré social ; qu'en conséquence, le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable ; que la cour d'appel retient que, devant la Commission de recours amiable, le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement, pour en déduire qu'il serait irrecevable à solliciter devant le juge l'annulation du redressement pour absence d'envoi préalable d'un avis de contrôle par l'URSSAF ou en raison de l'irrégularité de la mise en demeure ; qu'en érigeant ainsi une barrière procédurale et un formalisme excessif privant le cotisant d'un accès concret et effectif à la juridiction de sécurité sociale – d'autant que le cotisant n'a jamais été préalablement informé de l'irrecevabilité de ses demandes devant la juridiction de sécurité sociale, faute d'avoir été préalablement soutenues devant la Commission de recours amiable – la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale ;
7) ALORS en tout état de cause QUE la Commission de recours amiable a été saisie par une lettre stipulant « J'ai l'honneur de saisir votre Commission de Recours Amiable dans l'intérêt de la société TOTAL EXPLORATION ET PRODUCTION France (RCS [N° SIREN/SIRET 3]) pour la mise en demeure en référence d'un montant total de 1.219.124 € en cotisations en principal pour un redressement portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009. Cette mise en demeure est principalement contestée sur deux chefs de redressement pour lesquels la société [5] a fait parvenir aux contrôleurs, à la suite de leur lettre d'observations du 6 septembre 2010, des motifs de contestations par courrier du 8 octobre 2010 que vous trouverez ci-joint (
) Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous prions, Monsieur le Président, de bien vouloir reconsidérer la position par l'organisme et annuler en conséquence l'ensemble des chefs de redressement ci-dessus considérés, en principal et cotisation » ; qu'en estimant que le cotisant n'avait contesté que le bien fondé de deux chefs du redressement devant la Commission de recours amiable, la cour d'appel a méconnu l'interdiction pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société [6], de sa contestation du redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 9, intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité » et réclamé par la mise en demeure à concurrence de la somme totale de 623 014 €, d'AVOIR jugé ce poste de redressement justifié pour le tout ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « II/ Sur les contestations au fond Le redressement des deux postes contestés au fond par la société contrôlée, relève des mêmes textes applicables, si ce n'est que le redressement du poste numéro 9, concerne les salariés en préretraite pour la période du 1er janvier au 10 octobre 2007, alors que le poste numéro 10, concerne les salariés en préretraite à compter du 10 octobre 2007, et jusqu'au 31 décembre 2009. Il est en conséquence et de façon commune à ces deux contestations, expressément renvoyé à la lettre d'observations, par laquelle au visa des textes applicables, l'URSSAF rappelle notamment que les avantages que l'employeur peut être amené à verser ou à maintenir aux salariés en situation de préretraite, avantages pouvant prendre diverses formes (allocation et/ou prise en charge par l'employeur de certaines cotisations dues par le préretraité), présentent la même nature que le revenu principal qu'ils viennent compléter, et sont : > soumis à ce titre à la CSG et à la CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal, > soumis à une cotisation d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès à la charge exclusive du bénéficiaire, dont la prise en charge par l'employeur donne lieu à l'application d'un taux de cotisation variable ainsi qu'il suit : >> avantages servis en application de dispositions conventionnelles : taux de 1,70 %, porté à 4,90 % pour les personnes fiscalement domiciliées hors de France, >> avantages servis en vertu d'une décision unilatérale : taux de 1 %, >> soumis à une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité, prévue par l'article L 137-10 II du code de la sécurité sociale. À cet égard, l'URSSAF rappelle l'évolution législative dans le temps, et tout particulièrement, ainsi qu'il sera plus amplement développé ; – que l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, a été créé par la loi numéro 2003-775 du 21 août 2003, ayant institué à la charge des employeurs, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activités versés sous quelque forme que ce soit, directement par l'employeur ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers en vertu d'une convention, d'un accord collectif, ou de toute autre stipulation contractuelle conclue après le 27 mai 2003, ou d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date, à des salariés dont le contrat est rompu, – que ce texte a été modifié par l'article 16 de la loi numéro 2007-1786 du 19 septembre 2007, à compter du 11 octobre 2007, s'agissant de son champ d'application, et de la définition du taux de la contribution. 2-1 S'agissant de la contestation du poste numéro 9 de la lettre de redressement, intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité » Les inspecteurs du recouvrement ont constaté que : – dans le cadre d'un plan social établi en avril 2003, les salariés répondant à certaines conditions pouvaient demander à adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003 à 2006, – un avenant, signé le 30 novembre 2005, prolonge les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007 à 2010, – dans le cadre de ce plan social et de son avenant, les allocations et avantages de préretraite versés aux salariés partis entre le 1er janvier 2007 (date de prise d'effet de l'avenant) et le 10 octobre 2007 (date de changement des textes), sont assujettis à la contribution, – l'employeur ne s'est pas acquitté de cette contribution. C'est au vu de ce constat qu'ils ont opéré régularisation, à concurrence de la somme totale de 623 014 €, détaillée en page 20 de la lettre d'observations, selon le résumé suivant concernant l'établissement de [Localité 4] : Cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF : 2007 : 131 285 €, et contributions recouvrées par les URSSAF des commandes 2008 : 271 937 €, 2009 : 219 792 €, Cotisations et contributions recouvrées par le régime de l'assurance-chômage : néant. Pour contester le redressement, et en solliciter l'annulation, l'employeur fait valoir que : – les cotisations et avantages de retraite litigieux, doivent être rattachés à l'accord collectif originel conclu au mois d'avril 2003, faisant valoir ainsi que les dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale ne trouvent pas à s'appliquer, – la mise en oeuvre des dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, créerait une rupture d'égalité dans les charges publiques et un non-respect du principe de sécurité juridique. L'URSSAF s'y oppose. a – Sur la date de l'accord Le premier juge n'est pas contredit en ce qu'il a retenu que : – un plan social établi en avril 2003 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003 à 2006, – cet accord, en ce qu'il était antérieur au 27 mai 2003, ne rentrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, – l'article 18 du protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie, stipulait « que les parties conviennent de se revoir avant la fin de l'année 2005 pour renégocier un protocole de départ anticipé, qui tiendra compte de la réévaluation des équilibres besoin/ressources en personnel de la société », – le 30 novembre 2005, était signé un avenant numéro 2 au protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie du 18 avril 2003, avec pour objet de proroger les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010. Ainsi, conformément à l'analyse du premier juge qui sera confirmé, cet avenant, en ce qu'il a été conclu le 30 novembre 2005, après renégociation distincte entre les parties, au vu d'éléments actualisés et donc nouveaux (réévaluation des équilibres besoin ressource en personnel de la société), en ce qu'il s'applique à des périodes différentes, ne peut être daté que du jour de sa conclusion, et non à une date antérieure, soit à la date du 30 novembre 2005, postérieure au 27 mai 2003, et justifiant l'application des dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale. L'appelante n'explicite pas en quoi la pratique de l'URSSAF serait contraire aux dispositions de la circulaire numéro DSS/SB/2008/66 du 25 février 2008. La contestation de la société contrôlée est jugée non fondée. b – Sur la rupture d'égalité dans les charges publiques et le non-respect du principe de sécurité juridique L'appelante se prévaut d'une décision numéro 2015-498 du 20 novembre 2015 du conseil constitutionnel relative à l'article L 137-11 du code de la sécurité sociale, pour soutenir que le chef de redressement devrait être annulé, en ce que ses dispositions créeraient « une rupture caractérisée de l'égalité dans les charges publiques et un non respect du principe de sécurité juridique ». L'article L 137-11 du code de la sécurité sociale, n'a pas été appliqué à la cause. Il n'est pas davantage explicité en quoi les dispositions de l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale appliqué à la cause, créeraient une rupture caractérisée de l'égalité dans les charges publiques, ne respecterait pas le principe de sécurité juridique, ni à quel titre la présente juridiction, en l'absence de saisine d'une question prioritaire de constitutionnalité, pourrait statuer à cet égard. Il s'en déduit que ce moyen est inopérant. Le premier juge sera confirmé, en ce qu'il a rejeté les contestations et validées le redressement s'agissant du poste numéro de la lettre d'observations intitulé « contribution sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité » ;
AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE : « Sur la contribution sur les avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation d'activité : Attendu que la loi du 21 août 2003 a institué à la charge des employeurs, une contribution assise sur les avantages de préretraite versées dans le cadre de dispositifs mis en place en application d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. Que cette même loi, précisait en son article 17 que les dispositions susvisées sont applicables aux avantages versés en vertu soit d'une convention, d'un accord collectif ou de toute autre stipulation contractuelle conclu après le 27 mai 2003, soit d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date. Qu'au sein de la SOCIETE [5], un plan social établi en avril 2003 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003, 2004, 2005 et 2006. Que cet accord en ce qu'il était antérieur au 27 mai 2003 ne rentrait pas dans le champ d'application des nouvelles dispositions de l'article L. 137-10 du Code de la Sécurité Sociale. Que ce protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie, en son article 18, stipulait que les parties conviennent de se revoir avant la fin de l'année 2005 pour renégocier un protocole de départ anticipé, qui tiendra compte de la réévaluation des équilibres besoins/ressources en personnel de la société. Que le 30 novembre 2005 était signé, un avenant N°2 au protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie du 18 avril 2003 avec pour objet de proroger les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010. Que cet avenant s'il prolonge la durée d'application du dispositif de préretraite précédent ne saurait pour autant se confondre avec ce dernier en ce qu'il a été conclu après renégociation distincte entre les parties et qu'il s'applique sur des périodes différentes. Qu'ainsi cet avenant signé le 30 novembre 2005 a pris effet au 1er janvier 2007 de sorte que conclu postérieurement au 27 mai 2003, les avantages de préretraite comme versés en application d'une stipulation contractuelle postérieure au 27 mai 2003 sont en effet soumis à la contribution de l'article L.137-10 du Code de la Sécurité Sociale conformément à l'arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2014. Que de plus le champ d'application de la contribution patronale en ce qu'il a été étendu par l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale du 19 décembre 2007, aux avantages de préretraite d'entreprise versés à compter du 11 octobre 2007, en application d'une convention ou d'un accord conclu avant le 28 mai 2003 avec un taux porté à 50 %, à vocation à s'appliquer pour les avantages qui en relèvent. Que ce faisant, le redressement opéré au titre de l'année 2007, 2008, et 2009 sera déclaré régulier au titre de la contribution patronale particulière aux préretraites d'entreprise compte tenu aussi de l'exacte application des taux qui, en fonction des dates auxquelles les avantages ont été servis aux anciens salariés, ont été retenus par l'URSSAF. Sur les avantages de préretraite octroyés par l'employeur : Attendu que lors du contrôle, il a été constaté que dans le cadre du plan social établi, l'employeur prenait en charge la totalité (parts ouvrières et patronales) des cotisations relatives à l'assurance volontaire, invalidité, vieillesse et veuvage, aux régimes de retraites ARRCO et AGIRC, aux régimes de prévoyance. Que ces prises en charge n'ont pas été soumises notamment aux contributions CSG/CRDS et cotisations maladies alors qu'elles présentent la même nature que le revenu principal qu'elles viennent compléter et sont soumises à ce titre à la CSG et CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal ainsi qu'il en résulte des dispositions des articles L.131-2 alinéa 2 et L.138-2 du Code de la Sécurité Sociale et de l'arrêt de la Cour de Cassation du 19 juin 2008, étant précisé que les arrêts versés par la SOCIETE [5] ne peuvent être retenus comme relevant de situations autres que celle en la cause. Que de même il a été aussi constaté alors que la SOCIETE [5] relève à compter du 1er janvier 2007 de l'article L.137-10 du Code de la Sécurité Sociale eu égard au chef de redressement précédent que ces mêmes prises en charge n'ont pas été soumises à contributions patronales sur l'allocation de préretraite alors que ladite contribution comme l'a tranché la Cour de Cassation en son arrêt du 10 juillet 2014 vise l'ensemble des avantages de préretraite versés par l'employeur, soit non seulement l'avantage principal de préretraite (allocation) mais également les avantages accessoires que représentent la prise en charge par l'employeur des cotisations dues par ses anciens salariés. Qu'en son principe, le redressement dont s'agit est donc validé. Que par ailleurs s'agissant du montant, il est relevé que pour chacune des cotisations appelées, maladie, CSG/CRDS, contribution préretraite, il a été appliqué selon les périodes de versement et allocation et des dates de départ en retraite des salariés, les taux de cotisations et les assiettes correspondants comme il a été distingué entre les rubriques de paie où la société avait déjà acquitté la contribution de préretraite de celle où elle ne l'avait pas été de sorte que sur le principe comme sur le montant, ce chef de redressement sera validé » ;
1) ALORS QUE, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef ayant déclaré irrecevable la demande de la société [6], d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle, et l'irrégularité de la mise en demeure, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef l'ayant débouté de sa contestation du redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 9, intitulé « contributions sur avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation anticipée d'activité » et réclamé par la mise en demeure à concurrence de la somme totale de 623 014 €, et jugé ce poste de redressement justifié pour le tout ;
2) ALORS QUE la prorogation d'un accord collectif ne fait pas naître un nouvel accord collectif ; qu'elle permet de modifier le terme initialement convenu de l'accord collectif à durée déterminée en le reportant à une date ultérieure, de sorte que c'est bien le même accord collectif qui se poursuit ; que la cour d'appel a constaté, d'une part, « qu'un plan social établi en avril 2003 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003 à 2006 » et d'autre part que « le 30 novembre 2005, était signé un avenant numéro 2 au protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie du 18 avril 2003, avec pour objet de proroger les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010 » ; que la cour d'appel en a déduit que « cet avenant s'il prolonge la durée d'application du dispositif de préretraite précédent ne saurait pour autant se confondre avec ce dernier en ce qu'il a été conclu après renégociation distincte entre les parties et qu'il s'applique sur des périodes différentes » et qu'il « ne peut être daté que du jour de sa conclusion, et non à une date antérieure, soit à la date du 30 novembre 2005, postérieure au 27 mai 2003, et justifiant l'application des dispositions de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale » ; que ne tirant par les conséquences de ses constatations – qui mettent en évidence que l'avenant du 30 novembre 2005 n'est pas la conclusion d'un nouvel accord collectif mais qu'il n'est que la prorogation de celui de 2003 dont il prolonge les effets – la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien, devenu 1103 et 1104 nouveaux du code civil, l'article L. 132-6 ancien, devenu L. 2222-4 du code du travail, ensemble l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS QUE l'avenant n°2 du 30 novembre 2005 stipule que « les parties se sont engagées, par protocole d'accord du 18 avril 2003 dans un dispositif de préretraite choisie
par disposition de l'article 18 dudit protocole, les parties sont convenues d'une prorogation de ce dispositif à négocier
une prorogation du dispositif de préretraite choisie permet le départ anticipé d'un certain nombre de salariés travaillant en journée normale, réduisant ainsi l'écart exprimé entre les ressources et les besoins – l'objet du présent avenant est de proroger selon les mêmes termes le dispositif de départs anticipés pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010 » ; qu'en retenant que cet avenant aurait fait naître un nouvel accord collectif, distinct de l'accord collectif de 2003, la cour d'appel a violé le protocole d'accord du 18 avril 2003 et l'avenant n°2 du 30 novembre 2005 ;
4) ALORS QUE durant l'exécution du contrat de travail, l'employeur, tenu de verser sa contribution et de précompter celle du salarié, est seul redevable des cotisations et, sous sa responsabilité personnelle, de leur versement à l'organisme social ; que, si durant l'exécution du contrat de travail, le salarié n'a pas la qualité de cotisant, il ne l'acquiert pas d'avantage, après la rupture de son contrat de travail, lorsque l'employeur continue de verser aux organismes sociaux les cotisations sociales assises sur une préretraite d'entreprise ; que celui-ci demeure seul redevable des cotisations et de leur versement à l'organisme social et ces cotisations sociales ne constituent donc pas un « avantage de préretraite » au sens de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale ; qu'en effet, elles ne sont pas « versées au salarié directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; qu'en outre, elles permettent au salarié de se constituer des droits sociaux, en particulier des droits à retraite dont il ne bénéficiera qu'au moment de la liquidation de celle-ci, c'est-à-dire une fois que sera achevée sa préretraite ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituaient un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte ;
5) ALORS QUE « l'avantage de préretraite » de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale est « versé, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; que les cotisations sociales versées par l'employeur aux organismes sociaux sur la préretraite servie au salarié ne constituent pas un « avantage de préretraite » ; que le salarié serait même irrecevable – pour défaut de qualité – à réclamer à son employeur ou à l'organisme social que ceux-ci lui restituent ces cotisations sociales qui ne sont jamais entrées dans son patrimoine ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituent un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé infondée en son principe, la contestation de la société [6], portant sur le poste de redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 10, intitulé « Avantages de préretraite octroyés par l'employeur » ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « II/ Sur les contestations au fond Le redressement des deux postes contestés au fond par la société contrôlée, relève des mêmes textes applicables, si ce n'est que le redressement du poste numéro 9, concerne les salariés en préretraite pour la période du 1er janvier au 10 octobre 2007, alors que le poste numéro 10, concerne les salariés en préretraite à compter du 10 octobre 2007, et jusqu'au 31 décembre 2009. Il est en conséquence et de façon commune à ces deux contestations, expressément renvoyé à la lettre d'observations, par laquelle au visa des textes applicables, l'URSSAF rappelle notamment que les avantages que l'employeur peut être amené à verser ou à maintenir aux salariés en situation de préretraite, avantages pouvant prendre diverses formes (allocation et/ou prise en charge par l'employeur de certaines cotisations dues par le préretraité), présentent la même nature que le revenu principal qu'ils viennent compléter, et sont : > soumis à ce titre à la CSG et à la CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal, > soumis à une cotisation d'assurance maladie, maternité, invalidité, décès à la charge exclusive du bénéficiaire, dont la prise en charge par l'employeur donne lieu à l'application d'un taux de cotisation variable ainsi qu'il suit : >> avantages servis en application de dispositions conventionnelles : taux de 1,70 %, porté à 4,90 % pour les personnes fiscalement domiciliées hors de France, >> avantages servis en vertu d'une décision unilatérale : taux de 1 %, >> soumis à une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité, prévue par l'article L 137-10 II du code de la sécurité sociale. À cet égard, l'URSSAF rappelle l'évolution législative dans le temps, et tout particulièrement, ainsi qu'il sera plus amplement développé ; – que l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, a été créé par la loi numéro 2003-775 du 21 août 2003, ayant institué à la charge des employeurs, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activités versés sous quelque forme que ce soit, directement par l'employeur ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers en vertu d'une convention, d'un accord collectif, ou de toute autre stipulation contractuelle conclue après le 27 mai 2003, ou d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date, à des salariés dont le contrat est rompu, – que ce texte a été modifié par l'article 16 de la loi numéro 2007-1786 du 19 septembre 2007, à compter du 11 octobre 2007, s'agissant de son champ d'application, et de la définition du taux de la contribution (...) 2-2- S'agissant de la contestation du poste numéro 10 de la lettre d'observations intitulé « Avantages de préretraite octroyés par l'employeur » Les inspecteurs du recouvrement ont constaté que : – dans le cadre d'un plan social établi en avril 2003, les salariés répondant à certaines conditions pouvaient demander à adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003 à 2006, – cet accord prévoit également la prise en charge par l'employeur de la totalité (part ouvrière et part patronale) des cotisations : > à l'assurance volontaire, invalidité, vieillesse et veuvage, > au régime de retraite Arrco et Agirc, > au régime de prévoyance. Or, ils ont constaté que ces prises en charge par l'employeur n'avaient pas été soumises aux contributions CSG/CRDS, cotisations maladie et contributions patronales sur les allocations de préretraite. C'est au cas par cas, selon la date de départ des salariés concernés, de l'assiette de la contribution et du taux applicable, qu'ils déclarent avoir procédé au redressement réclamé pour un total de 523 214 €, concernant l'établissement de [Localité 4], résumé ainsi qu'il suit : Cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF – 68 496 €, pour les salariés partis à compter du 10 octobre 2007 et jusqu'au 31 octobre 2007 – 184 466 €, pour l'année 2008, – 270 252 €, pour l'année 2009. La société contrôlée, appelante, ne conteste pas que la part salariale de 0 à 65 % (correspondant au pourcentage du salaire reçu par le salarié pendant sa préretraite), prise en charge par l'employeur, constitue un avantage de préretraite soumis à cotisations, et soutient qu'elle s'en est acquittée. En revanche, elle estime que la portion de 65 à 100 % de la part salariale prise en charge par l'employeur, est une mesure à caractère indemnitaire prise dans le cadre d'un plan social, afin de compenser la perte de droits à la retraite complémentaire pour le salarié, et à ce titre, ne doit pas entrer dans l'assiette des cotisations. Ainsi, pour contester le redressement litigieux, elle soutient que : a – les inspecteurs du recouvrement ont à tort intégré dans l'assiette des cotisations, la part supplémentaire des cotisations prises en charge par l'employeur de 65 à 100 %, b – ils n'ont pas tenu compte des cotisations spontanément acquittées par l'employeur, sur la part de 0 à 65 % des cotisations prises en charge, c – ils n'ont en tout état de cause, pas donné à l'employeur, les éléments nécessaires et suffisants à lui permettre d'opérer les vérifications qui s'imposaient sur le redressement lequel comportait en toute hypothèse des taux inappropriés. L'URSSAF s'y oppose par des conclusions au détail desquelles il est renvoyé. a – sur l'assiette des cotisations Le redressement est opéré, tout particulièrement en application des dispositions de l'article L 132-10 du code de la sécurité sociale, dont la rédaction a évolué dans le temps ainsi qu'il suit : > la version originelle créée par la loi numéro 2003-775 du 21 août 2003, article 17, prévoit notamment que : « I. – Il est institué, à la charge des employeurs et au profit du Fonds de solidarité vieillesse mentionné à l'article L. 135-1, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité versés, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers, en vertu d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur, II. – Le taux de cette contribution est égal à la somme des taux des cotisations, à la charge de l'employeur et du salarié, prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 241-3 du présent code ou au ll de l'article L. 741-9 du code rural pour les employeurs relevant du régime agricole et du taux de cotisation, à la charge de l'employeur et du salarié, sous plafond du régime complémentaire conventionnel légalement obligatoire régi par le livre IX. III
IV
» et que les dispositions du I du présent article étaient applicables aux avantages versés en vertu soit d'une convention, d'un accord collectif ou de toute autre stipulation contractuelle conclu après le 27 mai 2003, soit d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date. > La version issue de la loi numéro 2007-1786 du 19 décembre 2007, article 16, prévoit que : « I.- Il est institué, à la charge des employeurs et au profit de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, une contribution sur les avantages de préretraite ou de cessation anticipée d'activité versés, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers, en vertu d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. II.- Le taux de cette contribution est fixé à 50 %. III
IV
» La société contrôlée ne conteste pas que la contribution qu'elle verse sur les avantages de préretraite pour la part de 0 à 65 %, doit être comprise dans l'assiette de calcul des cotisations réclamées par l'URSSAF. Pour le surplus, elle estime que sa contribution ne doit pas être comprise dans l'assiette de calcul des cotisations réclamées par l'URSSAF, au motif que les sommes ainsi versées auraient une nature indemnitaire. Cette analyse n'est pas conforme aux éléments du dossier. En effet, une indemnité, consiste à réparer purement et simplement un préjudice. Il n'est ni contesté ni contestable, que dès lors que le salarié préretraité ne perçoit plus que 65 % de son salaire, il ne cotise que sur cette fraction de salaire, ce qui minore d'autant ses droits à retraite. Cependant, la prise en charge par l'employeur, des cotisations salariales et patronales, sur la part de salaire qui n'est plus versée au salarié préretraité (35 %), ne vient nullement réparer la perte de ses droits à la retraite. Il n'est pas davantage soutenu ou démontré, qu'elle viendrait réparer la cessation d'activité, la baisse de rémunération, ou un quelconque autre préjudice. Il s'agit en réalité d'un mécanisme non indemnitaire, pris en charge par l'employeur, destiné à permettre au salarié préretraité, nonobstant sa cessation d'activité, et sa baisse de rémunération, de financer les cotisations qu'il aurait dû verser s'il avait poursuivi son activité, pour le financement de ses droits à retraite, alors même que ces droits à retraite « différentielle », dont il n'est ni soutenu ni démontré qu'ils se confondraient avec les cotisations prises en charge par l'employeur, ne seront liquidés qu'ultérieurement et par un tiers. Il s'agit donc bien d'une forme d'avantages de préretraite versés à d'anciens salariés par l'employeur, et soumise en tant que telle à la contribution prévue par l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale. Il s'en déduit que la prise en charge par l'employeur des cotisations litigieuses, n'a pas une nature indemnitaire, et qu'en conséquence, la contestation de la société contrôlée n'est pas fondée, étant en outre observé que les décisions jurisprudentielles produites par la société contrôlée, et prétendument destinées à asseoir sa position, sont totalement indifférentes à la solution du présent litige, et ne viennent aucunement contredire la présente analyse. b – Sur le montant des sommes réclamées L'employeur soutient que le redressement opéré, porte sur la totalité de sa contribution, alors qu'il s'est déjà acquitté de ses cotisations pour la part de sa contribution de 0 à 65 %. L'URSSAF, par ses dernières conclusions (page 19), ne le conteste pas, puisqu'elle fait valoir que l'inspecteur de l'URSSAF aurait bien pris en considération le fait que « l'employeur avait déjà pris en charge les cotisations qui lui revenaient, sur la part patronale comprise entre 0 et 65 % de l'allocation », soutenant que les régularisations opérées ne reprennent pas ces rubriques. Cette explication de l'URSSAF ne coïncide pas avec les éléments du dossier, puisqu'en effet, la lettre d'observations relève que l'employeur a pris à sa charge la totalité des cotisations, qu'il s'agisse de la part salariale de la part de l'employeur, si bien que le redressement doit porter sur la totalité, et non seulement sur la « part patronale », contrairement à ce qu'expose URSSAF dans ses conclusions. Par ailleurs, force est de constater, que ni la lettre d'observations, ni la réponse apportée par l'URSSAF à la société contrôlée le 25 octobre 2010, ni les décomptes produits sous sa pièce numéro 9, prétendument destinés à éclairer ce point de contestation, ne permettent de déterminer quelles sont les « cotisations déclarées par l'employeur », sur la base desquelles le redressement a été opéré par l'URSSAF. Il convient en conséquence, d'ordonner la réouverture des débats, pour permettre à l'URSSAF de produire des décomptes détaillés, permettant de vérifier si les sommes dont il est constant que l'employeur les a versées au titre de la contribution prévue par l'article L 137-10 du code de la sécurité sociale, ont bien été prises en compte par l'URSSAF. » ;
AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE : « Sur la contribution sur les avantages de préretraite d'entreprise ou de cessation d'activité : Attendu que la loi du 21 août 2003 a institué à la charge des employeurs, une contribution assise sur les avantages de préretraite versées dans le cadre de dispositifs mis en place en application d'une convention, d'un accord collectif, de toute autre stipulation contractuelle ou d'une décision unilatérale de l'employeur. Que cette même loi, précisait en son article 17 que les dispositions susvisées sont applicables aux avantages versés en vertu soit d'une convention, d'un accord collectif ou de toute autre stipulation contractuelle conclu après le 27 mai 2003, soit d'une décision unilatérale de l'employeur postérieure à cette même date. Qu'au sein de la SOCIETE [5], un plan social établi en avril 2003 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003, 2004, 2005 et 2006. Que cet accord en ce qu'il était antérieur au 27 mai 2003 ne rentrait pas dans le champ d'application des nouvelles dispositions de l'article L. 137-10 du Code de la Sécurité Sociale. Que ce protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie, en son article 18, stipulait que les parties conviennent de se revoir avant la fin de l'année 2005 pour renégocier un protocole de départ anticipé, qui tiendra compte de la réévaluation des équilibres besoins/ressources en personnel de la société. Que le 30 novembre 2005 était signé, un avenant N°2 au protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie du 18 avril 2003 avec pour objet de proroger les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010. Que cet avenant s'il prolonge la durée d'application du dispositif de préretraite précédent ne saurait pour autant se confondre avec ce dernier en ce qu'il a été conclu après renégociation distincte entre les parties et qu'il s'applique sur des périodes différentes. Qu'ainsi cet avenant signé le 30 novembre 2005 a pris effet au 1er janvier 2007 de sorte que conclu postérieurement au 27 mai 2003, les avantages de préretraite comme versés en application d'une stipulation contractuelle postérieure au 27 mai 2003 sont en effet soumis à la contribution de l'article L.137-10 du Code de la Sécurité Sociale conformément à l'arrêt de la Cour de Cassation du 10 juillet 2014. Que de plus le champ d'application de la contribution patronale en ce qu'il a été étendu par l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale du 19 décembre 2007, aux avantages de préretraite d'entreprise versés à compter du 11 octobre 2007, en application d'une convention ou d'un accord conclu avant le 28 mai 2003 avec un taux porté à 50 %, à vocation à s'appliquer pour les avantages qui en relèvent. Que ce faisant, le redressement opéré au titre de l'année 2007, 2008, et 2009 sera déclaré régulier au titre de la contribution patronale particulière aux préretraites d'entreprise compte tenu aussi de l'exacte application des taux qui, en fonction des dates auxquelles les avantages ont été servis aux anciens salariés, ont été retenus par l'URSSAF. Sur les avantages de préretraite octroyés par l'employeur : Attendu que lors du contrôle, il a été constaté que dans le cadre du plan social établi, l'employeur prenait en charge la totalité (parts ouvrières et patronales) des cotisations relatives à l'assurance volontaire, invalidité, vieillesse et veuvage, aux régimes de retraites ARRCO et AGIRC, aux régimes de prévoyance. Que ces prises en charge n'ont pas été soumises notamment aux contributions CSG/CRDS et cotisations maladies alors qu'elles présentent la même nature que le revenu principal qu'elles viennent compléter et sont soumises à ce titre à la CSG et CRDS dans les mêmes conditions et au même taux que le revenu principal ainsi qu'il en résulte des dispositions des articles L.131-2 alinéa 2 et L.138-2 du Code de la Sécurité Sociale et de l'arrêt de la Cour de Cassation du 19 juin 2008, étant précisé que les arrêts versés par la SOCIETE [5] ne peuvent être retenus comme relevant de situations autres que celle en la cause. Que de même il a été aussi constaté alors que la SOCIETE [5] relève à compter du 1er janvier 2007 de l'article L.137-10 du Code de la Sécurité Sociale eu égard au chef de redressement précédent que ces mêmes prises en charge n'ont pas été soumises à contributions patronales sur l'allocation de préretraite alors que ladite contribution comme l'a tranché la Cour de Cassation en son arrêt du 10 juillet 2014 vise l'ensemble des avantages de préretraite versés par l'employeur, soit non seulement l'avantage principal de préretraite (allocation) mais également les avantages accessoires que représentent la prise en charge par l'employeur des cotisations dues par ses anciens salariés. Qu'en son principe, le redressement dont s'agit est donc validé. Que par ailleurs s'agissant du montant, il est relevé que pour chacune des cotisations appelées, maladie, CSG/CRDS, contribution préretraite, il a été appliqué selon les périodes de versement et allocation et des dates de départ en retraite des salariés, les taux de cotisations et les assiettes correspondants comme il a été distingué entre les rubriques de paie où la société avait déjà acquitté la contribution de préretraite de celle où elle ne l'avait pas été de sorte que sur le principe comme sur le montant, ce chef de redressement sera validé » ;
1) ALORS QUE, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef ayant déclaré irrecevable la demande de la société [6], d'annulation du redressement, fondée sur l'absence d'envoi préalable par l'URSSAF d'un avis de contrôle, et l'irrégularité de la mise en demeure, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef l'ayant jugé infondée en son principe, la contestation de la société [6], portant sur le poste de redressement opéré par l'URSSAF dans la lettre d'observations du 6 septembre 2010, sous le numéro 10, intitulé « Avantages de préretraite octroyés par l'employeur » ;
2) ALORS QUE la prorogation d'un accord collectif ne fait pas naître un nouvel accord collectif ; qu'elle permet de modifier le terme initialement convenu de l'accord collectif à durée déterminée en le reportant à une date ultérieure, de sorte que c'est bien le même accord collectif qui se poursuit ; que la cour d'appel a constaté, d'une part, « qu'un plan social établi en avril 2003 permettait aux salariés répondant à certaines conditions de pouvoir adhérer à un régime de préretraite choisie, en vue d'un départ en préretraite au cours des années 2003 à 2006 » et d'autre part que « le 30 novembre 2005, était signé un avenant numéro 2 au protocole d'accord relatif au dispositif de préretraite choisie du 18 avril 2003, avec pour objet de proroger les dispositifs de départ en préretraite pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010 » ; que la cour d'appel en a déduit que « cet avenant s'il prolonge la durée d'application du dispositif de préretraite précédent ne saurait pour autant se confondre avec ce dernier en ce qu'il a été conclu après renégociation distincte entre les parties et qu'il s'applique sur des périodes différentes » et qu'il « ne peut être daté que du jour de sa conclusion, et non à une date antérieure, soit à la date du 30 novembre 2005, postérieure au 27 mai 2003, et justifiant l'application des dispositions de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale » ; que ne tirant par les conséquences de ses constatations – qui mettent en évidence que l'avenant du 30 novembre 2005 n'est pas la conclusion d'un nouvel accord collectif mais qu'il n'est que la prorogation de celui de 2003 dont il prolonge les effets – la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien, devenu 1103 et 1104 nouveaux du code civil, l'article L. 132-6 ancien, devenu L. 2222-4 du code du travail, ensemble l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS QUE l'avenant n°2 du 30 novembre 2005 stipule que « les parties se sont engagées, par protocole d'accord du 18 avril 2003 dans un dispositif de préretraite choisie
par disposition de l'article 18 dudit protocole, les parties sont convenues d'une prorogation de ce dispositif à négocier
une prorogation du dispositif de préretraite choisie permet le départ anticipé d'un certain nombre de salariés travaillant en journée normale, réduisant ainsi l'écart exprimé entre les ressources et les besoins – l'objet du présent avenant est de proroger selon les mêmes termes le dispositif de départs anticipés pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010 » ; qu'en retenant que cet avenant aurait fait naître un nouvel accord collectif, distinct de l'accord collectif de 2003, la cour d'appel a violé le protocole d'accord du 18 avril 2003 et l'avenant n°2 du 30 novembre 2005 ;
4) ALORS QUE durant l'exécution du contrat de travail, l'employeur, tenu de verser sa contribution et de précompter celle du salarié, est seul redevable des cotisations et, sous sa responsabilité personnelle, de leur versement à l'organisme social ; que, si durant l'exécution du contrat de travail, le salarié n'a pas la qualité de cotisant, il ne l'acquiert pas d'avantage, après la rupture de son contrat de travail, lorsque l'employeur continue de verser aux organismes sociaux les cotisations sociales assises sur une préretraite d'entreprise ; que celui-ci demeure seul redevable des cotisations et de leur versement à l'organisme social et ces cotisations sociales ne constituent donc pas un « avantage de préretraite » au sens de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale ; qu'en effet, elles ne sont pas « versées au salarié directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; qu'en outre, elles permettent au salarié de se constituer des droits sociaux, en particulier des droits à retraite dont il ne bénéficiera qu'au moment de la liquidation de celle-ci, c'est-à-dire une fois que sera achevée sa préretraite ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituaient un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte ;
5) ALORS QUE « l'avantage de préretraite » de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale est « versé, sous quelque forme que ce soit, à d'anciens salariés directement par l'employeur, ou pour son compte, par l'intermédiaire d'un tiers » ; que les cotisations sociales versées par l'employeur aux organismes sociaux sur la préretraite servie au salarié ne constituent pas un « avantage de préretraite » ; que le salarié serait même irrecevable – pour défaut de qualité – à réclamer à son employeur ou à l'organisme social que ceux-ci lui restituent ces cotisations sociales qui ne sont jamais entrées dans son patrimoine ; qu'en estimant que les cotisations sociales assises sur les préretraites que l'employeur versait directement aux organismes sociaux, constituent un avantage de préretraite soumis à la contribution de l'article L. 137-10 du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé ce texte. | Il résulte de la combinaison des articles R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale que le cotisant qui conteste un redressement peut, à l'occasion de son recours juridictionnel, invoquer d'autres moyens que ceux soulevés devant la commission de recours amiable, dès lors qu'ils concernent les chefs de redressement préalablement contestés.
Lorsque le cotisant invoque des moyens de nullité susceptibles d'affecter le redressement en son entier alors qu'il avait limité sa contestation devant la commission de recours amiable à certains chefs seulement, le litige ne peut être étendu aux autres chefs mais il appartient au juge d'examiner la pertinence de ces moyens de nullité au regard des chefs de redressement déjà contestés.
Le cotisant est donc recevable à invoquer devant la juridiction de sécurité sociale l'inobservation de la formalité de l'avis préalable et la nullité de la mise en demeure au soutien de sa contestation des chefs de redressement déjà soumise à la commission de recours amiable |
7,785 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 484 F-B
Pourvoi n° Q 20-20.655
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
La caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-20.655 contre l'arrêt n° RG : 19/03113 rendu le 23 juillet 2020 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à la société Randstad, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines, de la SARL Corlay, avocat de la société Randstad, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 juillet 2020), la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines (la caisse) a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident survenu le 24 juin 2016 à une salariée (la victime) de la société Randstad (l'employeur).
2. Contestant l'imputabilité à l'accident du travail des arrêts et soins prescrits jusqu'au 20 septembre 2018, date de guérison de la victime, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt d'accueillir le recours de l'employeur, alors « que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédent soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime sans qu'il soit nécessaire, durant cette période, d'établir une continuité des symptômes et des soins ; que, jusqu'à cette guérison ou cette consolidation, l'employeur ne peut combattre cette présomption que par la preuve contraire d'une absence complète de lien entre les arrêts de travail prescrits et l'accident du travail du fait d'une cause extérieure au travail ou d'un état pathologique antérieur indépendant ; qu'en l'espèce, la caisse a pris en charge à titre professionnel l'accident dont a été victime la salariée le 24 juin 2016 ainsi que les arrêts de travail et les soins prescrits avant sa guérison fixée au 20 septembre 2018 ; qu'il s'ensuit que, jusqu'à cette date, la caisse bénéficiait de la présomption d'imputabilité sans que ne puisse lui être opposée une rupture dans la continuité de symptômes et de soins ; qu'en déclarant cependant que cette présomption ne trouvait plus à s'appliquer à compter du 14 juillet 2017, au prétexte qu'à cette date une telle rupture se serait produite, et en retenant qu'à compter de cette date, il appartenait à la caisse de démontrer un lien direct et certain entre le travail et l'état de santé de la salariée, la cour d'appel a violé les articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale ensemble l'article 1315 devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1353 du code civil et L. 411-1 du code de la sécurité sociale :
4. La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
5. Pour déclarer les arrêts de travail et soins prescrits après le 13 juillet 2017 inopposables à l'employeur, l'arrêt retient essentiellement qu'il résulte des certificats médicaux de prolongation qu'il existe une rupture dans la continuité des symptômes et des soins. Il en déduit que la présomption d'imputabilité des arrêts et des soins à l'accident ne trouvant plus à s'appliquer à compter de cette rupture, il appartient, dès lors, à la caisse d'apporter la preuve du lien direct et certain entre le travail et l'état de santé de la victime.
6. En statuant ainsi, par des motifs tirés de l'absence de continuité des symptômes et soins impropres à écarter la présomption d'imputabilité à l'accident du travail des soins et arrêts de travail litigieux, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement concernant la période de prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à Mme [N] et en ce qu'il déclare la décision de la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines de prendre en charge les arrêts de travail et les soins de Mme [N], postérieurement au 13 juillet 2017, inopposable à la société Randstad, l'arrêt rendu le 23 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Randstad aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Randstad et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) des Yvelines
La Cpam des Yvelines fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré sa décision de prendre en charge les arrêts de travail et les soins de Mme [H] [N], postérieurement au juillet 2017, inopposable à la société Randstad,
1°) ALORS QUE l'objet du litige étant déterminé par les prétentions respectives des parties, le juge doit se prononcer seulement sur ce qui est demandé ; que, saisi par l'employeur d'une demande d'expertise médicale judiciaire afin de le mettre en mesure de statuer dans un second temps sur le rattachement des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail, le juge ne dispose que de la faculté souveraine d'ordonner ou de refuser d'ordonner pareille expertise ; qu'il ne peut lui-même trancher cette contestation d'ordre médical, seule l'expertise médicale judiciaire étant de nature à établir, le cas échéant, l'absence complète de lien de causalité ; qu'en l'espèce, la société Randstad demandait à la cour d'appel d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale judiciaire afin d'être en mesure, seulement dans un second temps, de statuer sur sa demande tendant en l'inopposabilité des arrêts de travail n'étant pas en relation directe et unique avec l'accident de travail du 24 juin 2016 ; qu'en tranchant elle-même et d'emblée la question de l'inopposabilité et en fixant elle-même et d'emblée la date à compter de laquelle les arrêts de travail et les soins n'étaient plus en lien avec l'accident, fixation dont le soin devait revenir à l'expert éventuellement désigné, la cour d'appel, qui n'a pas même évoqué la question première de l'opportunité d'une expertise judiciaire, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédent soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime sans qu'il soit nécessaire, durant cette période, d'établir une continuité des symptômes et des soins ; que, jusqu'à cette guérison ou cette consolidation, l'employeur ne peut combattre cette présomption que par la preuve contraire d'une absence complète de lien entre les arrêts de travail prescrits et l'accident du travail du fait d'une cause extérieure au travail ou d'un état pathologique antérieur indépendant ; qu'en l'espèce, la Cpam des Yvelines a pris en charge à titre professionnel l'accident dont a été victime Mme [N] le 24 juin 2016 ainsi que les arrêts de travail et les soins prescrits avant sa guérison fixée au 20 septembre 2018 ; qu'il s'ensuit que, jusqu'à cette date, la caisse bénéficiait de la présomption d'imputabilité sans que ne puisse lui être opposée une rupture dans la continuité de symptômes et de soins ; qu'en déclarant cependant que cette présomption ne trouvait plus à s'appliquer à compter du 14 juillet 2017, au prétexte qu'à cette date une telle rupture se serait produite, et en retenant qu'à compter de cette date, il appartenait à la caisse de démontrer un lien direct et certain entre le travail et l'état de santé de la salariée, la cour d'appel a violé les articles L.411-1 du code de la sécurité sociale ensemble l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;
3°) ALORS en tout état de cause QUE le juge ne peut trancher seul un litige d'ordre médical ; que seule une expertise médicale permet au juge de fixer la date à partir de laquelle une rupture du lien entre l'accident et les arrêts de travail s'est produite ; qu'en procédant elle-même à pareille fixation sans avoir ordonné préalablement l'expertise judiciaire demandée avant-dire droit en vue de statuer sur la demande en inopposabilité, et tout en reprochant à la cpam, qui bénéficiait de la présomption jusqu'à la guérison, de ne pas prouver le lien direct et certain entre le travail et l'état de santé du salarié, la cour d'appel, excédant ses pouvoirs, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale ensemble l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;
4°) ALORS QUE tenu en toute circonstance de respecter lui-même le principe du contradictoire, le juge ne peut exploiter d'office un fait non spécialement invoqué sans inviter les parties à présenter leurs observations ; que si, dans les procédures orales, les moyens soulevés d'office sont présumés, sauf preuve contraire, avoir été débattus contradictoirement à l'audience, cette preuve peut résulter de ce que les parties ont développé à l'audience leurs observations écrites lorsque celles-ci ne font pas état de tels moyens ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions reprises oralement, la société Randstad fondait sa demande d'inopposabilité et sa demande d'expertise en se prévalant exclusivement de la teneur du rapport du docteur [T], son médecin-conseil ; que la cour d'appel a retenu que le docteur [C], remplaçante du docteur [Y], avait mentionné, sur l'un des certificats médicaux produits par la caisse, celui en date du 13 juillet 2017, une guérison apparente à cette date, de sorte que ce certificat médical était final, et que le docteur [Y], de retour, avait ensuite, le 17 juillet 2017, établi un certificat médical de prolongation remplaçant celui du docteur [C] puis avait régulièrement prescrit des soins jusqu'au 20 septembre 2018, date de fixation de la guérison, cependant qu'aucune des parties, fut-ce indirectement, notamment par référence faite au rapport du docteur [T], n'avait évoqué cet épisode ; qu'en soulevant d'office un tel moyen, sans inviter la cpam à présenter ses observations, la cour a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5°) ALORS en tout état de cause QU'une simple divergence d'appréciation entre le médecin traitant et son remplaçant quant à la date de guérison n'est pas de nature à rompre le lien de causalité entre l'accident du travail et les arrêts de travail et les soins prescrits, notamment au cours de la période précédant la guérison telle que finalement fixée par le médecin-conseil de la caisse ; qu'il en va d'autant plus ainsi si des soins sont prescrits sans discontinuité par l'un comme par l'autre, de sorte que nulle rupture n'est survenue dans la continuité des symptômes et des soins ; qu'en l'espèce, dans un certificat médical en date du 13 juillet 2017, le docteur [C], remplaçante du docteur [Y], avait coché la case « final » et, dans la rubrique « conclusions (à remplir seulement en cas de certificat final) », la case « guérison apparente avec possibilité de rechute ultérieure » et mentionné la date du 13 juillet 2017 ; que, dès le 17 juillet 2017, le docteur [Y], de retour, avait établi un certificat de prolongation avec la mention manuscrite « ce certificat remplace celui de ma remplaçante, le docteur [C], du 13 juillet 2017 » ; que la cour d'appel a constaté que, par-delà leur divergence, le docteur [C] comme le docteur [Y] avaient prescrit des soins jusqu'au 13 octobre 2017 et que ceux-ci avaient été finalement prescrits sans interruption jusqu'au 20 septembre 2018 ; qu'en considérant cependant que, du fait de cette simple divergence d'analyse entre le médecin traitant et son remplaçant, une rupture dans la continuité des symptômes et des soins s'était produite, de sorte que la présomption d'imputabilité ne trouvait plus à s'appliquer dès le 14 juillet 2017, la cour d'appel, ne tirant pas de ses propres constatations les conséquences légales s'en évinçant, a violé l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale. | Il résulte de la combinaison des articles 1353 du code civil et L. 411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et qu'il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
Viole ces dispositions la cour d'appel qui écarte la présomption d'imputabilité à l'accident du travail des soins et arrêts de travail prescrits, motif pris de l'absence de continuité des symptômes et soins |
7,786 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mai 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 487 F-B
Pourvoi n° H 20-21.430
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022
La société [I], société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 20-21.430 contre l'arrêt n° RG : 19/07286 rendu le 4 septembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 septembre 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2012 à 2014, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF) a notifié à la société [I] (la cotisante), le 28 octobre 2015, une lettre d'observations puis une mise en demeure.
2. La cotisante a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La cotisante fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de la condamner au paiement des cotisations éludées, outre majorations de retard, alors « que les contrôles de l'URSSAF engagés à compter du 1er janvier 2015 ne peuvent s'étendre sur une période supérieure à trois mois ; que, pour l'application de cette règle, la date à laquelle un contrôle URSSAF est engagé est celle du début effectif du contrôle et non de l'envoi de l'avis de contrôle ; qu'en retenant que le contrôle de la société cotisante avait débuté à la date de l'envoi d'un avis de contrôle, soit le 15 décembre 2014, pour en déduire qu'il n'était pas soumis aux dispositions limitant la durée du contrôle à trois mois, tandis que le contrôle devait être considéré comme ayant débuté à la date à laquelle il avait été effectivement engagé, le 30 janvier 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 243-13 du code de la sécurité sociale en sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 ensemble l'article 24 de cette loi. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 243-13, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014, les contrôles prévus à l'article L. 243-7 visant les entreprises versant des rémunérations à moins de dix salariés ou les travailleurs indépendants ne peuvent s'étendre sur une période supérieure à trois mois, comprise entre le début effectif du contrôle et la lettre d'observations.
6. Selon l'article 24, III, de la loi du 22 décembre 2014 précitée, les dispositions issues de cette loi s'appliquent aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2015.
7. Pour l'application de ce texte, la date d'engagement du contrôle s'entend de celle de l'envoi de l'avis de contrôle prévu par l'article R. 243-59, I, du code de la sécurité sociale.
8. Ayant constaté que l'avis de contrôle avait été adressé à la cotisante le 15 décembre 2014, la cour d'appel en a exactement déduit que le texte précité n'était pas applicable au litige.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [I] et la condamne à payer à l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société [I]
La SELAS [I] FAIT GRIEF à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir annuler le contrôle pour dépassement de la durée de contrôle, d'avoir rejeté ses autres demandes et de l'avoir condamnée à payer à l'URSSAF la somme de 17 667 euros au titre des cotisations éludées et celle de 2 408 euros au titre des majorations de retard, outre les majorations de retard complémentaires ;
1°) ALORS QUE les contrôles de l'URSSAF engagés à compter du 1er janvier 2015 ne peuvent s'étendre sur une période supérieure à trois mois ; que, pour l'application de cette règle, la date à laquelle un contrôle URSSAF est engagé est celle du début effectif du contrôle et non de l'envoi de l'avis de contrôle ; qu'en retenant que le contrôle de la SELARL [I] avait débuté à la date de l'envoi d'un avis de contrôle, soit le 15 décembre 2014, pour en déduire qu'il n'était pas soumis aux dispositions limitant la durée du contrôle à trois mois, tandis que le contrôle devait être considéré comme ayant débuté à la date à laquelle il avait été effectivement engagé, le 30 janvier 2015, la cour d'appel a violé l'article L. 243-13 du code de la sécurité sociale en sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 ensemble l'article 24 de cette loi ;
2°) ALORS QUE l'avis que l'organisme de recouvrement doit envoyer avant d'effectuer un contrôle doit être adressé exclusivement à la personne qui est tenue, en sa qualité d'employeur, aux obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui font l'objet du contrôle ; que la SELAS [I] a fait valoir que l'envoi de l'avis du 21 janvier 2015, adressé à la fois à la SELARL [I] et Mme [I], et mentionnant un contrôle du compte « Employeur Travailleur Indépendant » avait créé une confusion sur l'objet du contrôle de la SELARL, qui était en conséquence irrégulier ; qu'en se fondant, pour écarter ce moyen, sur le fait que l'avis du 21 janvier 2015 indiquait clairement le nom de la personne contrôlée, à savoir Mme [I] personnellement, cependant que cet avis était adressé non seulement à Mme [I], mais également à la SELARL [I], la cour d'appel a dénaturé cet avis en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause. | Selon l'article 24, III, de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014, les dispositions de l'article L. 243-13, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, qui limitent à une période de trois mois, comprise entre le début effectif du contrôle et la lettre d'observations, la durée des contrôles prévus à l'article L. 243-7 visant les entreprises versant des rémunérations à moins de dix salariés ou les travailleurs indépendants, s'appliquent aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2015.
Pour l'application de ce texte, la date d'engagement du contrôle s'entend de celle de l'envoi de l'avis de contrôle prévu par l'article R. 243-59, I, du code de la sécurité sociale |
7,787 | N° X 22-82.379 F-B
N° 00676
ODVS
10 MAI 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2022
M. [D] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 30 mars 2022, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires belges, en exécution de deux mandats d'arrêt européens.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [D] [W], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Deux mandats d'arrêt européens ont été émis par les autorités judiciaires belges contre M. [D] [W] en exécution, respectivement, d'une peine de cinq ans d'emprisonnement prononcée par arrêt du 4 décembre 2020 de la cour d'appel de Liège pour des faits, notamment, d'extorsion et blanchiment, et d'une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violation du secret professionnel, dénonciation calomnieuse et outrage à magistrat, prononcée par arrêt du 10 octobre 2006 de la même cour, sursis révoqué à la suite de la première décision citée.
3. M. [W] a été interpellé sur le territoire français et les deux mandats d'arrêt européens lui ont été notifiés.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la remise de M. [W] à l'autorité judiciaire du royaume de Belgique en exécution d'un mandat d'arrêt européen émis à son encontre le 3 février 2022 pour l'exécution d'une peine privative de liberté de cinq ans d'emprisonnement, fondée sur un arrêt de la cour d'appel de Liège du 20 avril 2021 déclarant non avenue une opposition contre un arrêt du 4 décembre 2020 des chefs d'extorsion, faux et usage de faux, blanchiment recel, blanchiment conversion, la peine restant à exécuter étant de mille huit cent vingt-cinq jours d'emprisonnement, alors :
« 1°/ qu'il est constant que la condamnation prononcée le 4 décembre 2020 l'a été hors la présence de M. [W], et sans appel possible par l'effet de la loi belge ; que l'article 14-5° du Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques édicte le droit a un double degré de juridiction en matière pénale ; M. [W] faisait valoir que la référence de la décision cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d'arrêt européen au respect des droits fondamentaux (paragraphe 10 du préambule à cette décision), impliquait le respect du pacte et de son article 14 ; qu'en se bornant à renvoyer au traité sur l'Union européenne, à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 14-5° du Pacte précité, la décision-cadre du 13 juin 2002 et les droits de la défense ;
2°/ qu'il est constant que M. [W] n'a pas comparu en personne lors des débats ayant abouti à la condamnation prononcée à son encontre le 4 décembre 2020 ; que si le juge français d'exécution dispose désormais de la possibilité d'accorder la remise dès lors que l'intéressé a été informé « dans les formes légales et effectivement de manière non équivoque de la date et du lieu fixés pour le procès de la possibilité qu'une décision puisse être rendue à son encontre en cas de non-comparution » (article 695-22-1, 1°, du code de procédure pénale), cette possibilité ne peut être utilisée que si le défaut n'a pas placé l'intéressé de façon manifeste dans une situation disproportionnée face aux droits de la défense ; que faute d'avoir opéré cette recherche indispensable, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale ;
3°/ que le texte précité prévoit que l'intéressé doit avoir été informé « dans les formes légales et effectivement de manière non équivoque » de la date et du lieu fixés pour son procès ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué lui-même que M. [W], qui n'a pas comparu en personne, n'a pas été cité à personne mais aurait été informé « officiellement et par d'autres moyens » de la date et du lieu du procès qui a mené à la décision ; que ces motifs imprécis ne permettent absolument pas de savoir si la double condition cumulative de l'article 695-22-1 d'une convocation dans les formes légales et effectives était remplie, et ne permet pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle ; qu'en usant d'une possibilité de remise dont il n'est pas acquis qu'elle était légalement acquise, la chambre de l'instruction a violé l'article 695-22-1, 1°, du code de procédure pénale ;
4°/ qu'en toute hypothèse, le juge français d'exécution ne saurait user de la faculté que lui ouvre ce texte lorsque le défaut (quelles qu'en soient les raisons) est combiné, par l'effet de la loi de l'Etat d'émission, à une absence d'appel, et en l'espèce un refus d'examiner à nouveau la décision sur opposition qui a été déclarée non avenue ; que cette double circonstance place nécessairement l'intéressé dans une situation disproportionnée au regard des droits de la défense, et interdisait la remise ; que la chambre de l'instruction a ainsi violé le texte précité outre les droits de la défense et l'article 695-11 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour ordonner la remise de M. [W] aux autorités judiciaires belges, l'arrêt attaqué énonce qu'en application de l'article 695-22-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 applicable à l'espèce, l'absence de comparution de la personne à l'audience ayant donné lieu à sa condamnation est un motif facultatif de refus de remise en exécution d'un mandat d'arrêt européen.
7. Les juges relèvent qu'il ressort de l'arrêt du 4 décembre 2020 de la cour d'appel de Liège que M. [W] a été informé de l'audiencement de l'affaire et a participé aux audiences du 13 novembre 2019, du 15 janvier 2020, du 17 février 2020 et du 26 mai 2020, formant notamment trente-et-une requêtes aux fins de faire obstacle au jugement, donnant lieu à cinq arrêts de rejet de la Cour de cassation de Belgique.
8. Ils soulignent qu'à l'audience du 4 septembre 2020, après le rejet d'une dernière demande de renvoi fondée à la fois sur des motifs médicaux, sur une requête en dessaisissement et sur une plainte déposée contre un greffier de la juridiction et un avocat des parties civiles, l'avocat de M. [W] s'est retiré, se déclarant sans mandat pour représenter ce dernier en son absence.
9. Les juges ajoutent que l'opposition formée contre l'arrêt de condamnation rendu le 4 décembre 2020 à la suite de cette audience a été déclarée irrecevable, la cour d'appel relevant que la demande de renvoi présentée par M. [W] était fondée sur un certificat médical de complaisance, que sa non-comparution n'était pas justifiée par un motif légitime et que l'intéressé s'était lui-même privé du droit à une procédure contradictoire qu'il possédait alors et pouvait aisément exercer.
10. Ils en déduisent que M. [W] a été tenu au courant de la procédure, a été mis en mesure d'y participer, y a comparu pour solliciter des renvois, et a eu connaissance de la décision de condamnation, dont il a relevé opposition, l'arrêt du 20 avril 2021 déclarant celle-ci irrecevable ayant fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation de Belgique.
11. Les juges ajoutent que l'impossibilité de relever appel de la décision de condamnation en application de l'article 479 du code d'instruction criminelle belge a été validée par la jurisprudence interne belge.
12. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
13. En effet, en premier lieu, l'opportunité d'un refus de remise rendu facultatif par l'article 695-22-1 du code de procédure pénale relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
14. En second lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union, et qu'il n'appartient par conséquent pas à l'Etat d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'Etat d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux par ce dernier.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille vingt-deux.
Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre | Le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union européenne, et il n'appartient par conséquent pas à l'Etat d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'Etat d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux par ce dernier.
Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un double degré de juridiction par la condamnation dont l'exécution est poursuivie par le mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires belges, énonce que la procédure en cause a été validée par la jurisprudence interne de l'Etat d'émission |
7,788 | N° E 21-86.131 FS-B
N° 00471
SL2
17 MAI 2022
IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 MAI 2022
Le procureur de la République financier a formé un pourvoi contre l'ordonnance du juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris, en date du 12 (et non le 11) octobre 2021, qui, dans la procédure suivie contre M. [S] [X] du chef de blanchiment, a déclaré irrecevable sa requête en homologation d'une proposition de peine.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, MM. Bonnal, Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Michon, conseiller référendaire, M. Croizier, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [X] a fait l'objet d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) du chef précité.
3. Par ordonnance du 6 juillet 2021, le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris a refusé d'homologuer cette peine.
4. Par requête du 12 octobre 2021, le procureur de la République financier a saisi le juge délégué d'une nouvelle proposition de peine.
Examen de la recevabilité du pourvoi
5. Aucun texte n'envisageant la possibilité d'un recours contre l'ordonnance de refus d'homologation des peines proposées par le procureur de la République dans le cadre d'une procédure de CRPC, un pourvoi en cassation contre une telle décision n'est possible que si son examen fait apparaître un risque d'excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation.
6. Il se déduit de l'article 495-12 du code de procédure pénale, interprété à la lumière des travaux parlementaires relatifs aux lois n° 2004-204 du 9 mars 2004 et n° 2018-898 du 23 octobre 2018, qu'une nouvelle proposition de peine ne saurait autoriser, après un refus d'homologation, la mise en oeuvre d'une autre comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
7. Ainsi, en déclarant irrecevable la seconde requête en homologation au motif que la première proposition de peine avait fait l'objet d'un refus d'homologation, le juge délégué n'a pas excédé ses pouvoirs.
8. Au surplus, le pourvoi, formé plus de cinq jours francs après le prononcé de l'ordonnance de refus d'homologation, est tardif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE le pourvoi IRRECEVABLE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept mai deux mille vingt-deux. | Il se déduit de l'article 495-12 du code de procédure pénale, interprété à la lumière des travaux parlementaires relatifs aux lois n° 2004-204 du 9 mars 2004 et n° 2018-898 du 23 octobre 2018, qu'une nouvelle proposition de peine ne saurait autoriser, après un refus d'homologation, la mise en oeuvre d'une autre comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité |
7,789 | N° T 21-85.246 F- B
N° 00568
GM
17 MAI 2022
REJET
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 MAI 2022
La société [5] et M. [L] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 30 juin 2021, qui, pour travail dissimulé, a condamné, la première à 25 000 euros d'amende, le second à huit mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [5], M. [L] [B], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Rhône-Alpes, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Selon un procès-verbal établi par la DIRECCTE Auvergne-Rhône-Alpes et l'URSSAF Rhône-Alpes le 23 juin 2017, des contrôles de l'inspection du travail ont été effectués en 2016, à la suite d'une déclaration préalable de détachement de travailleurs auprès de la société [5], dont M. [B] est le directeur général, pour des chantiers sur lesquels cette société est intervenue en tant qu'entreprise principale.
3. Sur la base de ce procès-verbal, la société [5] et M. [B], notamment, ont été directement cités devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé par dissimulation d'emplois salariés et pour s'être soustraits aux déclarations auprès des organismes sociaux et fiscaux au moyen d'un montage juridique frauduleux en ayant recours à des entreprises sous-traitantes, les sociétés portugaises [4], [3] et [2].
4. Par jugement du 14 mars 2019, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité soulevées, déclaré les prévenus coupables, condamné M. [B] à huit mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende et la société [5] à 25 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
5. Les prévenus ont relevé appel de cette décision. Le ministère public a interjeté appel incident.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées, a déclaré la société [5] et M. [B] coupables d'exécution d'un travail dissimulé commis à l'égard de plusieurs personnes et a statué sur la peine, alors :
« 1°/ que les procès-verbaux d'infractions doivent faire en eux-mêmes la preuve de leur régularité ; que les personnes qui les ont dressés, qui ne peuvent être entendues à l'audience qu'en qualité de témoin sur les faits reprochés au prévenu, sur sa personnalité ou sa moralité, ne peuvent donc présenter des observations en réponse aux moyens de nullité dirigés contre ces actes de la procédure pour préciser les circonstances dans lesquels ils ont été rédigés ; que l'arrêt attaqué énonce que « M. [E] [U], représentant la DIRECCTE, partie intervenante, a répondu » aux moyens de nullité soulevés par les prévenus à l'encontre du procès-verbal dressé par l'inspection du travail et servant de base aux poursuites pénales ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 429, 431 et 444 du code de procédure pénale, et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que l'arrêt attaqué n'indique pas que M. [U], représentant la DIRECCTE, partie intervenante, aurait prêté le serment de témoin avant de répondre aux moyens de nullité soulevés par les prévenus à l'encontre du procès-verbal servant de base aux poursuites pénales ; que cette audition irrégulière a eu nécessairement une influence sur la décision rejetant ces exceptions de nullité ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 444 et 446 du code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel s'est fondée, pour rejeter les exceptions de nullité des prévenus, sur une note rédigée par la DIRECCTE dans le cadre des débats devant le tribunal correctionnel ; qu'en se fondant sur cette note, qui constitue la déposition écrite d'une personne qui ne pouvait être entendue qu'en qualité de témoin, et qui ne l'a été ni devant le tribunal ni devant la cour d'appel, la cour d'appel a violé les articles préliminaire, 446 et 452 du code de procédure pénale et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que M. [U], représentant de la DIRECCTE, est intervenu à l'audience en qualité de partie intervenante et a présenté ses observations, les juges relevant en outre que dans le cadre des débats devant le tribunal correctionnel, la DIRECCTE a rédigé une note pour expliquer les circonstances du recueil des déclarations des salariés auditionnés.
9. C'est à tort que la cour d'appel a entendu sans prestation de serment le représentant de la DIRECCTE, dès lors qu'une administration, fût-elle à l'origine des poursuites, ne peut, hors les cas où la loi le prévoit expressément, être considérée comme une partie intervenante au procès pénal.
10. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors qu'il n'est pas établi que, pour écarter les exceptions de nullité soulevées, les juges se soient fondés sur les déclarations faites par ce fonctionnaire.
11. Par ailleurs, la validité d'un document versé aux débats n'est pas soumise à la condition que ledit document ne soit pas établi par une personne qui, si elle était entendue oralement, le serait en qualité de témoin, de sorte que les juges du second degré ont pu souverainement en apprécier l'intérêt et la portée.
12. Le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. Le troisième moyen de cassation critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées, a déclaré la société [5] et M. [B] coupables d'exécution d'un travail dissimulé commis à l'égard de plusieurs personnes et a statué sur la peine, alors « que les procès-verbaux des inspecteurs du travail n'ont de valeur probante que pour ce qu'ils ont personnellement vu, entendu ou constaté ; que dès lors, s'ils ne peuvent pas personnellement comprendre les déclarations faites par des personnes qui ne s'expriment pas en français, les inspecteurs du travail doivent recueillir ces déclarations avec l'assistance d'un interprète assermenté ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler le procès-verbal du 27 juin 2017 relatant les auditions par des inspecteurs du travail de personnes ne s'exprimant pas en français, que d'autres ouvriers présents sur les chantiers concernés les auraient assistés pour la traduction de ces déclarations, et qu'il n'était donc pas nécessaire qu'ils aient eu recours à des interprètes assermentés, la cour d'appel a violé l'article L. 8271-6-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'absence d'interprète lors d'auditions menées par les inspecteurs du travail, l'arrêt attaqué, se référant à l'article L. 8271-3 du code du travail, ainsi qu'à l'instruction de la direction générale du travail (DGT) n° 11 sur les procès-verbaux de l'inspection du travail en date du 12 septembre 2012, énonce, notamment, que les appelants font valoir que la présence d'un interprète est considérée comme une garantie élémentaire du procès équitable, et ressort du principe de loyauté dans le recueil des preuves, et que, dans le procès-verbal du 23 juin 2017, il n'était pas précisé quels salariés parlaient couramment le français et qui aurait servi d'interprète pour ceux ne parlant pas cette langue.
15. Les juges retiennent, sur la base de la note produite par la DIRECCTE devant le tribunal correctionnel, que ceux des salariés portugais n'ayant pas une connaissance suffisante de la langue française ont été assistés d'interprètes choisis parmi les personnes bilingues, en l'espèce M. [K] sur le chantier de la grande Halle le 19 juillet 2016, M. [O], conducteur de travaux, sur le chantier [P] le 12 août 2016, et M. [H] [W] sur le chantier LGH le 18 octobre 2016, les agents de contrôle étant accompagnés d'un interprète assermenté lors du contrôle sur le lieu d'hébergement.
16. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
17. D'une part, dès lors qu'il n'a pas été procédé à des auditions sur procès-verbal des salariés présents sur les chantiers, ainsi que le prévoit l'article L. 8271-6-1 du code du travail, mais à un simple recueil sommaire de leurs déclarations, le recours à un interprète assermenté prévu par l'article L. 8271-3 du même code pour l'audition des personnes ne parlant pas le français pour le contrôle de la réglementation sur la main d'oeuvre étrangère constituait une faculté laissée à l'appréciation des agents de contrôle.
18. D'autre part, les prévenus n'ont pas mis en cause l'impartialité des employés ayant prêté leur concours pour traduire les échanges entre les agents de contrôle et les autres salariés ne parlant pas le français.
19. Le moyen ne peut qu'être rejeté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
20. Le quatrième moyen de cassation critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [5] et M. [B] coupables d'exécution d'un travail dissimulé commis à l'égard de plusieurs personnes et a statué sur la peine, alors « que pour condamner une personne pour une fraude commise concernant le détachement de travailleurs salariés au sein de pays membres de l'Union européenne, les juridictions de l'Etat d'accueil du détachement doivent, d'une part, caractériser la fraude, et d'autre part, s'assurer que les autorités de l'Etat d'origine ont été saisies d'une demande de réexamen ou de retrait des certificats présumés frauduleux, et soit y ont répondu de manière favorable soit se sont abstenues d'y donner suite dans un délai raisonnable ; qu'en condamnant la société [5] et son dirigeant pour travail dissimulé, après avoir constaté que les autorités portugaises n'avaient pas réexaminé les certificats A1 produits pour justifier du détachement des salariés de la société [2] ayant travaillé sur les chantiers de la société [5], au motif inopérant que ces certificats auraient été frauduleux et que la société [2] ne les aurait pas communiqué à l'inspection du travail portugaise, quand ces circonstances ne dispensaient pas les autorités de l'Etat d'accueil de saisir celles de l'autorité d'origine d'une demande de retrait, la cour d'appel a violé les articles 12 du règlement CE n 883/2004 du 29 avril 2004 et 5 du règlement CE n 987/2009 du 16 septembre 2009, L. 1262-1, L. 1262-2, L. 1262-3, L. 8221-3, L. 8221-5 et L. 8251-1 du code du travail, 459, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
21. Après avoir jugé (Crim., 18 septembre 2018, pourvoi n° 13.88-631, Bull. crim. 2018, n° 160), conformément à la jurisprudence européenne (CJUE, 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15 et 6 février 2018, Ömer Altun, C-359/16) que le juge national, saisi d'une poursuite pour travail dissimulé, ne peut écarter les certificats E101 devenus A1 qui lui sont produits qu'à certaines conditions, incluant la constatation qu'ils ont été obtenus frauduleusement et la saisine de l'institution émettrice, la Cour de cassation juge désormais, ainsi que l'admet la Cour de justice de l'Union européenne (4 mai 2020, [1] travaux publics e.a., C-17/19), qu'une telle obligation ne s'impose que lorsque les poursuites ont été engagées au titre de l'omission d'obligations déclaratives ayant pour unique objet d'assurer l'affiliation des travailleurs concernés à l'une ou à l'autre branche du régime de sécurité sociale, la production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n'étant pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis les faits fondés sur d'autres motifs énumérés aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, qui, à eux seuls, suffisent à fonder les condamnations prononcées du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l'article L. 8221-1, 1°, du même code (Crim., 12 janvier 2021, pourvoi n° 17.82-553, publié au Bulletin).
22. Pour écarter les moyens pris de la méconnaissance de la portée des certificats A1, l'arrêt attaqué rappelle l'état du droit antérieur à l'arrêt précité du 12 janvier 2021.
23. Il énonce ensuite qu'il résulte des documents produits que la société [4], qui a détaché une quarantaine de salariés et procédé à 167 déclarations de détachement, n'a pas produit ni même demandé de certificats A1, excepté pour une personne qui se trouvait être en réalité salariée d'une autre entité.
24. Il précise que les documents A1 produits par la société [2] comportent des irrégularités qu'il analyse en détail, si grossières que leur authenticité est remise en question.
25. Les juges retiennent qu'il apparaît dans les documents fournis par les autorités portugaises que la société [2] n'a pas communiqué les certificats A1 dont elle se prévaut à l'inspection du travail portugaise, alors même qu'elle les avait produits aux agents de contrôle français, donnant ainsi force et crédit aux suspicions de fraude dès lors que lesdites autorités n'ont pas eu à réexaminer les conditions de délivrance de ces documents, qui ne provenaient pas de leurs services et ne leur ont d'ailleurs pas été soumis par les dirigeants lors de l'enquête pour infraction aux obligations de déclarations de détachement suivie à l'encontre de ladite société.
26. Ils concluent que ces deux sociétés n'ont pas satisfait aux obligations légales relatives au détachement international de salariés, et ont agi de la sorte dans le but de contourner les exigences réglementaires afin de simplifier la mise à disposition de leur personnel au profit de la société [5].
27. En prononçant ainsi, abstraction faite du motif erroné repris au paragraphe 22, la cour d'appel a justifié sa décision.
28. En effet, les juges du fond, qui ont souverainement analysé les pièces de la procédure, ont conclu que les certificats A1 produits étaient des faux matériels, de sorte qu'ils n'étaient pas tenus de saisir l'autorité portugaise compétente d'une demande de retrait de certificats qu'elle n'avait pas émis.
29. En outre, et en tout de cause, les prévenus ayant été poursuivis du chef de travail dissimulé notamment par défaut de remise d'un bulletin de paie, défaut de déclaration préalable à l'embauche, mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué, la production de certificats A1 pour certains ou tous les salariés concernés, lesdits formulaires auraient-ils été authentiques, n'était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits.
30. Le moyen doit être écarté.
31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [5] et M. [L] [B] devront payer à l'URSSAF Rhône-Alpes, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept mai deux mille vingt-deux. | Une administration, fût-elle à l'origine des poursuites, ne peut, hors les cas où la loi le prévoit expressément, être considérée comme une partie intervenante au procès pénal.
Méconnaît ce principe la cour d'appel qui entend sans prestation de serment le représentant de la DIRECCTE.
Dès lors qu'il n'est procédé à des auditions sur procès-verbal, ainsi que le prévoit l'article L. 8271-6-1 du code du travail, mais à un simple recueil sommaire de déclarations, le recours à un interprète assermenté prévu par l'article L. 8271-3 du même code pour l'audition des personnes ne parlant pas le français en matière de contrôle de la réglementation sur la main d'oeuvre étrangère constitue une faculté laissée à l'appréciation des agents de contrôle.
Ne sont pas tenus de saisir l'autorité nationale étrangère compétente d'une demande de retrait de certificats A1 qu'elle n'a pas émis les juges du fond qui, analysant souverainement les pièces de la procédure, concluent que lesdits certificats produits sont des faux matériels |
7,790 | N° Q 21-85.611 F- B
N° 00569
GM
17 MAI 2022
REJET
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 MAI 2022
M. [P] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 13 septembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 23 janvier 2018, n° 17-80.963), pour conduite d'un véhicule malgré injonction de restituer le permis de conduire en récidive, l'a condamné à cent-vingt jours-amende à 20 euros et a prononcé une mesure de confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [P] [I], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 21 février 2014, alors qu'il circulait à bord de son véhicule automobile, M. [P] [I] a fait l'objet d'un contrôle par les gendarmes auxquels il a présenté un permis de conduire obtenu au Liban.
3. Le 26 février suivant, le procureur de la République a fait citer M. [I] devant la juridiction correctionnelle, du chef susvisé.
4. Par jugement du 1er octobre 2014, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l'a condamné à six mois d'emprisonnement et à la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l'infraction.
5. M. [I] a relevé appel de cette décision. Le ministère public a interjeté appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [I] coupable en récidive de conduite d'un véhicule à moteur malgré injonction de restituer le permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points, alors « que selon l'article R. 222-3 du code de la route, tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat qui est ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire ; qu'il en résulte que la reconnaissance en France d'un tel permis n'est pas subordonnée à ce que son titulaire ait eu sa résidence normale dans le pays où il a été délivré ; qu'en déclarant M. [I] coupable en récidive de conduite malgré invalidation de son permis de conduire, motif pris qu'il résultait de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, que la reconnaissance en France d'un permis de conduire étranger supposait que son titulaire l'ait obtenu tandis qu'il avait sa résidence normale dans ce pays et que M. [I] ne rapportait pas cette preuve, bien que cet arrêté ministériel n'ait pas pu ajouter une condition qui n'est pas requise pour la reconnaissance en France d'un permis de conduire étranger, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé l'article R. 222-3 susvisé, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1523 du 3 novembre 2017, ensemble l'article L. 223-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019. »
Réponse de la Cour
7. Dès lors que l'invalidation du permis de conduire français entraîne nécessairement l'interdiction du droit de conduire sur le territoire national français, quand bien même le prévenu serait titulaire d'un permis délivré par un autre Etat ou d'un permis international, le moyen soutenant que les permis de conduire libanais et international présentés par le prévenu auraient été obtenus régulièrement est inopérant.
Sur le second moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'encontre de M. [I], à titre de peine complémentaire, la confiscation du véhicule ayant servi à commettre l'infraction, soit le véhicule Porsche immatriculé [Immatriculation 1], alors :
« 1°/ que tout jugement ou arrêt doit être motivé, à peine de nullité ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif de la décision équivaut à un défaut de motifs ; qu'en ordonnant, dans le dispositif de sa décision, à titre de peine complémentaire, la confiscation du véhicule appartenant à M. [I], tout en affirmant, dans les motifs de sa décision, que cette confiscation répondait à l'impératif d'intérêt général de la prévention des accidents de la route, et constituait la seule mesure de sûreté adaptée et efficace permettant d'atteindre cet objectif, la cour d'appel, qui a infligé à M. [I] une peine complémentaire, après avoir considéré dans les motifs de sa décision qu'il convenait de prendre une mesure de sûreté à son encontre, a violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article L. 223-5 du code de la route, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 ;
2°/ qu'une peine, par sa finalité répressive et punitive, se distingue d'une mesure de sûreté, laquelle répond à un objectif de prévention des infractions ; qu'il en résulte que le juge ne peut prononcer une peine complémentaire de confiscation en considération de l'objectif préventif attaché à une mesure de sûreté ; qu'en ordonnant néanmoins, à titre de peine complémentaire, la confiscation du véhicule appartenant à M. [I], au motif inopérant que cette confiscation répondait à l'impératif d'intérêt général de la prévention des accidents de la route et constituait la seule mesure de sûreté adaptée et efficace permettant d'atteindre cet objectif, la cour d'appel a violé l'article L. 223-5 du code de la route, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour prononcer la peine de confiscation, l'arrêt attaqué énonce que le véhicule saisi est l'instrument du délit commis, et sa confiscation permise par la loi.
10. Les juges ajoutent que c'est le choix du prévenu de posséder une voiture d'un grand prix, nécessairement proportionné à ses importants revenus, et de l'utiliser au quotidien, en commettant des infractions, et ce en dépit de l'avertissement reçu quelques semaines auparavant, alors qu'il ne démontre pas être actuellement titulaire d'un permis de conduire.
11. Ils retiennent que la confiscation de ce véhicule répond à l'impératif d'intérêt général de prévention des accidents de la route, et constitue la seule mesure de sûreté adaptée et efficace permettant d'atteindre cet objectif.
12. Ils soulignent que l'intéressé n'a excipé d'aucune circonstance exceptionnelle, tenant à son emploi ou à sa situation professionnelle, qui rendrait disproportionnée la confiscation de ce véhicule.
13. Ils concluent qu'au regard du temps écoulé, et afin de garantir l'exécution de cette peine, il y a lieu de procéder à son exécution provisoire en application de l'article 471, alinéa 4, du code de procédure pénale.
14. En prononçant ainsi, nonobstant des motifs erronés mais surabondants qualifiant la décision de confiscation du véhicule de mesure de sûreté, la cour d'appel, qui a pris en considération la personnalité et la situation personnelle du prévenu, ses ressources et ses charges, a analysé la mesure au regard de sa proportionnalité, et a ordonné son exécution provisoire en relevant expressément qu'il s'agit d'une peine, a justifié sa décision.
15. Le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept mai deux mille vingt-deux. | L'invalidation du permis de conduire français entraîne nécessairement l'interdiction du droit de conduire sur le territoire national français, quand bien même le prévenu serait titulaire d'un permis délivré par un autre Etat ou d'un permis international.
Est en conséquence inopérant le moyen soutenant que les permis de conduire libanais et international présentés par le prévenu auraient été obtenus régulièrement |
7,791 | N° E 22-81.213 F-B
N° 00704
MAS2
11 MAI 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MAI 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, 3e section, en date du 25 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [L] des chefs de vol avec arme, arrestation, enlèvement, détention ou séquestration arbitraires, en récidive, a dit sans objet l'appel du ministère public de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé de prolonger la détention provisoire de M. [L] et l'ayant placé sous contrôle judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [J] [L] a été placé en détention provisoire le 17 janvier 2021.
3. Par une ordonnance du 10 janvier 2022, le juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger sa détention provisoire et l'a placé sous contrôle judiciaire.
4. M. [L] a été mis en accusation et renvoyé devant une cour d'assises par une ordonnance du juge d'instruction du 12 janvier 2022.
5. Dans cette ordonnance, le magistrat instructeur a dit qu'aux termes de l'article 181, alinéa 5, du code de procédure pénale, le contrôle judiciaire de M. [L] continuera à produire ses effets jusqu'à son jugement par la cour d'assises.
6. Le 10 janvier 2022, le procureur de la République a interjeté appel de l'ordonnance rendue le même jour.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il méconnaît les articles 181, 185, 591 et 593 du code de procédure pénale, en ayant déclaré sans objet l'appel du ministère public interjeté contre l'ordonnance de refus de prolongation de la détention provisoire et de placement sous contrôle judiciaire de M. [L], alors :
1°/ qu'en interjetant appel de cette ordonnance, le procureur de la République, qui peut former appel contre toute ordonnance du juge des libertés et de la détention, a porté le contentieux de la prolongation de la détention provisoire de M. [L] devant la chambre de l'instruction à laquelle il appartenait de statuer sur toutes les questions qui lui étaient ainsi dévolues ;
2°/ que le contrôle judiciaire, ordonné par la décision déférée, a continué à produire ses effets lorsque l'ordonnance de mise en accusation a été rendue le 12 janvier 2022 et ne résulte ainsi d'aucune autre décision que celle déférée à la chambre de l'instruction cette juridiction ne pouvait ainsi être empêchée de statuer sur le refus de prolongation de la détention provisoire résultant de la même ordonnance déférée.
Réponse de la Cour
8. Pour dire qu'est devenu sans objet l'appel interjeté par le procureur de la République contre l'ordonnance du 10 janvier 2022 par laquelle le juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger la détention provisoire de M. [L] et l'a placé sous contrôle judiciaire, l'arrêt attaqué énonce que par ordonnance du 12 janvier 2022, le juge d'instruction a décidé la mise en accusation de M. [L].
9. Les juges ajoutent qu'il résulte de cette mise en accusation que la mesure de sûreté en cours, lors de cette décision, continue à recevoir application par le seul effet de la loi, sans que l'appel du procureur de la République permette à la cour, par infirmation de l'ordonnance refusant de prolonger la détention provisoire de M. [L] et le plaçant sous contrôle judiciaire, de substituer à cette dernière mesure la détention provisoire prolongée, avec le retour aux effets du mandat de dépôt.
10. En se déterminant ainsi, et dès lors que la mise en accusation de M. [L] a nécessairement entraîné la caducité de l'ordonnance dont le procureur de la République a fait appel, la cour d'appel a fait une exacte application des textes visés au moyen.
11. Ainsi, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mai deux mille vingt-deux. | Est devenu sans objet l'appel interjeté, par le procureur de la République, contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant refusé de prolonger la détention provisoire du mis en examen et l'ayant placé sous contrôle judiciaire, dès lors que sa mise en accusation ultérieure a nécessairement entrainé la caducité de ladite ordonnance |
7,792 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 390 FS-B
Pourvoi n° F 20-22.234
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [E].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 novembre 2020.
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 27 avril 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MAI 2022
Mme [T] [E], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-22.234 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2019 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant à M. [S] [W], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [E], de la SCP Marc Lévis, avocat de M. [W], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 novembre 2019), M. [W] et Mme [E], qui vivaient en concubinage, ont acquis un bien immobilier en indivision.
2. A la suite de leur séparation, M. [W] a assigné Mme [E] en liquidation et partage de l'indivision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Mme [E] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'homologation du projet de partage établi le 13 octobre 2016 par M. [L], notaire, sous les seules réserves de l'ajout de sa créance à l'égard de l'indivision au titre de la taxe foncière pour les années 2011, 2012 et 2013, et de la déduction, de la créance de M. [W] à l'encontre de l'indivision au titre des mensualités du prêt Crédit Foncier de France (CFF), du montant total des versements effectués par l'assureur en remboursement de ce crédit, alors « que l'assignation aux fins d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage d'une indivision familiale n'interrompt le délai de prescription de la créance d'un indivisaire à l'encontre de l'indivision qu'à la condition qu'elle manifeste, serait-ce tacitement, la volonté d'obtenir paiement de ladite créance ; qu'en l'espèce, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des créances dont M. [W] se prétendait titulaire au titre du remboursement des prêts CFF et Finaref, la cour d'appel a retenu que la prescription aurait été interrompue lorsqu'il a « engagé l'action en liquidation et partage de l'indivision par assignation du 29 octobre 2007 » ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement constater que cette demande en justice aurait exprimé, serait-ce tacitement, la volonté de M. [W] d'obtenir paiement des créances dont il se dit titulaire au titre des prêts CFF et Finaref, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241 du code civil :
5. Aux termes de ce texte, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
6. Pour ordonner l'homologation du projet de partage établi le 13 octobre 2016 par M. [L], l'arrêt relève que M. [W] a engagé l'action en liquidation et partage de l'indivision par assignation du 29 octobre 2007 et retient que, la procédure n'ayant pas abouti à ce stade au partage de l'indivision, la prescription n'a pas repris son cours, de sorte qu'il est recevable à invoquer des impenses au titre des prêts CFF et Finaref.
7. En se déterminant ainsi, sans constater que l'assignation contenait une réclamation, ne serait-ce qu'implicite, à ce titre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt ayant ordonné l'homologation du projet de partage établi le 13 octobre 2016 par M. [L] entraîne la cassation des chefs du dispositif renvoyant les parties devant le notaire en charge des opérations de liquidation aux fins d'établissement de l'état liquidatif définitif et ordonnant à celui-ci de procéder aux rectifications nécessaires.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne l'homologation du projet de partage établi le 13 octobre 2016 par M. [L], renvoie les parties devant le notaire en charge des opérations de liquidation aux fins d'établissement de l'état liquidatif définitif et ordonne à celui-ci de procéder aux rectifications nécessaires, l'arrêt rendu le 4 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour Mme [E].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [E] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir déclarer nulle la licitation de l'immeuble indivis ;
ALORS QUE Mme [E] soutenait dans ses conclusions que M. [W] avait volontairement détourné les règles de l'indivision de leur but en s'abstenant de solliciter l'attribution préférentielle du bien ou d'user de son droit de préemption avant d'obtenir l'adjudication du bien indivis (conclusions, p. 5 et 6) ; qu'en déboutant l'exposante de sa demande d'annulation de la licitation du bien indivis sans répondre à ce chef déterminant de ses conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné l'homologation du projet de partage de l'indivision conventionnelle établi le 13 octobre 2016 par Me [L] sous les seules réserves de l'ajout de la créance de Mme [E] à l'égard de l'indivision pour un montant de 2 848 euros au titre de la taxe foncière de l'immeuble indivis de l'année 2011, 2012 et 2013, et de la déduction de la créance de M. [S] [W] à l'encontre de l'indivision, au titre des mensualités du prêt CFF, du montant total des versements effectués par l'assureur en remboursement de ce crédit ;
1/ ALORS QUE pour homologuer le projet de partage de l'indivision conventionnelle en date du 13 octobre 2016, la cour d'appel a rejeté la demande d'annulation de la licitation de l'immeuble, licitation sur laquelle se fondait le projet de partage ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen emportera donc la censure du chef de l'arrêt ayant homologué le projet de partage, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QUE l'assignation aux fins d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage d'une indivision familiale n'interrompt le délai de prescription de la créance d'un indivisaire à l'encontre de l'indivision qu'à la condition qu'elle manifeste, serait-ce tacitement, la volonté d'obtenir paiement de ladite créance ; qu'en l'espèce, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription des créances dont M. [W] se prétendait titulaire au titre du remboursement des prêts CFF et Finaref, la cour d'appel a retenu que la prescription aurait été interrompue lorsqu'il a « engagé l'action en liquidation et partage de l'indivision par assignation du 29 octobre 2007 » (arrêt, p. 5, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi, sans aucunement constater que cette demande en justice aurait exprimé, serait-ce tacitement, la volonté de M. [W] d'obtenir paiement des créances dont il se dit titulaire au titre des prêts CFF et Finaref, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 2241 du code civil. | Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
Il en résulte qu'une assignation en liquidation et partage d'une indivision n'interrompt la prescription de créances invoquées par un indivisaire à l'encontre de l'indivision, au titre du remboursement de prêts, que si elle contient une réclamation, ne serait-ce qu'implicite, à ce titre |
7,793 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 391 FS-B
Pourvoi n° F 21-11.106
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MAI 2022
Mme [Y] [V], épouse [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 21-11.106 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à M. [R] [P], domicilié chez M. [C] [S], [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [V], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Antoine, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 25 novembre 2020) et les productions, le 6 juillet 2012, Mme [V] et M. [P], tous deux de nationalité tunisienne, se sont mariés en Tunisie.
2. Mme [V] a assigné son époux en nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles tenant à l'absence d'intention matrimoniale de celui-ci.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en nullité du mariage et en paiement de diverses sommes, alors « qu'il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ; que l'erreur sur la personne ou les qualités essentielles du conjoint commise par un époux s'apprécie en considération selon sa loi nationale ; qu'en l'espèce, Mme [V], de nationalité tunisienne, invoquait, à l'appui de son action en nullité, non seulement l'absence d'intention matrimoniale de M. [P], mais également l'erreur qu'elle avait commise sur les qualités essentielles de ce dernier ; qu'en appréciant cette erreur selon le droit français et non selon le droit tunisien, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 202-1 du code civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.
6. L'article 146 dispose :
« Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement. »
7. La cour d'appel a relevé que Mme [V] se prévalait d'un défaut d'intention matrimoniale de M. [P].
8. Il en résulte que l'action était en réalité fondée sur l'article 146 du code civil, de sorte que la loi française était applicable.
9. Par ce motif de pur droit substitué à celui critiqué, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [V].
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à l'annulation de son mariage avec M. [P] été célébré le 6 juillet 2012 à Ghardimaou (Tunisie) et à ce que M. [P] soit condamné à lui payer 10 854,64 € correspondant aux frais du mariage et 10 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle a subi ;
1°) ALORS QU'il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ; que le consentement de l'époux à un mariage, célébré avant la modification de l'article 202-1 du code civil par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, à l'encontre duquel est invoquée l'absence d'intention matrimoniale doit être apprécié au regard de sa loi nationale ; qu'en appréciant le consentement au mariage de M. [P] en application du droit français, après avoir relevé que ce dernier était de nationalité tunisienne et que le mariage avait été célébré le 6 juillet 2012, la cour d'appel a violé les articles 2, 3 et 202-1 du code civil ;
2°) ALORS subsidiairement QU'il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ; que l'erreur sur la personne ou les qualités essentielles du conjoint commise par un époux s'apprécie en considération selon sa loi nationale ; qu'en l'espèce, Mme [V], de nationalité tunisienne, invoquait, à l'appui de son action en nullité, non seulement l'absence d'intention matrimoniale de M. [P], mais également l'erreur qu'elle avait commise sur les qualités essentielles de ce dernier ; qu'en appréciant cette erreur selon le droit français et non selon le droit tunisien, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;
3°) ALORS en tout état de cause QUE, dans ses conclusions, Mme [V] avait fait valoir que l'absence d'intention matrimoniale de M. [P] était établie par la déclaration -dont il était justifiée par une attestation- de ce dernier qui avait affirmé ne l'avoir épousé que pour être régularisé sur le territoire français, et que cet élément était corroboré par les circonstances que, M. [P] avait refusé d'exposer aucuns frais pour la cérémonie du mariage, entièrement financée par l'exposante au moyen d'un prêt, qu'il ne se rappelait plus que le témoin de mariage était son frère et non son père comme il l'indiquait de façon erronée dans ses conclusions, qu'il n'avait jamais contribué aux charges du ménage, que la cohabitation des époux avait été régulièrement interrompue pendant le mariage, M. [P] retournant en Tunisie sans son épouse une à deux fois par an pendant au moins un mois à chaque fois, qu'il avait quitté le domicile conjugal dès que son titre de séjour ne pouvait plus être remis en cause ; que Mme [V] avait assorti ses allégations d'offres de preuve (Extrait d'acte de mariage, livret de famille, attestation de Mme [E], crédit souscrit le 20 juin 2012, attestation de M. [P] indiquant avoir quitté le domicile conjugal le 1er novembre 2016 ;[P], courrier du préfet de la Corse-du-Sud) ; qu'en retenant que la demande de Mme [V] « ne reposait que sur l'unique attestation d'une amie de la demanderesse », que le défaut d'intention matrimoniale ne pouvait davantage être tiré de l'affirmation, non étayée par le moindre document, que Monsieur [P] ait quitté le domicile conjugal dès qu'il a eu la certitude que son titre de séjour ne pouvait plus être remis en cause » et que « tout au plus, les pièces produites font état de la mésentente du couple et d'une séparation géographique, mais non de l'absence d'une véritable intention matrimoniale justifiant l'annulation du mariage », la cour d'appel a insuffisamment motivé décision en violé l'article 455 du code de procédure civile. | Aux termes de l'article 202-1 du code civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.
Selon l'article 146 du même code, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.
Lorsqu'au soutien d'une action en nullité du mariage, un époux se prévaut d'un défaut d'intention matrimoniale de l'autre, cette action est fondée sur l'article 146 du code civil, de sorte que la loi française est applicable |
7,794 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 392 F-B
Pourvoi n° R 20-20.725
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MAI 2022
M. [E] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-20.725 contre l'arrêt rendu le 6 février 2020 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [C] [L], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F], de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 6 février 2020) et les productions, un jugement du 22 octobre 2009 a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existant entre Mme [L] et M. [F], mariés sous le régime de la séparation de biens.
2. Un jugement du 1er mars 2012 a prononcé leur divorce et ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
3. Le 29 juin 2018, un notaire a établi un projet d'acte de partage faisant apparaître une somme de 850 968,92 euros due par M. [F] à Mme [L] au titre des créances entre époux.
4. Une ordonnance du 4 juillet 2018 a autorisé Mme [L] à pratiquer une saisie conservatoire pour sûreté d'une créance de 900 000 euros.
5. M. [F] a saisi le juge de l'exécution d'une demande tendant à la mainlevée de cette mesure, pratiquée le 24 juillet 2018.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 815, 1479, alinéa 1er, 1543 et 2224 du code civil :
8. Il résulte de ces textes que les créances qu'un époux séparé de biens peut faire valoir contre l'autre et dont le règlement ne constitue pas une opération de partage se prescrivent, en matière personnelle ou mobilière et en l'absence de disposition particulière, selon le délai de droit commun édicté par l'article 2224 du code civil.
9. Pour rejeter la demande de M. [F] tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Mme [L] en raison de la prescription de la créance alléguée par celle-ci, l'arrêt retient que, dès l'ordonnance de non-conciliation, le régime matrimonial devient une indivision post-matrimoniale et que l'action aux fins de partage est imprescriptible.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par fausse application et les autres par refus d'application.
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. M. [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Mme [L], alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que, pour dire que la créance alléguée par Mme [L] n'était pas prescrite, la cour d'appel a retenu qu'en tout état de cause, même à considérer qu'une demande relative à une créance entre époux serait une demande connexe, le délai de prescription de cinq ans n'avait commencé à courir qu'à compter du projet de partage établi par M. [M] le 28 juin 2018, ce projet ayant fait naître le principe de la créance ; qu'en statuant de la sorte, quand le fait générateur de la créance alléguée par Mme [L] était le transfert de valeurs depuis le patrimoine de l'épouse, et que si la prescription n'avait pu courir pendant la durée du mariage, son cours avait repris à compter de la date à laquelle le jugement de divorce était devenu définitif, soit le 26 mai 2012, la cour d'appel a violé les articles 2224 et 2236 du code civil, ensemble l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 et 2236 du code civil :
12. Le premier de ces textes dispose :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
13. Aux termes du second, la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux.
14. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le délai de droit commun par lequel se prescrivent, en l'absence de dispositions particulières, les créances entre époux en matière personnelle ou mobilière commence à courir lorsque le divorce a acquis force de chose jugée.
15. Pour rejeter la demande de M. [F], l'arrêt retient que, si une demande relative à une créance entre époux devait être considérée comme une demande connexe, le délai de prescription de cinq ans ne commencerait à courir qu'à compter du projet de partage du 28 juin 2018, qui a fait naître le principe de la créance.
16. En statuant ainsi, alors que le fait générateur de la créance alléguée par Mme [L] était le transfert de valeurs depuis son patrimoine vers celui de M. [F] et ne pouvait être recherché dans le projet de partage qui en établissait le compte, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. [F] tendant au prononcé de la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Mme [L] entre les mains de l'agence du Crédit Lyonnais [Adresse 3] suivant exploit de la SCP Chauvin-Coulon huissiers de justice en date du 24 juillet 2018 pour sûreté de la somme de 900 000 euros, autorisée par ordonnance du juge de l'exécution du 4 juillet 2018, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne Mme [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [L] et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [F] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à constater et en tant que de besoin prononcer la caducité de la saisie conservatoire pratiquée par Madame [L] entre les mains de l'agence du Crédit Lyonnais [Adresse 3] suivant exploit de la SCP CHAUVIN-COULON huissiers de justice en date du 24 juillet 2018, et autorisée par ordonnance du juge de l'exécution du 4 juillet 2018 ;
ALORS QUE sauf lorsque la saisie conservatoire a été pratiquée sur la base d'un titre exécutoire, le créancier doit, à peine de caducité de la mesure, dans le mois qui suit son exécution, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire ; qu'en l'espèce, Monsieur [F] faisait valoir (ses conclusions d'appel, p. 6-7) que Madame [L] n'avait engagé aucune procédure dans le mois suivant l'exécution de la saisie conservatoire qu'elle avait fait pratiquer le 24 juillet 2018 notamment sur son compte ouvert au sein de la banque LCL en vue d'obtenir un titre exécutoire et concluait au prononcé de la caducité de la saisie ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu que par jugement du 22 octobre 2009, le tribunal de grande instance de SOISSONS avait ordonné l'ouverture des opérations de liquidation et partage de l'indivision existant entre les deux époux et commis un notaire pour procéder à ses opérations, puis que par jugement du 1er mars 2012, ce tribunal avait prononcé le divorce des époux et ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ; que Me [M] a repris les opérations de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux et établi un projet de partage le 28 juin 2018, puis dressé un procès-verbal constatant l'échec de la tentative de partage amiable le 28 août 2018 ; que de ces éléments, la cour d'appel a déduit qu'à la date de l'exécution de la saisie litigieuse, les opérations de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux étaient toujours en cours, Me [M] étant chargé d'effectuer ces opérations, le « débat de fond » étant engagé depuis 2009 et 2012 ; qu'en statuant de la sorte, quand les jugements du 22 octobre 2009 et 1er mars 2012 s'étaient contentés d'ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et que l'existence d'opérations de partage amiable en cours ne dispensait pas Madame [L], si elle entendait faire pratiquer une saisie conservatoire, d'engager dans le mois des opérations de saisie une procédure aux fins d'obtenir un titre exécutoire, la cour d'appel a violé les articles L. 511-4 et R. 511-7 du code de procédures civiles d'exécution.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Monsieur [F] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant au prononcé de la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par Madame [L] entre les mains de l'agence du Crédit Lyonnais [Adresse 3] suivant exploit de la SCP CHAUVIN-COULON huissiers de justice en date du 24 juillet 2018, et autorisée par ordonnance du juge de l'exécution du 4 juillet 2018 ;
1°) ALORS QUE si l'action aux fins de liquidation et partage de l'indivision post-matrimoniale n'est soumise à aucune prescription, les créances entre époux séparés de biens sont soumises à la prescription de droit commun ; qu'en l'espèce, la créance alléguée par Madame [L] sur son ex-époux Monsieur [F] était une créance mentionnée dans le projet de partage établi le 29 juin 2018 par Me [M], au titre du « règlement des créances entre époux », pour un montant total de 929.259,44 € dont 611.025 € correspondant à « divers mouvements bancaires du compte d'exploitation personnel à Madame [L] sur le compte indivis » de 1981 à 2004, outre des dépenses et paiements effectués au cours du mariage ; qu'en jugeant que cette créance procédait des opérations de liquidation et partage de l'indivision post-matrimoniale dans laquelle s'étaient trouvés les ex-époux à la suite de leur divorce, et qu'elle était à ce titre imprescriptible, la cour d'appel a violé les articles 815 et 2224 du code civil, ensemble l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°) ALORS EN OUTRE QUE la créance alléguée par Madame [L] sur son ex-époux Monsieur [F] correspondait notamment à des dépenses et paiement effectués pendant la durée du mariage et s'analysait dans cette mesure en une créance entre époux, connexe aux opérations de liquidation et partage de l'indivision post-matrimoniale ; qu'en jugeant que cette créance procédait des opérations de liquidation et partage de l'indivision post-matrimoniale dans laquelle s'étaient trouvés les ex-époux à la suite de leur divorce, la cour d'appel a méconnu les termes du litige dont elle était saisie, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que, pour dire que la créance alléguée par Madame [L] n'était pas prescrite, la cour d'appel a retenu qu'en tout état de cause, même à considérer qu'une demande relative à une créance entre époux serait une demande connexe, le délai de prescription de cinq ans n'avait commencé à courir qu'à compter du projet de partage établi par Me [M] le 28 juin 2018, ce projet ayant fait naître le principe de la créance ; qu'en statuant de la sorte, quand le fait générateur de la créances alléguée par Madame [L] était le transfert de valeurs depuis le patrimoine de l'épouse, et que si la prescription n'avait pu courir pendant la durée du mariage, son cours avait repris à compter de la date à laquelle le jugement de divorce était devenu définitif, soit le 26 mai 2012, la cour d'appel a violé les articles 2224 et 2236 du code civil, ensemble l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution. | Il résulte des articles 815, 1479, alinéa 1, 1543 et 2224 du code civil que les créances qu'un époux séparé de biens peut faire valoir contre l'autre et dont le règlement ne constitue pas une opération de partage se prescrivent, en matière personnelle ou mobilière et en l'absence de disposition particulière, selon le délai de droit commun édicté par l'article 2224 précité |
7,795 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 297 F-B
Pourvois n°
R 20-21.852
E 20-21.888 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
I - Le comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé parisien 1, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, et du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° R 20-21.852 contre un arrêt (RG N° 19/11726) rendu le 27 février 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Hexagona, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [G] [V], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Hexagona,
3°/ à la société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hexagona,
défenderesses à la cassation.
II - La société Hexagona, société par actions simplifiée, a formé le pourvoi n° E 20-21.888 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ au comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé parisien 1, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, et du directeur général des finances publiques,
2°/ à la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Hexagona,
3°/ à la société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hexagona,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° R 20-21.852 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° E 20-21.888 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé parisien 1, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, et du directeur général des finances publiques, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Hexagona et de la société BCM, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 20-21.852 et E 20-21.888 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Hexagona a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 12 juillet 2017, les sociétés BCM & associés et MJA étant désignées respectivement administrateur et mandataire judiciaires. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 3 juillet 2018, la société BCM & associés étant désignée commissaire à l'exécution du plan.
3. Le 21 décembre 2017, le juge-commissaire a autorisé la transmission universelle à la société Hexagona du patrimoine de la société FFSG, sa filiale à 100 % . La somme correspondant à l'impôt sur les sociétés estimé dû par la société FFSG (2 255 095 euros) a été consignée entre les mains de l'administrateur, devenu commissaire à l'exécution du plan.
4. Le 28 mai 2018 l'administration fiscale, après avoir établi une situation au 31 décembre 2017, a émis un avis de mise en recouvrement et adressé à la société Hexagona une mise en demeure de payer le montant en résultant, que la société Hexagona a contesté.
5. Par requête du 22 novembre 2018, cette dernière a saisi le juge commissaire d'une demande aux fins de voir déclarée la créance fiscale non éligible aux dispositions de l'article L. 622-17, II, du code de commerce et de solliciter l'autorisation pour le commissaire à l'exécution du plan de se libérer à son profit de la consignation. Devant la cour d'appel, le comptable public a demandé l'inscription de la créance sur la liste des créances postérieures privilégiées.
Examen du moyen du pourvoi n° R 20-21.852, formé par le comptable public
Enoncé du moyen
6. Le comptable public fait grief à l'arrêt de dire que la créance postérieure du service d'imposition des entreprises n'est pas éligible au traitement préférentiel privilégié et de le débouter de sa demande d'inscription de cette somme sur la liste des créances postérieures privilégiées, alors « que l'impôt sur les sociétés en cause était une créance d'origine légale, et qu'elle était postérieure, car née régulièrement lors de la clôture de l'exercice comptable, après le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Hexagona ; qu'il était dès lors exclu qu'on puisse considérer que cet impôt ne constituait pas, en ce qui concerne cette société, la contrepartie d'une prestation fournie et n'était pas née pour les besoins de la procédure ou encore qu'elle ne serait une créance utile qu'à l'égard de la société absorbée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-17, I, du code de commerce, 38 et 223-A du code général des impôts :
7. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes que, lorsque la clôture de l'exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le paiement de l'impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l'activité poursuivie après le jugement d'ouverture donnant naissance à une créance éligible aux dispositions du premier texte. Il résulte du dernier texte que, par l'intégration fiscale dans les conditions qu'il détermine, la société mère se constitue seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe.
8. Pour dire que la créance fiscale ne bénéficie pas du traitement privilégié, l'arrêt, après avoir constaté que la société FFSG était une filiale fiscalement intégrée à la société mère Hexagona, retient que, si en application de l'article 223-A du code général des impôts, c'est sur cette société que l'administration fiscale détient une créance d'impôt, cette dernière, née à la clôture de l'exercice fiscal à raison du résultat bénéficiaire, résulte exclusivement du produit de la cession réalisée par la filiale le 26 janvier 2017. Il en déduit que la créance fiscale n'est pas née en contrepartie d'une prestation fournie par la société débitrice ni pour les besoins du déroulement de sa procédure.
9. En statuant ainsi tout en constatant que la société filiale était, pendant toute l'année 2017, intégrée fiscalement à la société mère Hexagona, cette dernière étant débitrice de l'impôt sur les sociétés, calculé en tenant compte du résultat de la filiale, et que la clôture de l'exercice de la société Hexagona était postérieure à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi n° E 20-21.888, formé par la société Hexagona, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Hexagona aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° R 20-21.852 par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé parisien 1, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, et du directeur général des finances publiques.
L'arrêt attaqué, critiqué par le comptable, encourt la censure ;
EN CE QU'il a dit que la créance postérieure du SIE d'un montant de 2.419.551 € n'était pas éligible au traitement préférentiel privilégié et débouté en conséquence le comptable de sa demande d'inscription de cette somme sur la liste des créances postérieures privilégiées de la société HEXAGONA ;
ALORS QU E l'impôt sur les sociétés en cause était une créance d'origine légale, et qu elle était postérieure car née régulièrement lors de la clôture de l'exercice comptable, après le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société HEXAGONA qu'il était dès lors exclu qu'on puisse considérer que cet impôt ne constituait pas en ce qui concerne cette société la contrepartie d'une prestation fournie et n'était pas née pour les besoins de la procédure ou encore qu'elle ne serait une créance utile qu'à l'égard de la société absorbée qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622 17 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi n° E 20-21.888 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Hexagona.
La société Hexagona reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de L'AVOIR déboutée de sa demande tendant à voir déclarer inopposable à la procédure collective la créance du SIE d'un montant de 2.419.551 euros, de l'AVOIR en conséquence déboutée de sa demande tendant à autoriser la Selarl BCM, prise en la personne de Me [E] ès qualités, à se libérer à son profit de la consignation d'un montant de 2.260.000 euros et d'AVOIR renvoyé les parties devant le juge-commissaire à fin qu'il soit statué sur l'admission au passif de la procédure collective de la société Hexagona de la créance du SIE d'un montant de 2.419.551 euros ;
1/ ALORS QUE les créances rejetées par le juge-commissaire de la liste des créances déposées au greffe sont réputées avoir été déclarées dans les conditions de l'article L. 622-24 du code de commerce ; que cette présomption n'est applicable que dans l'hypothèse où il s'agit de créances qui ont été rejetées de la liste déposée au greffe, ce qui suppose qu'elles aient été soumises à l'appréciation du juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la créance litigieuse n'avait pas été rejetée de la liste des créances postérieures méritantes par le juge-commissaire, lequel s'était estimé incompétent pour apprécier le caractère méritant ou non de cette créance postérieure, de sorte que la présomption instituée par l'article R.622-15 du code de commerce ne pouvait recevoir application ; qu'en énonçant cependant que la créance était réputée, en application de l'article R. 622-15 du code de commerce, avoir été déclarée dans les conditions de l'article L.622-24 du code de commerce et qu'en conséquence, cette créance n'était pas inopposable à la procédure collective, la cour d'appel a violé les articles L.622-24 et R.622-15 du code de commerce ;
2/ ALORS QUE lorsque la cour d'appel infirme une décision du juge-commissaire s'estimant à tort incompétent pour statuer sur le caractère méritant ou non d'une créance postérieure et retient le caractère méritant de ladite créance, il lui appartient de statuer sur l'admission de celle-ci avec les pouvoirs du juge-commissaire qui lui sont dévolus par le recours dont elle est saisie ; qu'en renvoyant les parties devant le juge-commissaire à fin qu'il soit statué sur l'admission au passif de la procédure collective de la société Hexagona de la créance du SIE d'un montant de 2.419.551 euros, après avoir retenu le caractère non méritant de la créance, la cour d'appel a violé les articles L.624-2 du code de commerce et 561 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles L.622-17, I, du code de commerce et 38 du code général des impôts que, lorsque la clôture de l'exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le paiement de l'impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l'activité poursuivie après le jugement d'ouverture donnant naissance à une créance éligible aux dispositions du premier texte. Il résulte de l'article 223-A du code général des impôts que, par l'intégration fiscale dans les conditions qu'il détermine, la société mère se constitue seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe |
7,796 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 298 F-B
Pourvoi n° M 20-22.768
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [X], épouse [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
La société [Y], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K], a formé le pourvoi n° M 20-22.768 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [O] [X], épouse [K], domiciliée [Adresse 3],
2°/ à M. [E] [K], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [Y], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [X], et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 octobre 2020), M. [K], coiffeur, a été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 23 juin 2016 et 23 juin 2017. M. [W], auquel a succédé la société [Y], a été désigné en qualité de liquidateur.
2. Par une ordonnance du 9 juillet 2019, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques d'un bien immobilier appartenant au débiteur et à son épouse, Mme [X], dont cette dernière avait la jouissance exclusive depuis une ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 rendue au cours de la procédure de divorce des deux époux. Mme [X] a fait appel de l'ordonnance du juge-commissaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande d'autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété de M. [K] et de Mme [X], son épouse, alors « qu'au cours de l'instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l'ordonnance de non-conciliation, à un époux, n'est plus la résidence principale de l'autre époux qui a été contraint de la quitter ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2], qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005, était la résidence principale de M. [K] au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, alors qu'elle constatait qu'à la suite du dépôt par Mme [X] d'une requête en divorce, la jouissance exclusive de cette maison avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 qui avait statué sur la résidence séparée des époux et que M. [K] avait été contraint de la quitter en exécution de cette décision, de sorte que, depuis le 19 juillet 2010, la maison de [Adresse 5] ne constituait plus la résidence principale de M. [K] mais exclusivement celle de Mme [X], la cour d'appel a violé l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 (lire 108-1) et 255 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle.
5. Pour déclarer la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation irrecevable, l'arrêt retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à Mme [X] est sans effet sur les droits de M. [K] sur le bien et sur son insaisissabilité légale.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne Mme [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société [Y], en la personne de M. [L] [Y], succédant à M. [W], agissant en qualité de mandataire liquidateur de M. [E] [K].
La Selarlu [Y], représentée par M. [Y], en sa qualité de mandataire liquidateur de M. [K], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable sa demande aux fins d'autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété de M. [K] et de Mme [X] située [Adresse 2]) ;
1° ALORS QUE la résidence principale de l'entrepreneur individuel, qui est seule légalement insaisissable, est le lieu où il vit effectivement et habituellement d'une manière stable ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2] était la résidence principale de M. [K] au motif qu'elle avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005 et que le divorce des époux [K]-[X] n'avait pas encore été définitivement prononcé et leur régime matrimonial pas encore été liquidé, sans rechercher concrètement, comme elle y était invitée, si, au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, et depuis le 19 juillet 2010, M. [K] ne vivait pas effectivement et habituellement d'une manière stable dans l'appartement qu'il louait à [Localité 6] et non plus dans la maison située [Adresse 2] dont la jouissance exclusive avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 et qu'il avait été contraint de quitter en exécution de cette décision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 et 255 du code civil ;
2° ALORS QU'au cours de l'instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l'ordonnance de non-conciliation, à un époux, n'est plus la résidence principale de l'autre époux qui a été contraint de la quitter ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2], qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005, était la résidence principale de M. [K] au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, alors qu'elle constatait qu'à la suite du dépôt par Mme [X] d'une requête en divorce, la jouissance exclusive de cette maison avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 qui avait statué sur la résidence séparée des époux et que M. [K] avait été contraint de la quitter en exécution de cette décision, de sorte que, depuis le 19 juillet 2010, la maison de [Adresse 5] ne constituait plus la résidence principale de M. [K] mais exclusivement celle de Mme [X], la cour d'appel a violé l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 et 255 du code civil. | Il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle.
Par conséquent, a violé ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation, retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l'épouse de l'entrepreneur est sans effet sur les droits de ce dernier sur le bien et sur son insaisissabilité légale |
7,797 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 309 F-B
Pourvoi n° K 20-23.204
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
M. [S] [O], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 20-23.204 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société Franfinance location, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [O], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Franfinance location, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 16 septembre 2020), M. [O], médecin, a, le 10 février 2008, souscrit auprès de la société Profilease un contrat portant sur la location d'un matériel laser transcutané sans aspiration dénommé « Lypolise Laser Fox », d'une durée de soixante mois, moyennant le paiement des loyers mensuels de 743,91 euros.
2. M. [O] a cessé de payer les loyers à compter du 1er janvier 2011.
3. Le 12 octobre 2016, la société Franfinance location (la société Franfinance), qui s'est substituée à la société Profilease, a assigné M. [O] en constatation de la résiliation de plein droit du contrat, en condamnation au paiement des loyers impayés et d'une indemnité contractuelle de résiliation, et en restitution du matériel objet du contrat.
4. M. [O] s'est opposé à ces demandes en soulevant, notamment, la prescription des loyers échus avant le 12 octobre 2011.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers antérieurs au 12 octobre 2011 et l'ensemble de ses moyens au fond et, en conséquence, de constater la résiliation du contrat au « 12 avril 2011 » (comprendre le 27 décembre 2011), de le condamner à payer à la société Franfinance les sommes de 10 908,13 euros au titre des loyers impayés et 13 483,47 euros au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation et des intérêts, assorties des intérêts au taux légal, de rejeter sa demande de délais de paiement et de le condamner à restituer le matériel objet du contrat, alors « que la mise en demeure du débiteur n'interrompt pas la prescription ; qu'en considérant, pour débouter M. [O] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers antérieurs au 12 octobre 2011, que M. [O] avait reçu une première mise en demeure de payer le 27 avril 2011 puis une seconde le 3 avril 2013 pour les loyers dus à compter du 1er janvier 2011, que la société Franfinance location l'avait assigné en justice le 12 octobre 2016 mais que du fait de ces deux interruptions, la prescription quinquennale n'était pas acquise, quand ces deux mises en demeure n'avaient pu interrompre le délai de prescription de l'action en recouvrement de ces loyers, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224, 2240, 2241 et 2244 du code civil :
7. La prescription quinquennale prévue par le premier de ces textes est, en application des deuxième, troisième et quatrième, interrompue par la reconnaissance du débiteur, une demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution, ou un acte d'exécution forcée. Cette énumération est limitative.
8. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande en paiement des loyers impayés antérieurs au 12 octobre 2011 et, en conséquence, retenir que la société Franfinance est recevable à agir en paiement des loyers, l'arrêt retient que M. [O] a reçu une première mise en demeure de payer les loyers le 27 avril 2011 et une seconde le 3 avril 2013, pour les loyers impayés à compter du 1er janvier 2011, de sorte qu'au jour de la délivrance de l'assignation, le 12 octobre 2016, la prescription quinquennale n'était pas acquise du fait de ces deux interruptions.
9. En statuant ainsi, alors qu'une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, n'interrompt pas le délai de prescription de l'action en paiement des loyers, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation prononcée sur le fondement du second moyen, fondée sur une éventuelle prescription des loyers échus avant le 12 octobre 2011, n'affecte que les chefs de dispositif rejetant la fin de non-recevoir soulevée à ce titre par M. [O] et condamnant ce dernier au paiement des loyers, et, par voie de conséquence, le chef assortissant cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2011, qui se trouve dans un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers antérieurs au 12 octobre 2011 soulevée par M. [O], condamne M. [O] à payer à la société Franfinance location la somme de 10 908,13 euros TCC au titre des loyers impayés et assortit cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2021, l'arrêt rendu le 16 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Franfinance location aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Franfinance location et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [O].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [O] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses moyens au fond et, en conséquence, d'avoir constaté la résiliation du contrat du 10 février 2008 intervenue de plein droit le « 12 avril 2011 » (erreur matérielle, la date exacte est le 27 décembre 2011), condamné M. [O], en application des termes du contrat qu'il a approuvé et signé, à payer à la société Franfinance location les sommes de 10.908,13 euros TTC au titre des loyers impayés et 13.483,47 euros HT au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation et des intérêts, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2011, et enfin d'avoir débouté M. [O] de sa demande de délais de paiement et de l'avoir condamné, sous astreinte de 650 euros par mois de retard à compter de la signification du jugement, à restituer le matériel Lypolise Laser Fox ;
Alors que les juges du fond sont tenus d'examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, pour retenir que la disparition de la cause du contrat de location alléguée par M. [O] n'était pas établie, la cour d'appel a, après avoir pris connaissance du décret du 12 avril 2011 et rappelé que M. [O] soutenait que l'appareil loué n'utilise que les techniques prohibées par l'article 1er de ce décret, considéré qu'« aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que les techniques ainsi visées peuvent être réalisées avec le matériel objet du contrat, puisque M. [O] ne fournit aucune pièce, mis à part des photographies, permettant de définir la ou les techniques mises en oeuvre dans le cadre de l'utilisation de l'appareil » (arrêt attaqué, p. 5) ; qu'en se déterminant de la sorte, sans examiner si les photographies qu'elle citait ne suffisaient pas à définir la ou les techniques mises en oeuvre dans le cadre de l'utilisation de l'appareil, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [O] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers antérieurs au 12 octobre 2011 et de l'ensemble de ses moyens au fond et, en conséquence, d'avoir constaté la résiliation du contrat du 10 février 2008 intervenue de plein droit le « 12 avril 2011 » (erreur matérielle, la date exacte est le 27 décembre 2011), condamné M. [O], en application des termes du contrat qu'il a approuvé et signé, à payer à la société Franfinance location les sommes de 10.908,13 euros TTC au titre des loyers impayés et 13.483,47 euros HT au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation et des intérêts, assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2011, et enfin d'avoir débouté M. [O] de sa demande de délais de paiement et de l'avoir condamné, sous astreinte de 650 euros par mois de retard à compter de la signification du jugement, à restituer le matériel Lypolise Laser Fox ;
Alors que la mise en demeure du débiteur n'interrompt pas la prescription ; qu'en considérant, pour débouter M. [O] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription des loyers antérieurs au 12 octobre 2011, que M. [O] avait reçu une première mise en demeure de payer le 27 avril 2011 puis une seconde le 3 avril 2013 pour les loyers dus à compter du 1er janvier 2011, que la société Franfinance location l'avait assigné en justice le 12 octobre 2016 mais que du fait de ces deux interruptions, la prescription quinquennale n'était pas acquise, quand ces deux mises en demeure n'avaient pu interrompre le délai de prescription de l'action en recouvrement de ces loyers, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [O] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'ensemble de ses moyens au fond et, en conséquence, d'avoir constaté la résiliation du contrat du 10 février 2008 intervenue de plein droit le « 12 avril 2011 » (erreur matérielle, la date exacte est le 27 décembre 2011), et de l'avoir condamné, sous astreinte de 650 euros par mois de retard à compter de la signification du jugement, à restituer le matériel Lypolise Laser Fox ;
Alors que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en considérant, pour condamner M. [O] à restituer le matériel Lypolise Laser Fox, que la lettre de mise en demeure reçue par M. [O] le 27 avril 2011 indiquait que, dès le prononcé de la résiliation, le matériel devait être immédiatement restitué et qu'il appartenait à ce dernier de s'enquérir de ses modalités de restitution, quand il appartenait à la société Franfinance location, en sa qualité de créancier de l'obligation de restitution, d'indiquer les modalités d'exécution de cette obligation, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du code civil, pris dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | La prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil est, en application des articles 2240, 2241 et 2244 de ce code, interrompue par la reconnaissance du débiteur, une demande en justice, même en référé, une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution, ou un acte d'exécution forcée, cette énumération étant limitative. Il en résulte qu'une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, n'interrompt pas le délai de prescription de l'action en paiement |
7,798 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 314 F-B
Pourvoi n° P 18-23.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
1°/ la société Perforadora Central SA de CV, dont le siège est [Adresse 19] (Mexique),
2°/ la compagnie d'assurance Lloyds Auw 609 Atrium Underwriters Ltd, dont le siège est [Adresse 2] (Royaume-Uni),
3°/ la compagnie d'assurances [Adresse 18], dont le siège est [Adresse 10] (Royaume-Uni),
4°/ la compagnie d'assurance Lloyds RTH 1414 Ascot Underwriting Ltd, dont le siège est [Adresse 20] (Royaume-Uni),
5°/ la compagnie d'assurance Lloyds AEX 1225 Aegis Managing Agency Ltd, dont le siège est [Adresse 4] (Royaume-Uni),
6°/ la compagnie d'assurance Lloyds MAP 2791 Managing Agency Partners Ltd, dont le siège est [Adresse 4] (Royaume-Uni),
7°/ la compagnie d'assurance XL Speciality Insurance, dont le siège est [Adresse 12] (États-Unis),
8°/ la compagnie d'assurance Mutual Marine Office, dont le siège est [Adresse 11] (États-Unis),
9°/ la compagnie d'assurance American Offshore, dont le siège est [Adresse 7] (États-Unis),
10°/ la compagnie d'assurance Commonwealth Insurance, dont le siège est [Adresse 9] (Canada),
11°/ la société International Insurance Company Hannover, dont le siège est [Adresse 17] (États-Unis),
12°/ la société Catlin Underwriting Agencies Ltd, dont le siège est [Adresse 6] (Royaume-Uni), venant aux droits de la société Lloyds WEL 2020 Wellington Underwriting,
13°/ la compagnie d'assurance Lloyds HIS 33 Hiscox, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni),
14°/ la compagnie d'assurances Lloyds KLN 510 R J Klin & Co, dont le siège est [Adresse 3] (Royaume-Uni),
15°/ la société NY General & Marine Insurance, dont le siège est [Adresse 8] (États-Unis),
16°/ la société Prosight Speciality Management Company, dont le siège est [Adresse 8] (États-Unis),
ont formé le pourvoi n° P 18-23.222 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Maritime de Ecologia (Maresca), dont le siège est [Adresse 15] (Mexique),
2°/ à la société Bourbon Ships,
3°/ à la société Bourbon Offshore Norway,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 21] (Norvège),
4°/ à la société [Adresse 14], dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Perforadora Central SA de CV, des compagnies d'assurance Lloyds Auw 609 Atrium Underwriters Ltd, [Adresse 18], Lloyds RTH 1414 Ascot Underwriting Ltd, Lloyds AEX 1225 Aegis Managing Agency Ltd, Lloyds MAP 2791 Managing Agency Partners Ltd, XL Speciality Insurance, Mutual Marine Office, American Offshore, Commonwealth Insurance, des sociétés International Insurance Company Hannover, Catlin Underwriting Agencies Ltd, des compagnies d'assurance Lloyds HIS 33 Hiscox, Lloyds KLN 510 R J Klin & Co et des sociétés NY General & Marine Insurance et Prosight Speciality Management Company, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Maritime de Ecologia (Maresca) et des sociétés Bourbon Ships, Bourbon Offshore Norway et [Adresse 14], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 juin 2018, rectifié le 9 juillet 2020), le 18 juin 2005 en [Adresse 13], dans le golfe du Mexique, le navire ravitailleur Don Rodrigo, propriété de la société de droit mexicain Perforadora Central SA de CV (la société Perforadora), qui en était aussi l'armateur, a été détruit partiellement à la suite d'une explosion survenue alors qu'il faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers le port mexicain de [Localité 16], deux heures après la fin de l'embarquement, dans ses cuves, de déchets de lavage de la tête d'un puits de pétrole appartenant à la société mexicaine d'Etat Pemex Exploracion y Produccion (la société Pemex), déchets pompés à bord par le navire Bourbon Opale auprès duquel il s'était amarré à couple.
2. Estimant engagée la responsabilité du navire Bourbon Opale dans ce sinistre, la société Perforadora et ses assureurs, les sociétés International Insurance Company Hannover, Commonwealth Insurance, Mutual Marine office, XL Speciality Insurance, American Offshore, Lloyds Wel 2020, Lloyds HIS 33, Lloyds KLN 510, Lloyds AUW 609, Lloyds XL 1209, Lloyds RTH 1414, Lloyds AES 1225, Lloyds MAP 2791 (les assureurs) ont assigné la société de droit mexicain Maritima de Ecologia (Maresca) (la société Maresca), affréteur du navire Bourbon Opale ainsi que la société de droit norvégien Bourbon Ships AS, propriétaire du navire Bourbon Opale, la société de droit norvégien Bourbon Offshore Norway, « gérant » du navire, et la société [Adresse 14], société mère, (les sociétés Bourbon) aux fins d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Les sociétés NY General & Marine Insurance New Jersey et Prosight Speciality Management Company New Jersey sont intervenues volontairement devant la cour d'appel.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et sur les premier et troisième moyens, pris en leurs cinquième et sixième branches, rédigés en termes identiques, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les premier et troisième moyens, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
4. La société Perforadora et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon et la société Maresca, alors « que constitue un abordage dit "sans heurt" au sens des articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports, entraînant la responsabilité du navire concerné, le dommage causé par le transbordement de la cargaison de ce navire vers un autre navire, après une opération de mise à couple des deux navires ; que la cour d'appel, en se bornant à statuer par un motif inopérant relatif à l'intégration de la cargaison au premier navire et à affirmer que l'abordage implique à tout le moins le fait d'un navire, a violé les textes précités. »
Réponse de la Cour
5. Ayant constaté que la destruction partielle du navire Don Rodrigo était survenue plus de deux heures après le transbordement de la cargaison dangereuse, dont l'explosion avait été provoquée par une étincelle à bord du navire alors que celui-ci faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers le port de [Localité 16], et relevé que la cargaison provenant du navire Bourbon Opale ne pouvait être considérée comme étant devenue partie intégrante de ce dernier, la cour d'appel a pu en déduire que l'accident n'avait pas été causé par le navire Bourbon Opale et a exactement retenu qu'aucun abordage n'était survenu entre les deux navires.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur les premier et troisième moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
7. La société Perforadora et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon et la société Maresca, alors « qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, se référant à la législation mexicaine (normes mexicaines CRETIB) sans en préciser le contenu, a jugé qu'il ne pouvait être reproché au Bourbon Opale de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage IMDG du produit transporté ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, au besoin d'office, la teneur de la législation mexicaine, à laquelle se référaient au demeurant les appelantes en visant une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux qui imposait le respect d'un marquage, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 3 du code civil :
8. En application de ce texte, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.
9. Pour rejeter la demande d'indemnisation de la société Perforadora et de ses assureurs contre la société Bourbon Offshore sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l'arrêt, après avoir retenu que le code IMDG (International Maritime Dangerous Goods Code) auquel renvoie le chapitre VII de la Convention SOLAS était inapplicable à la cause, en déduit qu'il ne peut être fait grief à la société Maresca et aux sociétés Bourbon de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage de la classe IMDG du produit transporté « et ainsi de ne pas s'être conformées à la législation mexicaine (norme mexicaine CRETIB). »
10. En statuant ainsi, alors que la société Perforadora et ses assureurs invoquaient spécialement une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux imposant le respect d'un marquage, la cour d'appel, qui se réfère elle aussi au droit mexicain, mais déduit que l'absence de marquage lui était conforme du seul fait que le code IMDG ne l'imposait pas, sans rechercher la teneur exacte du droit mexicain lui-même pour vérifier qu'il n'était pas plus exigeant que les normes IMDG, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Perforadora et ses assureurs de ses demandes à l'encontre de la société Bourbon Offshore sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rectifié rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Constate l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt rectificatif ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société [Adresse 14] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Maritime de Ecologia (Maresca), Bourbon Ships, Bourbon Offshore Norway et [Adresse 14] et condamne la société [Adresse 14] à payer à la société Perfodara Central SA de CV et à ses assureurs la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Perforadora Central SA de CV, des compagnies d'assurance Lloyds Auw 609 Atrium Underwriters Ltd, [Adresse 18], Lloyds RTH 1414 Ascot Underwriting Ltd, Lloyds AEX 1225 Aegis Managing Agency Ltd, Lloyds MAP 2791 Managing Agency Partners Ltd, XL Speciality Insurance, Mutual Marine Office, American Offshore, Commonwealth Insurance, des sociétés International Insurance Company Hannover, Catlin Underwriting Agencies Ltd, des compagnies d'assurance Lloyds HIS 33 Hiscox, Lloyds KLN 510 R J Klin & Co et des sociétés NY General & Marine Insurance et Prosight Speciality Management Company.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a débouté la société Perforadora Central de ses demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon Ships, Bourbon Offshore Norway, [Adresse 14] et Maresca ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« Sur la qualité de producteur subséquent de déchets du navire Bourbon Opale
Le droit de l'environnement fait du producteur subséquent de déchets le responsable de son suivi jusqu'à son élimination finale.
Selon les appelantes, l'explosion est due à une défaillance au stade du traitement à bord du Bourbon Opale qui a donné lieu à une déclaration défectueuse à l'appui du bon de déchargement.
Elles font valoir à cet égard que les déchets et résidus provenant d'une opération de nettoyage d'un oléoduc depuis une plate-forme fixe de l'entreprise publique mexicaine, Pemex, chargés à bord du navire Bourbon Opale, affrété par Pemex, équipé d'une usine de traitement en pontée, le "FPSO", ont été transbordés à bord du navire Don Rodrigo, également affrété à temps par Pemex pour la collecte et le transport de ces déchets et résidus non dangereux, après avoir fait l'objet d'un traitement triphasique sur le navire, sous le contrôle de la société mexicaine Maresca, partenaire de l'armement Bourbon.
Elles en déduisent que Pemex a perdu sa qualité de producteur initial de déchets de lavage à la suite de leur traitement à bord du navire Bourbon Opale et en veulent pour preuve l'aveu judiciaire des intimées qui résulterait de leur pièce 26 (page 28) aux termes de laquelle leur expert admettrait une opération de traitement triphasique à bord du navire Bourbon Opale.
Le commandant [K] [L] achève son « Mémoire n° 2 aux intérêts de [Adresse 14]" en ces termes :
" En revanche, Bourbon Offshore n'intervenait en rien dans la gestion du personnel navigant et des techniciens à bord du navire, ni dans les mouvements de celui-ci, ni dans l'exploitation de l'installation triphasique de conception Maresca, mise à bord pour traiter les effluents des plateformes d'extraction pétrolière ou de rinçage des oléoducs. En conséquence
".
S'il est ainsi admis l'existence d'une installation de traitement triphasique à bord du navire Bourbon Opale, il ne s'en déduit nullement la reconnaissance d'un tel traitement s'agissant de la cargaison litigieuse préalablement à son transbordement sur le navire Don Rodrigo alors que les intimées ne reconnaissent qu'une décantation. Elles disent à cet égard que les boues de lavage provenant du nettoyage des conduites du puits après obturation de la tête de celui-ci récupérées par le navire stockeur Bourbon Opale n'ont pas vocation à être traités à bord de ce navire, ajoutant qu'après décantation, l'eau contaminée est pompée directement sur ordre de Pemex par le navire allégeur Don Rodrigo chargé de l'acheminer à terre en vue de leur élimination dans une unité de traitement terrestre.
Une décantation ne pouvant s'assimiler à une modification de la nature des déchets, en l'absence de toute démonstration en ce sens, et aucun changement de volume ou de structure du produit ni aucun traitement n'étant établi, les appelantes ne rapportent pas la preuve de ce qu'il a été procédé à un traitement triphasique des boues de lavage à bord du navire Bourbon Opale, en modifiant la nature, de sorte que celui-ci serait devenu un producteur subséquent de déchets dont il doit endosser la responsabilité.
Aucun aveu judiciaire ne peut être retenu en l'espèce.
La cour observe en outre, qu'il n'est pas démontré que la cargaison en cause aurait dû faire l'objet d'un traitement triphasique afin de rendre celle-ci non dangereuse.
Dès lors, Pemex est demeuré propriétaire de la cargaison provenant d'un oléoduc lui appartenant chargée à bord de Bourbon Opale, puis transbordée sur le navire ravitailleur Don Rodrigo.
Sur l'application de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 aux dommages subis par le Don Rodrigo
Les appelantes soutiennent que l'événement de mer ayant occasionné l'incendie du navire Don Rodrigo est le fait du navire Bourbon Opale et s'inscrit dans le cadre de la convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière d'abordage de Bruxelles du 23 septembre 1910 en vertu de son article 13. Elles disent que la convention s'applique aux dommages causés au navire Don Rodrigo par le navire Bourbon Opale alors même qu'il n'y a pas eu abordage aux motifs qu'il y a eu inobservation des règlements.
Les intimées rétorquent que ladite convention ne peut trouver s'appliquer en l'espèce et opposent la prescription de l'action.
Sur la prescription de l'action
Les intimées opposent la prescription de l'action des appelantes fondée sur cette convention aux motifs que l'action engagée par un propriétaire de navire contre un autre propriétaire de navire estimé responsable d'un abordage doit intervenir dans un délai de deux ans à compter de la survenance de l'abordage et que les appelantes auraient reconnu que toute action contre le propriétaire du navire, la société Bourbon Ships AS qui aurait dû être engagée en Norvège, lieu du domicile de l'armateur, serait prescrite.
Selon l'article 7 de ladite convention,
"Les actions en réparation de dommages se prescrivent par deux ans à partir de l'événement.
Les causes de suspension et d'interruption de ces prescriptions sont déterminées par la Loi du tribunal saisi de l'action
»
Or, les appelantes ayant attraits devant les juridictions françaises les sociétés qu'elles considèrent co-auteur de l'abordage, c'est justement qu'elles se prévalent des dispositions de l'article 2241 alinéa 1er du code civil français aux termes duquel la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et qu'il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente. Il s'ensuit que la procédure introduite le 18 juin 2007 devant la juridiction américaine à l'encontre de Bourbon Ships propriétaire du navire, devenue Bourbon Ships (en 2005), et Bourbon Offshore Norway (BON), gestionnaire du navire, à la suite du sinistre survenu le 18 juin 2005, qui a donné lieu à un jugement d'incompétence du 10 février 2009, a interrompu le délai de prescription et que le délai biennal de prescription a été de nouveau interrompu par la procédure au fond introduite le 5 février 2010 devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer à l'encontre des sociétés intimées, interruption de la prescription qui se prolonge jusqu'au jour où le jugement devient définitif, et fait courir un délai de même durée que l'ancien en vertu des dispositions de l'article 2231 du code civil.
L'action fondée sur la convention internationale de Bruxelles du 23 septembre 1910 pour l'unification de certaines règles en matière d'abordage ne se trouve donc pas prescrite.
Sur l'application de la convention en vertu de son article 13 et l'existence d'un abordage sans heurt
La Convention internationale de Bruxelles du 23 septembre 1910 pour l'unification de certaines règles en matière d'abordage s'applique lorsque tous les navires en cause sont ressortissants des Etats contractants, ce qui est le cas en l'espèce des deux navires battant pavillon mexicain.
Elle ne s'applique qu'en cas d'abordage survenu entre navires de mer ou entre navires de mer et bateaux de navigation intérieure, sans tenir compte des eaux où l'abordage s'est produit.
L'article 13 de ladite convention dispose : "La présente Convention s'étend à la réparation de dommages que, soit par exécution ou omission d'une manoeuvre, soit par inobservation des règlements, un navire cause à un autre navire alors même qu'il n'y a pas eu abordage".
L'application jurisprudentielle de l'abordage sans heurt vise le plus souvent l'hypothèse des dommages subis par un petit navire du fait du remous provoqué par le déplacement ou les hélices d'un gros navire (abordage par remous "wash").
En l'espèce, retenir l'existence d'un abordage sans heurt conduit à considérer que les "eaux contaminées" transbordées du navire Bourbon Opale au navire Don Rodrigo, étaient devenues parties intégrantes du Bourbon Opale de sorte que l'explosion survenue près de deux heures après le transbordement alors que le navire Don Rodrigo faisait route vers le port de [Localité 16] aurait été causé par le navire Bourbon Opale.
Les appelantes soutiennent que Maresca a la qualité de donneur d'ordre du navire Bourbon Opale et non Pemex et disent que les dommages subis par le navire Don Rodrigo sont dus aux effets du contact opérationnel qui s'est produit avec le navire Bourbon Opale par l'opération de mise à couple pour le transfert des déchets entre les deux navires.
Elles se fondent sur trois contrats successifs : la charte-partie à temps entre les 2 sociétés mexicaines Maresca et Pemex le 19 novembre 2003 (Pièce 72), faisant valoir que celui-ci énonce que "Maresca est responsable de l'enregistrement de la production et des services de l'usine de traitement et de tout équipage associé", le contrat de crédit-bail du 18 mai 2004 conclu entre Maresca et l'armement Bourbon (Island Offshore VIKS et BON) par lequel le navire est donné en location à Maresca avec option d'achat, et le contrat tripartite (contrat de partenariat ou joint venture) du même jour conclu entre Island Offshore VIKS, BON et Maresca dont elles disent qu'il confère à l'armement Bourbon toute la gestion nautique et commerciale du navire.
Selon elles, l'autorité finale sur le navire FPSO "Bourbon Opale" mis à disposition de Pemex qui est armé, doté d'un équipage complet composé d'un capitaine, d'un chef mécanicien, d'officiers de marine rompus à l'activité offshore et équipé d'une usine de traitement de production, est l'armement Bourbon, l'armateur fréteur.
Elles dénient tout affrètement coque nue du Bourbon Opale par Maresca en l'absence de production d'une charte partie coque nue et contestent que Pemex ait "la haute main" sur les opérations de transbordement des déchets de lavage comme le soutiennent les intimées.
Les intimées rétorquent que :
- le Bourbon Opale est la propriété de la société de droit norvégien Bourbon Ships AS, qui l'a donné en affrètement à la société de droit norvégien Bourbon Offshore Norway (BON), laquelle l'a frété à la société Maresca (société de droit mexicain), laquelle l'a elle-même donné en affrètement à Pemex,
- c'est Pemex et non Maresca qui est l'affréteur final du Bourbon Opale,
- c'est le représentant de Pemex à bord du navire Bourbon Opale, l'ingénieur [S] [E] [V] [G], qui a établi et signé le bon de déchargement remis au commandant du Don Rodrigo qui est à l'entête de PEP.
La charte-partie à temps conclue entre les 2 sociétés mexicaines Maresca et Pemex du 19 novembre 2003 (Pièce 72) (ci-après contrat Pemex) a pour objet "l'affrètement d'un navire de traitement dénommé "Bourbon Opale" pour la réception d'hydrocarbures provenant des essais de jaugeage et des opérations liées au forage, à la réparation et au dégorgement de puits" avec son équipage complet.
Ce contrat fait peser sur Maresca, le fréteur, notamment :
- la coordination de la transformation du navire, la construction de l'unité de traitement, sa certification, sa construction et son installation,
- la fourniture d'un personnel qualifié et expérimenté.
En outre, le fréteur s'engage à manipuler les résidus ou les eaux contaminées dans le strict respect de la convention MARPOL 73/78 et des dispositions qui la régissent en ce qui concerne la prévention de la pollution par hydrocarbures dans les ports de chargement et de déchargement, ainsi que sur les routes maritimes nationales et internationales.
Par ce contrat d'affrètement à temps, Maresca a la charge de la gestion nautique du navire, celle de la construction, de la mise à bord et de l'exploitation de l'installation de traitement ainsi que le respect des mesures de sécurité et de prévention de la pollution, tandis que Pemex a la charge de la gestion commerciale du navire mis à sa disposition.
La conclusion, le 18 mai 2004, d'un contrat de crédit-bail avec option d'achat du navire Bourbon Opale entre les sociétés de droit norvégien Island Offshore Viks, BON et la société de droit mexicain Maresca, suivi d'un avenant du 31 janvier 2005, entre Bourbon Offshore VIKS (à la suite de la vente du navire par le fréteur précédent), Bon et Maresca. (pièce 62 contrat de location) ainsi que celle d'un accord tripartite du même jour, entre les mêmes parties, suivi d'un avenant du 31 janvier 2005, entre Bourbon Offshore VIKS, Bon et Maresca. (pièce 61) ne sont pas de nature à modifier les relations existantes entre Maresca et Pemex telles qu'elles résultent de la charte-partie conclue entre ces deux sociétés mexicaines. A cet égard, est indifférente la circonstance que le contrat tripartite transfère à BON certaines des obligations de Maresca en vertu du contrat de location, notamment ses obligations techniques et opérationnelles en sa capacité de preneur à bail, comme la maintenance et le fonctionnement ainsi que les réparations et que Maresca se voit confier l'exploitation commerciale notamment du contrat Pemex.
Ainsi, les eaux contaminées, propriété de Pemex, producteur de déchets ainsi qu'il a été dit, ont été transbordées à bord du navire Don Rodrigo sur ordre de Pemex, en charge de la gestion commerciale du Bourbon Opale au travers de son représentant à bord qui a établi le bon de déchargement.
Il n'est nullement démontré que les eaux contaminées transbordées du navire Bourbon Opale au navire Don Rodrigo, étaient devenues parties intégrantes du Bourbon Opale et ainsi que l'explosion aurait été causée par le premier au second.
En outre, la responsabilité pour abordage a pour fondement une faute prouvée et non le fait des choses que l'on a sous sa garde.
La convention sur l'abordage ne peut trouver à s'appliquer à l'événement de mer survenu près de deux heures après la fin du transbordement alors que le navire collecteur faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers le port mexicain de [Localité 16].
De surcroît, et en tout état de cause, il est permis de s'interroger sur le lien de causalité direct qui existerait entre la faute commise par le navire Bourbon Opale du fait de la cargaison transbordée et le dommage en raison de l'explosion du navire résultant d'une étincelle à bord du navire Don Rodrigo (cigare ou interrupteur électrique) d'une marchandise placée dans un ballast d'eau de mer.
Sur la faute pour défaut de marquage de la cargaison
En outre, même à admettre que les "eaux contaminées" transbordées du navire Bourbon Opale au navire Don Rodrigo, seraient devenues parties intégrantes du Bourbon Opale, encore faut-il pour que la convention trouve à s'appliquer, qu'il y ait eu une faute imputable au premier navire, s'agissant d'une responsabilité pour faute prouvée.
Est invoquée à cet égard, "l'inobservation des règlements" au sens de l'article 13 de la convention.
La faute au sens de la convention ne saurait se limiter à l'inobservation des règles de barre et de route telles qu'elles sont fixées par le règlement international pour prévenir les abordages en mer (RIPAM) et s'entend du manquement à une obligation préexistante prescrivant un comportement et donc, un manquement à un règlement, national ou international, fixant des règles de conduite professionnelle, notamment des dispositions résultant des conventions internationales sur la sécurité de la navigation qui ont pour objet de fixer des règles impératives et contraignantes en matière de sécurité.
Dès lors, c'est justement que les appelantes ses prévalent de la faute qui résulterait de l'inobservation des conventions SOLAS, MARPOL et des codes ISM et IMDG.
Les appelantes invoquent à cet égard l'absence de marquage conforme de la marchandise transbordée. Elles disent que l'événement de mer ayant occasionné l'incendie du navire Don Rodrigo est le fait du navire Bourbon Opale par le rejet d'une cargaison dangereuse sans marquage ONU, CRETIB et IMDG.
Elles font ainsi grief à Maresca d'avoir omis de déclarer les marchandises dangereuses sur le journal de bord et le registre des hydrocarbures du Bourbon Opale, les seules mentions "aguas aceitosas" et "emulcion aceite-agua" reprises par Pemex sur le bon d'enlèvement qu'elles traduisent par "eaux huileuses" et "émulsion d'eaux huileuses" qui ne figurent ni dans la nomenclature IMDG ni dans le code mexicain CRETIB étant insuffisantes à cet égard.
Elles distinguent les eaux de production de carburants qui contiennent des hydrocarbures tels que benzène et toluène des eaux résiduaires ou eaux huileuses issues de lavage des capacités, clarifiée et débarrassées de la plus grande partie des hydrocarbures. Elles en déduisent que les déchets de lavage ont été déchargés sous une mention non conforme à leur propriété physico-chimique dangereuse, que le navire Don Rodrigo n'avait aucune raison de refuser la cargaison issue d'opération de lavage au moyen d'effluents de lavage traités à bord pour parvenir à un déchet dit banal, polluant mas non dangereux, destiné à être définitivement éliminé.
Les intimées rétorquent que le Don Rodrigo a été pleinement informé de la nature de la cargaison transbordée à partir du Bourbon Opale le 18 juin 2005 par la mention portée par le représentant à bord du Bourbon Opale de Pemex.
Elles ajoutent que la charte-partie du 19 juillet 2004 pour l'affrètement du navire Don Rodrigo liant Pemex à Perforadora (pièce 49 des appelantes) comporte une annexe E-1 (pièce 113 des appelantes) qui mentionne le transport de "aceites contaminados" et "residuos aceitosos", ces termes ne pouvant se traduire, comme le soutiennent les appelantes, par ''huiles polluées" et "résidus huileux" mais par "eaux chargées d'hydrocarbures" et "résidus d'hydrocarbures".
Les parties s'opposent ainsi sur la traduction des termes espagnols figurant tant sur le bon de déchargement que sur l'annexe E-1 de la charte-partie par laquelle Perforadora a frété le navire Don Rodrigo à Pemex.
Selon Mme [N] [G] [A], expert traductrice en langues espagno-français près la cour d'appel de Paris, (pièce 110 et 147 des appelantes) :
- le terme "aguas oleosas" ou "aguas aceitosas", "si l'on s'en tient strictement à la traduction littérale des termes, doivent être traduits par "eaux huileuses". L'espagnol étant une langue d'origine latine, sil 'auteur du texte avait voulu écrire "hydrocarbures" ou "eaux contenant des hydrocarbures ", il aurait tout simplement écrit : "hidrocarburos" ou "aguas que contienen hidrocarburos",
- la mention "EMULCION ACETE-AGUA" pourrait se traduire par "Emulsion huile dans eau" (ou émulsion HIE),
- elle n'est pas en mesure d'affirmer que "aguas oleosas/aceitosas" est synonyme de "émulsions huile dans eau", pensant qu'il s'agit plutôt d'émulsions eau dans huile,
- la mention "residuos aceitos" figurant dans l'annexe E-1 de la charte-partie du navire Don Rodrigo, se traduirait par "résidus huileux" précisant qu'il y a plusieurs types d'huiles et que le terme "résidus huileux" acquiert un sens différent dans chaque contexte, ajoutant que "En l'espèce, il s'agit très probablement des huiles dérivées du pétrole mais en ce qui me concerne, mon domaine de compétence étant la traduction, je traduirais ce terme par "résidus huileux". Il appartient au destinataire du texte d'interpréter le sens de ce terme dans ce contexte précis".
Selon le commandant [L], (pièce 26 des intimées) "dans l'industrie pétrolière et plus précisément encore dans celle de l'extraction du pétrole off shore, le mot espagnol "aceite" est équivalent au mot anglais "oil" et a une acception aussi étendue... On a bien compris que "aguas aceitosas" ou "emulcion aceite agua" sont synonymes et désigne une émulsion eau/pétrole, autrement dit une eau hydrocarburée donc potentiellement dangereuse pour le navire et/ou son environnement ...".
Le bon de déchargement ou avis de déchargement du 18 juin 2005, du représentant de Pemex à bord du Bourbon Opale, l'inspecteur [S] [V] [G], reçu par le capitaine du Don Rodrigo, fait état, selon la traduction fournie par les appelantes (leur pièce 11) de "255 m3 (environ) de déchets de lavage (émulsion huile-eau)
Déchets de lavage provenant des opérations de nettoyage de l 'oléoduc de 16 pouces au raccordement de CITAM.
Ils sont envoyés au Terminal maritime de Dos Bocas aux fins d'être définitivement éliminés".
Ainsi que le relève l'expert-traductrice, il y a plusieurs types d'huiles et il appartient au destinataire du texte d'interpréter le sens des termes dans son contexte précis. On ne peut ainsi s'en tenir à une traduction littérale des termes litigieux.
Les appelantes s'appuient sur une note rédigée par des professionnels de l'Institut Français du Pétrole (IFP) (leur pièce 107 "l'eau dans la production de carburant") pour dire que la qualité de l'eau dans l'industrie pétrolière dépend de son activité d'origine ; que les déchets remis au Don Rodrigo n'étant pas issus d'une activité de production de pétrole, il ne s'agissait pas d'une eau de production qui est davantage considérée "comme une ressource que comme un sous-produit" alors que le Don Rodrigo ne collecte que des déchets en tant que sous-produit ; qu'il ne s'agissait pas non plus d'une eau issue d'un procédé de raffinage puisque le FPSO ne raffine pas de pétrole brut à bord, qu'il s'agit d'un déchet issu d'une opération d'entretien de puits ayant généré, après traitement, des "eaux résiduaires "composées d'eaux huileuses qui seront débarrassées de la plus grande partie des hydrocarbures, en l'occurrence par le biais de l'usine de traitement triphasique de conception Maresca, puis éliminés à terre.
Or, ainsi qu'il a été dit l'existence d'un traitement triphasique des déchets de lavage avant leur transbordement sur le navire Don Rodrigo n'est pas établi mais seulement une décantation de la cargaison préalablement à son pompage.
S'agissant en l'espèce, de déchets de lavage provenant des opérations de nettoyage d'un oléoduc, la mention "émulsion huile-eau" doit s'entendre d'une eau hydrocarburée et donc potentiellement dangereuse ainsi que le fait valoir à juste titre le commandant [L] (pièce 26 des intimées).
Sur le défaut de marquage de la nature dangereuse de la cargaison par le capitaine du Bourbon Opale tant dans son journal de bord que dans son registre des hydrocarbures, les appelantes soutiennent que la case pour le marquage de la classe IMDG du produit transporté n'a pas été renseignée. Elles disent que le transport de déchets dangereux est interdit sauf pour les tankers chimiquiers et vraquiers, ce qui n'est pas le cas du Don Rodrigo et soutiennent que le code IMDG, obligatoire pour tous les navires soumis à la convention SOLAS, ne s'applique pas seulement aux marchandises dangereuses emballées en colis mais aussi aux marchandises dangereuses en vrac liquide.
Elles se fondent notamment sur une note n° 2 de M. [I] [Z], ingénieur conseil (leur pièce 145) par laquelle celui-ci indique que le chargement d'un produit dangereux (classe 3 du code IMDG) doit pour le moins être mentionné sur le bon de débarquement.
Or, ainsi que le font valoir les intimées (leur pièce 29 commentaires du commandant [L]), le code IMDG auquel renvoie le chapitre VII de la convention SOLAS (convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer) est inapplicable à la cause, ce chapitre concernant le transport des marchandises dangereuses "en colis" (partie A) ou "sous forme solide en vrac" (partie A-1), tandis que la partie B concerne la construction des navires transportant des produits chimiques liquides dangereux en vrac.
A cet égard, l'extrait de l'ouvrage publié par l'Institut d'aide à la formation professionnelle maritime (pièce 149) aux termes duquel "Le recueil IMDG, bien que destiné plus spécialement au transport maritime, des marchandises dangereuses en colis est incontournable pour le transport des marchandises en vrac liquide, en particulier parce qu'il définit les différentes classes de produits transportés, liste les marchandises dangereuses,..." ne permet pas de dire que le code IMDG serait applicable à toutes les marchandises dangereuses solides ou liquides, en vertu du chapitre VII de la convention SOLAS.
Il s'en déduit qu'il ne peut être fait grief aux intimées de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage de la classe IMDG du produit transporté alors que la cargaison du navire Bourbon Opale constituée d'eaux de déchets de lavage en provenance d'un oléoduc, transbordée au navire Don Rodrigo n'était en rien une marchandise sous forme solide en vrac ou en colis et ainsi de ne pas s'être conformé à la législation mexicaine (norme mexicaine CRETIB).
En outre, la circonstance que le laboratoire mexicain d'analyses fasse état d'échantillons de boues solides directement prélevées des citernes du Don Rodrigo (pièce 25 des appelantes) ne permet nullement d'en déduire qu'il s'agissait d'une marchandise sous forme solide en vrac.
Les appelantes invoquent encore le non-respect de la Convention MARPOL, (convention internationale pour la prévention de la pollution des mers par les navires) au motif que l'annexe I s'applique aux navires de type FPSO de sorte que le Bourbon Opale y est soumis, sans justifier en quoi il y aurait eu violation des règles posées par cette convention, ne s'agissant pas d'un rejet à la mer de mélanges ou de résidus d'hydrocarbures interdits, mais du transfert d'une cargaison d'un navire à l'autre. La circonstance que le terme "rejet" (article 2 3 a) vise "Tout déversement provenant d'un navire, comprenant tout écoulement, évacuation, épanchement, déchargement par pompage, émanation, vidange" est insuffisante à cet égard s'agissant d'un transbordement d'une cargaison d'un navire à un autre sans rejet à la mer.
Par ailleurs s'agissant de l'annexe II de ladite convention, applicable au transporteur de substances liquides nocives en vrac, les appelantes qui font état du chapitre 17 du recueil, n'indiquent pas davantage en quoi la convention aurait été violée en invoquant la réglementation du rejet à la mer de substances liquides nocives lors des opérations de nettoyage des citernes ou de déballastage(§ 487 de leurs écritures).
En outre, s'agissait du défaut de registre de la cargaison, le navire Bourbon Opale disposait d'un registre des hydrocarbures ainsi qu'il a été dit.
Enfin, s'agissant du code ISM (code international de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de la pollution) adopté par l'OMI, Maresca justifie du certificat ISM établi par le Lloyds Register qui lui a été délivré et les appelantes ne justifient pas que les intimées y auraient contrevenu, en invoquant le défaut de marquage IMDG ainsi qu'il a été dit.
En conséquence, le défaut de marquage d'un produit dangereux par inobservation des règlements imputé aux intimées manque en fait.
Les appelantes invoquent encore la défaillance du navire Bourbon Opale dans son devoir d'assistance et ainsi la violation de la convention SOLAS.
Or la circonstance que le navire ait ou non manqué à cette obligation est indifférente au regard des dispositions de l'article 13 de la convention relative à l'abordage en mer, en ce que ce manquement allégué à la convention SOLAS, intervenu postérieurement à l'événement de mer, est dépourvu de lien avec l'abordage sans heurt invoqué.
Sur le manquement à la convention MARPOL du fait de l'inaptitude du navire Don Rodrigo au transport de la cargaison litigieuse
Les appelantes soutiennent que le Bourbon Opale a violé les dispositions de la convention Marpol en ce qu'il a transféré des substances liquides nocives sur un navire inapte à les recevoir alors que la convention encadre de façon très stricte les rejets de toluène et benzène, en tant que substances liquides nocives de catégorie Y.
Elles font valoir que selon le contrat d'affrètement signé entre Pemex et Perforadora, le Don Rodrigo ne devait transporter que des déchets et excédents métalliques non dangereux (certification classe Al) et que contrairement à ce que soutiennent les intimées, aucune clause de la charte partie du Don Rodrigo ne lui fait obligation de transporter des mélanges contenant du pétrole brut ni des résidus d'hydrocarbures, que le Don Rodrigo est un navire collecteur de déchets non dangereux mais polluants et ne disposait pas de registre des hydrocarbures comme la convention Marpol en fait obligation. Elles se fondent notamment sur la note de M. [I] [Z] (leur pièce 133).
Les intimées rétorquent en premier lieu que la mention "non dangereux" ne s'appliquent qu'aux excédents métalliques et en second lieu que l'annexe E-1 de la charte-partie mentionne le transport de produits dangereux.
La charte-partie du 19 juillet 2004 conclue entre Pemex et Perforadora pour l'affrètement du Don Rodrigo (pièce 49 des appelantes) porte sur l'affrètement à temps d'un ravitailleur baptisé Don Rodrigo pour le transport de résidus et d'excédents métalliques non dangereux provenant d'installations off-shore de Pemex Exploracion y Producion" (PEP).
L'annexe B de cette charte-partie (pièce 112 des appelantes) mentionne que cette annexe fait partie intégrante du contrat conclu entre PEP et Perforadora pour effectuer le service "d'affrètement à temps d'un navire ravitailleur pour le transport de déchets et d'excédents métalliques et de résidus non dangereux générés par les installations offshore de Pemex Exploration y Production".
Il s'en déduit que, contrairement à ce que soutiennent les intimées, la mention "non dangereux" ne s'applique pas qu'aux excédents métalliques mais aussi aux déchets et résidus que le navire Don Rodrigo doit transporter.
L'annexe E-1 (pièce 113 des appelantes) de cette charte-partie est intitulée "Navire et équipement requis par PEP". La colonne du milieu concerne les éléments requis par Pemex tandis que celle de droite comporte les propositions de Perforadora. S'agissant du point D "Equipement spécial indispensable", le point 1 est relatif aux "conteneurs métalliques pour la collecte de déchets et excédents métalliques et résidus non dangereux" qui doivent être au nombre de 15 pour ceux maintenus à bord, tandis que le point 2 porte sur les "réservoirs sous pont pour réceptionner des huiles polluées et des résidus huileux", Pemex requiert à cet égard "une capacité de stockage de 300 m3 minimum avec équipement de pompage pour l'évacuation des fluides récupérés et avec équipement et accessoires pour la récupération des fluides depuis les installations de PEP jusqu'au navire", Perforadora proposant "une capacité de stockage de 300 mètres cubes avec équipement de pompage pour l'évacuation des fluides récupérés et avec équipement et accessoires pour la récupération des fluides depuis les installations de PEP jusqu'au navire".
Les intimées qui traduisent "aceites contaminados y residuos aceitosos" par "hydrocarbures contaminés" et "résidus d'hydrocarbures" font valoir, que la capacité totale voulue par PEP pour ces citernes est d'une capacité de 300m3 alors que la capacité totale des quatre citernes du Don Rodrigo est de 220m3 de sorte que la déclaration de Perforadora constitue une fausse déclaration qui condamne le navire à utiliser en plus de ses citernes un ballast à eau de mer non prévu à cet effet.
Pour traduire les termes "aceites contaminados y residuos aceitosos" figurant à l'annexe E-1 de la charte-partie, ainsi qu'il a été dit supra, il convient de ne pas s'en tenir à une traduction littérale des mots et de replacer le mot "aceite" dans son contexte. S'agissant de fluides en provenance des installations off shore de PEP, c'est justement que les intimées, en s'appuyant sur le commentaire du commandant [L] (leur pièce 29), disent que ces termes doivent s'entendre comme des "hydrocarbures contaminés" et des "résidus d'hydrocarbures" donc potentiellement dangereux. Ainsi que les intimées le relèvent, le point D.2 de l'annexe E-1 porte sur les "réservoirs sous pont pour réceptionner des huiles polluées et des résidus huileux" qui ne sont nullement qualifiés de "non dangereux" contrairement au point D.1 qui porte sur les "conteneurs métalliques pour la collecte de déchets et excédents métalliques et résidus non dangereux".
Ainsi, aux termes de cette annexe, le navire devait être équipé pour recevoir des réservoirs sous pont pour réceptionner des eaux chargées d'hydrocarbures et de déchets d'hydrocarbures.
Ainsi, les intimées démontrent que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, le navire Don Rodrigo devait être apte au transport d'hydrocarbures dangereux et qu'il avait connaissance de la nature dangereuse de la marchandise qui lui a été transférée à partir du navire Bourbon Opale ainsi qu'il résulte du bon d'enlèvement signé par le capitaine du Don Rodrigo et du rapport de mer établissant la connaissance de la nature exacte des produits transportés, s'agissant de déchets de lavage en provenance d'un oléoduc, d'eaux contaminées.
Dès lors, alors que Perforadora a chargé dans le ballast à eau de mer des eaux contenant des hydrocarbures, à l'origine de l'explosion du navire, la commission d'enquête mexicaine établissant que celle-ci est due à la présence dans l'air de benzène, toluène et xylène, peu important la cause immédiate de l'incendie, (cigare ou interrupteur), le rôle causal du navire Bourbon Opale dans la survenance de l'explosion du navire Don Rodrigo, n'est pas établi.
En conséquence, en l'absence d'abordage sans heurt et de surcroît de faute prouvée tenant à l'inobservation des règlements, c'est vainement que les appelantes recherchent la responsabilité des intimées dans la survenance du sinistre sur le fondement de l'article 13 la convention internationale en matière d'abordage ».
ET AUX MOTIFS PARTIELLEMENT ADOPTES QUE
« Sur le droit applicable
Les demandeurs soutiennent que l'incendie du « Don Rodrigo » est la conséquence d'un événement de mer soumis aux dispositions de la « Convention du 23 septembre 1910 pour l'unification de certaines règles en matière d'abordage ». l'article 13 de la convention étend son champ d'application à la « réparation de dommages que, soit par exécution ou omission d'une manoeuvre, soit par inobservation des règlements, un navire cause à un autre navire » ;
Perforadora et ses assureurs affirment dès lors que c'est l'inobservation du code ISM ou de la convention Marpol par le navire Bourbon à l'occasion du transfert des « déchets de lavage contaminés » qui a entraîné les dommages pour en déduire l'implication du navire Bourbon Opale dans un abordage fautif.
Rien ne prouve cependant que les installations et équipements du Bourbon Opale aient connu un quelconque dysfonctionnement dans ces opérations de pompage ; il n'est pas davantage établi, comme déjà évoqué supra que le dit navire ait été chargé de traiter le mélange d'eau et d'hydrocarbures récupérés dans le Pipe-line de Pemex afin de le rendre inerte avant transfert à bord du Don Rodrigo et qu'ainsi l'incident serait la conséquence d'une panne de décanteurs ou d'autres installations installées à bord de ce navire de classe FPSO. La démonstration d'infraction au règlement ISM qui concerne en premier lieu la défaillance d'équipements ou de systèmes techniques dont la panne soudaine pourrait entraîner des situations dangereuses apparaît peu convaincante.
De même, si le « Bourbon Opale » n'est pas producteur des déchets appartenant à « Pemex » a participé à leur évacuation à bord du « Don Rodrigo » aux fins d'élimination à terre, le tribunal n'y voit pas d'infraction caractérisée aux obligations de la convention Marpol interdisant le rejet en mer de substances nuisibles.
En définitive, le « Bourbon Opale » était en état de navigabilité puisqu'il disposait de ses certificats de classe à jour (établis en 2004) ; il n'a commis aucune faute nautique ; ses installations et ses équipements de sécurité ne sont pas en cause ; l'accostage et les opérations de pompage se sont déroulés sans incident. Certes, charger un produit potentiellement dangereux sans s'assurer que le navire qui les réceptionne est adapté à ce transport constitue une faute même si, comme le soulignent les défendeurs l'équipage du Bourbon Opale ignorait les termes de la charte partie entre « Pemex » et « Perforadora » censée ne lui confier que l'évacuation de déchets non dangereux. Il n'est en outre pas exclu que la présence d'hydrocarbures dangereuses ait été fortuite ce qui pourrait expliquer pourquoi l'incident s'est produit ce jour-là alors que le « Don Rodrigo » avait déjà à de nombreuses reprises effectué ce type de transports et que les équipages n'ont rien décelé d'anormal pendant le transbordement.
Quoiqu'il en soit, le tribunal n'aperçoit pas que la notion d'abordage au sens de la convention puisse être retenue dès lors que le dommage survenu après 1h25 de navigation vers la terre est sans rapport avec une quelconque faute nautique et n'a pas été causé physiquement par le mouvement ou la présence passive du navire. Comme le relève le professeur [U] dans son commentaire de l'arrêt Ginousse du 14 septembre 1984, s'il peut y avoir abordage sans heurt (les remous par exemple), l'abordage implique à tout le moins le fait d'un navire. Si la cour d'appel de Douai dans son arrêt du 15 mars 2012 a reconnu le caractère de créance maritime au regard de la convention de 1952 dès lors que le dommage avait été causé par le navire « Bourbon Opale » par abordage ou autrement, le professeur [T], dans son commentaire d'arrêt, a émis de sérieux doute sur la possibilité d'invoquer au cas d'espèce un abordage. Le tribunal partage cette analyse et considérant que ce dommage n'est pas survenu à l'occasion d'un abordage, il écartera dès lors l'application de la convention du 18 septembre 1910.
Rien ne reliant plus l'événement à la loi du For, les poursuites engagées par des sociétés de droit étranger contre les sociétés « Bourbon Ships As » et « Bourbon Offshore Norway » sociétés de droit norvégien et « Maresca » société de droit mexicain ne peuvent dès lors prospérer devant les juridictions françaises ».
1°/ ALORS QUE constitue un abordage dit « sans heurt » au sens des articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports, entraînant la responsabilité du navire concerné, le dommage causé par le transbordement de la cargaison de ce navire vers un autre navire, après une opération de mise à couple des deux navires ; que la cour d'appel, en se bornant à statuer par un motif inopérant relatif à l'intégration de la cargaison au premier navire et à affirmer que l'abordage implique à tout le moins le fait d'un navire, a violé les textes précités ;
2°/ ALORS QU'en vertu du principe, dont s'inspirent les dispositions du code IMDG et de la Convention Solas, suivant lequel les autorités d'un navire qui décharge sa cargaison sur un autre navire ont le devoir d'avertir, par une mention particulière – autre que la simple description ou désignation de ladite cargaison – de la nature dangereuse de cette cargaison, les responsables du navire Le Bourbon ne pouvaient être déliés de toute obligation quant à une déclaration spécifique relative à la nature d'hydrocarbures de la cargaison et à son caractère dangereux, ainsi qu'à la nécessité d'un marquage en ce sens, lors du transbordement à bord du Don Rodrigo ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le principe susvisé, l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble la Convention Solas de 1974 en ses chapitres VI et VII, la règle I de l'annexe I de la Convention Marpol de 1973 visant les hydrocarbures et les mélanges d'hydrocarbures, ainsi que les articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports ;
3°/ ALORS QU'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, se référant à la législation mexicaine (normes mexicaines CRETIB) sans en préciser le contenu, a jugé qu'il ne pouvait être reproché au Bourbon Opale de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage IMDG du produit transporté ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, au besoin d'office, la teneur de la législation mexicaine, à laquelle se référaient au demeurant les appelantes en visant une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux qui imposait le respect d'un marquage (conclusions d'appel, p. 76, n° 396), la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 3 du code civil ;
4°/ ALORS QU'en toute hypothèse, celui qui est tenu d'une obligation d'information relative à la dangerosité d'un produit doit s'en acquitter d'une manière claire et précise, insusceptible d'interprétation ; que la cour d'appel qui, pour retenir en l'espèce que la mention « émulsion huile-eau » devait s'entendre d'une eau hydrocarburée et donc potentiellement dangereuse, a considéré qu'il appartenait au destinataire du bon de déchargement d'en interpréter le sens dans son contexte précis et qu'il ne pouvait s'en tenir à une traduction littérale de ses termes, a violé l'article 13 de la convention de Bruxelles du 23 septembre 1910, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
5°/ ALORS QUE la charte-partie du 19 juillet 2004 liant la société Perforadora à la société Pemex n'a pas de caractère contractuel entre la société Perforadora et les sociétés Bourbon ; que notamment les exigences y figurant en matière d'équipement du navire Don Rodrigo ne peuvent être invoquées par les sociétés Bourbon pour exclure qu'elles-mêmes aient commis une faute au regard de leurs propres engagements à l'égard de la société Pemex ou des règles internationales applicables ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1165 devenu 1199 du code civil ;
6°/ ALORS QUE les autorités d'un navire qui déchargent sur un autre navire des produits qu'elles savent dangereux doivent s'assurer de la capacité physique et juridique à les recevoir du navire réceptionnaire ; qu'une éventuelle incapacité, soit juridique parce que le navire réceptionnaire n'a pas été affrété à cette fin, soit matérielle parce que ses capacités physiques sont insuffisantes à recevoir la cargaison transférée, ne peut dispenser le navire chargeur de sa responsabilité dans le dommage produit du fait de la méconnaissance de cette obligation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports ;
7°/ ALORS QU'à supposer qu'il y ait eu faute des responsables du navire Don Rodrigo, ayant contribué à la réalisation du dommage, cette faute éventuelle de la victime n'était susceptible d'exonérer totalement les responsables du Bourbon Opale de leur responsabilité qu'à la condition d'être la cause exclusive du dommage ; qu'en conférant par principe un caractère totalement exonératoire à une éventuelle faute de la victime, la cour d'appel a violé les articles 4 et 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 en matière d'abordage ainsi que l'article L. 5131-4 du code des transports. DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevables les assureurs de la société Perforadora Central en leur action contre les intimées sans mentionner dans son dispositif qu'ils en étaient déboutés,
AUX MOTIFS, SUR LA RECEVABILITE DE L'ACTION INTENTEE PAR LES ASSUREURS, QUE
« Sur l'irrecevabilité pour défaut d'intérêt à agir des demandes formées par les compagnies d'assurance American Offshore, Commonwealth lnsurance, International lnsurance Company Hannover. Llovds AE 1225 Aegis Managing Agency Limited, Llovds AUX 609 Atrium Underwriters Limited, Llovds His 33 Hiscox, Llovds MAP 2791 Managing Agency Partners Limited, Llovds RTH 1414 Ascot Underwriting Limited, Catlin Underwriting Agencies Ltd venant aux droits de Lloyds WEL 2020 Wellongton Underwriting, Llovds XL 1209 London Market Ltd, Mutual Marine Office, XL Speciality Insurance
Les intimées soutiennent que les compagnies d'assurance appelantes ne peuvent revendiquer ni subrogation légale, ni subrogation conventionnelle, faute de rapporter la preuve du paiement.
Il résulte des pièces produites que Perforadora a assuré le navire Don Rodrigo auprès de la compagnie d'assurances Latinoaméricana de Seguros S.A de CV sous la police n° 2688 pour le risque TA2803904 par une police d'assurances prenant effet au 17 avril 2005 (pièce 118). Cette police a été réassurée sur le marché de la réassurance des Lloyds de Londres par un traité de réassurance du 23 avril 2004 (pièce 79) prévoyant une période de couverture à compter du 17 avril 2004 pour 24 mois.
Ce traité auquel plusieurs syndicats des Lloyds de Londres et compagnies d'assurance se sont associés, était administré à compter du 17 avril 2005 par le courtier Jardine Lloyds Thomson Solutions Limited ("JLT") (Pièce 93 note de couverture).
La qualité à agir des réassureurs résulte du traité de réassurance (pièce 79) et des certificats d'assurance produits (pièces 80 à 84 et 92), documents que chacun des réassureurs a surchargé et sur lesquels chacun d'eux a apposé son timbre humide.
Il est également justifié du paiement par la société JLT Speciality Limited à Perferodora de la somme de 3 694 600 USD versées par les compagnies d'assurances appelantes en trois versements des 10, 14 et 21 22 février 2006 (pièce 88) et d'une quittance subrogative (pièce 86 acte notarié du 19 janvier 2006 et pièce 104 établie par Perforadora le 18 mars 2015). Les réassureurs justifient ainsi de leur intérêt à agir, sans qu'il y ait lieu d'exiger la production des pièces comptables mettant en évidence la réception par JLT de la quote-part de chacun des coassureurs ou des ordres de virements au profit de JLT ainsi que le requièrent les intimées.
Les réassureurs se trouvent légalement subrogés dans les droits de l'assurée, la société Perforadora, en vertu du droit mexicain applicable au contrat de réassurance, la police d'assurance renvoyant au droit local (pièce 79 page 7), l'article 6 de la loi mexicaine relative à la navigation et au commerce maritimes disposant :
"A défaut de disposition expresse de cette loi ; de ses règlements et des traités internationaux s'appliqueront à titre supplétif,....
VII le code civil fédéral et le code fédéral de procédure civile (pièce 105)
et l'article 2058 du code civil fédéral mexicain précisant "la subrogation a lieu de plein droit et sans qu'aucune déclaration de la part des intéressés ne soit nécessaire :
(2) lorsque celui qui paye a un intérêt juridique à s'acquitter de cette obligation" (pièce 106).
Enfin, peu importe que le traité de réassurance soit antérieur à la police comme le relèvent les intimées, la police d'assurance pouvant y être incluse par la suite.
Les réassureurs justifient ainsi de leur intérêt à agir.
Dès lors, il convient, infirmant le jugement entrepris, de déclarer recevables les demandes formées par les compagnies d'assurance à l'exception de Catlin Underwriting Agencies Ltd venant aux droits de Lloyds WEL 2020 Wellington Underwriting, qui a été déclarée irrecevable en son appel.
Sur l'irrecevabilité pour défaut de qualité à agir des demandes formées au nom de International Insurance Company Hannover
Si la police d'assurances corps et machine du Don Rodrigo a été souscrite par la compagnie Hannover Re Germany et non par Inter Hannover (nom commercial de la compagnie International Insurance Company Hannover), celle-ci est la filiale britannique de la compagnie de réassurance allemande Hanover Re laquelle a apposé sa surcharge et son timbre humide sur le traité de réassurance (pièce 79) ainsi qu'il résulte de l'attestation de M. [P], Directeur Général de Inter Hannover du 6 février 2015 (pièce 91).
En conséquence, il convient, infirmant le jugement entrepris, de déclarer recevables les demandes formées au nom de International Insurance Company Hannover qui a qualité à agir.
Sur la prescription des demandes formées par l'intervenante volontaire NY General & Marine lnsurance
Il résulte du traité de réassurance du 23 avril 2004 que la compagnie Mutual Marine Office agit pour le compte de N Y Marine and General Insurance Compagny. Cette dernière a régularisé en cause d'appel la procédure, intervenant volontairement au lieu et place de la compagnie Mutual Marine Office.
Les attestations sur l'honneur des responsables sinistres de ces deux compagnies établissent que Mutual Marine "a agi comme mandataire et sous l'autorité de N Y Marine and General Insurance Compagny au regard de toutes actions et procédures relatives à la subrogation et au recouvrement de la perte subie par le navire DON RODRIGO le 18 juin 2005 incluant les procédures devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer et les procédures d'appel subséquentes" (pièces 89 et 90).
Dès lors la demande présentée par de N Y Marine and General Insurance Compagny qui porte sur la même créance que celle présentée en première instance par la compagnie Mutual Marine Office est recevable et aucune prescription ne peut lui être opposée, l'assignation délivrée le 5 février 2010 par Mutual Marine Office, agissant pour son compte, ayant interrompu la prescription.
Les demandes formées par N Y Marine and General Insurance Compagny, non prescrites, sont recevables ».
ET AUX MOTIFS, SUR LES DEMANDES D'INDEMNITES, RAPPELES DANS LE PREMIER MOYEN
ALORS QUE, selon l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande ; qu'en jugeant, dans ses motifs, mal-fondés en leur action les assureurs de la société Perforadora, pour les mêmes raisons que cette dernière, sans les en débouter dans le dispositif de son arrêt, contrairement à leur assurée, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une omission matérielle qu'il incombe à la Cour de cassation, à laquelle est déféré l'arrêt attaqué, de rectifier en application du texte susvisé.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les assureurs de la société Perforadora Central de leurs demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon Ships, Bourbon Offshore Norway, [Adresse 14] et Marecsa ;
AUX MOTIFS RAPPELES DANS LE PREMIER ET LE DEUXIEME MOYENS
1°/ ALORS QUE constitue un abordage dit « sans heurt » au sens des articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports, entraînant la responsabilité du navire concerné, le dommage causé par le transbordement de la cargaison de ce navire vers un autre navire, après une opération de mise à couple des deux navires ; que la cour d'appel, en se bornant à statuer par un motif inopérant relatif à l'intégration de la cargaison au premier navire et à affirmer que l'abordage implique à tout le moins le fait d'un navire, a violé les textes précités ;
2°/ ALORS QU'en vertu du principe, dont s'inspirent les dispositions du code IMDG et de la Convention Solas, suivant lequel les autorités d'un navire qui décharge sa cargaison sur un autre navire ont le devoir d'avertir, par une mention particulière – autre que la simple description ou désignation de ladite cargaison – de la nature dangereuse de cette cargaison, les responsables du navire Le Bourbon ne pouvaient être déliés de toute obligation quant à une déclaration spécifique relative à la nature d'hydrocarbures de la cargaison et à son caractère dangereux, ainsi qu'à la nécessité d'un marquage en ce sens, lors du transbordement à bord du Don Rodrigo ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le principe susvisé, l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble la Convention Solas de 1974 en ses chapitres VI et VII, la règle I de l'annexe I de la Convention Marpol de 1973 visant les hydrocarbures et les mélanges d'hydrocarbures, ainsi que les articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports ;
3°/ ALORS QU'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, se référant à la législation mexicaine (normes mexicaines CRETIB) sans en préciser le contenu, a jugé qu'il ne pouvait être reproché au Bourbon Opale de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage IMDG du produit transporté ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, au besoin d'office, la teneur de la législation mexicaine, à laquelle se référaient au demeurant les appelantes en visant une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux qui imposait le respect d'un marquage (conclusions d'appel, p. 76, n° 396), la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 3 du code civil ;
4°/ ALORS QUE le débiteur d'une obligation d'information relative à la dangerosité d'un produit doit s'en acquitter d'une manière claire et précise, insusceptible d'interprétation ; que la cour d'appel qui, pour retenir en l'espèce que la mention « émulsion huile-eau » devait s'entendre d'une eau hydrocarburée et donc potentiellement dangereuse, a considéré qu'il appartenait au destinataire du bon de déchargement d'en interpréter le sens dans son contexte précis et qu'il ne pouvait s'en tenir à une traduction littérale de ses termes, a violé l'article 13 de la convention de Bruxelles du 23 septembre 1910, ensemble l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
5°/ ALORS QUE la charte-partie du 19 juillet 2004 liant la société Perforadora à la société Pemex n'a pas de caractère contractuel entre la société Perforadora et les sociétés Bourbon ; que notamment les exigences y figurant en matière d'équipement du navire Don Rodrigo ne peuvent être invoquées par les sociétés Bourbon pour exclure qu'elles-mêmes aient commis une faute au regard de leurs propres engagements à l'égard de la société Pemex ou des règles internationales applicables ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1165 devenu 1199 du code civil ;
6°/ ALORS QUE les autorités d'un navire qui déchargent sur un autre navire des produits qu'elles savent dangereux doivent s'assurer de la capacité physique et juridique à les recevoir du navire réceptionnaire ; qu'une éventuelle incapacité, soit juridique parce que le navire réceptionnaire n'a pas été affrété à cette fin, soit matérielle parce que ses capacités physiques sont insuffisantes à recevoir la cargaison transférée, ne peut dispenser le navire chargeur de sa responsabilité dans le dommage produit du fait de la méconnaissance de cette obligation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble les articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports ;
7°/ ALORS QU'à supposer qu'il y ait eu faute des responsables du navire Don Rodrigo, ayant contribué à la réalisation du dommage, cette faute éventuelle de la victime n'était susceptible d'exonérer totalement les responsables du Bourbon Opale de leur responsabilité qu'à la condition d'être la cause exclusive du dommage ; qu'en conférant par principe un caractère totalement exonératoire à une éventuelle faute de la victime, la cour d'appel a violé les articles 4 et 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 en matière d'abordage ainsi que l'article L. 5131-4 du code des transports. | Ayant constaté que la destruction partielle d'un navire était survenue plus de deux heures après le transbordement de la cargaison dangereuse, dont l'explosion avait été provoquée par une étincelle à bord de ce navire alors que celui-ci faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers son port de destination, et relevé que la cargaison provenant d'un autre navire ne pouvait être considérée comme étant devenue partie intégrante de ce dernier, une cour d'appel a pu en déduire que l'accident n'avait pas été causé par ce navire et a exactement retenu qu'aucun abordage n'était survenu entre les deux navires |
7,799 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 mai 2022
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 319 FS-B
Pourvoi n° H 19-25.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 MAI 2022
M. [E] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 19-25.796 contre l'arrêt rendu le 10 octobre 2019 par la cour d'appel de Rouen (chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à la société OCP répartition, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [G], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société OCP répartition, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mmes Vaissette, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 octobre 2019) et les productions, M. [G], pharmacien, a été mis en redressement judiciaire par un jugement du 30 juin 1995. La société OCP répartition (la société OCP) a été définitivement admise au passif pour un montant de 2 467 043,33 francs, soit 376 098,28 euros. M. [G] a bénéficié d'un plan de continuation arrêté par un jugement du 21 novembre 1997, lequel déclare la créance de la société OCP hors plan, dit que sa créance sera « réglée à 40 % dès l'arrêté du plan et prend acte de l'accord des parties pour le règlement du solde, à savoir 60 % de la créance productif d'intérêts au taux de 2 % sous condition de bonne exécution du plan au terme de 15 ans ». Après une mise en demeure infructueuse de régler le solde à l'échéance, la société OCP a assigné M. [G] en paiement de la somme de 293 356 euros, en ce compris les intérêts contractuels.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [G] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société OCP la somme de 302 383,06 euros en principal et intérêts arrêtés au 20 novembre 2014, ainsi que les intérêts au taux légal sur la somme de 303 383,06 euros à compter du 21 novembre 2014, et d'ordonner la capitalisation de ces intérêts par année entière, alors « que les engagements relatifs au règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture pris par le débiteur lors de l'examen de son plan de continuation, qui ne valent que sous réserve de l'admission définitive de celles-ci, ne peuvent l'obliger à payer une créance non admise, fût-ce après l'exécution de ce plan ; que M. [G] faisait valoir que la créance de la société [G] avait été admise pour la somme de 376 098,28 euros sans intérêts ; que la cour d'appel a constaté que la créance de la société OCP répartition avait été, par une ordonnance du 16 octobre 1996, admise au passif de M. [G] pour un montant de 2 467 043,44 francs, soit 376 098,28 euros ; que la cour d'appel a également constaté que M. [G] avait réglé la somme de 150 439,43 euros, à la société OCP répartition dès l'arrêté du plan ; qu'il se déduisait de ces constatations que le solde de la créance dont la société OCP répartition pouvait se prévaloir était donc limité à la somme de 225 658,85 euros (somme de 376 098,28 admise – 150 439,43 euros réglés à la date d'arrêté du plan), sans que le créancier puisse revendiquer le paiement d'intérêts, dès lors que la décision d'admission ne comportait pas admission pour des intérêts ; qu'en condamnant M. [G] à payer la somme de 302 383,06 euros, soit 225 659 euros en principal et 76 724,06 euros au titre des intérêts échus au 20 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, ensemble l'article 1351 du code civil, devenu 1355 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 621-76 et L. 621-79 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 :
3. Il résulte de la combinaison de ces textes que toutes les créances déclarées à une procédure collective doivent être soumises au plan de continuation de l'entreprise, y compris lorsque les modalités de leur apurement sont spécifiques. En conséquence, un créancier et le débiteur ne peuvent stipuler un intérêt non prévu par la décision admettant la créance au passif.
4. Pour condamner M. [G] à payer à la société OCP un intérêt conventionnel de 2 % sur le montant de la créance restant due à compter de l'arrêté du plan, l'arrêt, après avoir relevé que le jugement arrêtant le plan avait qualifié la créance de la société OCP de créance hors plan, retient que c'est l'accord conclu entre les parties qui prévoit que les sommes restant dues par M. [G] produiront intérêts au taux de 2 %.
5. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'aucun intérêt n'avait été admis au passif, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société OCP répartition aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société OCP répartition et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [G].
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR condamné M. [G] à payer à la société OCP Répartition la somme de 302 383.06 € en principal et intérêts arrêtés au 20 novembre 2014, D'AVOIR condamné M. [G] à payer à la société OCP Répartition les intérêts au taux légal sur la somme de 303 383.06 € à compter du 21 novembre 2014, jusqu'à complet paiement, d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts par année entière et d'AVOIR débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE la société OCP soutient que les parties ont trouvé un accord « hors plan » au terme duquel le paiement de la dette se ferait en deux temps : un premier paiement immédiatement à l'arrêté du plan et un second paiement 15 ans plus tard, que conformément à la volonté des parties, la société OCP s'interdisait d'exiger le paiement de sa créance avant le terme prévu, soit le 21 novembre 2012, qu'il s'agit donc d'une créance « à terme »; que M. [G] soutient que la créance serait éteinte du fait qu'il a apporté son fonds à une société Pharmacie du Bolbec, suivant contrat d'apport publié au journal d'annonces légales le 28 janvier 1998, et que la société OCP n'ayant jamais déclaré sa créance alors qu'elle savait que le fonds devait être apporté à une société comme indiqué dans le jugement, est donc frappée par le délai de prescription ; qu'en l'espèce, aux termes de l'arrêté du plan de continuation relatif au jugement du 21 novembre 1997, le tribunal a déclaré les créances OCP « hors plan » et « a dit » que les créances d'OCP seraient réglées à hauteur de 40 % dès l'arrêté du plan et « a pris acte » de l'accord intervenu pour le paiement du solde à savoir 60 % productif d'intérêts au taux de 2 % l'an faisant l'objet d'un gel dans ses livres, qui sera remboursé, après éventuellement une remise gracieuse de 50 %, sous condition de bonne exécution du plan au besoin sur la vente du fonds de commerce au bout de 15 ans ; que le tribunal constate à la lecture de la décision du 21 novembre 1997 qu'il s'agit de créances « hors plan », que M. [G] en personne s'était obligé au paiement des 60 % de sa dette et la société OCP s'interdisait d'exécuter cette obligation avant une période de gel de 15 ans ; que le tribunal ayant «pris acte » de l'accord entre les parties a permis de matérialiser les faits et la valeur contractuelle ; dès lors, la créance est devenue exigible au terme et après une période de 15 ans soit le 21 novembre 2012 ; que M. [G] soutient qu'en vertu de l'ancien article L110-4 du code de commerce, avant sa modification du 17 juin 2008, la créance de la société OCP dite de droit commun est soumise à la prescription de 10 ans ramenée à 5 ans, que la société OCP aurait dû assigner avant le 22 novembre 2007, ce qu'elle n'a pas fait ; mais qu'en vertu de l'article 2233 du code civil, la prescription ne court pas à l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé ; que le tribunal a jugé supra que la créance est devenue exigible au terme d'une période de gel de 15 aimées, soit le 21 novembre 2012 ; qu'en l'espèce, la société OCP a relancé M. [G] le 14 juin 2013, par lettre recommandée avec accusé de réception ; que par son courrier du 25 juin 2013, M. [G] a reconnu sa dette et a tenté de prévoir un report de son obligation, ayant pour effet conformément aux dispositions de l'article 2240 du code civil, de faire courir un nouveau délai de prescription de 5 années ; que finalement la société OCP l'a assigné le 18 mars 2015 et pouvait donc agir jusqu'au 25 juin 2018 ; qu'en conséquence, le tribunal dira que l'action de la société OCP n'est pas prescrite et est recevable ; que la société OCP demande au tribunal la condamnation de M. [G] au paiement de la somme de 302 383,06 euros en principal et intérêts arrêtés au 20 novembre 2014 et la condamnation des intérêts au taux de 2 % à compter du 21 novembre 2014; qu'elle précise que la remise de 50 % n'est pas possible car le règlement n'est pas intervenu au terme prévu ; que M. [G] soutient que la créance admise est de 376 098.28 € sans intérêts dont il est nécessaire de déduire les sommes déjà versées laissant subsister un solde de 225.658.85, auquel une remise de 50 % est à appliquer soit un solde réel de 112 829.42 €, et que conformément à la jurisprudence si la déclaration de créance ne mentionne pas les intérêts conventionnels continuant à courir et leur mode de calcul, le droit de les réclamer est perdu une fois l'admission du seul capital restant dû ; qu'aux termes du jugement du 21 novembre 1997, il est prévu que le solde de 1 480 220.44 francs soit 225 658.15 € comprenant les frais de retard feront l'objet d'un gel pendant 15 ans dans les livres de OCP au taux de 2 % l'an ; qu'une remise gracieuse « pourra être accordée » à condition expresse que le plan ait été parfaitement exécuté ; qu'en l'espèce, la société OCP a accepté un règlement différé de plus de 15 ans, qu'il est donc de bon droit d'appliquer des majorations de retard jusqu'à la date de l'arrêté des comptes établi au 20 novembre 2014 au taux prévu soit de 2 % l'an ; qu'à compter du 21 novembre 2014 il sera appliqué le taux d'intérêt légal ; que concernant la remise gracieuse de 50 %, il est démontré que le plan n'a pas été parfaitement exécuté ; qu'en conséquence, le tribunal condamnera M. [G] à payer à la société OCP Répartition la somme de 302 383,06 € en principal et intérêts arrêtés à la date du 20 novembre 2014, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 novembre 2014 et jusqu'à parfait paiement ;
ET AUX MOTIFS PROPRES QU'il ressort des débats et des pièces que la société OCP Répartition, grossiste, distribue des médicaments et autres produits de santé auprès d'officines, dont celle exploitée par M. [G] qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 30 juin 1995 ; que dans le cadre de cette procédure, par ordonnance du 16 octobre 2016, la créance de la société OCP Répartition a été admise au passif du redressement judiciaire pour un montant de 2.467.043,44 francs soit 376.098,28 euros ; que par un jugement du 21 novembre 1997, un plan de continuation a été adopté qui prévoyait pour la société OCP Répartition un règlement de 40% dès l'arrêté du plan, les parties s'étant mises d'accord pour le règlement "hors plan" à hauteur de 60% de la créance portant intérêts au taux de 2% et exigible à l'issue d'une période de gel de 15 ans, remboursé après éventuellement une remise gracieuse de 50% sous condition de bonne exécution du plan, au besoin sur la vente du fonds de commerce au bout de 15 ans ; que les dispositions ci-dessus ont été respectées en ce que M. [G] a réglé la somme de 990.817 francs, le solde étant payable au terme de la période de gel de la dette dont les parties ont convenu, la preuve de l'accord des parties résultant des dispositions du jugement du 21 novembre 1997 ; qu'or, contrairement à ce qui est allégué par M. [G], les parties ayant convenu d'un -paiement du solde de 60% et des intérêts au taux de 2% à l'issue d'un période ce gel de 15 ans, les dispositions de l'article 2257 du code civil (devenu l'article 2233) doivent recevoir application qui disposent que la prescription ne court pas à l'égard notamment d'une créance à terme et ce jusqu'à ce que ce terme soit arrivé ; qu'il importe peu en l'espèce que les parties aient envisagé de réduire la montant de la créance de 50% en cas de bonne exécution du plan et de vente du fonds s'agissant d'une simple éventualité dont le terme était dans tous les cas fixé à l'issue d'une période de 15 ans ; qu'ainsi, l'échéance pour l'exigibilité du solde de la créance de la société OCP Répartition ayant été fixée à 15 ans après le règlement partiel effectué en exécution du plan adopté par jugement du 21 novembre 1997, le délai de prescription n'a pu commencer à courir avant le 21 novembre 2012, l'action introduite par assignation en date du 18 mars 2015 étant recevable, alors en outre que dans un courrier en date du 25 juin 2015 M. [G] a reconnu devoir la somme de 293.356 euros à la société OCP Répartition évoquant une cession possible du fond en mai 2015, sollicitant de cette dernière de trouver un accord compte tenu de ces éléments ; que sur ce point, il convient d'écarter la contestation de M. [G] tendant à faire admettre que l'apport en société de l'officine réalisé à une société Pharmacie du Bolbec SARL, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés du Havre sous le N'411 141 849 suivant contrat d'apport publié au journal d'annonces légales le 28 janvier 1998, a une incidence sur la prescription de la créance de la société OCP Répartition en l'absence d'opposition de cette dernière ; qu'en effet, ce fait n'a pas entraîné de perte des droits du créancier à l'égard de M. [G], qui est resté personnellement débiteur de la société OCP Répartition ; que s''agissant des intérêts, M. [G] fait valoir que l'action en paiement du créancier doit se limiter au paiement des intérêts lors de l'admission, la déclaration de créance qui ne mentionne pas les intérêts conventionnels, lui faisant perdre le droit de les réclamer ; qu'or, l'accord dont il est fait état au jugement du 21 novembre 1997 prévoit que les sommes restant dues par M. [G] produisent intérêts au taux de 2%, la réclamation de la société OCP Répartition résultant de cet accord ; qu'enfin, la remise de 50% de la créance étant conditionnée par le respect des termes de l'accord s'agissant notamment du règlement à l'échéance, aucune remise ne peut être imposée par le débiteur au motif que la vente n'a pas pu intervenir dans le délai, cette condition qui ne dépend pas de la volonté de la société OCP Répartition ne pouvant être qualifiée de potestative ; qu'ainsi, il y a lieu de confirmer le jugement qui a condamné M. [G] à payer la somme de 302.383,06 euros, soit 225.659 euros en principal et 76.724,06 euros au titre des intérêts échus au 20 novembre 2014, la condamnation aux intérêts au taux légal de cette somme à compter de cette date n'étant pas remise en cause dans le cadre de l'appel, les intérêts étant capitalisés dès lors qu'ils sont échus pour une année entière ;
ALORS QUE les engagements relatifs au règlement des créances nées antérieurement au jugement d'ouverture pris par le débiteur lors de l'examen de son plan de continuation, qui ne valent que sous réserve de l'admission définitive de celles-ci, ne peuvent l'obliger à payer une créance non admise, fût-ce après l'exécution de ce plan ; que M. [G] faisait valoir que la créance de la société [G] avait été admise pour la somme de 376.098,28 euros sans intérêts ; que la cour d'appel a constaté que la créance de la société OCP Répartition avait été, par une ordonnance du 16 octobre 1996, admise au passif de M. [G] pour un montant de 2.467.043,44 francs, soit 376.098,28 euros ; que la cour d'appel a également constaté que M. [G] avait réglé la somme de 150.439,43 euros, à la société OCP Répartition dès l'arrêté du plan ; qu'il se déduisait de ces constatations que le solde de la créance dont la société OCP Répartition pouvait se prévaloir était donc limité à la somme de 225.658,85 euros (somme de 376.098,28 admise – 150.439,43 euros réglés à la date d'arrêté du plan), sans que le créancier puisse revendiquer le paiement d'intérêts, dès lors que la décision d'admission ne comportait pas admission pour des intérêts ; qu'en condamnant M. [G] à payer la somme de 302.383,06 euros, soit 225.659 euros en principal et 76.724,06 euros au titre des intérêts échus au 20 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, ensemble l'article 1351 du code civil, devenu 1355 du même code. | Il résulte de la combinaison des articles L.621-76 et L.621-79 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que toutes les créances déclarées à une procédure collective doivent être soumises au plan de continuation de l'entreprise, y compris lorsque les modalités de leur apurement sont spécifiques. En conséquence, un créancier et le débiteur ne peuvent stipuler un intérêt non prévu par la décision admettant la créance au passif |